Déclaration de M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense, sur le prochain Livre blanc de la Défense, les activités liées à la mer et sur les industries d'armement, à Brest le 10 septembre 2012.

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Circonstance : Université d'été de la Défense, à Brest (Finistère) le 10 septembre 2012

Texte intégral

Mesdames, Messieurs,
Je commencerais en vous remerciant, cher Olivier, d’organiser pour la deuxième année consécutive l’Université d’été de la Défense en Bretagne. L’année dernière nous étions à Rennes, cette année c’est à Brest que nous nous retrouvons. On l’a dit tout à l’heure, le lieu avait été décidé avant les élections, ce qui montre un sens de l’anticipation assez aigu chez Olivier DARRASON.
En tous cas, je suis ravi de vous retrouver ici, à un moment important. C’est le Président de la République qui a souhaité un nouveau Livre blanc, parce que la donne a changé. Elle a changé financièrement, chacun en est bien conscient - et pas uniquement chez nous - ; elle a changé stratégiquement, à la fois en raison de nouvelles menaces mais aussi par la réorientation géostratégique de la position américaine. La donne a donc changé et il importe de définir les outils que la France veut se donner pour assurer ses missions de défense, seule ou avec d’autres.
Le travail est engagé. Certains d’entre vous sont membres de cette commission. Je souhaite que le travail du Livre blanc soit largement partagé, que le pays y contribue parce que cela peut être aussi une forme d’appropriation des enjeux de défense et une opportunité qu’il nous faut saisir. Je suis ravi à cet égard que l’ambassadeur de la Grande-Bretagne ait accepté la proposition qui lui a été faite de siéger à cette commission. Ce n’était pas marqué dans le Traité de Lancaster House, mais vous voyez que l’esprit reste. Par ailleurs, nous avons ouvert un site intranet pour que les militaires puissent, à titre individuel, exprimer leur point de vue dans cette affaire qui les concerne.
Nous sommes donc à un moment important dans la vie du pays. Je ne vais pas vous donner avant l’heure les résultats du Livre blanc. C’est la responsabilité des acteurs de la Commission, qui y consacrent beaucoup d’énergie, et je les en remercie. Mais certains n’ont pas attendu le lancement du Livre blanc pour commencer à travailler sur ces sujets. J’observe que le Sénat, sous l’oeil vigilant du Président CARRERE, a déjà rendu sept rapports d’information remarquables, dont un rapport sur la maritimité qui fera date. Je tiens à saluer aussi la Présidente Patricia ADAM. Patricia, avec qui je suis ami depuis longtemps, a remis un rapport avec Philippe VITEL sur l’action de l’Etat en mer. Je sais que les deux Commissions de la Défense vont travailler avec beaucoup d’assiduité et d’exigence. Tout ce travail aboutira au début de l’année prochaine, avant une future loi de programmation militaire qui aura des retombées en termes de financements et de capacités. Et je remercie déjà tous ceux qui m’ont apporté leur soutien dans la période de discussions budgétaires qui s’ouvre. Il est important que le Parlement soit présent, comme il est important que dans cette période, l’Université d’été de la Défense, ce lieu que vous représentez, cette rencontre fertile, croisée entre les industriels, les académiques, les élus, puisse imprimer une direction. J’attends beaucoup de ce que vous allez dire demain.
Comme nous sommes en fin de journée, j’irai à l’essentiel sur deux sujets dont je voulais vous parler, et qui me tiennent particulièrement à coeur.
D’abord sur la maritimité, dont chacun sait que Brest est la capitale. Je me souviens d’avoir organisé, il y a une vingtaine d’années, lorsque j’étais secrétaire d’Etat à la mer, un premier colloque sur la maritimité à la Sorbonne. Le terme maritimité étonnait et même détonnait. Il est depuis entré dans les moeurs académiques. Ce qui me frappe le plus, moi qui suis un militant de la mer depuis longtemps, c’est le fait que pendant toute une époque on a considéré la mer et les activités liées à la mer comme des activités en déclin, en sauvetage. Rappelez-vous toutes les passades sur les crises portuaires, les crises des industries navales, les crises de la pêche. La mer, c’était une série d’ennuis ; ce n’était pas porteur. Mais une mutation se fait. Je pense pour ma part, cette fois en ma qualité de ministre de la Défense, que le XXIe siècle sera le siècle de la maritimité.
Aujourd’hui les activités liées à la mer prennent de l’essor. Que ce soit dans les ressources nouvelles que l’on peut tirer de la mer, les nouvelles technologies par exemple, ou d’autres richesses minières, voire du pétrole, ou bien dans le développement considérable du commerce international par la mer. La mondialisation se décline aussi sous la forme d’un renforcement du commerce maritime international. Tout cela fait qu’il y a une nouvelle donne et qu’il nous faut protéger cet espace, assurer la liberté des mers car c’est aussi de cette façon que nous serons au rendez-vous du XXIe siècle. Pierre Papon, l’ancien patron de l’IFREMER, avait anticipé ces enjeux en écrivant un livre sur ce qu’il appelait le Sixième continent. Le sixième continent se porte bien. Il se porte même de mieux en mieux.
Nous aurons des responsabilités pour faire en sorte que l’action de l’Etat en mer, à laquelle participe la Défense, puisse être au rendez-vous. Pour assurer cette liberté des mers, il faut une présence étatique forte, que ce soit pour la circulation – on le fait déjà au large de la Corne de l’Afrique –, pour empêcher les trafics illégaux ou pour profiter de ces espaces, ou bien pour protéger des ressources nouvelles, qu’elles soient énergétiques, halieutiques ou minérales. Il va y avoir compétition pour l’accès aux ressources et pour l’accès aux flux commerciaux. Il faut que nous soyons au rendez-vous de ces défis. C’est une des réflexions que devra porter le Livre blanc au cours de semaines qui viennent. La mer c’est la liberté, mais c’est aussi la discrétion. La stratégie maritime de la défense doit reposer sur ces deux concepts : la mer comme espace de manoeuvre logistique à protéger mais aussi comme espace de manoeuvre stratégique à exploiter. Il y a là des champs d’action importants. Pourquoi faut-il être au rendez-vous ? Parce qu’il importe que nous ayons un outil de Défense qui soit, en particulier dans le domaine maritime, à la fois un outil de présence, un outil de cohérence et un outil de force. Désormais, sans l’enjeu maritime, on est en dehors des grands enjeux. Pour mon premier déplacement, j’étais à Singapour aux rencontres de Shangri-La avec l’ensemble des ministres de la défense de la zone asiatique. J’ai été extrêmement frappé par l’émergence du fait maritime dans l’ensemble des débats.
Tout à l’heure, le maire de Brest parlait de Richelieu. A mon tour je voudrais citer cette figure si importante pour la ville qui nous accueille : « on ne peut sans puissance sur mer ni profiter de la paix ni gagner une guerre ». Ce qui était vrai de son temps, l’est encore plus aujourd’hui.
Je voudrais faire une deuxième remarque, et je m’en tiendrai là. J’ai souhaité, en ma qualité de ministre des industries de défense, faire en sorte que nous engagions, au-delà de la considération que nous portons pour les grands groupes que la France a la chance d’avoir – et qui sont largement représentés ici –, que nous engagions une réflexion sur l’outil industriel de Défense, notamment les PME. Aujourd’hui, je suis en mesure d’annoncer un « smart business act » pour la défense. Dans une période où le redressement économique est une nécessité, étant donné l’importance du ministère de la défense en matière d’acquisitions, les PME doivent pouvoir contribuer à cet effort de la nation tout en développant une stratégie duale et des technologies duales. Nous sommes donc au travail pour élabore, dans les semaines qui viennent, ce projet, auquel je demanderai aux uns et aux autres de s’associer. Il s’agit de faciliter l’accès des PME à la commande publique, de favoriser une meilleure relation entre les maîtres d’oeuvre et les sous-traitants, pour qu’à partir de l’existant mais aussi de toutes les perspectives qui peuvent se dégager, une filière se mette en place, en bonne intelligence avec les régions concernées.
Avec mon successeur à la Région Bretagne, j’ai signé il y a quelques jours un accord entre la DGA et la Région, précisément pour fertiliser les PME bretonnes innovantes. L’Aquitaine l’avait fait avant, mais l’Aquitaine est toujours en pointe et on donne même son nom à des bateaux construits en Bretagne. Je souhaite très sincèrement que cette détermination puisse être largement partagée par les uns et les autres pour permettre le redressement économique de notre pays, qui passe évidemment par l’affirmation des grands groupes et de leur dimension mondiale, mais aussi par l’impulsion qui peut être donnée à l’ensemble des PME de notre pays.
Voilà les deux sujets dont je voulais vous parler ce soir. Je conclus en souhaitant que la communauté de Défense que vous représentez ce soir soit présente aux grands rendez-vous qui sont devant nous et que notre détermination permette à la France d’affirmer davantage encore sa souveraineté et la place qu’elle occupe dans le monde.
Source http://www.universite-defense.org, le 3 octobre 2012