Déclaration de M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères, sur les relations franco-nigériennes, la situation au Mali et sur son déplacement en Algérie, à Niamey le 27 juillet 2012.

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Circonstance : Conférence de presse conjointe avec le ministre des Affaires étrangères, de la Coopération, de l'Intégration africaine et des Nigériens à l'extérieur, M. Mohamed Bazoum lors d'un déplacement au Niger, à Niamey le 27 juillet 2012

Texte intégral

Mesdames et Messieurs, Chers Collègues et Amis, merci de votre présence,

Tout d'abord, pourrais-je dire quelques mots pour te remercier, Cher Collègue et Ami, ministre des Affaires étrangères ainsi que le président Issoufou et le Premier ministre pour la gentillesse de leur accueil. Nous y sommes extrêmement sensibles.
Il est vrai que cette étape est la première de notre tournée et nous avons voulu que cette tournée commence par le Niger, compte tenu des liens d'amitié extrêmement étroits que nous avons avec ce pays et compte tenu aussi, je tiens à le dire, de la haute appréciation que nous portons sur le gouvernement du Niger.
Les circonstances ne sont pas faciles. La situation, qui est celle de la sous-région et la situation propre du pays, est une situation complexe. On sait qu'il y a ici beaucoup de sécheresse, beaucoup de pauvreté, beaucoup de problèmes de différentes sortes, et le gouvernement y fait face de façon tout à fait remarquable.
Alors pourquoi cette tournée avec Pascal Canfin, ministre délégué chargé du Développement et avec François Loncle, ancien ministre et actuellement député ? C'est parce que nous voulons, à la demande du président François Hollande, avoir un contact direct avec quelques pays qui sont proches de nous, dans la région fort importante qu'est cette partie de l'Afrique.
Donc, nous sommes au Niger pour quelques heures et nous irons, ensuite, au Burkina Faso pour rencontrer le président, M. Blaise Campaoré, puis nous serons un peu plus tard au Sénégal où nous aurons des entretiens avec le président du Sénégal et le gouvernement. Enfin, nous ferons une étape au Tchad pour nous entretenir avec le président Deby.
À chaque fois, nous écouterons ce que nos interlocuteurs ont à nous dire sur nos relations bilatérales et puis nous porterons un regard sur la situation régionale et la situation internationale.
S'agissant du Niger, nos relations bilatérales sont bonnes, elles sont même excellentes. Nous avons des relations d'amitié, des relations de coopération. Il y a évidemment l'action qui est menée en matière éducative et culturelle, il y a l'action en matière sanitaire, en matière économique pour venir en soutien aux efforts que déploie le Niger. Il y a cet effort de la France elle-même, mais aussi de la France au sein de l'Union européenne et de la France au sein des organisations internationales.
Ce matin, nous avons commencé par effectuer une visite dans un centre du Programme alimentaire mondial (PAM). Il y avait à la fois le PAM et l'UNICEF, qui sont évidemment des organismes auxquels nous participons, et nous avons vu à quel point le Programme est tout à fait décisif, surtout dans un pays où la démographie est aussi importante.
Donc, nous avons passé en revue l'ensemble de notre coopération et la France, conformément à l'engagement qu'avait pris le président français il y a quelques semaines, lorsque le président du Niger était à Paris, va apporter une aide au Niger sous forme budgétaire et sous forme de prêt. Les détails sont actuellement finalisés, notamment par Pascal Canfin, avec l'Agence française pour le Développement qui est en charge du dossier.
Nous avons également passé en revue les questions régionales et bien évidemment parlé du Mali qui est une préoccupation pour nous tous et d'abord pour les Maliens. Nous avons une identité d'analyse qui est complète. Le président Issoufou disait, il y a quelques minutes, qu'en fait trois grandes questions se posaient et qu'elles étaient liées. Il y a à la fois la question démocratique, la question de la sécurité et la question du développement. Et je rejoins absolument cette façon de voir. Un pays ne peut se développer et faire face à ses problèmes de sécurité que s'il a pleinement une base démocratique.
Cet après-midi même, au moment où je serai dans l'avion, le président Traoré sera rentré au Mali. L'Union africaine, la CEDEAO se sont penchées sur ce sujet, elles ont souhaité avant le 31 juillet qu'un gouvernement de large union soit composé. Il revient au président Traoré de prendre les décisions, les initiatives en ce sens, et nous serons très heureux les uns et les autres, c'est vrai pour le Niger, c'est vrai pour la France c'est vrai pour tous les pays qui s'intéressent de près à ces sujets, qu'il y ait vraiment une base d'unité nationale forte et démocratique au Mali.
Il y a la question du développement. Le Mali est dans une situation difficile, à la fois en lui-même et compte tenu de la coupure dont le pays est victime et de ce qui se passe au Nord. Il y a donc à la fois, une action économique à mener et une action humanitaire. L'Europe et la communauté internationale prennent leur part. Il est évident qu'à partir du moment où la base démocratique sera plus forte, cela permettra d'engager toute une série de travaux nécessaires sur le plan du développement.
Et puis il y a la question de la sécurité, bien évidemment, avec ce qui se passe au Nord et en particulier l'installation d'AQMI ; ce qui ne peut pas être accepté compte tenu des intentions, des pratiques et des exactions souvent abominables qui sont commises par ce mouvement.
Ces questions devront être traitées par les Africains, conformément à la légalité internationale et sur tous ces aspects. Pour le développement comme pour la sécurité, l'ensemble des grands pays, notamment la France, soutiennent ces actions. Si nous pouvons être un facilitateur de ce qui doit être fait dans l'intérêt même des Maliens et de la région, nous remplirons ce rôle de facilitateur, ni plus ni moins.
Mais, là encore, je veux souligner à quel point nous sommes parfaitement en accord avec les autorités du Niger à propos du Mali.
Et puis nous avons évoqué plus généralement d'autres questions de relations internationales sur lesquelles les dirigeants du Niger ont leur vision, qui est très proche de celle de la France, voire même identique.
Avant de me soumettre à vos questions, c'est une étape d'amitié, une étape de travail, une étape où le courant passe entre le Niger et la France.
Je vais, en terminant, dire ce que je disais en commençant, nous apprécions hautement les réalisations, le travail et les orientations du gouvernement du Niger. Dans un contexte qui est incontestablement très difficile, si nous pouvons appuyer les efforts souverains du Niger pour les buts qu'il poursuit, nous le faisons et nous continuerons à le faire.

Q - (Sur les relations France-Niger)
R - Nous avons des relations d'amitié anciennes avec le Niger. Ces relations sont renforcées par les orientations qui ont été prises il y a quelques temps au Niger et récemment en France.
Nous sommes sur la même longueur d'ondes. En même temps, l'affection, l'amitié, la proximité doivent se traduire par des actions concrètes. Cela passe par des visites. Il y a quelques semaines, les autorités du Niger étaient présentes à Paris ; aujourd'hui, nous sommes là, le ministre Pascal Canfin, M. le député et ancien ministre, François Loncle et moi-même, et nous avons discuté de toute une série de sujets : sécurité, éducation, projets du futur. Bien évidemment, la France va continuer d'apporter son soutien au Niger et même l'amplifier et c'est de cela dont nous avons parlé.

Q - (Sur le soutien de la France au Mali)
R - La situation au Mali est sérieuse et même préoccupante. Le Mali est coupé en deux et un certain nombre d'hommes, affiliés à une organisation reconnue comme une organisation terroriste, ont pris le contrôle d'une partie du Nord et d'un certain nombre de villes. Ils se livrent à des assassinats, des viols, des comportements qui évidemment sont inadmissibles et menacent l'intégrité du Mali. L'approche que nous avons, d'abord le Niger et ses voisins directement concernés, et nous indirectement, est une approche extrêmement convergente.
Il faut d'abord qu'il y ait le rétablissement d'une légalité démocratique large, c'est le sens de ce que va essayer d'obtenir le président Traoré.
Donc, d'abord démocratie, ensuite développement économique pour faire face aux questions humanitaires ; ce n'est pas facile pour le Mali, puisqu'une partie de la population du Nord a du se déplacer au sud du pays, effrayée par ce qui se passait au Nord. Une autre partie de la population s'est rendue dans les pays voisins, avec les problèmes lourds et supplémentaires que cela pose.
Donc, démocratie, développement et sécurité. Il va falloir que le gouvernement, que nous espérons être un gouvernement d'union, rétablisse la sécurité au Sud et, ensuite, établisse la sécurité au Nord. Il y aura certainement des discussions avec celles et ceux qui sont au Nord et qui acceptent la discussion. Si certains, comme il est à redouter, n'acceptent pas la discussion compte tenu de leurs orientations, à ce moment là, cela devra être traité de manière sécuritaire et, évidemment, sur la base de dispositions internationales, mais d'abord par les forces africaines.
C'est le souhait de la CEDEAO, c'est la demande qui a été faite au niveau des Nations unies. Une première résolution a été votée au Conseil de sécurité des Nations unies, à la rédaction de laquelle, en tant que membre permanent, nous avons participé.
Nous ne sommes pas géographiquement en première ligne, mais comme il s'agit de populations amies - que ce soit celle du Mali ou d'autres pays de la région - et comme il s'agit d'un problème qui nous concerne tous, où que nous nous trouvions géographiquement, si nous pouvons faire quelque chose pour aider, nous le ferons.
Contrairement à ce qui est dit parfois, nous ne sommes pas des bellicistes, ce n'est pas du tout le sujet, mais en même temps, nous voulons que les populations puissent vivre et se développer dans la paix.

Q - (Sur la position française à l'égard du Mali)
R - Il n'y a aucune ambigüité. Légitimité démocratique, développement et sécurité : ce sont trois points qui sont absolument clairs et sur lesquels il n'y a aucune ambiguïté. Lorsqu'il s'agira de traiter les questions de sécurité au Nord, le gouvernement légitime du Mali discutera avec ceux et celles qui voudront bien discuter. S'il y a des éléments avec lesquels il n'est pas possible de discuter, ce gouvernement légitime du Mali prendra les décisions qui s'imposeront, avec l'appui de la CEDEAO et des pays voisins. Et si nous pouvons faciliter cela, nous le ferons. Il n'y a donc absolument aucune ambigüité. C'est clair, c'est aussi clair que la clarté de l'amitié entre le Niger et la France.

Q - (Sur la visibilité de la relation France-Niger)
R - En ce qui concerne le passé, je ne dirai pas, comme un texte célèbre, «du passé faisons table rase». Je dirai d'un point de vue gouvernemental que l'amitié est très ancienne entre le Niger et la France. En tout cas, je suis quelqu'un qui essaie de se tourner vers l'avenir et, comme nous tous, de construire. Nous avons bien l'intention - et le fait que nous ayons choisi le Niger comme première étape de la visite de deux ministres du gouvernement français le montre - à la fois d'ancrer notre proximité avec le Niger et aussi pourquoi pas, de la montrer. Nous sommes amis, et nous ne cachons pas notre amitié.

Q - (Sur le déplacement en Algérie)
R - J'étais en Algérie il y a une quinzaine de jours. J'ai eu le plaisir de rencontrer le ministre des Affaires étrangères, le président Bouteflika, le président de l'Assemblée, ainsi que la plupart des responsables de ce grand pays. Nous avons parlé des relations entre l'Algérie et la France, qui sont fort importantes et qui vont se développer dans un très bon climat. Nous avons évoqué des problèmes internationaux et régionaux dont l'analyse qui doit être faite à propos du Mali.
J'ai constaté que la réalité n'était pas - cela arrive souvent - conforme à ce qui était décrit. Quand j'ai tenu une conférence de presse, à l'issue de nos rencontres avec mon homologue algérien, il a lui même convenu qu'effectivement la réalité n'était pas celle qui était décrite.
Quand nous sommes arrivés, le schéma généralement décrit était le suivant : «les Algériens sont pour une solution politique et les Français sont pour une solution militaire». À la limite, les uns sont pour la paix et les autres pour la guerre. Ce qui n'est pas le début du début d'une réalité.
Je ne veux pas du tout travestir ce que nous ont dit nos amis algériens, mais je vous le reproduis. Ils ont repris exactement le schéma qui était celui que je décrivais tout à l'heure. D'abord une démocratie large et, en même temps, le développement parce qu'il y a des problèmes humanitaires, des problèmes de développement économique et des questions de sécurité. Je me rappelle parfaitement de ce qui a été dit que si tel ou tel groupe refusait d'entrer dans la discussion, il y aurait un traitement sécuritaire de ce groupe.
Donc, il peut y avoir telle ou telle différence sur tel ou tel point dans l'identification de ces groupes, mais en tout cas sur ce point précis il n'y a pas d'ambigüité. Comme cela arrive parfois en politique internationale et en politique nationale, la description qui a été faite ne reflétait pas la réalité.
J'ajoute un dernier point, puisque vous m'interrogez sur l'Algérie, la question qui est posée est celle du terrorisme. L'Algérie, dans sa chair, a souffert du terrorisme extrêmement lourdement pendant des années, vous le savez. Elle y a perdu près de 200.000 personnes. Ce grand pays a donc certainement la conscience des dégâts que peut causer le terrorisme.
Vous savez, on dit parfois, lorsqu'on a une lecture un peu rapide des choses : «oui d'accord, le terrorisme ce n'est pas bien mais si c'est localisé à tel endroit alors...». Mais le terrorisme malheureusement refuse d'être localisé. Il y a une internationale, une espèce de «franchising» du terrorisme. Le terrorisme est donc un danger pour tout le monde. Les pays, qu'ils soient petits ou grands, qu'ils soient près ou lointains, doivent combattre le terrorisme et, en même temps, avoir une pratique démocratique qui éradique si possible les bases du terrorisme.

Q - (Sur les conséquences d'une intervention armée, et notamment française, sur les otages encore détenus dans le Sahel)
R - Je reviens sur votre formulation. Vous ne trouverez pas dans ma bouche, ni aujourd'hui ni hier, la formule : «la France va faire la guerre». Vous l'avez répété plusieurs fois et je vous demande, si vous le voulez bien, de ne pas projeter des choses qui n'existent pas. Je vous le répète, nous disons qu'il y a une question démocratique, une question de développement et une question de sécurité. Puisque vous parlez du Mali, c'est aux Maliens et aux Africains qui les entourent de régler ces questions.
Si nous pouvons faciliter les choses, nous comme d'autres, nous le ferons. Mais nous ne pouvons pas dire «La France a décidé à la place de tout le monde de faire la guerre». Non, laissons cela de côté. J'espère avoir été clair.
Pour répondre à la deuxième partie de votre question, il est vrai que malheureusement nous avons six otages, actuellement détenus dans une région qui n'est pas loin de celle dont nous parlons. Évidemment, nous pensons beaucoup à ces otages et nous sommes en liaison avec leurs familles. Nous souhaitons, comme tous les gouvernements du monde, qu'ils soient libérés le plus tôt possible et qu'il ne leur soit pas fait aucun mal. Mais j'ai choisi une règle en ce qui concerne les otages et je pense que vous comprendrez que c'est une règle saine : nous essayons d'agir mais nous ne parlons pas de cela.

Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 2 août 2012