Texte intégral
Je suis heureux d'être ici avec mon ami et collègue William Hague. La France, qui préside en ce moment le Conseil de sécurité des Nations unies, a décidé de réunir cet après-midi le Conseil pour traiter essentiellement des questions humanitaires qui concernent la Syrie. Évidemment, il est très difficile d'isoler les questions humanitaires d'une approche politique plus large et ces questions seront abordées. En liaison avec ses amis britanniques et d'autres partenaires, la France a pensé que la situation en Syrie et dans les pays voisins était suffisamment grave et - en dépit de l'impossibilité d'obtenir une résolution à cause des vetos de la Russie et de la Chine - il était impératif de soulever ces questions. Ce sont les raisons pour lesquelles nous les aborderons cet après-midi.
M. William Hague reviendra sans doute sur la gravité de la situation syrienne. 25.000 morts déjà, 250.000 blessés, plus de 300.000 réfugiés et plus d'un million de personnes déplacées, c'est une situation intolérable et inacceptable qui pose du point de vue humanitaire beaucoup de questions, que ce soit en Syrie car le droit humanitaire n'est absolument pas respecté - nous le dirons clairement cet après-midi et le représentant du clan Assad sera là - où dans les pays voisins qui doivent accueillir les réfugiés. Nous avons invité - ils sont là et je les en remercie - les ministres des gouvernements qui sont les plus concernés par cet accueil : nos collègues turc, libanais, jordanien et irakien.
Nous allons donc aborder toutes ces questions avec bien sûr une attention particulière au volet politique. Sur ces questions, la Grande-Bretagne et la France constatent qu'elles ont des positions convergentes, voire mêmes absolument analogues. C'est la raison pour laquelle nous avons souhaité, William Hague et moi-même, tenir cette conférence de presse.
Dans le même temps, nous avons pris ensemble un certain nombre de décisions. D'une part, nous augmentons la contribution de la Grande-Bretagne et de la France pour l'aide humanitaire. D'autre part, nous prenons l'initiative conjointe d'organiser rapidement au niveau des Nations unies, une réunion avec nos collègues qui s'occupent du développement, sur le financement des agences des Nations unies, Nous sommes d'accord l'un et l'autre pour réaffirmer que Bachar Al-Assad et son clan devront répondre de leurs crimes devant la Cour pénale internationale et devant les juridictions syriennes. Nous lançons un nouvel appel à la défection des responsables syriens qui doivent se séparer le plus vite possible de ce clan criminel.
Et puis nous préparons ensemble et avec d'autres partenaires, ce que nous appelons en bon français «the day after», l'après Assad. Il est évident qu'il faut coordonner notre soutien au peuple syrien dans la transition politique et préparer avec celui-ci les mesures immédiates pour les besoins les plus urgents.
Pour résumer voici les objectifs de la réunion de cet après-midi : témoigner des atrocités commises en Syrie et mettre chacun devant ses responsabilités, réitérer notre solidarité au peuple syrien et augmenter notre aide, manifester notre solidarité avec les pays voisins de la Syrie qui accueillent les réfugiés par milliers, rappeler qu'il n'y aura pas d'impunité, encourager les responsables syriens à faire défection, aider l'opposition syrienne à se fédérer, créer une transition et préparer l'avenir, c'est-à-dire l'après Assad.
Q - Nous avons une catastrophe humanitaire qui se déroule actuellement en Syrie, vous vous en êtes rendus compte un peu tard, mais mieux vaut tard que jamais. Comment serez-vous à même de parler avec vos collègues au Conseil de sécurité, notamment avec la Russie et la Chine, pour surmonter les différences, pour trouver un terrain d'entente, pour sauver les civils syriens de la tragédie en cours, est-ce que vous pouvez le faire, est-ce que vous le ferez ?
R - S'agissant de la France, le message est clair et s'adresse au peuple syrien : Assad va tomber mais nous ne vous laisserons pas tomber. Le Conseil de sécurité a été bloqué trois fois de suite à cause du veto de certaines puissances. Ce n'est pas parce qu'il a été bloqué qu'il faut lui refuser tout rôle. C'est le Conseil de sécurité des Nations unies et pourtant il n'a assuré ni la sécurité ni l'unité. Avec William Hague, comme d'autres collègues, nous pensons que la légalité internationale est importante, et que le système des Nations unies est important. Et ce n'est pas parce qu'il y a eu, et il existe encore, un blocage sur une résolution politique qu'on ne doit pas avancer sur une résolution humanitaire. C'est pourquoi j'ai décidé, au nom de la France, de convoquer ce Conseil qui va essayer d'avancer autant qu'il pourra.
J'ai eu hier au téléphone Sergeï Lavrov, le ministre des Affaires étrangères de Russie, qui me demandait de l'excuser de ne pas pouvoir être là. Nous avons discuté du fond, nous allons rediscuter la semaine prochaine. Nous sommes en liaison avec la Chine. Mais nous sommes d'abord en liaison avec nos partenaires qui pensent la même chose que nous, avec la résistance syrienne et avec les pays voisins. Et puis nous sommes en contact avec le nouveau médiateur, M. Brahimi, que nous allons voir dans quelques instants et que j'ai invité pour qu'il puisse s'entretenir avec un certain nombre de ministres.
C'est un travail difficile, il ne faut pas le dissimuler, mais nous devons faire tout ce qui est en notre pouvoir. Il faut que le peuple syrien, qui veut la paix, sache qu'il y a des nations - une majorité de nations - qui sont à ses côtés. Voilà le sens de cette réunion.
Q - Est-ce qu'il n'y a pas une contradiction entre le fait de vouloir conserver la crise syrienne à l'ONU, comme vous le faites aujourd'hui, et les déclarations du président Hollande qui se dit prêt à reconnaître unilatéralement un gouvernement de l'opposition syrienne ? Enfin, comment expliquez-vous l'absence d'Hillary Clinton à cette conférence d'aujourd'hui ?
R - Sur la première de vos questions : non, il n'y a pas de contradiction. La France est respectueuse de la légalité internationale. Le fait que, malgré les difficultés, nous ayons convoqué cette réunion ministérielle du Conseil de sécurité s'inscrit dans notre respect de cette légalité internationale.
Dans le même temps il faut faire bouger les choses. L'un des moyens, c'est une évidence, c'est qu'il faut aider à fédérer l'opposition. Cela ne dépend pas de nous, c'est aux Syriens de le faire. Ce n'est pas facile, puisqu'il y a des habitudes séparées et il peut y avoir telle ou telle contradiction. Mais il est évident que le clan - je ne parle pas de régime, je parle de clan - de Bachar Al-Assad joue sur cette situation pour le moment. Dans son attitude criminelle il dit, - c'est un euphémisme, - : «il y a des problèmes, mais quelle serait l'alternative ?» Évidemment une opposition largement unie doit être cette alternative.
C'est pour cela que, par différents canaux, aussi bien au Conseil de sécurité qu'ailleurs, la France et d'autres pays dont la Grande-Bretagne essaient de favoriser ce regroupement. Nous souhaitons qu'il soit le plus rapide possible car cela changerait la donne.
Ce qu'apporte en plus la France, ce sont deux choses. D'abord nous demandons que cette force alternative soit très large, c'est-à-dire, dans un français traduit de l'anglais, «inclusive». Qu'elle garantisse le respect des différentes communautés. Il faut que les différentes communautés qui sont en Syrie, aussi bien les chiites, les sunnites, les alaouites, les chrétiens et les autres, sachent qu'avec le nouveau régime, elles seront protégés.
Ensuite, nous disons en plus - ça c'est une proposition de la France - que dès lors que cette large représentativité aura été obtenue, que les garanties auront été données et que cette unité aura été réalisée, il faudra que les puissances reconnaissent cette nouvelle entité. Et la France le fera.
Quant à la représentation ministérielle, nous avons huit ou neuf ministres qui sont ici présents. Hillary Clinton s'est excusée auprès de moi. Ce sera la représentante permanente des États-Unis, qui d'ailleurs a rang de ministre, qui sera là. Le fait que nous ayons, malgré des difficultés, plusieurs ministres qui soient là, ministres de membres permanents ou non du Conseil de sécurité ainsi que des pays voisins, montre l'importance de cette réunion.
Q - Revenons à l'humanitaire. On a parlé des zones tampons dont voudrait la Turquie. Est- ce réaliste ou irréaliste, comme le dit Bachar Al-Assad ?
R - La Turquie a abordé cette question et nous le ferons avec notre collègue Ahmet Davutoglu que nous avons invité et qui est présent. Il y a un problème sérieux qui se pose en Turquie comme dans d'autres pays adjacents, car il y a de plus en plus de réfugiés. Les pays concernés sont la Turquie, la Jordanie, l'Irak et le Liban - dans ce dernier pays il faut éviter une contagion entre la situation syrienne et la situation libanaise. Cette notion de zone tampon a été évoquée par notre collègue turc. Nous en discutions avec William Hague à notre conférence, tout est sur la table. Il faut examiner les différents éléments, il ne faut pas dire tout de suite oui ou tout de suite non. Simplement, il faut aussi regarder les réalités, nous allons en discuter.
D'abord, le principe qui est le nôtre c'est d'agir sur la base de la légalité internationale. Ensuite, il y a un problème de localisation géographique. En tout état de cause, ceci n'est pas exclusif mais c'est un point sur lequel je veux mettre l'accent, nous pensons qu'il faut être particulièrement attentifs aux zones déjà libérées ou qui sont en train de se libérer. Il y a en Syrie des zones qui sont déjà libérées et qui sont contrôlées par les forces de la résistance.
Nous souhaitons apporter notre aide - matérielle et administrative, aide de toute sorte, à ces zones déjà libérées. Et les soutiens financiers supplémentaires, qu'annonce la France aujourd'hui, de cinq millions d'euros par rapport à la vingtaine de millions d'euros que nous avions déjà envisagée, iront pour une part à ces zones libérées, toujours dans l'esprit qui est le nôtre de préparer le «day after». En effet, les responsables de ces zones joueront un rôle important dans le futur.
Q - Qu'allez-vous dire aux réfugiés syriens à la frontière qui souffrent et pour lesquels vous avez convoqué cette réunion très importante du Conseil de sécurité, lorsqu'ils vont vous dire «nous comprenons qu'il vous faut une résolution du Conseil de sécurité pour avoir des zones sûres, pour avoir des couloirs, des zones d'exclusion aériennes». Dans le cas du Kosovo, vous ne l'avez pas fait. Pourquoi est-ce que le Kosovo le mériterait davantage, alors que la situation est beaucoup plus tragique en Syrie qu'au Kosovo ? Qu'allez-vous dire aux Syriens qui se tournent vers vous pour l'assistance ?
R - C'est une question qui ne se pose pas au conditionnel, mais qui se pose au présent, car j'étais dans les camps il y a un peu plus de deux semaines. Et j'ai vu les personnes dont vous parlez. Ils m'ont parlé avec une force et une émotion considérables que je vais essayer de retraduire. Beaucoup de mères avec de tout petits enfants qui n'ont pas de lait, de couches, de médicaments, disaient : «on en a assez des discussions juridiques». Et ils sont même plus direct : «envoyez des avions !». J'ai vu cela en Jordanie dans le désert avec la tempête de sable qui n'est pas loin. J'ai vu cela d'une autre façon en Turquie dans des conditions différentes, parce que les moyens de la Turquie sont plus importants que les moyens de la Jordanie. Le problème existe aussi en Irak et également très fortement au Liban.
C'est une des raisons pour lesquelles j'ai demandé aux gouvernements des pays voisins d'être présents cet après-midi. Il y aura aussi le représentant de M. Al-Assad, on verra ce qu'il a à nous dire. Mais ce n'est pas cela l'important, parce que notre jugement est fixé sur le clan Assad : c'est un clan criminel. Et les criminels doivent être jugés et punis.
Ces gens qui n'y sont pour rien du tout, qui ont été déchaussés, se tournent vers nous et disent «aidez-nous». C'est vrai que nous croyons à la légalité internationale. Nous apportons toute sorte d'aide. Mais dans le même temps, comme l'a formulé William Hague, nous sommes à la fois respectueux de la légalité internationale et nous n'excluons aucune solution car nous ne savons pas comment le conflit va se développer. Si M. Bachar Al-Assad tombe vite - ce que nous souhaitons -, la reconstruction aura lieu. Mais imaginez que par malheur cette situation se prolonge. Alors il faudra examiner la diversité des solutions. Nous ne sommes pas venus en disant «ce sera toujours comme ça et jamais comme ça» ; nous sommes des gens réalistes.
Mais croyez-moi, j'ai dans la mémoire non seulement votre question mais ce que j'ai entendu, ce dont je me souviendrai toute ma vie.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 14 septembre 2012