Entretien de Mme Hélène Conway, ministre des Français de l’étranger, dans le quotidien marocain "L'Economiste" du 28 septembre 2012, sur les relations franco-marocaines, les Français au Maroc et sur les demandes de visas.

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Circonstance : Visite officielle au Maroc, du 27 au 30 septembre 2012

Média : L'Economiste

Texte intégral

- L’Economiste : L'expatriation n'est pas toujours bien perçue en France. On la présente au mieux comme une fuite des cerveaux, au pire comme une fuite de capitaux. Comment soigner ce déficit de perception ?
- Hélène Conway : Il s’agit de clichés réducteurs, et heureusement les mentalités évoluent. L’expatriation est une chance : les professionnels français sont recherchés, et les étudiants y gagnent une pratique des langues étrangères sans laquelle ils ne peuvent être compétitifs sur le marché de l’emploi. Le Maroc en est d’ailleurs un des meilleurs exemples. Quelle chance pour nos deux pays d’accueillir sur nos territoires respectifs une communauté des Français du Maroc et une communauté des Marocains de France. Elles constituent un gage unique de rapprochement et de coopération entre nos deux pays. Ce sont avant tout ces expatriés qui font vivre la relation franco-marocaine; ils en sont les dépositaires et les garants !
- L’Economiste : L'augmentation exponentielle des frais de scolarité est au cœur des préoccupations des expatriés du Maroc. Les parents d’élèves trouvent qu'ils n'ont pas été écoutés par le gouvernement sortant. Comptez-vous y remédier ?
- L’augmentation des frais de scolarité du réseau d’enseignement français à l’étranger est une réalité qui dépasse le seul cas du Maroc. Les contraintes budgétaires de l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger ainsi que l’augmentation constante de la demande de scolarisation dans nos établissements ont rendu inéluctables l’augmentation de la participation des familles.
Pour autant, cette hausse ne saurait être qualifiée d’« exponentielle » ni assimilée à un désengagement progressif de la France du financement de ces établissements. Le Maroc reste le premier réseau d’enseignement français dans le monde, dans lequel l’Etat français met le plus de moyens, avec notamment le plus fort taux d’enseignants titulaires de l’Education nationale française en détachement. Au total, l’aide annuelle moyenne de l’Etat français est de 2 235€ par élève, hors bourses et toutes nationalités confondues. Je m’engage d’ailleurs à ce que ce niveau de contribution perdure dans les prochaines années.
- L’Economiste : En matière de protection des intérêts français au Maroc, les efforts de sécurité semblent surtout se concentrer sur les services consulaires, les chambres de commerces. En revanche, aucun dispositif n'est prévu devant les portes des écoles et lycées français. Ce n'est pas très rassurant pour les parents d'élèves, en particulier lorsque la situation politique internationale est tendue comme pour l'affaire des caricatures.
- L’Economiste : Sur ce sujet, je tiens en premier lieu à saluer l’exemplarité des autorités, de la presse et du peuple marocains, qui ont refusé tout amalgame et fait la part des choses. Le gouvernement français a appelé à la responsabilité de chacun. Comme l’a rappelé le Premier ministre, Jean-Marc Ayrault, la liberté d’expression est un principe fondamental de notre République. Cependant, il faut faire attention : dans un monde où l’information circule partout de façon instantanée, les réactions sont différentes d’une culture à l’autre, et je comprends parfaitement que certains aient pu se sentir offensés.
S’agissant de la protection des intérêts français, nous faisons toute confiance aux autorités marocaines pour assurer en toutes circonstances la sécurité de l’ensemble de nos emprises, qu’elles soient éducatives, culturelles, économiques, consulaires ou encore diplomatiques. Je tiens à remercier les autorités marocaines pour leur grande réactivité dans les jours qui ont suivi la publication des caricatures.
Enfin, s’agissant des conseils de prudence à l’égard de nos ressortissants, ils n’ont pas changé pour ce qui concerne le Maroc. Comme dans le reste du monde, nous conseillons aux Français d’y faire preuve de vigilance.
- L’Economiste : La demande de visas est semée d''embûches tant pour les touristes que les étudiants et les hommes d'affaires. Allez-vous engager une réflexion pour faciliter les procédures ?
- Le gouvernement a fait le choix d’une nouvelle orientation pour la politique française d’immigration. Ainsi, conformément aux engagements du Président François Hollande, les circulaires du précédent gouvernement relatives à la maitrise de l’immigration professionnelle et à l’accès au marché du travail des diplômés étrangers ont été abrogées. Le ministre de l’Intérieur, Manuel Valls, s’est rendu au Maroc en juillet afin de présenter aux autorités marocaines notre nouvelle politique d’immigration.
En matière de délivrance des visas, je souhaiterais rétablir la réalité de la situation : les services consulaires français au Maroc délivrent près de 160 000 visas par an. Le taux de refus y est parmi les plus bas au monde dans notre réseau consulaire (7 % en moyenne). Le nombre de refus ne cesse d’ailleurs de baisser. Nous délivrons dès que cela est possible (dans plus de 40 % des cas), des visas dits « de circulation», permettant de se rendre en France plusieurs fois. Je m’inscris donc en faux contre l’image parfois véhiculée d’une France fermée aux Marocains.
Par ailleurs, je tiens à souligner l’effort continu mené par nos services consulaires pour améliorer la qualité du service rendu aux Marocains. Outre des rénovations qui ont permis d’améliorer les conditions d’accueil, l’externalisation du système de prise de rendez-vous a permis de réduire fortement les délais d’attente pour les usagers.
- L’Economiste : La circulaire Guéant a été retirée. Est-il pour autant facile pour un étudiant étranger d’effectuer les démarches nécessaires pour venir étudier en France ?
- Le gouvernement français considère que l’accueil des étudiants étrangers participe au rayonnement de la France ainsi qu’à l’attractivité nationale et internationale de notre enseignement supérieur. A cet effet, la nouvelle circulaire du 31 mai 2012 donne une nouvelle orientation relative aux modalités d’accès au marché du travail en France des diplômés étrangers. Près de 5.000 à 6.000 étudiants marocains sur un total de 60.000 étudiants arrivent chaque année en France. Un étudiant étranger sur 10 est donc marocain et je m’en félicite. Les étudiants marocains en France, plus de 30.000, forment la plus grande communauté d’étudiants étrangers en France. Certains sont inscrits dans les meilleures écoles françaises. La France leur est donc largement ouverte.
- L’Economiste : Quelle est votre réaction suite aux récents actes de vandalisme dans le cimetière européen de Rabat ?
- Je ne peux évidemment que condamner de tels agissements, qui sont inacceptables ici comme ailleurs. Pour autant, nous avons toute confiance dans la mobilisation des autorités marocaines pour empêcher que de tels actes ne se reproduisent à l’avenir. Notre consul général à Rabat est en contact étroit avec les autorités administratives et de police marocaines sur cette question. Celles-ci se sont engagées à prendre toutes les mesures pour assurer une surveillance continue et renforcée du cimetière, qui est effective à ce jour. Le mobile des détériorations ne semble être ni religieux ni idéologique, mais plutôt financier. Des dispositions ont été prises pour informer en France les familles dont les proches ont été enterrés dans ce cimetière et assurer les réparations des sépultures endommagées.
- L’Economiste : A l’issue de votre visite, quel message allez-vous faire passer auprès des autorités marocaines ?
- Comme mes collègues ministres Nicole Bricq, Pascal Canfin et Manuel Valls, ma venue au Maroc est le témoignage du caractère exceptionnel de notre relation bilatérale.
En tant que ministre chargée des Français de l’étranger, j’ai dit aux autorités marocaines notre volonté de préserver la qualité et le dynamisme des principaux piliers de la présence française dans votre pays, à savoir : un réseau consulaire parmi les plus denses de notre diplomatie, au service des Français comme des Marocains ; le plus important réseau d’établissements scolaires français à l’étranger, qui contribue à faire vivre la francophonie dans ce pays ; un réseau culturel très dense, composé de 11 instituts français et de deux alliances franco-marocaines ; une présence économique importante, avec plus de 750 filiales d’entreprises françaises installées qui créent des emplois au Maroc tout en générant des bénéfices indirects pour la France. C’est en substance le message que j’ai adressé à Abdelilah Benkirane jeudi, lors de notre entretien.
source http://www.ambafrance-ma.org, le 1er octobre 2012