Extraits d'un entretien de M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères, avec RTL le 20 août 2012, sur l'action de la France face à la situation en Syrie.

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Texte intégral

Q - Vous avez déclaré au cours de votre tournée au Proche Orient, je vous cite «Bachar Al-Assad, ne mériterait pas d'être sur terre». Est-ce un appel à son élimination physique ?
R - Je revenais juste d'un camp de réfugiés. Il y a entre la Jordanie, le Liban et la Turquie au moins 30.000 réfugiés, auxquels il faut ajouter l'Irak, qui survivent dans des conditions absolument épouvantables. Ce que j'ai entendu, ce que j'ai vu, montre que ce régime est absolument inhumain. C'est ce que j'ai voulu dire : il y a une inhumanité du régime. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si l'ONU vient de déclarer le régime coupable de crimes contre l'humanité.
J'ai été vraiment bouleversé par ce que j'ai vu. Quand vous voyez des femmes, des enfants, de tout petits enfants, laissés - mais la Jordanie, le Liban, la Turquie s'en occupent - au soleil, alors qu'il fait 50° à l'ombre ; vous ne pouvez qu'être bouleversés. En Jordanie, il n'y a pas d'électricité, il n'y a pas d'eau. Ils sont là depuis des mois, tout cela parce que M. Bachar Al-Assad a décidé de rester au pouvoir contre la volonté de son peuple. C'est un massacreur de son peuple, il n'y a pas d'autres termes.
Q - Donc, vous avez ajouté également que le régime syrien doit être abattu rapidement, mais comment, en armant les insurgés ?
R - Il y a trois séries d'actions à mener en même temps, la France est aux avant-postes. Il y a d'abord, et c'était le sens de ma visite, l'action humanitaire, parce qu'il y a une centaine de milliers de réfugiés. On va d'ailleurs prolonger cela, puisque le 30 août prochain aux Nations unies, je tiendrais à l'initiative de la France une réunion spéciale du Conseil de sécurité, sur ces questions humanitaires. Nous sommes en première ligne, bien sûr avec d'autres.
Ensuite, il y a l'action politique, et là, il y a toute une série de contacts qui ont été pris. Malheureusement, à l'ONU, la démarche n'a pas abouti en raison de l'attitude de la Russie et de la Chine. Nous poursuivrons, par différents canaux, notre action afin de bâtir à partir de la volonté des Syriens, un gouvernement alternatif extrêmement large. Enfin, il y a l'action militaire.
Certains des pays apportent des armes au régime, la Russie, l'Iran. D'autres pays apportent des armes à l'opposition, essentiellement des pays arabes. Nous, nous sommes liés par notre embargo sur les armes, mais nous apportons tout de même ce qu'on appelle des équipements non-létaux, c'est à dire des jumelles spéciales de vue la nuit, des équipements de communication.
La grande question est évidemment de savoir comment éliminer les attaques aériennes, c'est cela qui, en ce moment, fait des dégâts épouvantables. Et là, la crainte partagée par tout le monde est que si des armements forts sont livrés, ceux-ci puissent tomber dans des mains adverses. Il y a donc toute une série de discussions sur ce point, voilà.
Q - Vous venez de le dire, la diplomatie onusienne se heurte aux vétos permanents russe et chinois. Est-ce que vous souhaitez, vous, pouvoir trouver un moyen d'intervenir directement, en dehors d'un mandat de l'ONU ?
R - La position de la France, est qu'on ne peut intervenir dans un conflit qu'à partir d'un mandat international, que ce soit le mandat de l'ONU, que ce soit le mandat de l'OTAN. C'est une position constante de la France. Maintenant, il est vrai que si le conflit dure - je vous en dirai un mot dans un instant - se posera et se pose d'ailleurs déjà le problème de la création de «no fly zone», c'est-à-dire, de zones d'exclusion aérienne.
Seulement là-bas, c'est beaucoup plus compliqué que ce qui a été fait en Libye. D'abord parce que les forces de Bachar Al-Assad, en matière aérienne et anti-aérienne, sont très puissantes. Ensuite, parce qu'il y a l'environnement géographique particulier. Et puis enfin parce qu'il y a ce blocage au Conseil de sécurité des Nations unies ; il n'y a pas de base internationale, de base de légalité internationale. Enfin, on est en train d'y réfléchir, avec les Anglais, les Américains et les Allemands. Sur la durée du conflit, toute journée supplémentaire qui passe est dramatique...
Q - Il y a eu 100 morts dimanche.
R - On se sent responsable, on va vers les 25.000 morts, on va vers une tragédie épouvantable. On essaye de serrer le régime au cou - si je puis dire - par tous les canaux possibles ; et, en particulier, il y a un canal qui paraît parallèle, mais qui n'est pas parallèle du tout, c'est le canal financier.
Songez que la guerre lui coûte 1 milliard d'euros par mois, il a de moins en moins de réserves, on a compté qu'il n'en n'avait que pour quelques mois, sauf appui de la Russie et de l'Iran. C'est la raison pour laquelle il y a aussi des discussions à mener au moins avec la Russie, parce qu'avec l'Iran les discussions sont épouvantablement difficiles, on le voit sur la question nucléaire.
Q - Est ce que selon vous, les défections au sein dur régime syrien, peuvent accélérer la chute du régime.
R - La réponse est oui. Vous avez déjà eu des défections considérables. Songez que le Premier ministre, la semaine dernière, a fait défection. Imaginez ce que c'est, même si c'est en Syrie, le rôle d'un Premier ministre. Il est en Jordanie, il a déjà fait un certain nombre de révélations sur la nature du régime, révélations d'ailleurs abominables. Et on évoque d'autres défections.
Q - Un avion d'Air France s'est détourné mercredi vers Damas, au lieu de Beyrouth, où il y avait des manifestations. La compagnie assure que cela s'est fait en accord avec la Cellule de crise du Quai d'Orsay. Est-ce que c'est une bévue majeure et dangereuse. Comment l'expliquez-vous ?
R - Il se trouve que j'étais en Jordanie au moment où j'ai appris cela. J'étais inquiet sur le moment. L'avion devait se poser à Beyrouth, mais il y a eu des difficultés à Beyrouth, et donc finalement après avoir envisagé Amman, Larnaca, il est allé à Damas. Se poser à Damas, c'était exposer la sécurité des passagers de l'avion. À l'intérieur de l'avion, il y avait notamment des personnes venant du Liban, qui étaient recherchées par le régime syrien.
C'était extrêmement dangereux. Je ne veux pas faire de cet incident un incident plus grave qu'il n'est. Je sais bien, je le répète, que dans ces circonstances les décisions sont compliquées à prendre, mais en plein conflit se poser à Damas, vous en conviendrez avec moi, cela n'était pas la décision la plus pertinente. Et je suis diplomate en disant cela.
(...).
source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 21 août 2012