Point de presse de M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères, sur la situation politique en Syrie notamment la question des réfugiés, à New York le 30 août 2012.

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Circonstance : Conseil de sécurité des Nations Unies, à New York (Etats-Unis) le 30 août 2012

Texte intégral

Je viens de présider la séance du Conseil de sécurité consacrée aux questions humanitaires en Syrie.
Quel était le sens de cette réunion ? Non pas d'adopter une résolution, - nous savons que dans l'état actuel ce n'est pas possible -, mais porter témoignage et réagir. Le témoignage a été porté en particulier par le Haut Commissaire pour les Réfugiés, par le vice-Secrétaire général des Nations unies et par les pays voisins de la Syrie. Ces témoignages sont accablants.
Ce témoignage n'a été contesté par personne : déjà 25.000 morts, 250.000 blessés, plus de 250.000 réfugiés, plus d'un million de personnes déplacées en Syrie, près de trois millions de personnes directement touchées par la crise. C'est une catastrophe humanitaire. Face à cette situation, telle qu'elle a été exposée au Conseil de sécurité, personne désormais ne pourra dire qu'il ne savait pas. Il ne s'agit pas seulement de porter témoignage, il s'agit de réagir.
Il y a deux points sur lesquels tous les collègues que j'ai entendus et probablement presque tous à l'exception d'un ou deux autres seront d'accord.
Tout d'abord, il faut absolument augmenter nos moyens pour faire face à cette catastrophe humanitaire, que ce soit en Syrie ou dans les pays qui accueillent les réfugiés. C'est une question notamment financière. Les sommes qui auraient dû être allouées à cette tâche ne l'ont pas encore été. Il faut donc augmenter l'effort et des orientations ont été prises en ce sens. La France pour sa part, je l'ai annoncé, a décidé d'augmenter de 5 millions d'euros son aide, portant au total son aide à environ 20 millions d'euros. La Grande-Bretagne a annoncé qu'elle faisait un même effort, les États-Unis ont plaidé en ce sens et d'autres encore. Nous avons donc besoin de financements et les Nations unies prendront des initiatives en ce sens.
Deuxième point sur lequel chacun est d'accord et sur lequel j'ai interpellé personnellement le représentant syrien : il faut que les règles humanitaires et de droit international soient respectées par les différentes parties, bien sûr, mais d'abord en premier chef par le clan de M. Bachar Al-Assad ; elles ne le sont pas. J'ai donné l'exemple de ces médecins : plusieurs dizaines de tués, plusieurs centaines arrêtées et dont on n'a pas de nouvelles. Ils ont été arrêtés - c'est une ironie dramatique - parce que, selon le régime, «ils avaient du sang sur les mains», le sang des personnes blessées par le régime et qu'ils essayaient de sauver.
Financements supplémentaires, respect du droit humanitaire, d'autres éléments sont apparus aux yeux de beaucoup. D'abord, il faudra que les coupables de ces crimes soient tenus pour responsables, jugés et condamnés. Ensuite, d'autres éléments ont été proposés. Le représentant de la Turquie, en particulier, a abordé une question très difficile : comment faire en sorte, si les réfugiés se multiplient, qu'ils soient accueillis dans des conditions correctes ou qu'on essaye de les maintenir en Syrie ? Les avis peuvent encore être analysés et diverger. La notion de «zone tampon» a été abordée. Beaucoup ont souligné que cela posait un certain nombre de questions. Pour sa part, la France insiste sur l'aide aux zones libérées.
Mais il y a un autre aspect qui est évident. Autant il faut agir - et beaucoup plus fortement que dans le passé - sur le plan humanitaire, autant la cause de tout cela est politique. Et là, évidemment, nous avons senti l'opposition qui existe au sein du Conseil de sécurité - et qui n'a pas encore été résolue - entre l'immense majorité de ceux qui se sont exprimés, qui veulent la chute de M. Bachar Al-Assad, la préparation d'un autre régime et qui ont proposé des dispositions en ce sens, et d'autres qui sont ceux qui jusqu'à présent ont empêché l'adoption d'une position unanime du Conseil de sécurité. Mais tous ont reconnu l'espoir, même si c'est difficile, placé dans la mission de M. Brahimi sur le plan politique, sur le plan diplomatique, étant observé que les questions humanitaires doivent être traitées en tant que telles, mais qu'une plus grande catastrophe ne sera évitée que si une solution politique est donnée à ce très grave conflit.
Tous ceux qui se sont exprimés ont remercié la France de cette initiative, en particulier les pays les plus directement concernés : je pense à la Turquie, au Liban, à la Jordanie, à l'Irak. Je n'ai pas écouté la réponse du représentant syrien mais je n'ai pas besoin de faire preuve de beaucoup d'imagination en pensant que lui n'était pas heureux de cette réunion, ce qui est un élément supplémentaire pour en justifier le bien-fondé.
Q - M. François Hollande a dit que l'usage d'armes chimiques par le régime syrien serait une cause légitime d'intervention de la communauté internationale en Syrie. Pouvez-vous préciser quelle est cette communauté internationale ? Est-ce l'ONU, l'Otan, l'armée française ?
R - Les armes chimiques sont d'une nature particulière et d'une dangerosité encore plus grande que les autres. Elles font l'objet d'un régime international particulier. C'est la raison pour laquelle lorsque le clan de M. Bachar Al-Assad a reconnu qu'il en possédait et s'est exprimé dans des conditions assez obscures d'ailleurs sur leur éventuelle utilisation, il y a eu plusieurs réactions internationales immédiates de pays dont la France fait partie. Le président Obama abordant ce sujet a dit en substance que s'il était fait recourt à ces armes cela changerait sa perception de la crise. D'autres leaders l'ont fait également.
En ce qui concerne la France, nous jugeons totalement inacceptable qu'il puisse être envisagé l'utilisation de ce type d'armes. Nous suivons au jour le jour ce qui se passe sur le terrain, puisqu'il y a les problèmes de localisation d'éventuels déplacements. Nous nous concertons avec nos partenaires pour être certains d'empêcher toute utilisation de ces armes. Si la tentation d'utiliser ces armes venait soit au régime actuel, soit à tel ou tel, la réaction serait immédiate et fulgurante.
Q - Vous avez rencontré M. Brahimi. Quelle est votre compréhension de son mandat à présent ? Pensez-vous qu'il ait un espoir pour une solution diplomatique ou politique à la crise syrienne ?
R - M. Brahimi, qui est un diplomate expérimenté, a dit lui-même que sa tâche était extrêmement difficile. Lorsque nous l'avons rencontré et qu'il lui a été demandé quel est son plan, il a répondu : «comme je suis très réaliste, je n'ai pas de plan et je vais avancer pas à pas». Sa tâche est effectivement très difficile puisque M. Kofi Annan n'a pas réussi à la mener à bien. Il part sans idée préconçue. Il possède un grand atout, c'est qu'il a manifestement la confiance de l'ensemble du Conseil de sécurité. C'est un des points qui a été souligné lors de la réunion ministérielle.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 14 septembre 2012