Extraits d'un entretien de M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères, avec BFM-TV et RMC le 3 septembre 2012, sur la situation en Syrie, le nucléaire iranien et sur le retrait des troupes françaises d'Afghanistan.

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Texte intégral

Q - Vous voulez dégager Bachar Al-Assad du pouvoir ? Il paraît que c'est vous qui l'avez dit en Conseil des ministres mercredi.
R - Oui, bien sûr. Nous considérons que c'est un dictateur qui est en train d'assassiner son peuple. C'est d'abord un conflit local, mais il y a quand même eu déjà 25.000 morts, 250.000 blessés, et plus de 2 millions de personnes déplacées en Syrie. C'est donc une situation épouvantable et qui s'étend régionalement puisqu'il y a des risques au Liban et ailleurs. Bachar Al-Assad est un dictateur - il a une majorité du peuple contre lui - mais il est soutenu par la Russie, par la Chine et par l'Iran.
Q - Mais le dégager et le remplacer par qui ?
R - Nous travaillons beaucoup, avec d'ailleurs d'autres partenaires, sur ce que l'on appelle «le jour d'après». C'est là où la proposition faite par François Hollande est pertinente, c'est-à-dire un appel à l'opposition - qui est assez diverse - pour se rassembler et pour faire en sorte qu'une fois que Bachar - je l'espère, rapidement - sera tombé, il n'y ait pas un vide. Sinon, nous nous retrouverions dans la situation irakienne.
Cela veut dire que nous avons appelé le Conseil national syrien à se rapprocher d'autres mouvements pour qu'il y ait à la fois un gouvernement alternatif large et, dans le même temps, que ce gouvernement garantisse la sécurité de toutes les communautés. Le problème de la Syrie c'est que vous avez des communautés diverses qu'il faut donc toutes rassurer.
Q - Il est en passe d'être formé ce gouvernement ?
R - Ils travaillent beaucoup là-dessus, cela n'est pas facile. Évidemment, il y a des oppositions, il y a des idées différentes, mais c'est quelque chose de très important.
Q - Est-il vrai que de jeunes extrémistes français musulmans combattent les forces de Bachar Al-Assad ?
R - Je n'ai pas d'informations en ce sens.
Q - Non, vous n'avez pas d'informations. C'est un magazine britannique qui l'affirme.
R - Il y a certainement des djihadistes, mais la majorité des résistants sont syriens.
Q - Nous pouvons nous passer d'un feu vert de l'ONU et attaquer militairement la Syrie, s'il y a un risque de prolifération d'armes chimiques, c'est Alain Juppé qui disait cela hier ? Vous êtes d'accord avec lui ou pas ?
R - Les armes chimiques représentent un très grand danger. Bachar a avoué qu'il avait des armes chimiques. J'ai dit, comme d'ailleurs le président de la République, que notre réponse serait massive et foudroyante si le président Bachar utilisait ces armes.
Nous en discutons, notamment avec les partenaires américains et britanniques. Tout cela est suivi au jour le jour.
Q - Vous vous passerez forcément d'un feu vert de l'ONU, puisque la Chine et la Russie...
R - Non, il faut faire attention : la Russie a été sévère aussi sur ce point, et je ne sais plus qui de M. Poutine ou de M. Lavrov - qui est son ministre des Affaires étrangères - a dit «pas touche». Et les Chinois que j'ai rencontrés, il n'y a pas très longtemps, ont la même position. Les armes chimiques sont encore plus épouvantables que tout le reste. La rapidité de la réponse doit donc être foudroyante.
Q - Alain Juppé dit que nous pouvons attaquer et nous passer de l'ONU s'il y a un risque de prolifération d'armes chimiques. Vous allez jusque-là ?
R - Il y a des armes chimiques, simplement elles sont surveillées et les mouvements sont surveillés...
Q - Mais il n'y a pas de risque de prolifération ?
R - Il faut surveiller, il y a toujours un risque possible. Et si le risque s'avérait, c'est-à dire si nous repérions des mouvements sur ces armes, à ce moment-là évidemment...
Q - À la moindre utilisation...
R - Bien sûr...
Q - D'une arme chimique...
R - ...Je vous dis une réaction massive et foudroyante.
Q - Massive et foudroyante, ça veut dire bombardements, ça veut dire destruction...
R - Ça veut dire qu'il n'aura pas la possibilité de le faire.
Q - Il n'aura pas la possibilité de le faire. Et là, tout le monde est d'accord ?
R - Oui, je le crois.
Q - Les Américains et tous les Occidentaux sont d'accord ?
R - Je le crois.
Q - Bien. Passons à l'Iran, est-ce que vous vous attendez à un bombardement israélien, franchement Laurent Fabius ?
R - Tout d'abord, il ne s'agit pas d'une question israélienne mais iranienne, prenons les choses sérieusement. Cela fait pas mal de temps qu'il y a à la fois des sanctions vis-à-vis de l'Iran et des discussions qui sont menées avec ce dernier.
La discussion est à cinq d'un côté, c'est-à-dire les cinq membres permanents du Conseil de sécurité (les Français, les Britanniques, les Américains, les Chinois et les Russes, plus les Allemands, ensemble), et de l'autre côté les Iraniens. L'honnêteté consiste à dire que cette discussion - qui a commencé depuis longtemps - n'avance pas. Et d'autre part, vous avez vu qu'il y a eu très récemment un rapport de l'Agence internationale de l'Énergie atomique...
Q - Jeudi dernier.
R - Rapport qui dit : les Iraniens sont en train d'augmenter le nombre de leurs centrifugeuses sans raison d'être s'ils n'ont pas un but militaire.
Q - Augmentation de la production d'uranium enrichi.
R - Donc le risque est réel. Pour éviter le risque, - parce que vous voyez bien le risque de conflagration -, il faut renforcer les sanctions. Malheureusement, les Chinois, les Russes et les Indiens ne respectent pas les sanctions. Cela crée une faille dans le dispositif, même si les sanctions commencent à être plus efficaces. Nous sommes évidemment en train d'étudier tous les schémas. Et ce qui est grave c'est que les Iraniens - à qui malheureusement on ne peut pas faire confiance, l'expérience le montre -...
Q - Ils nous mentent ?
R - Écoutez, la semaine dernière il y a eu une réunion des non-alignés, présidée par les Iraniens à Téhéran. Cela vous concerne en tant que média, le président égyptien M. Morsi, a dit, de manière inattendue : je condamne ce qui se passe en Syrie, je condamne Bachar Al-Assad. Les Iraniens ne s'attendaient pas à cela et immédiatement, le traducteur - puisqu'il fallait traduire - pour l'ensemble de la population iranienne a traduit en disant «ce n'est pas la Syrie, c'est le Bahreïn».
Q - Ah oui, «je condamne le Bahreïn».
R - «Je condamne le Bahreïn», c'est-à-dire que c'est un régime capable de mentir à tout son peuple, son propre peuple. Pourquoi voulez-vous que nous, nous prenions ce qu'il dit pour la vérité ? Donc, l'objectif est d'empêcher l'Iran d'obtenir l'arme nucléaire, parce que ce serait extraordinairement dangereux.
Q - Eh bien ! Alors, comment on fait ?
R - On applique les sanctions et dans le même temps nous dialoguons. S'ils ne le font pas, alors se poseront d'autres questions. Et je me demande même - ça peut vous heurter - si, au fond, les Iraniens ne sont pas dans une stratégie double. Soit on les laisse obtenir l'arme nucléaire - ce qui serait très dangereux, on ne veut pas le faire -, soit ils se posent en victimes s'ils sont visés par une frappe. Ils diront alors : «écoutez-nous, on ne faisait rien, on nous a tapé dessus». Et du même coup, ils récupèrent une espèce de légitimité auprès des populations de la région.
Q - Mais vous savez bien que les rumeurs s'amplifient, sur une éventuelle intervention israélienne, vous le savez bien...
R - Bien sûr.
Q - Si les rumeurs s'amplifient. Si Israël bombarde, est-ce que la France condamnera ce bombardement...
R - Je suis absolument hostile au fait que l'Iran ait l'arme nucléaire, mais je pense que s'il y avait une attaque israélienne, malheureusement cela se retournerait pour la raison que je viens d'évoquer...
Q - Vous demandez à Israël ce matin de ne pas bombarder... de ne pas intervenir ?
R - Écoutez, nous n'en sommes pas là. Mais je pense que le risque est que cela se retourne contre Israël et que cela fasse de l'Iran une victime. Donc, nous prenons les choses d'une autre façon, nous disons «il faut renforcer les sanctions», - je le dis clairement -, et dans le même temps continuer à discuter avec l'Iran pour arriver à le faire plier.
Q - Mais est-ce que les Israéliens...
R - C'est ça la diplomatie.
Q - ... hésitent à intervenir avant l'élection américaine, la prochaine élection américaine ? On dit que l'administration Obama fait pression sur le gouvernement israélien pour ne pas intervenir justement.
R - Je n'en sais rien. Ce que je pense c'est que s'il y avait une intervention, ni vous ni même moi n'en serions prévenus.
Q - Ça c'est sûr. Vous la condamneriez ?
R - J'ai dit quelle était notre position : éviter de se trouver dans cette situation en renforçant les sanctions.
Q - Mais il n'est pas certain que vous la condamniez ?
R - Non, non, je n'ai pas dit cela. J'ai dit que s'il y avait une intervention préventive dans les conditions que vous dites, elle risquerait...
Q - Donc c'est dangereux, vous dites que c'est dangereux ?
R - Et d'être favorable à l'Iran, c'est cela qui est complètement paradoxal.
Q - Élection présidentielle américaine dans quelques semaines, qui choisissez-vous ? Obama ou Romney ?
R - Je ne voudrais pas porter la chkoumoune à l'un ou à l'autre. Ce qui m'a frappé lors de ma visite vendredi à New York, pour présider le Conseil de sécurité, c'est qu'en France, les gens votent Obama et qu'aux États-Unis c'est beaucoup plus serré. En effet, la question est de savoir si l'élection va se jouer sur l'économie. L'économie américaine n'est pas flamboyante, et donc il risque d'y avoir une réaction anti-gouvernement comme cela peut exister dans d'autres pays...
Q - Vous craignez une élection de Mitt Romney ?
R - Je suis le chef de la diplomatie française. En tout cas, je vais vous répondre de la manière suivante. Nous avons beaucoup d'estime pour ce qu'a fait dans plusieurs domaines le président Obama, et en particulier sur la volonté de relancer la croissance, nous sommes à l'unisson.
Q - À l'unisson avec le président Obama.
R - Pour cet aspect oui.
Q - L'Afghanistan, l'armée américaine - vous l'avez vu - suspend l'entraînement des policiers afghans. Est-ce que nous allons faire la même chose, même si nous n'avons pas la même importance dans le dispositif ?
R - Il faut être extrêmement vigilant...
Q - Parce qu'on sait que des Afghans retournent leurs armes...
R - Ils sont infiltrés.
Q - Oui, bien sûr.
R - Donc l'Isaf, enfin l'armée américaine, a arrêté le processus, et je pense qu'il faut être encore plus prudent, on était déjà très vigilants. Nous avons amorcé le mouvement de retrait ; il y avait au 1er janvier 3.500 soldats français sur place...
Q - Sous les 3.000 hommes maintenant, non ?
R - Sous les 3.000 hommes, on va passer à 1.500 à peu près à la fin de l'année, parce qu'il faut en garder un certain nombre pour permettre l'évacuation des autres. Donc nous respecterons nos engagements mais nous restons extrêmement vigilants.
Q - Les talibans sont toujours aussi actifs, la corruption est toujours aussi généralisée, la production d'héroïne se poursuit. Alors est-ce qu'il faut continuer de financer les forces de sécurité afghane après le retrait militaire général en 2014 ?
R - On a signé un traité d'amitié, c'était le président Sarkozy qui l'avait fait et nous l'avons ratifié. Nous aiderons à la formation mais sans aucune unité combattante, mais aussi le fonctionnement des hôpitaux, le développement de l'éducation, un certain nombre de travaux publics, mais nous ne serons plus intervenants sur le plan militaire.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 14 septembre 2012