Texte intégral
Q - Vous avez rencontré aujourd'hui M. Messahel. Pourrait-on avoir une idée sur les sujets que vous avez abordés avec lui ?
R - Je l'ai déjà rencontré hier. Je crois que j'en suis à la quatrième rencontre avec lui. On s'est vu à Accra, à Addis-Abeba. Nous avons eu une longue discussion sur la situation au Mali et au Sahel. J'ai le sentiment qu'hier en fin de journée, nous étions d'accord pour dire - comme l'avait dit déjà Laurent Fabius - qu'il n'y a pas de solution politique pure ni de solution militaire pure et qu'il n'y a pas de modèle. On est obligé d'être à l'écoute de différents paramètres, avoir une pleine compréhension de ce qui se passe. Il faudra une combinaison qui est à fabriquer.
Hier soir, nous avons conclu avec M. Messahel de nous mobiliser pour que la réunion de haut niveau sur le Sahel qui est prévue le 26 septembre à New York, en marge de l'Assemblée générale, soit l'occasion d'une approche commune, d'une parole commune, pour la résolution de ce problème.
M. Messahel a souhaité que le groupe des Amis du Mali, qui réunit douze pays dont la Mauritanie, le Niger, la CEDEAO, les États-Unis, la France, l'Union européenne, puisse se mettre autour de la table et commencer à pouvoir converger dans le même sens. Il faut arriver le 26 septembre avec une seule voix ; c'est très important. C'est à mon sens une proposition extrêmement intéressante qui peut aboutir à un nouveau regard et à des décisions le 26 septembre. J'en discuterai avec Laurent Fabius et avec le président François Hollande. J'aimerais vous confirmer que la France est vraiment favorable à cette concertation.
Q - Étant de parents algériens, que représente pour vous le cinquantenaire de l'indépendance et est-ce que cela peut être une occasion de relancer les relations franco-algériennes ?
R - Le cinquantième anniversaire de l'indépendance est extrêmement important, et ce plus personnellement pour moi. Cette année, le président François Hollande va rendre visite à l'Algérie (...). Je le rappelle, l'Algérie est le deuxième pays francophone et cette langue française a muté, elle a laissé tomber ses habits du colonialisme - définitivement - et le dialogue doit se faire de façon égalitaire, à hauteur d'homme. Le président François Hollande est très sensible à cette question d'humanisme et surtout d'égalité. (...)
Je pense que ce n'est pas anodin que cette visite se passe l'année du cinquantième anniversaire de l'indépendance, cela peut vraiment être le point de départ d'un dialogue.
On doit parler de la mémoire : elle est importante, elle est capitale dans les ferments de l'enracinement dont je parlais, capitale aussi pour les générations à venir. Nous avons une histoire commune. Comment pouvons-nous avancer ?
Ma préparation du voyage du président François Hollande, c'est aussi pour revenir vers lui après vous avoir entendus, après avoir entendu aussi ce qui se passe dans l'édition, comment on avance dans la formation, comment on avance sur certains dossiers qui sont restés bloqués parce qu'il n'y avait pas de possibilité de dialoguer ensemble. Il est temps de se remettre plus souvent autour d'une table, d'avoir des relations plus rapprochées. Nous n'avons pas à changer de discours les uns et les autres : nous devons être nous-mêmes et avancer ensemble.
Q - Comment évaluez-vous les relations algéro-françaises, sont-elles bonnes, pas bonnes, est-ce que cela avance, est-ce que cela n'avance pas, et que va changer la visite de M. François Hollande ?
R - Je n'ai pas fini ma visite, elle va se continuer cet après-midi et demain matin. Je crois qu'on a un gros besoin, une grosse demande de dialogue dans tous les domaines.
Il y a beaucoup de dossiers qui sont restés bloqués, dont des dossiers importants : par exemple celui de la formation pour moi est capital, celui de la formation des jeunes journalistes est capital. Dans toute cette politique de coopération éducative, culturelle - je mets de côté pour le moment le côté économique - on peut débloquer beaucoup de choses.
Mais il faut savoir que les rapports entre les deux pays, on ne va pas se voiler la face sur ces questions-là : on dit chez nous on a du «nif» et le «nif», la fierté algérienne - une très grande fierté - fait que parfois on va se bloquer et les choses ne vont pas avancer. Cela est très important, nous devons aussi tenir compte de l'autre, il n'est pas question que vous changiez de «nif», on doit juste l'entendre. Donc là où je suis, au ministère de la Francophonie, vous avez vu mon équipe, on fait partie de cette génération, nous sommes nés en France mais nous avons aussi la chance d'être, dans notre identité, Algériens. Je pense que je pourrais débloquer des situations avec notre ambassadeur, avec l'équipe de l'ambassade aussi, qui connaît parfaitement bien les dossiers qui bloquent.
Il faut aussi se dire qu'il y a eu des élections - c'est toujours complexe, pendant un an tout est un peu bloqué, et c'est pendant l'année du cinquantième anniversaire de l'indépendance. Il faut être positif. Je n'y vois pas de problème nauséabond, je n'y vois pas de choses tordues, je vois simplement que c'est juste dramatique de ne pas avancer et donc cela me préoccupe beaucoup et j'ai envie, en partant d'ici, que vous me fassiez confiance et que je puisse revenir dans quelques semaines en vous disant, en vous annonçant : cela s'est débloqué. Parce que là, on est dans la chaîne humaine et que c'est cette chaîne humaine qui fonctionne mal.
Q - En termes de conception des relations algéro-françaises, est-ce que François Hollande sera un président de rupture ? Dans sa campagne électorale, il y avait des signes apaisants. Est-ce que ce sera une visite de réconciliation ?
R - Personnellement, le mot réconciliation, cela doit faire 20 ans que je l'entends. Je crois qu'aujourd'hui il faut passer à l'action. Aujourd'hui, vous avez le peuple français et le peuple algérien, je crois qu'ils ont très envie et déjà cela marche bien. C'est pour cela que je disais tout à l'heure l'importance de créer ces liens, cette chaîne humaine, ce dialogue. Et surtout le président François Hollande viendra avec un grand discours, tout comme il fera un grand discours sur l'Afrique.
Je l'ai dit : il y a eu d'énormes maladresses dans les mots, nous devons le reconnaître. J'ai été très malheureuse quand des mots très durs ont été prononcés il y a quelques années, et un mot ne remplace pas un autre mot, un mot ne peut pas guérir d'un autre mot : donc le mal a été fait dans la relation avec l'Algérie sur la colonisation. Nous avons définitivement changé de langage, et il y a une volonté des deux côtés d'aller vers un avenir commun. On parle de ce dialogue et de ce partenariat exceptionnel : je pense que c'est bien d'attendre M. François Hollande et il vous parlera avec ses mots. Je crois qu'il prépare un grand discours et je suis contente de ce moment. Il marquera l'avancée de ces deux pays.
Q - Vous faites allusion à certains discours du président Sarkozy, lesquels ? Par ailleurs, une rencontre avec le président Bouteflika était-elle prévue, et si c'était le cas pourquoi a-t-elle été annulée ?
R - Elle n'a pas été prévue donc pas annulée.
Je ne parlais pas des discours du président Sarkozy, c'est surtout la question des bienfaits de la colonisation. Quand on a essayé de faire cela, cela a été très violent. Mais je peux vous dire que cela a été très violent pour la plupart des Français. Ils ne peuvent pas accepter ce qui a été dit. Je pense que nous devons reconnaître que ce qu'il y a eu, ce n'est même pas de la maladresse, c'est très vexatoire. Et l'on n'avait pas besoin de cela. Cela a beaucoup ralenti tout ce qui était en marche dans cette coopération, aussi bien une coopération économique qu'une coopération culturelle qui pour moi est capitale.
Q - Trouvez-vous que le dialogue ne fonctionne pas entre la France et l'Algérie ?
R - Si on en est là à se poser des questions sur une nouvelle page, si nous nous demandons : «Qu'allons-nous faire ? Qu'est-ce qui se passe ?», cela ne me donne pas l'impression que tout roule. Il y a des malentendus : ce n'est pas qu'il y a eu une rupture de dialogue - je ne pense pas - mais nous devons radicalement changer de posture. C'est l'occasion, cet anniversaire, d'amorcer quelque chose ensemble, au-delà de l'histoire - puisque le président Bouteflika l'a rappelé.
Comment pouvons-nous avancer ensemble dans la coopération ? Quand je n'ouvre pas un dialogue, comment puis-je savoir qu'un dossier est bloqué ? On doit d'abord s'écouter, on doit peut-être se mettre en colère et ensuite, au bout, on avance. Comment on règle le dossier, comment ? Je sors de la réunion ce matin avec Mme la ministre de la Culture : il y a des listes entières de dossiers qui sont bloqués ou dans un sens ou dans un autre et ce que l'on nous demande, en tout cas ce que l'on m'a demandé, dont j'ai senti l'importance, c'est de pouvoir parler, de pouvoir se comprendre sur des dossiers économiques, sur des dossiers culturels.
Ce n'est pas un dialogue juste algérien-français, ce n'est pas cela. Je parle d'une autre étape. Il n'y en a jamais eu de rupture de dialogue, à ce que je sache. Là, c'est une nouvelle façon d'amorcer le dialogue. Il y a par exemple Marseille 2013 : il y a des problèmes mais on n'en a pas parlé, sur les artistes, sur la visibilité de l'Algérie. À partir du moment où nous avons entendu, nous pouvons agir, mais nous avons aussi d'autres problèmes. Idem pour le Sahel : M. Messahel propose de pouvoir dialoguer ensemble pour pouvoir chercher des solutions et pour converger ensemble, pour qu'il n'y ait qu'une seule voix à un moment donné.
Q - Quels progrès doivent être faits dans la coopération culturelle et éducative ?
R - Dans le gouvernement précédent, il n'y avait pas de ministère de la Francophonie : ce n'est pas lié à Nicolas Sarkozy, c'est que depuis je ne sais plus combien d'années, il n'y avait pas de ministère de la Francophonie. Qu'est-ce que la Francophonie ? C'est l'espace francophone, ce sont beaucoup de pays africains, c'est aussi le Canada, la Belgique, la Suisse, le Maghreb : nous avons une langue commune. On peut être journaliste en RDC et travailler avec cette langue.
Le président François Hollande a tenu à ce que l'on puisse avancer et évoluer dans tout ce qui est éducatif et culturel, que l'on ne soit pas bloqué. L'espace francophone doit s'entendre avec la singularité des nations, nous devons savoir ce que nous pouvons faire ensemble. La langue française est un peu notre moteur, c'est ce qui fédère, la langue française n'appartient pas à la France. Ce n'est pas cela la Francophonie. Et même quand on parle d'écrivains français, on pourrait dire que ce sont des écrivains francophones : ils ont cela en commun, cette langue.
Ce que je peux apporter via ce ministère, c'est de pouvoir avancer sur des dossiers qui bloquent, qui sont bloqués - nous parlions d'édition tout à l'heure - mais on parle aussi d'éducation, et je peux travailler en transversal avec le ministère de l'Éducation, le ministère de la Culture, et aussi le ministère des Femmes. Le ministère de la Francophonie, c'est un ministère qui travaille. Et puis, il y a aussi la francophonie en France, et là elle touche l'immigration. L'immigration s'est fossilisée dans les banlieues. (...) Je crois qu'il y a un gros travail à faire avec cette langue française pour que cela redonne du lien avec le pays d'origine (...). Si vous ne parlez pas une langue, vous restez immobile dans votre territoire. C'est tout cela la francophonie.
Q - La francophonie a-t-elle quelque chose à apporter sur le plan économique ?
R - Je parle souvent de la francophonie économique : l'espace francophone est immense, on a comme on le disait tout à l'heure une grande partie de l'Afrique, de très grands pays et ils ont en commun la langue française. C'est un atout majeur pour la France, comme pour les pays africains. Je crois que les étudiants ont malheureusement été malmenés, tout ce qui a été fait sur la politique des visas, on se doit de revoir tout cela. Parce que ces étudiants seront les cadres futurs du pays et ce seront les partenaires des Français. On a absolument à revisiter toute cette page. L'économie est capitale entre les deux pays, et encore une fois dans l'espace francophone.
Vous savez aussi, Monsieur, pour répondre à votre question que la mission de M. Raffarin a été renouvelée ; il y a une volonté de continuer ce qui a été fait.
Q - Est-ce qu'il faut dissocier la question de la mémoire et les relations économiques entre la France et l'Algérie ? Est-ce qu'il y a de la place pour une approche globale ? Le document-cadre de partenariat est-il appelé à devenir un traité d'amitié ? Qu'en est-il du projet de loi visant à criminaliser la colonisation ? C'est un projet que prépare le gouvernement et qui est toujours «dans l'air du temps» apparemment. Compte tenu des positions prises par Laurent Fabius sur cette question, est-ce que le gouvernement serait favorable à une loi de ce type ?
R - Sur la toute première question, - faut-il dissocier le volet économique et la question de la mémoire - je pense qu'il faut dissocier. Je ne pense pas - pour le bien des relations économiques, de la jeunesse, du travail, de cette «noria» - que les histoires de mémoire, qui sont capitales - c'est quelque chose qui me touche énormément -, doivent interférer. Je pense que la rencontre entre le président Bouteflika et le président François Hollande sera très importante.
Sur toutes les questions concernant les lois mémorielles, nous devons mettre en avant le dialogue, plutôt qu'une loi.
Je comprends à quel point c'est complexe et ce n'est pas cela qui doit nous empêcher de travailler : il faudrait qu'on puisse aller deux fois plus vite. Mais on ne doit pas passer sur ces questions et on ne doit pas les oublier : elles sont au centre du débat et au centre de la visite, vous le savez. Laissons la primeur aux deux chefs d'États.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 20 septembre 2012
R - Je l'ai déjà rencontré hier. Je crois que j'en suis à la quatrième rencontre avec lui. On s'est vu à Accra, à Addis-Abeba. Nous avons eu une longue discussion sur la situation au Mali et au Sahel. J'ai le sentiment qu'hier en fin de journée, nous étions d'accord pour dire - comme l'avait dit déjà Laurent Fabius - qu'il n'y a pas de solution politique pure ni de solution militaire pure et qu'il n'y a pas de modèle. On est obligé d'être à l'écoute de différents paramètres, avoir une pleine compréhension de ce qui se passe. Il faudra une combinaison qui est à fabriquer.
Hier soir, nous avons conclu avec M. Messahel de nous mobiliser pour que la réunion de haut niveau sur le Sahel qui est prévue le 26 septembre à New York, en marge de l'Assemblée générale, soit l'occasion d'une approche commune, d'une parole commune, pour la résolution de ce problème.
M. Messahel a souhaité que le groupe des Amis du Mali, qui réunit douze pays dont la Mauritanie, le Niger, la CEDEAO, les États-Unis, la France, l'Union européenne, puisse se mettre autour de la table et commencer à pouvoir converger dans le même sens. Il faut arriver le 26 septembre avec une seule voix ; c'est très important. C'est à mon sens une proposition extrêmement intéressante qui peut aboutir à un nouveau regard et à des décisions le 26 septembre. J'en discuterai avec Laurent Fabius et avec le président François Hollande. J'aimerais vous confirmer que la France est vraiment favorable à cette concertation.
Q - Étant de parents algériens, que représente pour vous le cinquantenaire de l'indépendance et est-ce que cela peut être une occasion de relancer les relations franco-algériennes ?
R - Le cinquantième anniversaire de l'indépendance est extrêmement important, et ce plus personnellement pour moi. Cette année, le président François Hollande va rendre visite à l'Algérie (...). Je le rappelle, l'Algérie est le deuxième pays francophone et cette langue française a muté, elle a laissé tomber ses habits du colonialisme - définitivement - et le dialogue doit se faire de façon égalitaire, à hauteur d'homme. Le président François Hollande est très sensible à cette question d'humanisme et surtout d'égalité. (...)
Je pense que ce n'est pas anodin que cette visite se passe l'année du cinquantième anniversaire de l'indépendance, cela peut vraiment être le point de départ d'un dialogue.
On doit parler de la mémoire : elle est importante, elle est capitale dans les ferments de l'enracinement dont je parlais, capitale aussi pour les générations à venir. Nous avons une histoire commune. Comment pouvons-nous avancer ?
Ma préparation du voyage du président François Hollande, c'est aussi pour revenir vers lui après vous avoir entendus, après avoir entendu aussi ce qui se passe dans l'édition, comment on avance dans la formation, comment on avance sur certains dossiers qui sont restés bloqués parce qu'il n'y avait pas de possibilité de dialoguer ensemble. Il est temps de se remettre plus souvent autour d'une table, d'avoir des relations plus rapprochées. Nous n'avons pas à changer de discours les uns et les autres : nous devons être nous-mêmes et avancer ensemble.
Q - Comment évaluez-vous les relations algéro-françaises, sont-elles bonnes, pas bonnes, est-ce que cela avance, est-ce que cela n'avance pas, et que va changer la visite de M. François Hollande ?
R - Je n'ai pas fini ma visite, elle va se continuer cet après-midi et demain matin. Je crois qu'on a un gros besoin, une grosse demande de dialogue dans tous les domaines.
Il y a beaucoup de dossiers qui sont restés bloqués, dont des dossiers importants : par exemple celui de la formation pour moi est capital, celui de la formation des jeunes journalistes est capital. Dans toute cette politique de coopération éducative, culturelle - je mets de côté pour le moment le côté économique - on peut débloquer beaucoup de choses.
Mais il faut savoir que les rapports entre les deux pays, on ne va pas se voiler la face sur ces questions-là : on dit chez nous on a du «nif» et le «nif», la fierté algérienne - une très grande fierté - fait que parfois on va se bloquer et les choses ne vont pas avancer. Cela est très important, nous devons aussi tenir compte de l'autre, il n'est pas question que vous changiez de «nif», on doit juste l'entendre. Donc là où je suis, au ministère de la Francophonie, vous avez vu mon équipe, on fait partie de cette génération, nous sommes nés en France mais nous avons aussi la chance d'être, dans notre identité, Algériens. Je pense que je pourrais débloquer des situations avec notre ambassadeur, avec l'équipe de l'ambassade aussi, qui connaît parfaitement bien les dossiers qui bloquent.
Il faut aussi se dire qu'il y a eu des élections - c'est toujours complexe, pendant un an tout est un peu bloqué, et c'est pendant l'année du cinquantième anniversaire de l'indépendance. Il faut être positif. Je n'y vois pas de problème nauséabond, je n'y vois pas de choses tordues, je vois simplement que c'est juste dramatique de ne pas avancer et donc cela me préoccupe beaucoup et j'ai envie, en partant d'ici, que vous me fassiez confiance et que je puisse revenir dans quelques semaines en vous disant, en vous annonçant : cela s'est débloqué. Parce que là, on est dans la chaîne humaine et que c'est cette chaîne humaine qui fonctionne mal.
Q - En termes de conception des relations algéro-françaises, est-ce que François Hollande sera un président de rupture ? Dans sa campagne électorale, il y avait des signes apaisants. Est-ce que ce sera une visite de réconciliation ?
R - Personnellement, le mot réconciliation, cela doit faire 20 ans que je l'entends. Je crois qu'aujourd'hui il faut passer à l'action. Aujourd'hui, vous avez le peuple français et le peuple algérien, je crois qu'ils ont très envie et déjà cela marche bien. C'est pour cela que je disais tout à l'heure l'importance de créer ces liens, cette chaîne humaine, ce dialogue. Et surtout le président François Hollande viendra avec un grand discours, tout comme il fera un grand discours sur l'Afrique.
Je l'ai dit : il y a eu d'énormes maladresses dans les mots, nous devons le reconnaître. J'ai été très malheureuse quand des mots très durs ont été prononcés il y a quelques années, et un mot ne remplace pas un autre mot, un mot ne peut pas guérir d'un autre mot : donc le mal a été fait dans la relation avec l'Algérie sur la colonisation. Nous avons définitivement changé de langage, et il y a une volonté des deux côtés d'aller vers un avenir commun. On parle de ce dialogue et de ce partenariat exceptionnel : je pense que c'est bien d'attendre M. François Hollande et il vous parlera avec ses mots. Je crois qu'il prépare un grand discours et je suis contente de ce moment. Il marquera l'avancée de ces deux pays.
Q - Vous faites allusion à certains discours du président Sarkozy, lesquels ? Par ailleurs, une rencontre avec le président Bouteflika était-elle prévue, et si c'était le cas pourquoi a-t-elle été annulée ?
R - Elle n'a pas été prévue donc pas annulée.
Je ne parlais pas des discours du président Sarkozy, c'est surtout la question des bienfaits de la colonisation. Quand on a essayé de faire cela, cela a été très violent. Mais je peux vous dire que cela a été très violent pour la plupart des Français. Ils ne peuvent pas accepter ce qui a été dit. Je pense que nous devons reconnaître que ce qu'il y a eu, ce n'est même pas de la maladresse, c'est très vexatoire. Et l'on n'avait pas besoin de cela. Cela a beaucoup ralenti tout ce qui était en marche dans cette coopération, aussi bien une coopération économique qu'une coopération culturelle qui pour moi est capitale.
Q - Trouvez-vous que le dialogue ne fonctionne pas entre la France et l'Algérie ?
R - Si on en est là à se poser des questions sur une nouvelle page, si nous nous demandons : «Qu'allons-nous faire ? Qu'est-ce qui se passe ?», cela ne me donne pas l'impression que tout roule. Il y a des malentendus : ce n'est pas qu'il y a eu une rupture de dialogue - je ne pense pas - mais nous devons radicalement changer de posture. C'est l'occasion, cet anniversaire, d'amorcer quelque chose ensemble, au-delà de l'histoire - puisque le président Bouteflika l'a rappelé.
Comment pouvons-nous avancer ensemble dans la coopération ? Quand je n'ouvre pas un dialogue, comment puis-je savoir qu'un dossier est bloqué ? On doit d'abord s'écouter, on doit peut-être se mettre en colère et ensuite, au bout, on avance. Comment on règle le dossier, comment ? Je sors de la réunion ce matin avec Mme la ministre de la Culture : il y a des listes entières de dossiers qui sont bloqués ou dans un sens ou dans un autre et ce que l'on nous demande, en tout cas ce que l'on m'a demandé, dont j'ai senti l'importance, c'est de pouvoir parler, de pouvoir se comprendre sur des dossiers économiques, sur des dossiers culturels.
Ce n'est pas un dialogue juste algérien-français, ce n'est pas cela. Je parle d'une autre étape. Il n'y en a jamais eu de rupture de dialogue, à ce que je sache. Là, c'est une nouvelle façon d'amorcer le dialogue. Il y a par exemple Marseille 2013 : il y a des problèmes mais on n'en a pas parlé, sur les artistes, sur la visibilité de l'Algérie. À partir du moment où nous avons entendu, nous pouvons agir, mais nous avons aussi d'autres problèmes. Idem pour le Sahel : M. Messahel propose de pouvoir dialoguer ensemble pour pouvoir chercher des solutions et pour converger ensemble, pour qu'il n'y ait qu'une seule voix à un moment donné.
Q - Quels progrès doivent être faits dans la coopération culturelle et éducative ?
R - Dans le gouvernement précédent, il n'y avait pas de ministère de la Francophonie : ce n'est pas lié à Nicolas Sarkozy, c'est que depuis je ne sais plus combien d'années, il n'y avait pas de ministère de la Francophonie. Qu'est-ce que la Francophonie ? C'est l'espace francophone, ce sont beaucoup de pays africains, c'est aussi le Canada, la Belgique, la Suisse, le Maghreb : nous avons une langue commune. On peut être journaliste en RDC et travailler avec cette langue.
Le président François Hollande a tenu à ce que l'on puisse avancer et évoluer dans tout ce qui est éducatif et culturel, que l'on ne soit pas bloqué. L'espace francophone doit s'entendre avec la singularité des nations, nous devons savoir ce que nous pouvons faire ensemble. La langue française est un peu notre moteur, c'est ce qui fédère, la langue française n'appartient pas à la France. Ce n'est pas cela la Francophonie. Et même quand on parle d'écrivains français, on pourrait dire que ce sont des écrivains francophones : ils ont cela en commun, cette langue.
Ce que je peux apporter via ce ministère, c'est de pouvoir avancer sur des dossiers qui bloquent, qui sont bloqués - nous parlions d'édition tout à l'heure - mais on parle aussi d'éducation, et je peux travailler en transversal avec le ministère de l'Éducation, le ministère de la Culture, et aussi le ministère des Femmes. Le ministère de la Francophonie, c'est un ministère qui travaille. Et puis, il y a aussi la francophonie en France, et là elle touche l'immigration. L'immigration s'est fossilisée dans les banlieues. (...) Je crois qu'il y a un gros travail à faire avec cette langue française pour que cela redonne du lien avec le pays d'origine (...). Si vous ne parlez pas une langue, vous restez immobile dans votre territoire. C'est tout cela la francophonie.
Q - La francophonie a-t-elle quelque chose à apporter sur le plan économique ?
R - Je parle souvent de la francophonie économique : l'espace francophone est immense, on a comme on le disait tout à l'heure une grande partie de l'Afrique, de très grands pays et ils ont en commun la langue française. C'est un atout majeur pour la France, comme pour les pays africains. Je crois que les étudiants ont malheureusement été malmenés, tout ce qui a été fait sur la politique des visas, on se doit de revoir tout cela. Parce que ces étudiants seront les cadres futurs du pays et ce seront les partenaires des Français. On a absolument à revisiter toute cette page. L'économie est capitale entre les deux pays, et encore une fois dans l'espace francophone.
Vous savez aussi, Monsieur, pour répondre à votre question que la mission de M. Raffarin a été renouvelée ; il y a une volonté de continuer ce qui a été fait.
Q - Est-ce qu'il faut dissocier la question de la mémoire et les relations économiques entre la France et l'Algérie ? Est-ce qu'il y a de la place pour une approche globale ? Le document-cadre de partenariat est-il appelé à devenir un traité d'amitié ? Qu'en est-il du projet de loi visant à criminaliser la colonisation ? C'est un projet que prépare le gouvernement et qui est toujours «dans l'air du temps» apparemment. Compte tenu des positions prises par Laurent Fabius sur cette question, est-ce que le gouvernement serait favorable à une loi de ce type ?
R - Sur la toute première question, - faut-il dissocier le volet économique et la question de la mémoire - je pense qu'il faut dissocier. Je ne pense pas - pour le bien des relations économiques, de la jeunesse, du travail, de cette «noria» - que les histoires de mémoire, qui sont capitales - c'est quelque chose qui me touche énormément -, doivent interférer. Je pense que la rencontre entre le président Bouteflika et le président François Hollande sera très importante.
Sur toutes les questions concernant les lois mémorielles, nous devons mettre en avant le dialogue, plutôt qu'une loi.
Je comprends à quel point c'est complexe et ce n'est pas cela qui doit nous empêcher de travailler : il faudrait qu'on puisse aller deux fois plus vite. Mais on ne doit pas passer sur ces questions et on ne doit pas les oublier : elles sont au centre du débat et au centre de la visite, vous le savez. Laissons la primeur aux deux chefs d'États.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 20 septembre 2012