Texte intégral
Q - Quand vous rendrez vous à Goma ?
R - Le déplacement aura lieu le lundi 15.
Q - Depuis que François Hollande a pris la décision d'aller à Kinshasa, une fois que vous avez mis le pied dans l'avion, le procès Chebeya a été suspendu. Notre confrère belge Thierry Michel, qui a une carte de résidence à Kinshasa a été refoulé et aujourd'hui personne n'enquête parce qu'il voulait parler de son film sur le procès Chebeya. Tous les journalistes qui parlent de la francophonie ou ceux qui s'opposent sont arrêtés et poursuivis.
Pensez-vous vraiment que, dans ce contexte, vous qui avez défendu les droits de l'Homme, il serait nécessaire d'organiser ce Sommet à Kinshasa ? Vous disiez ce matin que cela avait été décidé avant que nous allions là-bas mais je pense que la Coupe d'Europe qui devait avoir lieu en Ukraine a aussi été décidée avant que le président Hollande ne devienne président et, pourtant, il a dit non.
Pourquoi ne diriez-vous pas «non» aujourd'hui, connaissant toutes ces personnes qui croupissent en prison ?
R - Le procès Chebeya est ajourné jusqu'au 23 octobre. Lorsque je me suis rendue à Kinshasa, c'est le premier dossier que j'ai soulevé. En parlant au nom du réalisateur Thierry Michel, j'ai officiellement demandé aux autorités congolaises et au président Kabila ainsi qu'au Premier ministre - évidemment en y mettant avec aussi toutes les formes parce qu'il n'est pas non plus question pour moi de faire de l'ingérence - à ce qu'il puisse avoir un visa pour revenir présenter son film.
Au-delà du fait que Kinshasa ait été choisi il y a deux ans, dès mon arrivée au ministère, j'ai appelé plusieurs chefs d'États. J'ai vu le président Diouf, j'ai appelé plusieurs fois le président Macky Sall ainsi qu'Alassane Ouattara. J'ai rencontré plusieurs ministres des affaires étrangères tous m'ont dit que le Sommet devait se tenir à Kinshasa. La France n'a pas la tutelle et ne décide pas d'un Sommet. La décision du lieu est prise par plusieurs chefs d'État.
Ce Sommet devait déjà avoir eu il y a 21 ans à Kinshasa. Il a été reporté en raison d'une grave crise. La RDC, c'est le plus grand pays francophone au monde et notre décision a été prise en lien avec tous ces chefs d'État. Pour eux, c'est très important, c'est aussi la voix de l'Afrique. La voix de l'Afrique n'a pas demandé à boycotter ce sommet.
Par contre, venir et dire sur place, c'est la position que je préfère. Cela ne m'a pas gêné d'interpeler les autorités locales. Sur la «Céni» par exemple, j'ai rencontré plusieurs fois le président de l'Assemblée nationale et il est évident qu'on leur a demandé des avancées. Maintenant, ce procès, nous le suivons de près, il a été ajourné jusqu'au 23.
Je pense que pour les Congolais et pour l'Afrique, il faut que ce Sommet ait lieu à Kinshasa avec nos présences : pas seulement celle de la France mais aussi celle de tous ces chefs d'État, du Canada et de la Belgique et aussi d'hommes qui nous ont démontré qu'ils ont fait un grand pas vers la démocratie ; je pense en l'occurrence à Macky Sall. C'est important de parler de la place et non pas de s'exprimer à l'extérieur. Il faut aussi pousser ces États vers plus de démocratie.
Q - Et concernant le procès Chebeya ?
R - Il n'y a pas de rapport avec le cas Chebeya. C'est aussi très grave, c'est singulier, c'est particulier et on doit y porter un autre regard. Je ne compare pas les choses.
Q - En mettant en avant les enjeux environnementaux à l'ordre du jour, la francophonie n'a-t-elle pas un peu cédé au desiderata de la RDC, quitte peut-être à reléguer un peu plus loin certaines questions inhérentes aux droits de l'Homme et à la liberté d'expression dans le pays ?
Quels étaient les arguments du cardinal de Kinshasa qui souhaitait que la France boycotte le Sommet ?
R - Concernant votre première question, tout sera débattu à Kinshasa. Je ne crois pas que nous cédions. Il faut quitter ces regards et cette façon de penser car cela veut dire, encore une fois, qu'il n'y a pas de regard égalitaire. Les enjeux de ce Sommet à Kinshasa se posent réellement sur ce qu'est l'Afrique aujourd'hui. Tout sera débattu, je le répète.
Concernant votre seconde question, le cardinal s'oppose à Kabila mais il n'est pas pour les autres partis. Il n'a pas de considération pour les autres, c'est son parti et il ne veut pas de francophonie : pour lui, c'est très clair. Il a été très ferme, c'est pour cela que je veux être d'une grande honnêteté quand je dis que j'ai rencontré les ONG et l'opposition pendant les cinq jours de mon déplacement - je crois qu'il n'y a pas de ministre qui soit resté aussi longtemps. J'ai vu 103 personnes et je le dis aussi, je reconnais sa volonté. Le cardinal a dit «non et non, pas de sommet, je ne veux pas de francophonie.» Voilà ce qu'il m'a dit lorsqu'il m'a reçu chez lui.
Q - Vous avez parlé d'une relation à hauteur d'homme avec l'Afrique. Je voulais savoir si on pouvait voir en cette expression les prémices de ce que pourrait dire François Hollande peut-être à Dakar ? À votre avis, dans quelle mesure le Sommet de Kinshasa va-t-il faire avancer la crise malienne ?
R - Concernant la crise malienne, il y aura une thématique importante avec de nombreux chefs d'État autour de la question du Sahel. L'Algérie sera représentée ainsi que différents pays, je pense que c'est important. Je reviens de New York, des Nations unies où un grand débat a eu lieu autour de cette grande question. Je pense que cette thématique au coeur de l'Afrique aura du sens.
Q - Quelle est l'importance de la présence algérienne sur cette question ?
R - On ne pourra pas faire sans la présence algérienne. Il faut regarder ce conflit d'un point de vue géopolitique et là, on le voit très bien, chacun a des propositions. Pour l'Algérie, c'est plutôt en rapport avec la négociation ; pour d'autres, cette négociation est trop lente, ils pensent que l'on doit passer à l'action.
Le problème est comment trouver, pendant ce Sommet de Kinshasa, une vision nouvelle de ce conflit au Sahel qui risque de dégénérer dans les prochains jours et dans les prochaines semaines. Il y a donc une réponse africaine à apporter par une connaissance, par un dialogue constant et, s'il le faut, par une action.
Le discours de François Hollande est nécessaire. Je pense que l'Afrique et la France ont été très humiliées lors du discours de Dakar. Il faut apaiser les choses, il faut apporter de nouveaux mots en ayant un nouveau langage. Définitivement, il faut se débarrasser des oripeaux du colonialisme, avec cette langue française qui est avant tout une langue solidaire, une langue de partage. Il nous faut maintenant être clair dans notre façon de le dire. Le président Hollande ira porter cette parole, en tout cas, cela doit passer par là.
Q - On sait que le Canada s'est opposé à ce que la déclaration finale affirme son soutien en faveur d'un siège permanent qui serait destiné à l'Afrique au Conseil de sécurité de l'ONU. Où en êtes-vous dans ces débats ? La France défend-elle toujours l'idée que la déclaration finale doit soutenir cette revendication ?
Ma seconde question est plus générale. Ce Sommet sera le premier à adopter une politique générale de défense et de promotion de la langue française dans le monde et dans les pays membres. Quelle importance accordez-vous à cet objectif au Sommet d'autant plus que, dans mon pays en particulier, l'attitude de la France est souvent critiquée dans ce domaine où on se dit qu'elle se gargarise de mots sans que les gestes suivent. On défend le Français dans le monde mais on parle anglais au ministère des finances par exemple.
R - Concernant votre première question, la France a voté pour. Maintenant, c'est un vrai sujet que vous soulevez concernant la langue française et l'attitude - qui a été souvent moquée - de la France sur la défense du français.
J'aimerais vous dire que le président François Hollande, pour avoir remis un ministère de la francophonie, a décidé de se mobiliser sur la défense de la langue française, avec plusieurs projets.
Cette langue française, comme je le disais tout à l'heure, doit d'abord faire sa mue. Quand je dis qu'elle doit se débarrasser des oripeaux du colonialisme, c'est parce que nous sommes encore perçus ainsi par certaines nations, souvent d'anciennes colonies d'ailleurs. Tout cela n'est pas très clair et il faut pouvoir travailler sur ce que nous véhiculons.
Aujourd'hui, l'espace francophone est aussi un espace économique important. Nous devons réorganiser la circulation des personnes. C'est la langue française qui est la clé. Je le dis souvent, le français n'appartient pas à la France, aujourd'hui le français appartient à l'espace francophone. C'est une langue qui s'est posée, c'est une langue vivante.
Récemment, je suis allée en Algérie où nous relançons une politique de formation de professeurs.
J'étais à Durban pour le Sommet mondial des professeurs de français, j'ai eu une réunion avec le ministre de l'éducation nationale, le français n'est pas dans les 14 langues enseignées. Nous avons commencé une conversation qui s'est terminée en discussion. Ensuite, je lui ai démontré comment il était important que l'Afrique du Sud mette, elle aussi, le français au coeur de son système éducatif. En effet, l'identité des Sud-Africains est vraiment africaine.
Pour avoir travaillé pendant de nombreuses années sur l'ANC avec Danielle Mitterrand, pour avoir reçu Nelson Mandela, je sais à quel point l'Afrique est au centre de l'identité du Sud-Africain et que demain, lorsqu'il voudra élargir son périmètre de diplomatie économique, l'Afrique qu'il regarde est une Afrique francophone. Il faut donc imaginer cette langue avec un nouveau regard qui est porté aujourd'hui. On a souvent parlé de la France-Afrique, on le sait très bien, on l'a dit mille fois. Maintenant, nous l'avons écarté, on ne parle plus de cette langue et de ce français-là.
Q - Où en est-on de l'idée du visa francophone ?
R - Le visa francophone est à l'étude que ce soit pour les étudiants ou dans le monde du travail. Il s'agit d'une nouvelle réflexion. C'est pour cela que je suis d'accord avec ce que vous dites, il faut reconnaître qu'il y a une volonté d'agir différemment aujourd'hui. Quand je dis qu'elle passe d'abord par le message et par la mutation de la langue française, je crois que c'est important.
Q - Madame la Ministre, quelles sont les mesures radicales - je dis bien radicales - que la Francophonie pourrait prendre pour contrer l'avance considérable de l'anglais dans les institutions, dans les associations, même dans les organismes francophones, comme l'UNESCO par exemple où on reçoit des documents en anglais ?
R - Nous sommes dans le plurilinguisme, nous ne sommes pas dans la radicalité. Encore une fois, nous sommes là depuis quelques mois et il y a déjà de nombreux plans d'action. J'ai rencontré le coordinateur sur le multilinguisme à l'ONU, Peter Lanski, qui est arrivé depuis un mois, - il est d'origine autrichienne - et avec lequel j'ai abordé la prédominance de l'anglais. On a décidé par exemple, que ce soit notamment à l'UNESCO aux Nations unies, que le français soit respecté dans les institutions internationales. Comment ? Premièrement, que les traductions simultanées dans les deux sens français et anglais et non plus seulement de l'anglais vers le français- soient mises en oeuvre parce que cela ne l'était pas auparavant. Et que les traductions papier n'arrivent pas avec trois semaines de retard et, vous avez raison, Monsieur, c'est ce qui se passe actuellement.
Nous avons beaucoup perdu, dans ce domaine, dans les institutions internationales ; le coordinateur sur le multilinguisme de l'ONU en est absolument conscient. C'est cette démarche qu'il faut avoir partout. Ce n'est pas très compliqué, il faut de la volonté.
On a plusieurs rendez-vous là-dessus, y compris à Kinshasa, dans toutes les instances internationales et régionales. Je reviendrai vers vous, on communiquera sur ce point dans quelques semaines.
Q - Pouvez-vous détailler un petit peu l'aide que vous avez annoncée pour les femmes du Kivu ? Je ne sais pas sous quelle forme cela se fera, s'il y a un montant, quel organisme sera chargé de le déployer.
Deuxième question : connaissez-vous l'identité du représentant du Rwanda au Sommet de la Francophonie ? M. Diouf, dont vous êtes très proche, a dit qu'il insistait beaucoup pour que ce soit le président lui-même, Paul Kagamé. La France pousse-t-elle dans ce sens ? Est-ce que vous avez une réponse ?
R - Pour l'aide, on va vous dire tout de suite. Patrick Lachaussée a les chiffres.
R - Patrick Lachaussée - Pour l'instant, c'est encore en cours de définition. Mais, en gros, c'est un peu plus de 2 millions d'euros répartis, pour un million, en direction du Programme alimentaire mondial en ce qui concerne une aide alimentaire d'urgence. Il y aura également une aide fléchée pour le HCR qui a fait un appel de fonds de l'ordre de 500 000 euros et un peu plus de 500 000 euros pour des ONG à la fois locales et également françaises ou internationales qui viennent en aide aux populations déplacées notamment dans les camps de réfugiés, que la ministre ira visiter à cette occasion.
Pour la deuxième question, je sais que, pour l'instant, des efforts se poursuivent pour permettre à M. Kagamé de venir. Aux dernières nouvelles, c'est Mme la ministre des affaires étrangères qui représenterait le président.
Q - Y aura-t-il à Kinshasa une résolution condamnant le soutien du Rwanda aux rebelles du M23, parce que différents rapports des Nations unies montrent clairement que le Rwanda soutient les rebelles du M23 ?
R - Je ne sais pas si vous avez lu le discours que j'ai fait à l'ONU. Avec le ministre Laurent Fabius, nous avons été très clairs sur le fait que la RDC a été agressée. Nous avons demandé à ce que la MONUSCO ait peut-être un mandat un peu plus large, puisque nous savons aussi les difficultés de l'armée congolaise qui n'arrive pas à protéger ses populations. La réalité que le Congo est agressé, je pense que cela a été dit. Il y a eu à l'ONU une volonté d'établir un dialogue entre le Rwanda et la RDC. Comme vous le savez, Mme Clinton a reçu les deux présidents. Nous avons condamné tous les soutiens extérieurs au M23 et nous allons être absolument mobilisés à Kinshasa. Je pense que ce Sommet de la Francophonie tournera aussi autour de cette question.
Et puis, personnellement, je veux mettre un visage sur ce qui se passe au Nord-Kivu, c'est un conflit oublié. Hélas ! Il y a un curseur dans les conflits, celui-là n'a pas de visage, il est oublié, il n'a aucune lumière. On parle de milliers de femmes, les mutilations sont horribles, les enfants-soldats. C'est un conflit qui n'a pas de visibilité. Pour ma part, j'espère et vraiment, si vous connaissez mes combats, vous pouvez me faire confiance pour cette fois-ci.
Q - Outre l'aspect financier, pourriez-vous nous donner plus de détails sur le plan d'action sur les femmes ?
R - Patrick Lachaussée - Nous sommes en train d'élaborer ce projet dans le cadre d'un plan d'action. Au-delà du plan d'action sur les femmes, c'est surtout un plan d'action beaucoup plus large qui sera communiqué à la fin du mois d'octobre - nous sommes encore en train de négocier en interministérielles un certain nombre de sujets -, ce plan d'action, intègre la création d'un forum mondial des femmes francophones.
Dans le cadre de l'Organisation internationale de la Francophonie, il y a eu une grande déclaration sur les femmes et la francophonie, sur le respect des femmes, la parité, qui a eu lieu à Luxembourg en 2000. Depuis, les travaux autour de cela sont régulièrement rappelés.
Mais la ministre a estimé qu'il fallait mettre ces sujets sur la table et organiser une rencontre à Paris, en France, ailleurs pourquoi pas ? Pour l'instant, nous n'en sommes pas encore à la localisation.
Mais, en tout cas, l'idée, c'est véritablement de faire venir en France entre 300 et 500 femmes du monde entier, qui seront des femmes engagées pour le développement, des femmes engagées pour la défense des droits de l'Homme ; ce peut être des journalistes inconnues mais qui travaillent aussi dans des conditions parfois extrêmement difficiles ; ce sont aussi les témoignages des femmes issues des conflits, de ces femmes, comme la ministre aime à le dire, butins de guerre.
Tout cela pour faire quoi ? Pour essayer de développer aussi des nouvelles solidarités entre les femmes d'Occident, les femmes du Sud, engager un dialogue pour l'amélioration des conditions de vie. Et, aujourd'hui, ce sont les femmes, que l'on entend ou que l'on n'entend pas d'ailleurs, qui sont violées en RDC ; ce sont les femmes maliennes qui appellent à une solidarité de tout l'Occident et voire même de tout l'espace francophone, on les a entendues.
Je pense donc qu'avec le ministre on a véritablement l'ambition de monter quelque chose qui sera d'importance pour permettre d'entendre la voix des femmes.
R - Mme la ministre - Je pense que l'on n'imagine pas dans l'espace francophone que des milliers de femmes sont violées, tuées, mutilées. On n'en a pas conscience et je pense qu'il est important de s'organiser. J'ai eu un rendez-vous avec Michèle Bachelet, la directrice d'ONU-Femmes. Elle est d'accord pour faire partie du forum «Francophonie-Femmes».
On va ouvrir un espace solidaire. On a besoin de toutes les expressions et d'une base de réflexion, notamment sur la santé. Ce ne sera pas du tout un forum avec des femmes chefs d'entreprise qui viennent écouter, s'échanger. C'est vraiment cette volonté de faire émerger la femme francophone avec toute sa complexité.
Q - Quel est le nombre de chefs d'État et de gouvernement qui participeront à ce Sommet ? Et êtes-vous satisfaite de la participation ?
R - À ce stade, il y aura 23 Premiers ministres et chefs d'État.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 12 octobre 2012
R - Le déplacement aura lieu le lundi 15.
Q - Depuis que François Hollande a pris la décision d'aller à Kinshasa, une fois que vous avez mis le pied dans l'avion, le procès Chebeya a été suspendu. Notre confrère belge Thierry Michel, qui a une carte de résidence à Kinshasa a été refoulé et aujourd'hui personne n'enquête parce qu'il voulait parler de son film sur le procès Chebeya. Tous les journalistes qui parlent de la francophonie ou ceux qui s'opposent sont arrêtés et poursuivis.
Pensez-vous vraiment que, dans ce contexte, vous qui avez défendu les droits de l'Homme, il serait nécessaire d'organiser ce Sommet à Kinshasa ? Vous disiez ce matin que cela avait été décidé avant que nous allions là-bas mais je pense que la Coupe d'Europe qui devait avoir lieu en Ukraine a aussi été décidée avant que le président Hollande ne devienne président et, pourtant, il a dit non.
Pourquoi ne diriez-vous pas «non» aujourd'hui, connaissant toutes ces personnes qui croupissent en prison ?
R - Le procès Chebeya est ajourné jusqu'au 23 octobre. Lorsque je me suis rendue à Kinshasa, c'est le premier dossier que j'ai soulevé. En parlant au nom du réalisateur Thierry Michel, j'ai officiellement demandé aux autorités congolaises et au président Kabila ainsi qu'au Premier ministre - évidemment en y mettant avec aussi toutes les formes parce qu'il n'est pas non plus question pour moi de faire de l'ingérence - à ce qu'il puisse avoir un visa pour revenir présenter son film.
Au-delà du fait que Kinshasa ait été choisi il y a deux ans, dès mon arrivée au ministère, j'ai appelé plusieurs chefs d'États. J'ai vu le président Diouf, j'ai appelé plusieurs fois le président Macky Sall ainsi qu'Alassane Ouattara. J'ai rencontré plusieurs ministres des affaires étrangères tous m'ont dit que le Sommet devait se tenir à Kinshasa. La France n'a pas la tutelle et ne décide pas d'un Sommet. La décision du lieu est prise par plusieurs chefs d'État.
Ce Sommet devait déjà avoir eu il y a 21 ans à Kinshasa. Il a été reporté en raison d'une grave crise. La RDC, c'est le plus grand pays francophone au monde et notre décision a été prise en lien avec tous ces chefs d'État. Pour eux, c'est très important, c'est aussi la voix de l'Afrique. La voix de l'Afrique n'a pas demandé à boycotter ce sommet.
Par contre, venir et dire sur place, c'est la position que je préfère. Cela ne m'a pas gêné d'interpeler les autorités locales. Sur la «Céni» par exemple, j'ai rencontré plusieurs fois le président de l'Assemblée nationale et il est évident qu'on leur a demandé des avancées. Maintenant, ce procès, nous le suivons de près, il a été ajourné jusqu'au 23.
Je pense que pour les Congolais et pour l'Afrique, il faut que ce Sommet ait lieu à Kinshasa avec nos présences : pas seulement celle de la France mais aussi celle de tous ces chefs d'État, du Canada et de la Belgique et aussi d'hommes qui nous ont démontré qu'ils ont fait un grand pas vers la démocratie ; je pense en l'occurrence à Macky Sall. C'est important de parler de la place et non pas de s'exprimer à l'extérieur. Il faut aussi pousser ces États vers plus de démocratie.
Q - Et concernant le procès Chebeya ?
R - Il n'y a pas de rapport avec le cas Chebeya. C'est aussi très grave, c'est singulier, c'est particulier et on doit y porter un autre regard. Je ne compare pas les choses.
Q - En mettant en avant les enjeux environnementaux à l'ordre du jour, la francophonie n'a-t-elle pas un peu cédé au desiderata de la RDC, quitte peut-être à reléguer un peu plus loin certaines questions inhérentes aux droits de l'Homme et à la liberté d'expression dans le pays ?
Quels étaient les arguments du cardinal de Kinshasa qui souhaitait que la France boycotte le Sommet ?
R - Concernant votre première question, tout sera débattu à Kinshasa. Je ne crois pas que nous cédions. Il faut quitter ces regards et cette façon de penser car cela veut dire, encore une fois, qu'il n'y a pas de regard égalitaire. Les enjeux de ce Sommet à Kinshasa se posent réellement sur ce qu'est l'Afrique aujourd'hui. Tout sera débattu, je le répète.
Concernant votre seconde question, le cardinal s'oppose à Kabila mais il n'est pas pour les autres partis. Il n'a pas de considération pour les autres, c'est son parti et il ne veut pas de francophonie : pour lui, c'est très clair. Il a été très ferme, c'est pour cela que je veux être d'une grande honnêteté quand je dis que j'ai rencontré les ONG et l'opposition pendant les cinq jours de mon déplacement - je crois qu'il n'y a pas de ministre qui soit resté aussi longtemps. J'ai vu 103 personnes et je le dis aussi, je reconnais sa volonté. Le cardinal a dit «non et non, pas de sommet, je ne veux pas de francophonie.» Voilà ce qu'il m'a dit lorsqu'il m'a reçu chez lui.
Q - Vous avez parlé d'une relation à hauteur d'homme avec l'Afrique. Je voulais savoir si on pouvait voir en cette expression les prémices de ce que pourrait dire François Hollande peut-être à Dakar ? À votre avis, dans quelle mesure le Sommet de Kinshasa va-t-il faire avancer la crise malienne ?
R - Concernant la crise malienne, il y aura une thématique importante avec de nombreux chefs d'État autour de la question du Sahel. L'Algérie sera représentée ainsi que différents pays, je pense que c'est important. Je reviens de New York, des Nations unies où un grand débat a eu lieu autour de cette grande question. Je pense que cette thématique au coeur de l'Afrique aura du sens.
Q - Quelle est l'importance de la présence algérienne sur cette question ?
R - On ne pourra pas faire sans la présence algérienne. Il faut regarder ce conflit d'un point de vue géopolitique et là, on le voit très bien, chacun a des propositions. Pour l'Algérie, c'est plutôt en rapport avec la négociation ; pour d'autres, cette négociation est trop lente, ils pensent que l'on doit passer à l'action.
Le problème est comment trouver, pendant ce Sommet de Kinshasa, une vision nouvelle de ce conflit au Sahel qui risque de dégénérer dans les prochains jours et dans les prochaines semaines. Il y a donc une réponse africaine à apporter par une connaissance, par un dialogue constant et, s'il le faut, par une action.
Le discours de François Hollande est nécessaire. Je pense que l'Afrique et la France ont été très humiliées lors du discours de Dakar. Il faut apaiser les choses, il faut apporter de nouveaux mots en ayant un nouveau langage. Définitivement, il faut se débarrasser des oripeaux du colonialisme, avec cette langue française qui est avant tout une langue solidaire, une langue de partage. Il nous faut maintenant être clair dans notre façon de le dire. Le président Hollande ira porter cette parole, en tout cas, cela doit passer par là.
Q - On sait que le Canada s'est opposé à ce que la déclaration finale affirme son soutien en faveur d'un siège permanent qui serait destiné à l'Afrique au Conseil de sécurité de l'ONU. Où en êtes-vous dans ces débats ? La France défend-elle toujours l'idée que la déclaration finale doit soutenir cette revendication ?
Ma seconde question est plus générale. Ce Sommet sera le premier à adopter une politique générale de défense et de promotion de la langue française dans le monde et dans les pays membres. Quelle importance accordez-vous à cet objectif au Sommet d'autant plus que, dans mon pays en particulier, l'attitude de la France est souvent critiquée dans ce domaine où on se dit qu'elle se gargarise de mots sans que les gestes suivent. On défend le Français dans le monde mais on parle anglais au ministère des finances par exemple.
R - Concernant votre première question, la France a voté pour. Maintenant, c'est un vrai sujet que vous soulevez concernant la langue française et l'attitude - qui a été souvent moquée - de la France sur la défense du français.
J'aimerais vous dire que le président François Hollande, pour avoir remis un ministère de la francophonie, a décidé de se mobiliser sur la défense de la langue française, avec plusieurs projets.
Cette langue française, comme je le disais tout à l'heure, doit d'abord faire sa mue. Quand je dis qu'elle doit se débarrasser des oripeaux du colonialisme, c'est parce que nous sommes encore perçus ainsi par certaines nations, souvent d'anciennes colonies d'ailleurs. Tout cela n'est pas très clair et il faut pouvoir travailler sur ce que nous véhiculons.
Aujourd'hui, l'espace francophone est aussi un espace économique important. Nous devons réorganiser la circulation des personnes. C'est la langue française qui est la clé. Je le dis souvent, le français n'appartient pas à la France, aujourd'hui le français appartient à l'espace francophone. C'est une langue qui s'est posée, c'est une langue vivante.
Récemment, je suis allée en Algérie où nous relançons une politique de formation de professeurs.
J'étais à Durban pour le Sommet mondial des professeurs de français, j'ai eu une réunion avec le ministre de l'éducation nationale, le français n'est pas dans les 14 langues enseignées. Nous avons commencé une conversation qui s'est terminée en discussion. Ensuite, je lui ai démontré comment il était important que l'Afrique du Sud mette, elle aussi, le français au coeur de son système éducatif. En effet, l'identité des Sud-Africains est vraiment africaine.
Pour avoir travaillé pendant de nombreuses années sur l'ANC avec Danielle Mitterrand, pour avoir reçu Nelson Mandela, je sais à quel point l'Afrique est au centre de l'identité du Sud-Africain et que demain, lorsqu'il voudra élargir son périmètre de diplomatie économique, l'Afrique qu'il regarde est une Afrique francophone. Il faut donc imaginer cette langue avec un nouveau regard qui est porté aujourd'hui. On a souvent parlé de la France-Afrique, on le sait très bien, on l'a dit mille fois. Maintenant, nous l'avons écarté, on ne parle plus de cette langue et de ce français-là.
Q - Où en est-on de l'idée du visa francophone ?
R - Le visa francophone est à l'étude que ce soit pour les étudiants ou dans le monde du travail. Il s'agit d'une nouvelle réflexion. C'est pour cela que je suis d'accord avec ce que vous dites, il faut reconnaître qu'il y a une volonté d'agir différemment aujourd'hui. Quand je dis qu'elle passe d'abord par le message et par la mutation de la langue française, je crois que c'est important.
Q - Madame la Ministre, quelles sont les mesures radicales - je dis bien radicales - que la Francophonie pourrait prendre pour contrer l'avance considérable de l'anglais dans les institutions, dans les associations, même dans les organismes francophones, comme l'UNESCO par exemple où on reçoit des documents en anglais ?
R - Nous sommes dans le plurilinguisme, nous ne sommes pas dans la radicalité. Encore une fois, nous sommes là depuis quelques mois et il y a déjà de nombreux plans d'action. J'ai rencontré le coordinateur sur le multilinguisme à l'ONU, Peter Lanski, qui est arrivé depuis un mois, - il est d'origine autrichienne - et avec lequel j'ai abordé la prédominance de l'anglais. On a décidé par exemple, que ce soit notamment à l'UNESCO aux Nations unies, que le français soit respecté dans les institutions internationales. Comment ? Premièrement, que les traductions simultanées dans les deux sens français et anglais et non plus seulement de l'anglais vers le français- soient mises en oeuvre parce que cela ne l'était pas auparavant. Et que les traductions papier n'arrivent pas avec trois semaines de retard et, vous avez raison, Monsieur, c'est ce qui se passe actuellement.
Nous avons beaucoup perdu, dans ce domaine, dans les institutions internationales ; le coordinateur sur le multilinguisme de l'ONU en est absolument conscient. C'est cette démarche qu'il faut avoir partout. Ce n'est pas très compliqué, il faut de la volonté.
On a plusieurs rendez-vous là-dessus, y compris à Kinshasa, dans toutes les instances internationales et régionales. Je reviendrai vers vous, on communiquera sur ce point dans quelques semaines.
Q - Pouvez-vous détailler un petit peu l'aide que vous avez annoncée pour les femmes du Kivu ? Je ne sais pas sous quelle forme cela se fera, s'il y a un montant, quel organisme sera chargé de le déployer.
Deuxième question : connaissez-vous l'identité du représentant du Rwanda au Sommet de la Francophonie ? M. Diouf, dont vous êtes très proche, a dit qu'il insistait beaucoup pour que ce soit le président lui-même, Paul Kagamé. La France pousse-t-elle dans ce sens ? Est-ce que vous avez une réponse ?
R - Pour l'aide, on va vous dire tout de suite. Patrick Lachaussée a les chiffres.
R - Patrick Lachaussée - Pour l'instant, c'est encore en cours de définition. Mais, en gros, c'est un peu plus de 2 millions d'euros répartis, pour un million, en direction du Programme alimentaire mondial en ce qui concerne une aide alimentaire d'urgence. Il y aura également une aide fléchée pour le HCR qui a fait un appel de fonds de l'ordre de 500 000 euros et un peu plus de 500 000 euros pour des ONG à la fois locales et également françaises ou internationales qui viennent en aide aux populations déplacées notamment dans les camps de réfugiés, que la ministre ira visiter à cette occasion.
Pour la deuxième question, je sais que, pour l'instant, des efforts se poursuivent pour permettre à M. Kagamé de venir. Aux dernières nouvelles, c'est Mme la ministre des affaires étrangères qui représenterait le président.
Q - Y aura-t-il à Kinshasa une résolution condamnant le soutien du Rwanda aux rebelles du M23, parce que différents rapports des Nations unies montrent clairement que le Rwanda soutient les rebelles du M23 ?
R - Je ne sais pas si vous avez lu le discours que j'ai fait à l'ONU. Avec le ministre Laurent Fabius, nous avons été très clairs sur le fait que la RDC a été agressée. Nous avons demandé à ce que la MONUSCO ait peut-être un mandat un peu plus large, puisque nous savons aussi les difficultés de l'armée congolaise qui n'arrive pas à protéger ses populations. La réalité que le Congo est agressé, je pense que cela a été dit. Il y a eu à l'ONU une volonté d'établir un dialogue entre le Rwanda et la RDC. Comme vous le savez, Mme Clinton a reçu les deux présidents. Nous avons condamné tous les soutiens extérieurs au M23 et nous allons être absolument mobilisés à Kinshasa. Je pense que ce Sommet de la Francophonie tournera aussi autour de cette question.
Et puis, personnellement, je veux mettre un visage sur ce qui se passe au Nord-Kivu, c'est un conflit oublié. Hélas ! Il y a un curseur dans les conflits, celui-là n'a pas de visage, il est oublié, il n'a aucune lumière. On parle de milliers de femmes, les mutilations sont horribles, les enfants-soldats. C'est un conflit qui n'a pas de visibilité. Pour ma part, j'espère et vraiment, si vous connaissez mes combats, vous pouvez me faire confiance pour cette fois-ci.
Q - Outre l'aspect financier, pourriez-vous nous donner plus de détails sur le plan d'action sur les femmes ?
R - Patrick Lachaussée - Nous sommes en train d'élaborer ce projet dans le cadre d'un plan d'action. Au-delà du plan d'action sur les femmes, c'est surtout un plan d'action beaucoup plus large qui sera communiqué à la fin du mois d'octobre - nous sommes encore en train de négocier en interministérielles un certain nombre de sujets -, ce plan d'action, intègre la création d'un forum mondial des femmes francophones.
Dans le cadre de l'Organisation internationale de la Francophonie, il y a eu une grande déclaration sur les femmes et la francophonie, sur le respect des femmes, la parité, qui a eu lieu à Luxembourg en 2000. Depuis, les travaux autour de cela sont régulièrement rappelés.
Mais la ministre a estimé qu'il fallait mettre ces sujets sur la table et organiser une rencontre à Paris, en France, ailleurs pourquoi pas ? Pour l'instant, nous n'en sommes pas encore à la localisation.
Mais, en tout cas, l'idée, c'est véritablement de faire venir en France entre 300 et 500 femmes du monde entier, qui seront des femmes engagées pour le développement, des femmes engagées pour la défense des droits de l'Homme ; ce peut être des journalistes inconnues mais qui travaillent aussi dans des conditions parfois extrêmement difficiles ; ce sont aussi les témoignages des femmes issues des conflits, de ces femmes, comme la ministre aime à le dire, butins de guerre.
Tout cela pour faire quoi ? Pour essayer de développer aussi des nouvelles solidarités entre les femmes d'Occident, les femmes du Sud, engager un dialogue pour l'amélioration des conditions de vie. Et, aujourd'hui, ce sont les femmes, que l'on entend ou que l'on n'entend pas d'ailleurs, qui sont violées en RDC ; ce sont les femmes maliennes qui appellent à une solidarité de tout l'Occident et voire même de tout l'espace francophone, on les a entendues.
Je pense donc qu'avec le ministre on a véritablement l'ambition de monter quelque chose qui sera d'importance pour permettre d'entendre la voix des femmes.
R - Mme la ministre - Je pense que l'on n'imagine pas dans l'espace francophone que des milliers de femmes sont violées, tuées, mutilées. On n'en a pas conscience et je pense qu'il est important de s'organiser. J'ai eu un rendez-vous avec Michèle Bachelet, la directrice d'ONU-Femmes. Elle est d'accord pour faire partie du forum «Francophonie-Femmes».
On va ouvrir un espace solidaire. On a besoin de toutes les expressions et d'une base de réflexion, notamment sur la santé. Ce ne sera pas du tout un forum avec des femmes chefs d'entreprise qui viennent écouter, s'échanger. C'est vraiment cette volonté de faire émerger la femme francophone avec toute sa complexité.
Q - Quel est le nombre de chefs d'État et de gouvernement qui participeront à ce Sommet ? Et êtes-vous satisfaite de la participation ?
R - À ce stade, il y aura 23 Premiers ministres et chefs d'État.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 12 octobre 2012