Texte intégral
Q - Cet entretien, je le précise, sera traduit et diffusé demain matin sur RFI en serbo-croate. Il y a tout juste 24 heures, on apprenait le limogeage du vice-Premier ministre yougoslave, Vuk Draskovic. Ses déclarations critiques à légard du régime de Belgrade ces derniers jours avaient été accueillis avec scepticisme à létranger. Ce départ forcé est-il pour vous un signe daffaiblissement du pouvoir de Slobodan Milosevic ?
R - Cela montre surtout que M. Draskovic ne parlait pas au nom de ce pouvoir et que ses déclarations nannonçaient pas une évolution. Nous verrons ce quil est capable de faire, sil est capable, un jour, de constituer une opposition, une alternative. Mais, en tout cas, dans limmédiat, quand il disait que la Serbie devait accepter une résolution du Conseil de sécurité, accepter une force de sécurité à composantes militaires, décidée par lONU cétaient des éléments tout à fait nouveaux commencent à répondre aux cinq questions qui ont été adressées par la communauté internationale aux autorités de Belgrade. Cela avait été accueilli avec prudence parce que nous savions quil parlait sur une ligne qui nétait pas toujours celle du pouvoir, mais il avait indiqué quil en avait parlé au président Milosevic, quil parlait au nom du gouvernement, ce qui fait que pendant 36 heures, il y a eu une interrogation intéressée mais prudente. Mais, cela sest terminé par une clarification négative. Il nannonçait pas une évolution.
Q - Cest tout de même la seule expression publique et critique de lintérieur, qui sexprimait contre Slobodan Milosevic, qui se tait aujourdhui. Est-ce que ce nest pas de négociation éventuelle qui disparaît ?
R - Ce nétait pas un canal de négociation parce quil ny a pas tellement matière à négociation. Il y a cinq questions qui ont été adressées aux autorités de Belgrade et qui sont très claires en ce qui concerne larrêt des exactions, le retour des réfugiés etc. Là-dessus, il ny a pas à négocier, il y a à répondre et à mettre en oeuvre. Et M. Draskovic nétait pas un canal. Ce qui était intéressant, ce nest pas tellement le début de son opposition, cétait la préfiguration dun changement possible.
Q - Dans lopinion serbe.
R - A la tête du pouvoir serbe...
Q - Son rôle dans lopposition...
R - Ce sont deux choses différentes parce que lorsquil a fait cette déclaration, il était vice-Premier ministre. On pouvait donc se dire : « oui, cest un ancien opposant, mais il est au gouvernement, est-ce quil annonce un changement ? » Cest donc le début dune réponse concrète aux cinq questions posées...
Q - Qui nétait porteur daucune proposition de Milosevic.
R - On voit bien que cétait peut être le début dune opposition, qui, peut-être, prendra forme, je ne sais pas, mais il nannonçait pas lévolution que nous attendons.
Q - Revenons à présent sur la campagne de frappes aériennes sur la Yougoslavie qui en est aujourdhui à son 37ème jour. LOTAN a une nouvelle fois bombardé le Monténégro la nuit dernière. Chaque obus qui tombe sur cette petite république yougoslave fragilise un peu plus son gouvernement modéré. Comment conciliez-vous le soutien que vous apportez au pouvoir monténégrin et ces bombardements sur son territoire ?
R - Ce sont, comme les autres bombardements, des bombardements qui visent des cibles militaires ou des éléments qui contribuent directement à leffort de guerre de larmée yougoslave, leffort de guerre et de répression. Il se trouve que, dans ce cas-là, cétait au Monténégro. Mais, il sagissait datteindre certains avions qui étaient encore dangereux et nuisibles et qui sétaient réfugiés dans cette région. Ce nest donc pas pour frapper le Monténégro. Ce nest pas contradictoire avec le désir dépargner au maximum au Monténégro les tourmentes de cette affaire.
Q - Mais, la composante nationaliste serbe interne au Monténégro sautorise de ces bombardements pour, précisément, pencher du côté de Belgrade. Cela fragilise ce régime.
R - Evidemment. Mais lobjectif principal est de mettre un terme aux pratiques de ce pouvoir nationaliste de Belgrade pratique au Kosovo. Cela a forcément des effets, naturellement et ne peut pas être soutenu par la composante nationaliste où quelle soit, que ce soit à Belgrade ou au Monténégro. Mais vous minterrogez sur le sens de ces actions, je vous dis : elles ont toujours le même sens militaire que celui que nous avons toujours expliqué.
Q - La question portait donc sur la fragilisation de ce régime, la question de lembargo, des modalités de lembargo pétrolier, a également semble-t-il dérangé les Monténégrins et là-dessus rien nest encore tranché.
R - Il ne faut pas prendre le problème à lenvers. Le problème numéro un qui est posé aujourdhui, nest pas le problème du Monténégro. Le problème numéro un - cest pour cela quil a fallu engager cette action après que toutes les autres procédures politiquement normales aient échoué - est de donner un coup darrêt aux pratiques abominables de répression notamment au Kosovo. Cest cela quil faut faire. Après, il faut gérer au mieux les problèmes que cela peut créer, mais qui nont pas commencé, avec laction de lOTAN. Cela fait dix ans quil y a des problèmes dans cette région. Il y a déjà 200 000 morts sur plusieurs années. La guerre na pas donc commencé il y a quelques semaines, cest une logique qui est beaucoup plus ancienne. Il faut donc donner un coup darrêt.
Quand cela a des conséquences, on essaie de les traiter. Par exemple dans laffaire de lembargo dont vous me parlez, nous essayons de le faire prendre sur la base de décision nationale. Ce sont les Quinze qui ont lancé le mouvement sur notre initiative, plutôt que de nous lancer dans lAdriatique dans un contrôle maritime hasardeux à partir de bases légales, qui, à notre avis, ne sont pas suffisantes. Voilà comment on a traité ce sujet. Cest tout à fait clair quil est logique denrayer le réapprovisionnement en énergie de la machine de guerre yougoslave.
Q - Revenons au fond du débat. Après cinq semaines de bombardements, des bombardements qui samplifient, qui se diversifient, on assiste également conjointement semble-t-il à un regain dactivité diplomatique. Vers quel côté penche la balance ? Des bombardements ou de la diplomatie ?
R - Lactivité diplomatique na jamais cessé. Il a fallu dabord avoir recours à la force parce que, malheureusement, les autres moyens navaient pas permis daboutir, mais à aucun moment, le travail diplomatique na cessé. Dès le premier jour des frappes, nous avons commencé à réfléchir à la suite, à la sortie, à la solution politique. Nous avons gardé tout ce qui est encore opératoire et valable dans les Accords de Rambouillet - cest-à-dire lautonomie substantielle et future du Kosovo. Nous réfléchissons à tout ce quil faut ajouter par rapport à cela, lorganisation du retour des réfugiés par exemple, mais aussi le rôle des Nations unis, du Conseil de sécurité édictant sur le Kosovo de demain, une sorte de protection, de tutelle, dune administration internationale transitoire, qui pourrait du point de vue de la France en tout cas, être confié à lUnion européenne le moment venu, avec laide de lOSCE.
Nous travaillons sur des sujets de ce type et nous regardons avec nos partenaires, membres permanents du Conseil de sécurité, mais aussi avec les alliés, les autres Européens, et avec les Russes, ce que pourrait être ce règlement politique. Nous essayons de voir, pour être rapidement efficaces le moment venu, les problèmes qui pourraient naître pour cette résolution, pour la future administration du Kosovo, ainsi que pour lorganisation de la force de sécurité internationale à composante militaire qui sera indispensable au sol.
Q - Sur ces points, est-ce quon aboutit ? Est-ce quon avance, ou il ny a pour linstant pas de signe que cela bouge ?
R - On travaille beaucoup. On avance, on na pas encore abouti parce quon nest pas en mesure encore de rédiger avec les Russes une résolution qui pourrait être traitée tout de suite au Conseil de sécurité parce quil y a encore des problèmes à trancher, notamment en ce qui concerne lorganisation de la force dont je parlais, - la juxtaposition de contingents issus de pays de lOTAN - mais aussi de la Russie et puis peut-être dautres pays comme les pays neutres par exemple, et lorganisation de cette force, pour quelle soit malgré tout efficace. Nous ne voulons pas nous retrouver demain avec une force, comme cétait le cas en Bosnie à lorigine, avec des composantes différentes, obéissant à des systèmes de décision différents, lOTAN, lONU ou encore autre chose et, au total, une paralysie. Nous aurons besoin, ne serait-ce que dans lintérêt des Kosovars que nous voulons aider à rentrer chez eux dans un Kosovo sécurisé, une force qui soit vraiment efficace. Voilà des problèmes sur lesquels nous travaillons chaque jour. Ils nont pas encore abouti, mais leffort nest relâché à aucun moment.
Q - Cette force de maintien de la paix, va-t-elle aller au Kosovo dans un environnement dit permissif, cest-à-dire pacifié, ou sera-t-on obligé daller au Kosovo dans un environnement non encore pacifié ?
R - La dernière option na pas été retenue par les dirigeants de lAlliance, pas plus au début de laction quau récent sommet de Washington. Lobjectif est celui dune force qui est le corollaire, le complément dun accord ou dune solution politique, ou en tout cas dun schéma politique adopté par le Conseil de sécurité.
Ce nest pas celui dune entrée aujourdhui, pour ajouter la guerre terrestre aux actions aériennes. Cette option na pas été retenue. Mais, il faut préparer ce dispositif pour quil soit rapidement effectif et opérationnel le moment venu.
Q- Cela suppose une intensification des frappes.
R - Cela suppose une intensification des frappes, ce qui appelle la précision suivante : ce sont toujours des cibles militaires ou qui concurrent directement ou indirectement à leffort de guerre. Ce qui fait que dans le jargon de lOTAN, nous navons pas changé de catégorie de cible. Nous sommes toujours dans ce quon va appeler la « phase 2,5 ». Nous ne sommes pas passés à la « phase 3 » qui aurait été dune toute autre ampleur et beaucoup plus systématique. Nous continuons à exercer un contrôle rigoureux sur les cibles qui sont visées et qui doivent être liées à cet effort et qui ont toujours comme but dempêcher le système militaire de nuire et de réprimer.
Q - Lémissaire russe, Viktor Tchernomyrdine, qui entame aujourdhui une tournée en Europe, sest dit porteur de propositions concrètes. On a vu les grandes lignes sur lesquelles vous travaillez. Avez-vous une idée du contenu de ces propositions concrètes ?
R - Non, pas encore. Ses entretiens à Bonn ont eu lieu cet après-midi et jaurai des indications dans la soirée. Nous attendons avec intérêt ce contact quils ont eu avec les Allemands, qui sont en ce moment présidents de lUnion européenne. Ce quil serait très important, ce serait quils aient obtenu des autorités de Belgrade des éléments allant dans le sens des questions posées, sur larrêt des exactions, sur le retrait des forces, sur le retour des réfugiés, sur lacceptation dune force internationale. Dans ce sens, tout ce que les Russes pourraient apporter serait très important. De toute façon, même si les résultats ne sont pas encore là, nous soutenons tout à fait leffort des Russes.
Q - Nous avons évoqué, il y a un instant les risques de déstabilisation au Monténégro. LAlbanie et la Macédoine où Lionel Jospin se rend dailleurs demain, sont-elles aussi particulièrement fragiles ? Les dirigeants de ces pays continuent à soutenir lopération de lOTAN, malgré les mouvements de lopposition de plus en plus visibles dans leur population, mais ces pays attendent une aide en retour. Comment comptez-vous les arrimer à lEurope ou en tout cas leur donner des gages ?
R - Il ne sagit pas de gage. Il sagit de pays qui ont à supporter un poids considérable en matière de réfugiés, notamment lAlbanie, mais aussi la Macédoine et des pays, qui étaient déjà fragiles et en difficulté. Il sagit de les aider sur plusieurs plans par rapport aux réfugiés, et sur le plan économique. La réunion des ministres des Finances à Washington vient dailleurs de décider dalléger une partie, de reporter ou de suspendre une partie du paiement de leur dette. Il sagit de les aider sur le plan de la logistique et de la sécurité et il sagira après dans le prolongement du règlement de la question du Kosovo, de leur dessiner une perspective pour les arrimer de plus en plus à lEurope. Cela sera lobjet dune conférence sur les Balkans que lUnion européenne a décidé le 14 avril de préparer.
Q - Il y a une note.
R - Non, il faut entrer dans un processus de préparation parce que si on le fait dune façon trop bâclée, ce sera décevant, cela naura pas résultat. Il y a beaucoup de propositions : une Conférence sur les Balkans, pacte de stabilité, charte etc. Il y en a une quinzaine de propositions. Il faut donc regarder dans ces éléments, ceux qui convergent, traiter les questions de la sécurité, de la stabilité, de la démocratie, du développement. Pour nous, lUnion européenne a une vocation naturelle à impulser cet ensemble. Mais, il y a aussi un rôle de lOTAN, de lOSCE, de la Banque mondiale, du FMI, etc. Il faut donc entrer dans cette préparation. Cest déjà le cas. Nous travaillons beaucoup avec nos amis allemands sur ces questions, qui ont présenté un excellent document et je voudrais ajouter que dans cette perspective régionale, le peuple serbe doit pouvoir retrouver naturellement toute sa place.
Q - De quelle façon ? Ce sont des cibles militaires. Le peuple serbe ou les Serbes soffusquent de ces bombardements et ont des réactions de patriotes, nationalistes. Comment expliquer à ce peuple, qui par tradition, était proche historiquement de la France, quil y a là des objectifs qui ne les visent pas eux ? Cest difficile.
R - Oui, mais les amitiés historiques ne sont pas indépendantes des politiques menées à un moment donné. Cest vrai quil y a une tradition historique qui remonte à des alliances lors de la première Guerre mondiale entre les peuples serbe et français. Mais, nous sommes en 1999. Nous continuons à penser que le peuple serbe est un grand peuple, un peuple courageux. Il la montré de façon remarquable dans sa lutte contre le nazisme et nous pensons quil nest pas responsable de la politique qui est menée. Mais le sait-il seulement ? Les Serbes daujourdhui savent-ils à quel point ce qui sest passé en Croatie, en Bosnie, mais surtout ces dernières années au Kosovo, est abominable. Est-ce que cela sest su ? Cest presque incompréhensible dun point de vue français ou européen que ce grand peuple puisse consentir à ce type de pratique, à ce que des citoyens yougoslaves, - les Kosovars déportés, expulsés sont des citoyens yougoslaves -, à ce quils aient été traités de cette façon, massacrés, martyrisés, terrorisés. Il y a donc, là, une véritable interrogation par rapport à son degré dinformation sur ces choses. Mais, je voudrais dire que cela ne nous empêche pas de penser que le peuple serbe a sa place dans lEurope de demain, à partir dune Yougoslavie qui devra être démocratisée, quil a un rôle à jouer dans les Balkans de demain. Il ny a aucun doute pour nous sur ce plan.
Q - Avec son dirigeant actuel ?
R - Nous ne savons pas quelle sera la situation de la Yougoslavie à la fin de cette guerre actuelle du Kosovo. Mais, je voudrais plutôt parler peuple, aujourdhui que parler dirigeant, dautant que nous avons eu à lesprit ces questions, même pendant la Conférence de Rambouillet. La souveraineté de la Yougoslavie a toujours été préservée dans tous les schémas de règlement. On a pris en compte le sort des minorités serbes du Kosovo. Lensemble des puissances occidentales ont retenu la notion de lautonomie du Kosovo et pas de lindépendance. Les droits du peuple serbe ont presque été plus pris en considération par les différentes puissances alliées aujourdhui que par les dirigeants quils ont entraînés dans limpasse du nationalisme et du conflit avec lensemble du monde extérieur, qui est une impasse. Nous voudrions les aider aussi à en sortir. Même si aujourdhui cela peut paraître paradoxal, cest tout à fait sincère.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 3 mai 1999)
R - Cela montre surtout que M. Draskovic ne parlait pas au nom de ce pouvoir et que ses déclarations nannonçaient pas une évolution. Nous verrons ce quil est capable de faire, sil est capable, un jour, de constituer une opposition, une alternative. Mais, en tout cas, dans limmédiat, quand il disait que la Serbie devait accepter une résolution du Conseil de sécurité, accepter une force de sécurité à composantes militaires, décidée par lONU cétaient des éléments tout à fait nouveaux commencent à répondre aux cinq questions qui ont été adressées par la communauté internationale aux autorités de Belgrade. Cela avait été accueilli avec prudence parce que nous savions quil parlait sur une ligne qui nétait pas toujours celle du pouvoir, mais il avait indiqué quil en avait parlé au président Milosevic, quil parlait au nom du gouvernement, ce qui fait que pendant 36 heures, il y a eu une interrogation intéressée mais prudente. Mais, cela sest terminé par une clarification négative. Il nannonçait pas une évolution.
Q - Cest tout de même la seule expression publique et critique de lintérieur, qui sexprimait contre Slobodan Milosevic, qui se tait aujourdhui. Est-ce que ce nest pas de négociation éventuelle qui disparaît ?
R - Ce nétait pas un canal de négociation parce quil ny a pas tellement matière à négociation. Il y a cinq questions qui ont été adressées aux autorités de Belgrade et qui sont très claires en ce qui concerne larrêt des exactions, le retour des réfugiés etc. Là-dessus, il ny a pas à négocier, il y a à répondre et à mettre en oeuvre. Et M. Draskovic nétait pas un canal. Ce qui était intéressant, ce nest pas tellement le début de son opposition, cétait la préfiguration dun changement possible.
Q - Dans lopinion serbe.
R - A la tête du pouvoir serbe...
Q - Son rôle dans lopposition...
R - Ce sont deux choses différentes parce que lorsquil a fait cette déclaration, il était vice-Premier ministre. On pouvait donc se dire : « oui, cest un ancien opposant, mais il est au gouvernement, est-ce quil annonce un changement ? » Cest donc le début dune réponse concrète aux cinq questions posées...
Q - Qui nétait porteur daucune proposition de Milosevic.
R - On voit bien que cétait peut être le début dune opposition, qui, peut-être, prendra forme, je ne sais pas, mais il nannonçait pas lévolution que nous attendons.
Q - Revenons à présent sur la campagne de frappes aériennes sur la Yougoslavie qui en est aujourdhui à son 37ème jour. LOTAN a une nouvelle fois bombardé le Monténégro la nuit dernière. Chaque obus qui tombe sur cette petite république yougoslave fragilise un peu plus son gouvernement modéré. Comment conciliez-vous le soutien que vous apportez au pouvoir monténégrin et ces bombardements sur son territoire ?
R - Ce sont, comme les autres bombardements, des bombardements qui visent des cibles militaires ou des éléments qui contribuent directement à leffort de guerre de larmée yougoslave, leffort de guerre et de répression. Il se trouve que, dans ce cas-là, cétait au Monténégro. Mais, il sagissait datteindre certains avions qui étaient encore dangereux et nuisibles et qui sétaient réfugiés dans cette région. Ce nest donc pas pour frapper le Monténégro. Ce nest pas contradictoire avec le désir dépargner au maximum au Monténégro les tourmentes de cette affaire.
Q - Mais, la composante nationaliste serbe interne au Monténégro sautorise de ces bombardements pour, précisément, pencher du côté de Belgrade. Cela fragilise ce régime.
R - Evidemment. Mais lobjectif principal est de mettre un terme aux pratiques de ce pouvoir nationaliste de Belgrade pratique au Kosovo. Cela a forcément des effets, naturellement et ne peut pas être soutenu par la composante nationaliste où quelle soit, que ce soit à Belgrade ou au Monténégro. Mais vous minterrogez sur le sens de ces actions, je vous dis : elles ont toujours le même sens militaire que celui que nous avons toujours expliqué.
Q - La question portait donc sur la fragilisation de ce régime, la question de lembargo, des modalités de lembargo pétrolier, a également semble-t-il dérangé les Monténégrins et là-dessus rien nest encore tranché.
R - Il ne faut pas prendre le problème à lenvers. Le problème numéro un qui est posé aujourdhui, nest pas le problème du Monténégro. Le problème numéro un - cest pour cela quil a fallu engager cette action après que toutes les autres procédures politiquement normales aient échoué - est de donner un coup darrêt aux pratiques abominables de répression notamment au Kosovo. Cest cela quil faut faire. Après, il faut gérer au mieux les problèmes que cela peut créer, mais qui nont pas commencé, avec laction de lOTAN. Cela fait dix ans quil y a des problèmes dans cette région. Il y a déjà 200 000 morts sur plusieurs années. La guerre na pas donc commencé il y a quelques semaines, cest une logique qui est beaucoup plus ancienne. Il faut donc donner un coup darrêt.
Quand cela a des conséquences, on essaie de les traiter. Par exemple dans laffaire de lembargo dont vous me parlez, nous essayons de le faire prendre sur la base de décision nationale. Ce sont les Quinze qui ont lancé le mouvement sur notre initiative, plutôt que de nous lancer dans lAdriatique dans un contrôle maritime hasardeux à partir de bases légales, qui, à notre avis, ne sont pas suffisantes. Voilà comment on a traité ce sujet. Cest tout à fait clair quil est logique denrayer le réapprovisionnement en énergie de la machine de guerre yougoslave.
Q - Revenons au fond du débat. Après cinq semaines de bombardements, des bombardements qui samplifient, qui se diversifient, on assiste également conjointement semble-t-il à un regain dactivité diplomatique. Vers quel côté penche la balance ? Des bombardements ou de la diplomatie ?
R - Lactivité diplomatique na jamais cessé. Il a fallu dabord avoir recours à la force parce que, malheureusement, les autres moyens navaient pas permis daboutir, mais à aucun moment, le travail diplomatique na cessé. Dès le premier jour des frappes, nous avons commencé à réfléchir à la suite, à la sortie, à la solution politique. Nous avons gardé tout ce qui est encore opératoire et valable dans les Accords de Rambouillet - cest-à-dire lautonomie substantielle et future du Kosovo. Nous réfléchissons à tout ce quil faut ajouter par rapport à cela, lorganisation du retour des réfugiés par exemple, mais aussi le rôle des Nations unis, du Conseil de sécurité édictant sur le Kosovo de demain, une sorte de protection, de tutelle, dune administration internationale transitoire, qui pourrait du point de vue de la France en tout cas, être confié à lUnion européenne le moment venu, avec laide de lOSCE.
Nous travaillons sur des sujets de ce type et nous regardons avec nos partenaires, membres permanents du Conseil de sécurité, mais aussi avec les alliés, les autres Européens, et avec les Russes, ce que pourrait être ce règlement politique. Nous essayons de voir, pour être rapidement efficaces le moment venu, les problèmes qui pourraient naître pour cette résolution, pour la future administration du Kosovo, ainsi que pour lorganisation de la force de sécurité internationale à composante militaire qui sera indispensable au sol.
Q - Sur ces points, est-ce quon aboutit ? Est-ce quon avance, ou il ny a pour linstant pas de signe que cela bouge ?
R - On travaille beaucoup. On avance, on na pas encore abouti parce quon nest pas en mesure encore de rédiger avec les Russes une résolution qui pourrait être traitée tout de suite au Conseil de sécurité parce quil y a encore des problèmes à trancher, notamment en ce qui concerne lorganisation de la force dont je parlais, - la juxtaposition de contingents issus de pays de lOTAN - mais aussi de la Russie et puis peut-être dautres pays comme les pays neutres par exemple, et lorganisation de cette force, pour quelle soit malgré tout efficace. Nous ne voulons pas nous retrouver demain avec une force, comme cétait le cas en Bosnie à lorigine, avec des composantes différentes, obéissant à des systèmes de décision différents, lOTAN, lONU ou encore autre chose et, au total, une paralysie. Nous aurons besoin, ne serait-ce que dans lintérêt des Kosovars que nous voulons aider à rentrer chez eux dans un Kosovo sécurisé, une force qui soit vraiment efficace. Voilà des problèmes sur lesquels nous travaillons chaque jour. Ils nont pas encore abouti, mais leffort nest relâché à aucun moment.
Q - Cette force de maintien de la paix, va-t-elle aller au Kosovo dans un environnement dit permissif, cest-à-dire pacifié, ou sera-t-on obligé daller au Kosovo dans un environnement non encore pacifié ?
R - La dernière option na pas été retenue par les dirigeants de lAlliance, pas plus au début de laction quau récent sommet de Washington. Lobjectif est celui dune force qui est le corollaire, le complément dun accord ou dune solution politique, ou en tout cas dun schéma politique adopté par le Conseil de sécurité.
Ce nest pas celui dune entrée aujourdhui, pour ajouter la guerre terrestre aux actions aériennes. Cette option na pas été retenue. Mais, il faut préparer ce dispositif pour quil soit rapidement effectif et opérationnel le moment venu.
Q- Cela suppose une intensification des frappes.
R - Cela suppose une intensification des frappes, ce qui appelle la précision suivante : ce sont toujours des cibles militaires ou qui concurrent directement ou indirectement à leffort de guerre. Ce qui fait que dans le jargon de lOTAN, nous navons pas changé de catégorie de cible. Nous sommes toujours dans ce quon va appeler la « phase 2,5 ». Nous ne sommes pas passés à la « phase 3 » qui aurait été dune toute autre ampleur et beaucoup plus systématique. Nous continuons à exercer un contrôle rigoureux sur les cibles qui sont visées et qui doivent être liées à cet effort et qui ont toujours comme but dempêcher le système militaire de nuire et de réprimer.
Q - Lémissaire russe, Viktor Tchernomyrdine, qui entame aujourdhui une tournée en Europe, sest dit porteur de propositions concrètes. On a vu les grandes lignes sur lesquelles vous travaillez. Avez-vous une idée du contenu de ces propositions concrètes ?
R - Non, pas encore. Ses entretiens à Bonn ont eu lieu cet après-midi et jaurai des indications dans la soirée. Nous attendons avec intérêt ce contact quils ont eu avec les Allemands, qui sont en ce moment présidents de lUnion européenne. Ce quil serait très important, ce serait quils aient obtenu des autorités de Belgrade des éléments allant dans le sens des questions posées, sur larrêt des exactions, sur le retrait des forces, sur le retour des réfugiés, sur lacceptation dune force internationale. Dans ce sens, tout ce que les Russes pourraient apporter serait très important. De toute façon, même si les résultats ne sont pas encore là, nous soutenons tout à fait leffort des Russes.
Q - Nous avons évoqué, il y a un instant les risques de déstabilisation au Monténégro. LAlbanie et la Macédoine où Lionel Jospin se rend dailleurs demain, sont-elles aussi particulièrement fragiles ? Les dirigeants de ces pays continuent à soutenir lopération de lOTAN, malgré les mouvements de lopposition de plus en plus visibles dans leur population, mais ces pays attendent une aide en retour. Comment comptez-vous les arrimer à lEurope ou en tout cas leur donner des gages ?
R - Il ne sagit pas de gage. Il sagit de pays qui ont à supporter un poids considérable en matière de réfugiés, notamment lAlbanie, mais aussi la Macédoine et des pays, qui étaient déjà fragiles et en difficulté. Il sagit de les aider sur plusieurs plans par rapport aux réfugiés, et sur le plan économique. La réunion des ministres des Finances à Washington vient dailleurs de décider dalléger une partie, de reporter ou de suspendre une partie du paiement de leur dette. Il sagit de les aider sur le plan de la logistique et de la sécurité et il sagira après dans le prolongement du règlement de la question du Kosovo, de leur dessiner une perspective pour les arrimer de plus en plus à lEurope. Cela sera lobjet dune conférence sur les Balkans que lUnion européenne a décidé le 14 avril de préparer.
Q - Il y a une note.
R - Non, il faut entrer dans un processus de préparation parce que si on le fait dune façon trop bâclée, ce sera décevant, cela naura pas résultat. Il y a beaucoup de propositions : une Conférence sur les Balkans, pacte de stabilité, charte etc. Il y en a une quinzaine de propositions. Il faut donc regarder dans ces éléments, ceux qui convergent, traiter les questions de la sécurité, de la stabilité, de la démocratie, du développement. Pour nous, lUnion européenne a une vocation naturelle à impulser cet ensemble. Mais, il y a aussi un rôle de lOTAN, de lOSCE, de la Banque mondiale, du FMI, etc. Il faut donc entrer dans cette préparation. Cest déjà le cas. Nous travaillons beaucoup avec nos amis allemands sur ces questions, qui ont présenté un excellent document et je voudrais ajouter que dans cette perspective régionale, le peuple serbe doit pouvoir retrouver naturellement toute sa place.
Q - De quelle façon ? Ce sont des cibles militaires. Le peuple serbe ou les Serbes soffusquent de ces bombardements et ont des réactions de patriotes, nationalistes. Comment expliquer à ce peuple, qui par tradition, était proche historiquement de la France, quil y a là des objectifs qui ne les visent pas eux ? Cest difficile.
R - Oui, mais les amitiés historiques ne sont pas indépendantes des politiques menées à un moment donné. Cest vrai quil y a une tradition historique qui remonte à des alliances lors de la première Guerre mondiale entre les peuples serbe et français. Mais, nous sommes en 1999. Nous continuons à penser que le peuple serbe est un grand peuple, un peuple courageux. Il la montré de façon remarquable dans sa lutte contre le nazisme et nous pensons quil nest pas responsable de la politique qui est menée. Mais le sait-il seulement ? Les Serbes daujourdhui savent-ils à quel point ce qui sest passé en Croatie, en Bosnie, mais surtout ces dernières années au Kosovo, est abominable. Est-ce que cela sest su ? Cest presque incompréhensible dun point de vue français ou européen que ce grand peuple puisse consentir à ce type de pratique, à ce que des citoyens yougoslaves, - les Kosovars déportés, expulsés sont des citoyens yougoslaves -, à ce quils aient été traités de cette façon, massacrés, martyrisés, terrorisés. Il y a donc, là, une véritable interrogation par rapport à son degré dinformation sur ces choses. Mais, je voudrais dire que cela ne nous empêche pas de penser que le peuple serbe a sa place dans lEurope de demain, à partir dune Yougoslavie qui devra être démocratisée, quil a un rôle à jouer dans les Balkans de demain. Il ny a aucun doute pour nous sur ce plan.
Q - Avec son dirigeant actuel ?
R - Nous ne savons pas quelle sera la situation de la Yougoslavie à la fin de cette guerre actuelle du Kosovo. Mais, je voudrais plutôt parler peuple, aujourdhui que parler dirigeant, dautant que nous avons eu à lesprit ces questions, même pendant la Conférence de Rambouillet. La souveraineté de la Yougoslavie a toujours été préservée dans tous les schémas de règlement. On a pris en compte le sort des minorités serbes du Kosovo. Lensemble des puissances occidentales ont retenu la notion de lautonomie du Kosovo et pas de lindépendance. Les droits du peuple serbe ont presque été plus pris en considération par les différentes puissances alliées aujourdhui que par les dirigeants quils ont entraînés dans limpasse du nationalisme et du conflit avec lensemble du monde extérieur, qui est une impasse. Nous voudrions les aider aussi à en sortir. Même si aujourdhui cela peut paraître paradoxal, cest tout à fait sincère.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 3 mai 1999)