Extraits d'un entretien de M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères, avec RTL le 30 juillet 2012, sur la situation en Syrie et au Mali.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

Q - Ce qui se passe en ce moment en Syrie est très grave. L'armée de Bachar Al-Assad a lancé ce week-end l'assaut contre la deuxième ville du pays, Alep, où se sont retranchés les rebelles. Craignez-vous un massacre ?
R - Oui, c'est un martyre que subit le peuple syrien, et le bourreau s'appelle Bachar Al-Assad.
Q - Le «bourreau», c'est un mot très fort.
R - Quand il y a un martyr, il y a un bourreau.
Q - On est vraiment frappés, quand on lit les articles de journaux, quand on entend les témoignages, par le côté «pot de terre contre pot de fer». Les rebelles se battent avec de vieilles armes et ils ont, face à eux, des hélicoptères, des chars, des roquettes, des canons. Ils réclament des armes aux Occidentaux. Peut-on leur confier, leur donner des armes ?
R - N'utilisons pas la langue de bois : des armes leur sont livrées. D'après les informations que l'on a, à la fois le Qatar, l'Arabie saoudite et probablement d'autres livrent des armes.
Q - Pas nous, pas les Français, pas les Britanniques ?
R - Non.
Q - D'accord.
R - Il est vrai qu'il y a un déséquilibre massif puisque Bachar Al-Assad a des moyens très lourds et qu'il en profite pour massacrer, pour tuer.
Depuis le début, la France est à l'initiative. Vous vous rappelez que le président français a réuni autour de lui, début juillet, la moitié des pays du monde, les Amis du peuple syrien. On a lancé toute une série d'initiatives en matière humanitaire, etc. Mais je pense que cela ne suffit pas et puisque la France prend la présidence du Conseil de sécurité des Nations unies au 1er août, nous allons demander, avant la fin de cette semaine, la réunion du Conseil de sécurité, probablement au niveau ministériel, à la fois pour essayer d'arrêter les massacres et, en même temps, pour préparer la transition politique.
Q - François Hollande a justement renouvelé son appel aux autres membres du Conseil de sécurité, ce week-end, pour intervenir le plus rapidement possible. Il a dit précisément, je vais le lire : «je m'adresse une fois encore à la Russie et à la Chine». On sent dans ce «une fois encore» toute notre impuissance.
R - Je vous dis que nous allons convoquer le Conseil de sécurité. Il est probable que je le présiderai moi-même.
Q - La Russie et la Chine vous répondront la même chose que ces derniers mois ?
R - Il faut tout tenter. Il y a des contacts avec la Russie en particulier : l'ambassadeur de Russie a été reçu la semaine dernière par le directeur de l'Afrique du Nord et du Moyen-Orient du Quai d'Orsay. On discute, puisque les règles internationales sont ainsi faites que la Russie et la Chine ont la possibilité de bloquer la prise de décision au Conseil de sécurité. Mais il ne faut pas s'arrêter, il ne faut pas baisser les bras, il faut continuer et la Russie et la Chine doivent comprendre. Quels sont leurs arguments ? «Attention, qu'est-ce qui va advenir après M. Bachar Al-Assad ? Est-ce que le chaos ne va pas s'installer?». J'ai entendu cet argument...
Q - ...les Islamistes peut-être par exemple ?
R - Oui, mais il n'y a pas de plus grand désordre que ce qui se passe aujourd'hui. Et précisément, vous dites «les islamistes, les intégristes, les terroristes», mais si on continue comme aujourd'hui, la situation en Syrie va tourner de plus en plus à l'affrontement confessionnel et quand il y a une opposition confessionnelle, la température ne peut pas redescendre. Si on s'oriente vers cette direction, la violence du conflit sera d'un tel niveau que, non seulement la Syrie sera détruite mais en plus, les pays voisins vont être contaminés ; on pense au Liban, à la Jordanie et, dans une certaine mesure, à la Turquie.
Vous voyez donc la gravité de tout cela. On ne peut plus dire que c'est une affaire intérieure puisque cela déborde sur les autres pays. Il faut donc absolument - et c'est le rôle de la France - que l'on arrête les massacres, que la raison revienne et que l'on prépare la transition politique qui serait évidemment...
Q - ...transition avec des proches de Bachar Al-Assad, ce serait peut-être le seul moyen pour faire venir la Russie dans cette coalition ?
R - Il faudra une transition pluraliste, on le comprend bien. Dans une situation comme celle-ci, on ne va pas trouver tout d'un coup Abraham Lincoln ou George Washington, c'est évident.
Il faut donc qu'il y ait à la fois la résistance de l'intérieur, la résistance de l'extérieur et puis, probablement aussi, des gens du régime mais qui ne sont pas compromis. Il faut une solution pluraliste ; il y a des discussions en ce sens mais pour le moment, cela ne débouche pas.
(...)
Q - On va parler du Sahel puisque vous revenez du Sahel, Laurent Fabius. Est-ce qu'on va devoir, nous Français, intervenir au Mali dans les prochains mois ?
R - J'espère que non. Le Sahel, c'est une zone déshéritée, donc les gens ne la situent pas nécessairement sur la carte. Mais ce qui se passe là-bas est très grave parce que c'est une espèce d'incubateur du terrorisme qui est en train de s'implanter là-bas...
Q - Pour faire simple, les otages français qui ont été enlevés se trouvent dans cette zone tribale où Al-Qaïda au Maghreb islamique est présent ?
R - Oui, et il y a rassemblés à la fois des terroristes d'AQMI, des armes en grande quantité - dont une partie vient d'ailleurs de Libye -, de l'argent tiré des prises d'otage et une volonté d'en découdre. Je ne vais pas rentrer dans les détails, mais ce n'est pas seulement vrai en ce qui concerne le Mali, cela s'étend jusqu'au Nigeria avec des intégristes que l'on appelle Boko Haram. Il y a donc un risque, pas seulement pour le Mali mais pour l'ensemble des pays de la sous-région. Dans ma tournée, ce qui m'a paru évident, c'est que tous ces pays, qui sont très différents - cela va du Niger au Tchad, en passant par le Sénégal et la Côte d'Ivoire -, ont très peur de ce qui va se passer.
Q - Le président ivoirien dit : «l'intervention militaire est inévitable et on a besoin de l'appui logistique des Français».
R - Pour le moment, il faut d'abord qu'il y ait une solution politique. Le président malien est revenu au Mali et il essaie de constituer un gouvernement de large union.
Q - Il ne maîtrise pas le nord de son pays.
R - Non. Pour le moment, le Mali est coupé en deux. Il faut donc récupérer l'intégrité du territoire malien. Il y a des solutions politiques, de développement aussi parce qu'il y a une crise économique extrêmement grave et humanitaire ; et puis il y aura à faire oeuvre de sécurité. Alors les forces maliennes vont aider, les forces africaines, je l'espère...
Q - Nos avions ?
R - On n'en est pas encore là. Nous, nous jouons le rôle de facilitateur...
Q - D'accord.
R - Parce que nous sommes une puissance de paix.
Q - Est-ce que, si la solution politique n'aboutissait pas, vous excluez totalement l'intervention de troupes françaises au sol dans les prochains... ?
R - Non, pas question...
Q - «Non, pas question» ?
R - Pas question que des troupes françaises se substituent aux Africains. Mais nous devons jouer un rôle politique et international de facilitateur, parce que tout cela nécessitera évidemment une approbation des Nations unies.
Q - Vous avez des informations sur les otages français dans la région ?
R - Je n'en parle pas. Je pense à eux mais je n'en parle pas.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 31 juillet 2012