Déclaration de M. Bernard Cazeneuve, ministre des affaires européennes, sur les avancées en matière de construction européenne, au Sénat le 18 juillet 2012.

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Circonstance : Audition devant la Commission des affaires européennes du Sénat, le 18 juillet 2012

Texte intégral

Q - (Sur la politique étrangère de l'Union européenne)
R - S'agissant de la politique étrangère, force est de constater que l'Union n'est toujours pas parvenue à élaborer une politique et une action visible sur la scène internationale. Plusieurs crises récentes ont au contraire mis à jour les divergences de vue de plusieurs États membres. Je pense en particulier à la crise libyenne. La France et le Royaume-Uni ont assumé à titre principal l'action militaire et diplomatique.
Ces échecs ne doivent pas pour autant masquer les progrès accomplis, même timides, depuis l'entrée en vigueur du Traité de Lisbonne. Outre la création du Haut représentant et du Service européen d'action extérieure, des délégations de l'Union sont maintenant présentes dans les pays tiers.
Par ailleurs, dans plusieurs crises récentes de dimension internationale - je pense à la Syrie, à l'Iran et à la situation au Sahel -, une attention particulière a été portée à l'association étroite de tous les États membres de l'Union aux positions défendues au Conseil de sécurité des Nations unies.
Q - (Sur la situation démocratique en Roumanie et en Hongrie)
R - Vous m'avez aussi interrogé sur la situation démocratique en Roumanie et en Hongrie. C'est en effet préoccupant. La Commission européenne assure un suivi très étroit. Le Premier ministre roumain s'est engagé à suivre les recommandations de la commission. Nous jugerons sur pièces. Si ces engagements n'étaient pas respectés, on pourrait envisager des procédures d'infraction comme cela a été le cas avec la Hongrie.
S'agissant de la Politique européenne de sécurité et de défense, je tiens seulement à rappeler qu'un des arguments avancé par le précédent gouvernement pour justifier le retour dans le commandement intégré de l'OTAN était que nos partenaires européens en faisaient un préalable à la création d'un pilier européen de défense fort au sein de l'OTAN.
Or, cinq ans après, la politique européenne de défense n'a enregistré aucun progrès. Ce qu'on nous a expliqué ne s'est pas réalisé.
En matière industrielle, il n'y a eu aucun regroupement significatif. En matière de coopération et de conduite des opérations, le bilan est le même.
Sur tous ces points, le président de la République a la volonté d'avancer.
Q - (Sur les dossiers budgétaires, économiques et financiers)
Sur les dossiers budgétaires, économiques et financiers, le gouvernement ambitionnait plusieurs choses :
- réorienter le budget vers la croissance ;
- se tenir à la discipline budgétaire pour maîtriser la charge de la dette ;
- mettre en place une union bancaire reposant sur une supervision renforcée, un système de résolution des crises bancaires et une garantie des dépôts ;
- permettre au Mécanisme européen de stabilité de recapitaliser directement les banques et d'intervenir sur le marché des dettes souveraines pour maintenir les taux dans un corridor supportable ;
- créer à terme des Eurobonds.
Qu'avons nous obtenu ?
En faveur de la croissance, ce sont près de 240 milliards d'euros qui vont être mobilisés. La recapitalisation de la Banque européenne d'investissement (BEI) va permettre d'allouer 60 milliards de prêts supplémentaires qui, eux-mêmes, faciliteront des prêts privés à hauteur de 120 milliards. A cela s'ajoutent la mobilisation de plus de 50 milliards d'euros de fonds structurels et le lancement des «project bonds».
En outre, les négociations en cours sur le cadre financier pluriannuel 2014-2020 devraient aussi orienter les crédits vers les relais de croissance. Des marges de manoeuvre budgétaire pourraient aussi être trouvées en affectant au financement de projets européens une partie des recettes de la future taxe sur les transactions financières créée en coopération renforcée.
Sur l'Union bancaire, un accord a été trouvé au Conseil européen du 29 juin dernier pour renforcer la supervision. La Commission fera des propositions en octobre qui pourraient être finalisées dès la fin de l'année.
Quant au MES, il pourra intervenir sur les dettes souveraines et recapitaliser les banques.
À plus long terme enfin, nous attendons avant la fin de l'année les propositions du président du Conseil européen, Herman Van Rompuy, sur une feuille de route pour plus de solidarité européenne en échange de plus de souveraineté partagée.
Q - (Sur la politique de cohésion)
R - Vous m'avez aussi interrogé sur la politique de cohésion. Le gouvernement ne souhaite pas choisir entre la PAC et la cohésion. Les deux sont sources de croissance pour nos territoires. Mais il faut de la lisibilité dans l'affectation des crédits. Les régions ayant un niveau de développement similaire doivent prétendre à des niveaux de crédits similaires.
C'est pour cette raison que nous nous sommes opposés à la demande de l'Allemagne de faire bénéficier ses Länder de l'Est d'un filet de sécurité spécifique. Nous sommes, en revanche, intéressés par la création de la catégorie des régions dites intermédiaires.
Q - (Sur la protection des données personnelles)
R - Enfin, vous m'avez interrogé sur la proposition de règlement relatif à la protection des données personnelles. Le gouvernement partage la position équilibrée exprimée par le Sénat dans sa résolution européenne du 6 mars 2012. En particulier, le critère de l'établissement principal pose un problème de contrôle et d'accès des citoyens à leurs droits.
Q - (Sur la question des ressources propres de l'Union européenne)
R - M. Pierre Bernard Reymond m'a interrogé avec beaucoup de pertinence sur le problème des ressources propres de l'Union et de son financement.
La Commission européenne alimente le dilemme auquel les États sont confrontés. D'un côté, elle exige des États qu'ils respectent strictement le retour à l'équilibre budgétaire au travers du semestre européen et du «six pack». De l'autre, elle plaide pour un budget européen ambitieux et donc une hausse des contributions nationales
Tout d'abord, il faut être clair, notre contribution ne peut pas augmenter de 18 à 25 milliards d'euros. L'équilibre budgétaire ne le supporterait pas.
En revanche, nous sommes ouverts à l'idée d'affecter à l'Union une partie des recettes de la future taxe sur les transactions financières. L'objection selon laquelle une taxe prélevée dans quelques États membres ne peut pas alimenter le budget des 27 ne nous paraît pas insurmontable. Plusieurs solutions sont en cours d'expertise.
La première, certes complexe, consisterait à substituer les recettes de la TTF à une partie des contributions nationales. Certes, cela n'augmente pas les crédits globaux de l'Union, mais cela atténue la corrélation des variations des contributions nationales avec celles du budget de l'Union.
Une autre piste sérieuse consisterait à créer un fonds européen pour la croissance, sur le modèle du FED, qui ne reposerait pas sur une clef de répartition classique.
Q - (Sur le Conseil de l'Europe)
R - Notre attachement au Conseil de l'Europe est total, je m'y suis d'ailleurs rendu après ma prise de fonctions et j'ai pu rencontrer le Secrétaire général. Nous souhaitons collaborer ensemble dans le cadre des trois thématiques que sont l'État de droit, la démocratie, et le respect des valeurs de paix et de concorde, multiplier les initiatives communes. Un forum sur la démocratie doit se tenir à Strasbourg en octobre, le Ministère des affaires étrangères contribuera à son financement à hauteur de 200 000 euros. Nous sommes prêts à approfondir nos relations avec le Conseil de l'Europe, car au-delà des mesures économiques et monétaires, l'Europe est aussi un ensemble de valeurs communes.
Q - (Sur l'Europe de la Défense)
R - Pour ce qui concerne l'Europe de la défense, dans le cadre du Traité de Lancaster House, nous souhaitons, au terme de la mission confiée à M. Hubert Védrine sur l'avenir de l'OTAN et du lien transatlantique, procéder à des réorientations et redéfinitions pour relancer l'Europe de la défense de façon pragmatique, en matière de planification des opérations, conduite des opérations, et confortement de l'industrie de défense.
Q - (Sur les régions ultrapériphériques (RUP))
R - Concernant les RUP, lors des réunions du Conseil Affaires générales, dans le cadre des réorientations budgétaires, nous avons réaffirmé notre engagement en soutien du financement dont elles bénéficient. Cela est vrai pour celles qui existent déjà, qui doivent pouvoir bénéficier de ces fonds en les utilisant au mieux et qui souhaitent pouvoir les utiliser de façon plus souple pour des projets vecteurs de croissance sur leur territoire, le PIB moyen des RUP étant en deçà du PIB moyen des autres régions de l'Union européenne. Cela est vrai également pour les régions accédant prochainement au statut de RUP. Je pense en particulier à Mayotte, pour laquelle nous avons demandé à la présidence chypriote que le sort qui lui sera réservé prenne en compte son impossibilité à intégrer spontanément et en une seule fois tout l'acquis communautaire.
La question de l'octroi de mer est difficile, délicate et dérogatoire. Un travail est actuellement en cours au sein du Parlement européen sur ce thème. Je vous propose d'attendre l'issue de sa réflexion avant de voir devant vous quelles sont les marges de manoeuvre, certainement très étroites, pour maintenir ce dispositif très spécifique.
Q - (Sur la Politique agricole commune)
R - Nous n'avons pas senti lors des conseils affaires générales une sanctuarisation de ce budget, au contraire ! Nous avons dû présenter des amendements à la boîte de négociation sur ce dossier. Nous sommes déterminés à faire en sorte que le budget et que le niveau des aides directes dont bénéficient les agriculteurs ne soient pas remis en causes et que la situation des exploitants agricoles ne soit pas plus fragilisée qu'elle ne l'est déjà. Néanmoins des réflexions sur les perspectives budgétaires souhaitées par nos partenaires se feront jour, nous devrons donc nous déterminer quant à l'issue à donner, par exemple sur le verdissement de la PAC, dont nous souhaitons qu'il soit mis en oeuvre progressivement afin de ne pas déstabiliser les exploitations. Également, les conditions d'affectation des sommes entre les piliers 1 et 2 de la PAC doivent être précisées, pour garantir, par delà l'activité agricole, notre contribution au confortement du monde rural.
Q - (Sur les fonds de cohésion)
R - Pour les fonds de cohésion, une gestion au plus près est préférable. Autant le président de la République que le Premier ministre ont confirmé que les conditions dans lesquelles une optimisation de leur gestion sur le territoire pourrait être mise en oeuvre seront regardées.
Q - (Sur l'Europe politique et la relation franco-allemande)
R - Ensuite, concernant l'Europe politique et la relation franco-allemande, vous pouvez être rassuré. La relation franco-allemande est forte lorsqu'elle est équilibrée, ce qui ne signifie pas que nous ne devons pas avoir de désaccord. On ne construit de bons compromis solides sur la durée que sur des choses clairement énoncées, nous leur avons fait part de notre vision et avons effectué un inventaire de nos divergences pour essayer de les surmonter ensemble. J'ai rencontré la semaine dernière Valéry Giscard d'Estaing, qui m'a dit que ce n'était pas parce que Helmut Schmidt et lui n'avaient jamais exprimé de désaccords en public qu'il n'y en avait pas. L'idée que l'absence de consensus au début compromet le résultat à la fin est fausse. La relation franco allemande n'est jamais aussi forte et équilibrée que lorsqu'elle est franche. Lorsque nous allons au contact des Espagnols et des Italiens à Rome, à la veille d'un sommet européen, pour faire en sorte que la relation confortée ne soit pas exclusive de nos autres partenaires, ce ne signifie pas l'affaiblissement de notre relation avec l'Allemagne, bien au contraire !
Quant à l'Europe politique, beaucoup de parlementaires de l'opposition pensent qu'il faut la faire au sens fédéral. Autrement dit nous serions souverainistes. La question ne se pose pas en ces termes. Nous sommes ambitieux pour l'Europe. L'urgence à laquelle nous sommes confrontés, c'est notamment celle des marchés, qui nous demandent de relever des défis, de prendre des décisions urgentes, de renforcer la solidarité monétaire et financière, de nous doter d'outils qui permettent de résister aux marchés, de prendre des décisions urgentes et en anticipation sur l'actualité pour pouvoir être plus efficaces. Et la réponse à ces attentes ce n'est pas, après des années, une convention suivie d'un référendum.
Il faut agir sur trois points : un projet qui mobilise tout le monde au sein de l'Union européenne autour de valeurs comme la solidarité et la croissance pour pouvoir avancer ensemble, des réponses urgentes comme le MES, et enfin un processus d'intégration politique. Ces trois projets vont ensemble, c'est ce que le président de la République a appelé l'intégration solidaire.
Q - (Sur la Hongrie)
R - Concernant la Hongrie, la Commission européenne a engagé des procédures en raison des manquements qu'elle a constatés. Divers types de sanctions peuvent être mobilisés si besoin, et la Cour de Justice peut intervenir par le biais d'astreintes ou d'amendes après avoir statué sur ces manquements. Notre démarche s'inscrit dans la croyance en l'efficacité de la pression politique. Il est important de faire évoluer la Hongrie.
Q - (Sur la taxe sur les transactions financières)
R - Quant à la taxe sur les transactions financières, la coopération renforcée n'est possible que dès lors que neuf pays sont d'accord, ce qui est le cas : l'Allemagne, l'Autriche, la France, le Portugal, la Grèce, l'Espagne, l'Italie, la Slovénie et la Belgique sont les pays qui pourraient lancer cette coopération renforcée.
Q - (Sur le programme européen d'aide aux plus démunis)
R - S'agissant du programme européen d'aide aux plus démunis (PEAD), le compromis obtenu l'année dernière avec l'Allemagne n'est pas satisfaisant. La prolongation du PEAD pour deux ans n'est pas une réponse à la hauteur des enjeux. Surtout, ce type de controverse mine l'adhésion des citoyens au projet européen. Le gouvernement français apportera bien sûr son soutien aux banques alimentaires. Mais une action européenne nouvelle doit être inventée.
Q - (Sur la Recherche)
R - Sur la Recherche, le gouvernement défendra l'attribution de moyens suffisants. Il faut surtout mettre l'accent sur la sélection des projets d'excellence.
Q - (Sur le numérique)
R - Sur le numérique, la question est très vaste et complexe. La position du gouvernement s'organise autour de trois axes :
- faire en sorte que la numérisation soit un facteur de croissance ;
- défendre la spécificité de la politique culturelle ;
- être vigilant face aux atteintes potentielles aux libertés et à la vie privée.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 30 juillet 2012