Entretien de M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères, dans le quotidien "Al Masry Al Youm" du 17 septembre 2012, sur les relations franco-égyptiennes.

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Circonstance : Déplacement en Egypte, les 17 et 18 septembre 2012

Média : Al Masry Al Youm

Texte intégral

Q - Quels sont les objectifs de votre visite et les questions qui seront discutées à l'occasion de votre présence en Égypte ?
R - Je suis venu écouter les dirigeants égyptiens et leur dire, à la demande du président de la République, la volonté de la France d'apporter son concours à la réussite de la transition politique en Égypte. Nous voulons travailler avec les autorités et le peuple égyptiens pour rapprocher encore nos deux pays au service du développement, du progrès, de la démocratie et de la paix. Je vais donc évoquer avec mes interlocuteurs leur vision de la suite de la transition institutionnelle. Nous parlerons également de la contribution que la France peut apporter à la relance de l'économie égyptienne, pour accompagner cette transition. Nous évoquerons les nombreux domaines dans lesquels nos deux pays travaillent ensemble autour de projets aussi variés que l'Université française d'Égypte, la coopération judiciaire, la recherche agronomique. Et nous aborderons, parce que l'Égypte est de retour dans le concert international, les efforts que nous pouvons mener conjointement au service de la résolution des crises régionales, au premier rang la crise syrienne.
Q - Le président François Hollande a indiqué que le développement économique et social en Égypte et dans les pays du Printemps arabe étaient une priorité pour son pays. Comment la France compte-t-elle mettre en oeuvre ses intentions ?
R - La réussite de la transition démocratique implique, en Égypte comme ailleurs, de traiter avec détermination les difficultés économiques et sociales. Sinon, celles-ci créent des tensions qui mettent en danger l'issue du processus. La relance de l'activité et de la croissance en Égypte est non seulement une priorité économique mais aussi une nécessité politique. La France entend y prendre toute sa part, avec ses partenaires notamment européens.
Dans cet esprit, nous allons tenir les engagements pris lors du G8 de Deauville. La France avait promis des financements concessionnels aux autorités égyptiennes à hauteur de 650 millions d'euros. Une large partie de ce montant sera mis à disposition des autorités égyptiennes d'ici la fin 2012. Cet effort exceptionnel, malgré nos propres contraintes en France et dans la zone euro, doit permettre le développement de projets d'infrastructures pour améliorer les conditions de vie des Égyptiens, en ville comme dans les campagnes. Nous allons également mobiliser les entreprises françaises, afin qu'elles renforcent leur présence en Égypte. Une délégation de chefs d'entreprises sera au Caire à la fin d'octobre pour explorer les opportunités qu'offre la nouvelle Égypte.
Q - Puisque la France prévoit de soutenir l'Égypte avec des investissements financiers et des programmes économiques, pourquoi les grandes banques françaises en Égypte, telles que la Société Générale ou BNP-Paribas ont annoncé la mise sur le marché de leurs actions ?
R - La volonté des autorités françaises en matière de coopération économique avec l'Égypte est totale, je l'ai rappelé à l'instant. Les situations que vous évoquez relèvent de décisions de sociétés privées : leur stratégie de développement international relève de leur seule responsabilité. Les situations sont très différentes en fonction des établissements. Mon souhait est que l'implantation des banques françaises en Égypte reste solide.
Q - Quel est l'avenir des relations entre Le Caire et Paris ?
R - La France et l'Égypte, les peuples français et égyptien, sont unis par des relations d'amitié anciennes et profondes. Cette amitié a toujours été le socle d'un dialogue étroit et confiant entre nous. L'avenir des relations entre Le Caire et Paris, c'est de prolonger cette amitié entre les peuples, ce dialogue entre les gouvernements, au service de valeurs : la prospérité, la paix, et la démocratie. C'est dans cet esprit que nous nous tenons aux côtés de l'Égypte.
Q - Avec l'essor de la popularité de l'extrême droite aux dernières élections françaises, comment François Hollande envisage-t-il de travailler avec la Confrérie des Frères musulmans sans déclencher la colère de ses opposants de la droite ou de ses partisans socialistes ?
R - Nous souhaitons travailler avec tous les mouvements qui respectent les grands principes suivants : renonciation à la violence et respect des droits de l'Homme et des principes démocratiques. Le mouvement des Frères musulmans en Égypte a marqué son adhésion à ses principes. Cela n'est bien entendu pas exclusif de notre volonté d'échanger avec tous les acteurs de la scène politique ou de la société civile qui respectent ces principes.
Par ailleurs, dans ses contacts internationaux, la France, son gouvernement, et son président, ont des relations officielles avec la République arabe d'Égypte, son président élu, M. Morsi, et son gouvernement.
Q - Le communiqué de félicitations de l'Élysée à M. Morsi pour son accession à la présidence insiste sur la garantie du droit des minorités. François Hollande l'a rappelé lors de son entretien téléphonique avec M. Morsi, en l'invitant à être le président de tous les Égyptiens. La France a-t-elle peur d'une discrimination en Égypte et particulièrement à l'encontre des coptes ?
R - Les chrétiens d'Égypte font partie de la nation égyptienne, comme tous les Égyptiens. Cela a été justement rappelé par les plus hautes autorités de ce pays. Je sais que des inquiétudes se sont fait jour au sein de la communauté copte, dans une période de mutation aussi profonde que celle des derniers mois.
Je constate que le président Morsi a toujours souligné qu'il n'accepterait pas de discrimination entre citoyens égyptiens. Il peut malheureusement y avoir des dérapages individuels. Il est alors important que la justice puisse agir et que la sécurité de tous soit assurée.
Dans ce contexte, nous faisons confiance au président égyptien pour garantir les droits et les libertés de tous les citoyens. La diversité est l'une des richesses de l'Égypte : il est important que cette diversité demeure.
Q - Lors de cet entretien téléphonique, les deux présidents sont convenus d'une rencontre rapide selon le communiqué de l'Élysée. Pourquoi elle n'a pas eu lieu jusqu'à maintenant malgré la visite du président Morsi en Europe ce mois-ci. Y a-t-il actuellement un plan pour une rencontre prochaine ?
R - Comme vous le rappelez, les deux chefs d'État ont souhaité avoir des contacts directs sans tarder et c'est pourquoi ils se sont téléphoné à deux reprises. Cette rencontre aura certainement lieu bientôt.
Q - La relation chaleureuse entre Hosni Moubarak et Nicolas Sarkozy ayant désormais disparu, quelles sont les étapes prévues par la France pour renforcer la relation entre les présidents français et égyptien ?
R - Les autorités françaises sont animées par la volonté de renouveler, de renforcer le dialogue entre nos deux pays après les changements profonds intervenus en Égypte depuis le début 2011. Maintenant que l'Égypte a un président élu, les deux chefs d'État vont pouvoir, dans ce contexte, bâtir leur relation personnelle. Avec l'achèvement de la transition institutionnelle en Égypte, des rencontres auront lieu à tous les niveaux. Les ministres de nos deux pays se rencontreront, les parlementaires, les chefs d'entreprise, les étudiants...
Q - Le ministre de la Justice français M. Mercier a assuré, lors de sa visite au Caire en mars dernier, qu'il y avait une coopération judiciaire et juridique entre les deux pays. Qu'en est-il des avoirs gelés en France et qui appartenaient à des figures de l'ancien régime ? Quel est leur montant ? Qui les détenait ?
R - Depuis plusieurs mois, la France agit avec les autorités égyptiennes afin de faciliter la restitution des avoirs dont le peuple égyptien a été spolié. Nous avons immédiatement soutenu le principe du gel des avoirs lorsque que la demande en a été exprimée, en février 2011. La France a plaidé fortement en faveur de l'adoption du règlement européen du 21 mars 2011, qui permet de procéder à ce gel dans des conditions juridiques solides. Depuis, la France agit pour sa mise en oeuvre. Nous avons, en novembre 2011, contribué à l'organisation au Caire d'un atelier sur le gel et le recouvrement des avoirs, afin de présenter aux magistrats égyptiens les modalités de mise en oeuvre de ce règlement. Les services judiciaires français et égyptien sont régulièrement en contact, pour échanger les informations indispensables au bon déroulement des différentes étapes d'une procédure juridiquement très encadrée, dont le point de départ est, naturellement, une demande de la partie égyptienne comportant autant d'éléments techniques que possible pour retrouver et «tracer», comme on dit, les fonds recherchés. Bref, nous sommes totalement coopératifs.
Q - Quelle est la nature de la coopération franco-égyptienne dans le dossier de la crise syrienne ?
R - L'Égypte est en train de retrouver sa place naturelle : celle d'un pays d'une importance majeure sur la scène régionale et internationale. Ce retour est dû notamment à la capacité d'initiative du président Morsi et à sa position claire sur le dossier syrien. Les positions de la France et de l'Égypte sur ce conflit sanglant sont très proches. Il est donc naturel que nos deux pays, qui souhaitent jouer un rôle actif, se coordonnent. Le président Hollande et le président Morsi ont déjà partagé ce souhait lorsqu'ils se sont parlé. Le renforcement de notre coopération sur la question syrienne sera au coeur des entretiens que j'aurai au Caire avec les responsables égyptiens et avec le Secrétaire général de la Ligue arabe.
Q - Est-il possible que la France agisse militairement contre le régime syrien si une menace pèse contre ses alliés au Liban ?
R - La France est un membre fondateur de l'ONU et membre permanent du Conseil de sécurité ; elle ne peut envisager le recours à la force que dans le cadre de la Charte de l'ONU, c'est-à-dire d'une résolution du Conseil de sécurité. Comme vous le savez, certains États bloquent, pour le moment, tout projet de résolution sur la Syrie - bien que ces textes n'évoquent à aucun moment une intervention. L'autre cas prévu par la Charte est celui de la légitime défense. Je vous rappelle les propos du président Hollande fin août, lorsqu'il rappelait que «nous restions très vigilants avec nos alliés pour prévenir l'emploi d'armes chimiques par le régime, qui serait pour la communauté internationale une cause légitime d'intervention directe».
Dans l'immédiat, concentrons-nous sur les efforts pour mettre fin à cette tragédie par une solution politique ; la France et l'Égypte sont parfaitement en phase sur ce point. Nous allons y travailler lors de ma visite en Égypte.
Q - Comment réagissez-vous aux violences qui ont suivi la diffusion d'un film jugé blasphématoire sur internet ?
R - C'est un film dont je dis très clairement qu'il est abominable et méprisable. Parmi les valeurs auxquelles nos démocraties sont attachées figure la liberté d'expression. Nous devons condamner tout ce qui peut porter atteinte à la dignité, mais rien, absolument rien, ne peut justifier que l'on attaque ou que l'on tue.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 20 septembre 2012