Extraits d'un entretien de M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères, avec BFM TV le 27 septembre 2012, notamment sur la situation au Mali.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Déplacement à New York (Etats-Unis) à l’occasion de la 67e Assemblée générale des Nations unies, du 24 au 28 septembre 2012

Média : BFM TV

Texte intégral


Q - Bonjour Laurent Fabius, merci beaucoup d'être en direct avec nous depuis New York où vous avez participé à l'Assemblée générale de l'ONU, bien sûr aux côtés du président François Hollande.
(...)
R - Dans son allocution, François Hollande a rappelé ou annoncé quelques points : notre position sur la Syrie, qui est une position extrêmement ferme ; notre position sur le Mali et le Sahel, c'est probablement là où les choses vont avancer, on l'espère, de la manière la plus positive ; notre position sur l'Iran ; et puis, un certain nombre de propositions innovantes sur les financements du développement, sur la Francophonie et de manière générale sur l'approche de la France sur les grandes questions du monde.
J'ai observé que l'allocution de François Hollande était très bien accueillie et applaudie à plusieurs reprises. (...)
Q - Avez-vous le sentiment qu'à l'ONU cette semaine la France tenait son rôle ?
R - Il faut juger sur pièce. Sur le plan européen, je pense que personne ne conteste que l'action menée par la France a permis de refaire émerger le thème de la croissance qui avait disparu. Je crois que c'est incontestable.
Sur la question du Sahel et du Mali, la France - sur cette question très difficile - est en pointe dans la lutte contre le terrorisme.
Sur la question syrienne, tout le monde constate que nous sommes aux avant-postes. C'est quand même la France qui a tenu une réunion spéciale au Conseil de sécurité - je le sais puisque je l'ai présidé - sur ce sujet.
Sur les grandes questions du développement, nous sommes également totalement présents.
Je pense donc que la France tient parfaitement son rang. Le président de la République exerce ses responsabilités sans à-coups et sans foucade, mais je ne pense pas que ce soit perçu négativement par nos partenaires.
Q - On va parler du Mali puisque le président malien a demandé le feu vert de l'ONU pour le déploiement de troupes pour reconquérir le nord de son pays occupé par des extrémistes armés. Est-ce que vous nous confirmez qu'il y aura une réunion sur cette question dans une semaine et qui pourrait décider d'une intervention ?
R - Oui. Je vous le confirme. Vous connaissez la situation au Mali, qui est gravissime, que nous avons trouvée d'ailleurs en arrivant aux responsabilités. Vous avez toute la partie nord du Mali qui est occupée par des terroristes, AQMI et d'autres organisations qui sont affiliées à AQMI. Ils contrôlent tout le nord du Mali. Ce sont des gens lourdement armés, qui ont beaucoup d'argent, lié à la fois aux prises d'otages, aux trafics de drogue etc., et ce sont des gens qui ne font aucun quartier.
Qui est menacé ? Le Mali d'abord qui a perdu son intégrité territoriale, l'ensemble des pays voisins qui demandent bien sûr que l'on réagisse : le Niger, le Burkina Faso, la Mauritanie, le Sénégal, la Côte d'Ivoire et d'autres encore. C'est finalement l'ensemble de l'Afrique et nous-mêmes, Européens et Français, puisque ces terroristes disent qu'ils veulent, le moment venu, s'en prendre à nos États. Il y a donc une demande du président malien, que nous avons soutenue, et elle a été bien accueillie.
Le discours de François Hollande a été très ferme et apprécié. D'autres chefs d'État et de gouvernement sont allés dans le même sens et, effectivement, la semaine prochaine, nous l'espérons, je confirme ce que vous avez dit, il devrait y avoir une réunion au Conseil de sécurité pour permettre d'aller de l'avant.
Q - Cette intervention armée serait menée par des troupes de pays de l'ouest africain ? Elle pourrait avoir lieu dans trois à six mois, est-ce que cela ne va pas être trop long ?
R - Nous avons plaidé, depuis déjà plusieurs semaines pour que l'on aille vite, parce que ces terroristes se renforcent pendant tout le temps où la communauté internationale n'agit pas. Ils peuvent à chaque instant multiplier leurs exactions.
Cependant, il est vrai que le processus est assez lourd. Il y avait des désaccords entre certains pays africains. À l'intérieur même du Mali, il faut que les autorités maliennes se mettent d'accord entre elles. En tout cas, notre attitude, c'est de dire que le plus tôt sera le mieux. Nous voulons agir sur la base d'une autorisation internationale, en l'occurrence des Nations unies et cela, malheureusement, prend toujours du temps.
Q - Il n'est pas question d'outrepasser ou de décider une telle intervention sans l'accord de l'ONU, même s'il y avait urgence ?
R - Non. Il faut l'accord des Nations unies ; c'est en bonne voie. Maintenant, il faut persuader un certain nombre de pays et, nous, nous jouons ce rôle bien sûr aux côtés des Maliens. Il faut convaincre les Russes, les Chinois, les Américains, d'autres encore. La CEDEAO, l'organisation intergouvernementale des pays de l'Afrique de l'Ouest, y contribue. L'Union africaine, qui est une organisation plus large, présidée par le président du Bénin, y contribue également. Nous Français, compte tenu de notre connaissance de la région, de la confiance dont nous jouissons, nous allons dans le même sens. Nous espérons - je reste prudent - obtenir un résultat dans les jours qui viennent, ce qui permettra d'enclencher toute une série d'actions pour faire en sorte que les terroristes n'aient pas gain de cause.
Nous devons évidemment être très attentifs parce que nous avons des otages là-bas. Nous avons reçu leurs familles, il y a quelques jours, avec François Hollande. Elles sont extrêmement courageuses. Il s'agit à la fois, bien évidemment, de lutter contre le terrorisme et de faire le maximum pour récupérer nos otages.
Q - N'y a-t-il n'y a pas contradiction ? N'y a-t-il pas un gros risque pour les otages ? Est-ce que les Français comprendront une telle intervention ou en tout cas le soutien logistique promis par les Français ?
R - Je pense que chacun comprend que la France - qui n'a qu'un rôle de facilitateur - doit être aux côtés de la lutte contre le terrorisme. Mais, d'un autre côté, il faut multiplier les canaux, et c'est ce que nous faisons en ce moment, pour essayer de récupérer nos otages.
Q - AQMI dit que «la France néglige les négociations».
R - Nous n'allons pas entrer dans le jeu d'AQMI. Ce sont des terroristes qui tuent, qui violent, qui pillent, qui coupent les mains, les pieds, les têtes.
Q - On entend que les forces spéciales françaises entraineraient déjà des soldats africains pour mener cette offensive ?
R - Non, c'est inexact.
Q - On dit aussi qu'un pays bloquerait, l'Algérie ?
R - Nous avons des discussions avec les uns et les autres. L'Algérie a souffert pendant des années et des années, vous le savez, du terrorisme, et même gravement. D'autre part, il y a quelques jours, un diplomate algérien aurait été tué par une organisation, le Mujao, qui dépend d'AQMI. Donc, les Algériens sont bien conscients du problème du terrorisme.
D'un autre côté, il y a une position traditionnelle des Algériens consistant à dire : «nous ne voulons pas envoyer de forces armées au-delà de nos frontières». Mais ça ils ne l'auraient pas proposé. Nous discutons bien sûr avec eux.
Le terrorisme ne connait pas de frontière. Quand vous regardez sur une carte, vous voyez que le nord du Mali n'est pas très loin de l'Algérie, ni même de l'Europe ou de la France. Par ailleurs, le Mali se situe en Afrique de l'Ouest mais la menace atteint aussi les pays d'Afrique de l'Est. Cela m'a frappé en discutant avec mes homologues des différents pays, notamment ceux d'Afrique de l'Est, qui nous disent que des terroristes de chez eux sont entraînés, formés au nord du Mali. Il y a donc une sorte de centrale du terrorisme qui est en train de se développer dans cette région. Aucun pays ne peut s'accommoder de cela, dès lors que c'est un pays démocratique.
Q - Vous avez annoncé sur Twitter aujourd'hui la tenue d'une réunion sur l'abolition universelle de la peine de mort, vous allez y participer dans quelques instants. On n'en parle pas assez, la France peut jouer un rôle dans ce domaine ?
R - Bien sûr, c'est notre décision. Je vais présider avec mon collègue du Bénin une réunion sur ce sujet pour lancer une campagne d'abolition universelle de la peine de mort. En France, nous avons aboli la peine de mort et le Bénin vient de le faire, mais il y a encore plusieurs dizaines de pays qui pratiquent la peine de mort, ce qui constitue une atteinte aux droits humains. La France va donc être au premier rang pour lancer cette campagne partout dans le monde. Nos ambassadeurs, je le leur ai demandé, vont activement contribuer à cette campagne.
Quel est l'objectif ? Vous avez en ce moment 19.000 personnes en attente d'être exécutées ; vous voyez ce que cela représente. Or, la peine de mort, pour nous, c'est l'échec de la justice, c'est un traitement inhumain et inefficace. Jamais l'efficacité de la peine de mort n'a pu être démontrée. C'est par définition quelque chose d'irréversible alors que, souvent, il y a des erreurs judiciaires. Cet après-midi, je vais rencontrer un Américain qui avait été condamné à mort, qui pendant huit ans a été menacé tous les jours d'être exécuté et qui, finalement, a été innocenté parce qu'on a retrouvé des preuves de son innocence.
Je pense que c'est le rôle de la France, qui est un grand pays des droits de la personne humaine, que de faire partout campagne pour l'abrogation universelle de la peine de mort.
(...).
source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 1er octobre 2012