Conférence de presse de M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères, sur les défis et priorités de la politique étrangère de la France, à Paris le 23 octobre 2012.

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Merci, Mesdames et Messieurs les Journalistes, d'être là pour ce point de presse. Je vais aborder quelques aspects qui concernent ce ministère depuis 5 mois que je le dirige. Je répondrai ensuite à vos questions avec plaisir.
Dès ma prise de fonctions, j'ai souhaité définir, sous l'autorité du président de la République et en concertation avec le Premier ministre, le rôle de notre pays sur le plan extérieur et j'ai proposé, comme aspect central, de réfléchir sur la France comme puissance d'influence. C'est dans cet esprit que je me suis efforcé de conduire notre politique étrangère avec, à mes côtés, quatre ministres délégués : Pascal Canfin qui est chargé du développement ; Bernard Cazeneuve qui est chargé des affaires européennes ; Hélène Conway qui est chargée des Français de l'étranger ; Yamina Benguigui qui chargée de la francophonie. J'ai beaucoup de plaisir à travailler avec chacune et chacun d'entre eux. Notre action implique également une bonne coordination avec les autres départements ministériels concernés au sein du gouvernement et c'est le cas.
Cette puissance d'influence doit défendre, bien sûr, nos propres intérêts. C'est ce qui explique la diplomatie économique, dont j'ai fait une priorité, et le thème central de la Conférence des ambassadeurs, qui a eu lieu en août 2012, avec un plan global d'actions en ce sens. Ce plan est actuellement mis en oeuvre et il est particulièrement utile compte tenu de la dégradation économique constatée. Tous nos postes diplomatiques, sans exception, sont chargés d'appliquer cette diplomatie économique. Les chefs d'entreprises et les partenaires économiques et sociaux y sont et y seront associés. J'ai voulu qu'une direction des entreprises soit créée au sein du Quai d'Orsay ; ce sera officialisé en novembre prochain. J'organiserai par ailleurs, au premier semestre 2013, une journée portes ouvertes de ce ministère qui aura la même finalité. Plusieurs personnalités ont bien voulu contribuer particulièrement à cet effort général : Martine Aubry, chargée de nos relations avec la Chine ; Jean-Pierre Raffarin, pour l'Algérie ; Louis Schweitzer, pour le Japon ; Pierre Sellal, notre secrétaire général, pour les Émirats Arabes Unis. Ils sont mes représentants spéciaux pour nos relations avec ces pays. Ils seront rejoints prochainement par Philippe Faure, pour ce qui concerne le Mexique, qui a déjà été notre ambassadeur à Mexico, et Jean-Pierre Chevènement, pour ce qui concerne la Russie.
Notre influence économique ne peut pas être séparée de notre influence éducative, culturelle, scientifique, linguistique. J'ai présidé récemment, le 17 octobre, le Conseil d'orientation stratégique de notre Institut français. Dans le budget 2013, les crédits liés à l'enseignement du français à l'étranger sont intégralement préservés, de même que ceux qui sont consacrés à la mobilité universitaire et scientifique. Pour les Français de l'étranger, conformément aux engagements présidentiels, la réforme de la prise en charge des frais de scolarité, ce que l'on appelle la PEC, et son remplacement par une politique de bourses plus juste, a commencé à être mise en oeuvre sous l'autorité de la ministre déléguée Hélène Conway. L'audiovisuel extérieur, instrument décisif, a lui aussi commencé à être adapté.
La Francophonie joue et jouera un rôle important dans notre diplomatie. Le récent Sommet de Kinshasa a permis de le mesurer. Le français n'est pas seulement une communauté de langue, il doit être aussi une communauté de valeurs. Un plan d'action pour la Francophonie a fait l'objet d'une communication, il y a 15 jours en Conseil des ministres, de la ministre déléguée Yamina Benguigui. Parmi les actions prévues, la tenue d'un grand forum des femmes francophones devrait permettre de renforcer la place de la Francophonie dans notre diplomatie. Nous y travaillons.
Notre diplomatie est aussi celle du développement. Avec la crise, nous avons besoin de davantage de solidarité, et non de moins. C'est notre ligne de conduite avec le ministre délégué, Pascal Canfin. Nous avons renoué le dialogue avec tous les acteurs du développement : les États bénéficiaires et partenaires, les ONG, les collectivités locales, les sociétés civiles.... Nous doublerons progressivement la part de cette aide mise en oeuvre par les ONG. C'est le sens aussi des Assises du développement et de la solidarité internationale que nous réunissons à partir du 5 novembre. Au plan financier, nous avons fait le choix politique fort, dans un contexte difficile, de maintenir notre effort budgétaire en matière d'aide publique au développement. Nous mettons en oeuvre l'engagement de consacrer au moins 10 % de la taxe sur les transactions financières nationale au développement, avec deux grandes priorités : santé/sida et environnement/climat. Il en sera de même avec la taxe sur les transactions financières européenne dont le principe vient d'être adopté et confirmé par l'Union européenne.
J'attache aussi beaucoup d'importance à ce que j'appelle la diplomatie démultipliée. Elle fait intervenir en particulier les collectivités locales. Évidemment, il n'y a qu'une diplomatie, mais il faut comprendre qu'il y a beaucoup de partenaires dans cette diplomatie, en particulier les collectivités locales. Un rapport me sera remis avant la fin de l'année par le secrétaire général de l'Association des maires de France, M. Laignel. Nous prendrons, sur cette base, les décisions nécessaires, en concertation avec les collectivités.
Notre influence s'exerce, non seulement pour soutenir nos intérêts mais aussi pour défendre des valeurs universelles. C'est une des spécificités de notre diplomatie. La suppression universelle de la peine de mort sera, pour les deux ans à venir, une grande cause que nous défendrons partout. Autour ce cette cause, j'ai déjà réuni, avec le ministre des Affaires étrangères du Bénin, plus de 50 pays en septembre dernier aux Nations unies. Je participerai en juin prochain à la Conférence de Madrid pour l'abrogation universelle de la peine capitale. Entre temps, de multiples actions seront menées en ce sens.
Nous devons à la fois affronter les crises de court terme et construire une politique étrangère de long terme.
À court terme, nous nous mobilisons notamment pour la résolution des crises de Syrie et du Mali. Les ambassadeurs Éric Chevallier et Jean Félix-Paganon suivent en permanence à mes côtés ces conflits. La France joue un rôle de facilitateur. Concernant la Syrie, outre l'organisation le 6 juillet dernier à Paris de la Conférence des amis du peuple syrien - avec plus de la moitié des États du monde -, j'ai convoqué et présidé une réunion du Conseil de sécurité des Nations unies fin août pour apporter des réponses aux lourdes questions humanitaires. Nous poursuivons notre action sur le triple plan diplomatique, politique, en essayant de faciliter l'union de l'opposition, et sur le plan humanitaire, en particulier dans les zones libérées, afin de favoriser les changements indispensables et le départ de Bachar El-Assad dans ce conflit qui a fait déjà près de 35 000 morts.
Au Mali, après l'adoption récente à l'unanimité de la résolution 2071 du Conseil de sécurité, après les décisions convergentes qui ont été prises par l'Union européenne et lors de la réunion de Bamako du 19 octobre, nous nous mobilisons pour mettre en place les actions nécessaires en liaison avec nos partenaires africains et la communauté internationale. Notre action recouvrira trois dimensions : une dimension sécuritaire, avec un soutien logistique pour l'opération africaine de sécurisation du Nord-Mali ; une dimension politique, qui passe par la consolidation des autorités de Bamako et un processus de réconciliation de toutes les parties concernées ; enfin, une action de développement et d'aide humanitaire qui est nécessaire dans cette région extrêmement pauvre. Nous voulons que nos otages soient libérés et que le Mali soit également libéré du terrorisme.
Sur un autre plan, l'Iran occupe notre constante attention. Afin d'éviter le grave danger que représenterait la possession par ce pays de l'arme nucléaire, nous participons pleinement à la stratégie de négociation et de sanctions, lesquelles commencent à produire leurs effets. Au sein du 5+1, c'est-à-dire les membres du Conseil de sécurité et l'Allemagne, nous agissons en ce sens et, nous sommes à l'initiative au sein de l'Union européenne, notamment avec l'adoption récente d'un nouveau train de sanctions.
Nous n'oublions pas que le conflit israélo-palestinien reste au coeur des problèmes de la région et que sa solution doit progresser.
Ces démarches se conjuguent avec une politique européenne de la France extrêmement active. Sous l'autorité du ministre délégué, Bernard Cazeneuve, des avancées importantes ont pu être obtenues : le plan de relance européen, en juin ; le vote du TSCG, ou «traité budgétaire», en octobre ; la taxe sur les transactions financières sous forme de coopération renforcée ; la mise en place du Mécanisme européen de stabilité. La politique euro-méditerranéenne et l'accompagnement des pays du «printemps arabe» sont et seront particulièrement mis en valeur. D'ici la fin de cette année, nous agirons notamment pour l'application complète des décisions du Conseil européen de juin, nous devrons mener à bien la discussion sur les perspectives financières pour la période 2014 à 2020, et participer aux travaux sur l'avenir de l'Union européenne, afin de construire progressivement l' «intégration solidaire» souhaitée par le président français. Avec mes collègues concernés, français et européens, nous présenterons aussi prochainement des propositions sur la coopération européenne dans le domaine de l'énergie et sur la défense européenne.
Pour être menée à bien, cette politique d'influence a besoin de moyens. Le ministère bénéficie de personnels très compétents et mobilisés. Dans un ministère qui, jusqu'à présent, n'a pas fait une grande place - c'est le moins que l'on puisse dire - aux femmes dans les hauts postes, le nombre de femmes nommées dans des postes à responsabilité a commencé à être accru ; c'est ainsi que depuis cinq mois 40 % des ambassadeurs nommés sont des femmes.
Le budget 2013, qui sera examiné par le Parlement dans les jours qui viennent, participe à la politique générale de redressement des finances publiques et de réduction des déficits. Dans ce cadre, j'ai souhaité et obtenu que le budget du Quai d'Orsay permette de dégager de vraies priorités et d'assurer nos missions. Parmi ces priorités budgétaires : la sécurité des postes à l'étranger, qui est un vrai souci compte tenu du monde dangereux dans lequel nous sommes, dont les crédits augmentent de 23 % ; les moyens de communication interne qui augmentent de 10 % ; mais aussi l'action sociale et, ce qui est fort important, la préservation intégrale des crédits pour l'éducation à l'étranger. Compte tenu des efforts très lourds imposés dans le passé au Quai d'Orsay, la réduction des postes a été limitée à moins de 200 par an. J'attacherai une attention particulière à la situation de nos personnels de recrutement local.
J'ai présidé personnellement, à plusieurs reprises, le Comité technique ministériel En liaison avec les parlementaires et les organisations syndicales, plusieurs réflexions de fond sont engagées, notamment sur l'adaptation indispensable de notre outil diplomatique. Notre présence sera renforcée, notamment en Asie, en Amérique latine et centrale, ainsi que dans les pays du Printemps arabe et les pays émergents. Les conclusions seront rendues d'ici la fin de l'année, sur l'adaptation géographique de notre réseau diplomatique, la modernisation de notre réseau consulaire, notre politique de délivrance des visas ou encore sur l'avenir de notre réseau culturel, un petit peu plus tard.
Cette politique active implique de la part du ministre, de moi-même, et des ministres délégués une présence personnelle forte à l'étranger. En ce qui me concerne - mes collègues et amis ne sont pas en reste -, j'ai effectué en cinq mois l'équivalent de quatre tours du monde, rencontré 40 ministres des Affaires étrangères, 48 chefs d'État et de gouvernement - je rappelle qu'il y a près de 200 pays dans le monde. D'ici la fin de l'année, je me déplacerai notamment en Asie, avec le président de la République, pour le sommet de l'ASEM à Vientiane ; au Maghreb (en Algérie, en Libye et au Maroc) et au Moyen-Orient (Le Caire, Ryad et Doha pour la Conférence sur le climat). J'aurai l'occasion de me rendre plusieurs fois à Bruxelles, pour le Conseil Affaires étrangères ainsi que pour la réunion, en décembre, des ministres des affaires étrangères de l'OTAN. Je m'exprimerai également à Rome devant la Conférence italienne des ambassadeurs fin décembre, à l'invitation de mon homologue. Au premier trimestre 2013, je serai à Santiago du Chili, pour le sommet UE-CEPALC, entre le 25 et le 27 janvier. Je visiterai plusieurs autres pays d'Amérique Latine (la Colombie et l'Argentine notamment). Je me rendrai également en Tunisie et dans plusieurs capitales européennes.
Au total, cette action diplomatique, qui fait l'objet d'un concertation permanente avec le président de la République et le Premier ministre, donne lieu aussi à des échanges utiles avec les groupes parlementaires et avec les responsables des principales formations politiques que j'ai reçu ou que je recevrai. Je pense que tout cela correspond, dans un esprit de rassemblement, à ce qu'on attend de la France. Dans cette courte période, nous avons pu nouer, parfois renouer, avec de nombreux pays de bonnes, voire d'excellentes relations. Âpres 5 mois, je constate que, dans ce monde éclaté et dangereux, la France, puissance d'influence, est respectée, attendue et entendue.
Q - Concernant la diplomatie économique, le «Foreign Office» rend hommage à la cohérence de l'action de cette diplomatie économique en France, du moins aux principes intellectuels. Pensez-vous que, vis-à-vis des entreprises, il y a la même cohérence au sein du gouvernement, notamment sur les questions de la fiscalité et des successions d'entreprises ?
R - Vous aurez remarqué que je suis ministre des affaires étrangères. Et donc, comme disent les coureurs, je suis dans mon couloir. Si vous souhaitez une réflexion générale, je regarde la télévision, j'écoute la radio, je lis les journaux et il ne m'est pas interdit de réfléchir. Je pense que nous avons besoin à la fois des entrepreneurs et des salariés. Point à la ligne.
Q - La semaine dernière, le Conseil national syrien a tenu une réunion à Doha et un certain nombre de ces dirigeants m'ont dit qu'ils trouvaient prématurée l'initiative française de demande de formation d'un gouvernement transitoire, en disant qu'il n'y avait pas encore d'accord au sein des pays du groupe des amis de la Syrie. Allez-vous renoncer ou continuer ?
Concernant le Liban, après l'assassinat du général Wissam el Hassan qui était assez proche de la France, considérez-vous qu'un message a été adressé à la France à travers cet assassinat ? Nos soldats de la force intérimaire des Nations unies ont-ils vu leur sécurité renforcée ?
R - Sur le premier point, les choses se présentent de manière utile. Je vous lis le communiqué qui a été rendu public par le Service de presse du Conseil national syrien : «Le Figaro a publié le 23 octobre 2012, des propos déformés de M. Burhan Ghalioun, l'ancien président du CNS. À cette occasion, M. Ghalioun et le conseil national syrien souhaite affirmer que leurs positions sont identiques avec celles de la France et du président François Hollande quant à la nécessité de l'unification des efforts de l'ensemble de l'opposition, en vue de la formation d'un gouvernement provisoire, dès que les conditions politiques le permettront.» Voilà qui devrait répondre à votre question.
Concernant la question libanaise et cet assassinat. Il faut qu'une enquête ait lieu pour remonter à la source c'est-à-dire à ses auteurs et ses commanditaires. Tout ceci se place dans le prolongement de la crise syrienne. J'ai eu au téléphone M. Hariri, M. Mikati, M. Nabih Berri, M. Walid Joumblatt ainsi que d'autres responsables et le président Sleimane s'est exprimé.
Notre position est la suivante: il faut éviter au maximum la contagion au Liban de ce conflit syrien gravissime. Il faut que le Liban garde au maximum sa cohérence et qu'il se préserve. Rien ne serait pire que de mettre dans la rue, pour les uns 500.000 personnes et pour les autres 800.000 avec, comme résultat, le déchirement d'un pays - que la France aime et soutient - qui a besoin de sa cohésion. Voilà le message que nous avons fait passer.
Concernant la FINUL, vous le savez et vous l'avez dit, les troupes françaises sont présentes là-bas en nombre important. Leur présence est très appréciée et des dispositions sont prises d'une façon permanente et en particulier dans ce contexte pour renforcer leur sécurité.
Je veux ajouter, à cette occasion, ma condamnation de cet attentat et notre solidarité totale avec le peuple libanais dans sa diversité.
Q - Concernant le Mali, il y a ces derniers temps des informations contradictoires sur un afflux éventuel de djihadistes étrangers au nord-Mali. Avez-vous une confirmation sur ces renforts pour les islamistes de cette région, cela vous inquiète-t-il et est-ce de nature à modifier l'action de la France à la veille de cette opération militaire qui se prépare ?
R - J'ai vu effectivement des informations dans ce sens mais je le redis, à ce jour, nous n'avons pas confirmation de cela.
Concernant l'ensemble de ce qui se passe au Mali, je voudrais indiquer, en complétant ce que j'ai dit dans mon avant-propos, que la situation dans le nord du pays est gravissime. Je pense qu'un nombre croissant de pays, que l'ensemble de la communauté internationale, est en train de le percevoir et de le comprendre. Cela explique qu'il y ait eu, il y a quelques jours, cette résolution adoptée à l'unanimité au Conseil de sécurité. Comme vous le savez, peu de résolutions sont adoptées unanimement sur des sujets très sensibles de nos jours.
Que se passe-t-il ? D'une part, l'intégrité du Mali est remise en cause puisque le pays est coupé en deux. D'autre part, au Nord, il y a des terroristes avec des appellations qui peuvent être diverses, qui possèdent beaucoup d'armes - une partie venant d'ailleurs de la suite du conflit libyen - et d'argent lié au trafic des otages et au trafic de drogue. Ces terroristes menacent non seulement la vie des Maliens - vous avez vu les pratiques qui sont intolérables : couper les mains, assassiner, violer, saccager les mausolées - mais aussi les pays de l'Ouest africain et l'ensemble de l'Afrique.
J'ai personnellement reçu dans mon bureau des responsables de pays de d'Afrique de l'Est qui m'ont dit que se constituait une espèce d'école internationale de formation du terrorisme à partir du Mali. Ceci est très grave et menace tout d'abord le développement de l'Afrique. En effet, si des terroristes avec des moyens considérables s'implantent durablement dans un pays, une région ou un continent, le développement devient impossible. C'est aussi une menace pour la sécurité de l'Europe et, au sein de l'Europe, la sécurité de la France.
C'est à cause de cette perception qu'au cours des dernières semaines - et la France a apporté sa contribution pour fournir des éléments d'informations et d'analyse -, la position de la communauté internationale a été modifiée de manière très unanime : avec la résolution du Conseil de sécurité, les décisions prises par l'Union européenne et avec la nomination de M. Romano Prodi. Cela aurait été impossible il y a encore quelques semaines.
Une réunion fort satisfaisante, où la CEDEAO a joué son rôle avec l'Union africaine, s'est tenue à Bamako vendredi dernier. À cette occasion, des orientations ont été définies. Nous en sommes très heureux.
La France joue uniquement - mais c'est déjà important - un rôle de facilitateur sur un triple plan : sur l'aspect sécuritaire pour appuyer les Maliens et, le moment venu, partir à la reconquête des villes. À ce titre, nous n'avons aucune intention d'agir à la place des Africains. Il s'agit bien d'une série d'orientations dont l'application doit d'abord revenir aux Africains.
Il y a évidemment l'aspect politique pour que le pouvoir malien puisse être solide et qu'il y ait des discussions. Dans ce cadre, la réunion de Bamako a permis d'adopter des principes qui me semblent excellents. En effet, on doit discuter avec les gens du nord à condition que ceux-ci reconnaissent l'intégrité du Mali et qu'ils récusent la violence et le terrorisme, sinon il n'y a pas de discussion possible.
Il y aura enfin, le moment venu, des élections et une action en faveur du développement et de l'aide humanitaire. Des centaines de milliers de Maliens, parfois partis pour le sud ou pour les pays voisins comme le Niger, le Burkina Faso ou la Mauritanie, sont en effet en difficulté.
C'est notre analyse d'ensemble sur ce qui se produit au Mali. La France y est très attentive même si, désormais, il s'agit d'une action de la communauté internationale toute entière.
Q - Avez-vous des informations sur les renforts ?
R - Je viens de dire qu'au moment où je m'exprime je n'ai pas eu de réponse en ce sens.
Q - Confirmez-vous que la France a repris sa coopération militaire suspendue avec le Mali et cela signifie-t-il une accélération du calendrier d'une éventuelle intervention ?
R - Sur votre seconde question, je vous dis non. Sur le premier point, mon représentant, Jean Félix-Paganon, a dit que nous étions disposés à le faire comme les autres pays. Je vous précise d'ailleurs - c'était la semaine dernière et cela a été repris par les chefs d'État et de gouvernement dans le sommet européen - qu'il a été dit, au niveau européen, que nous étions disposés à reprendre notre coopération. Nous coopérerons dans le cadre de la PSDC pour agir et renforcer la sécurité. Nous sommes tout à fait disposés à le faire mais cela ne signifie absolument pas une accélération.
Q - Pouvez-vous nous confirmer la tenue d'une réunion, hier à Paris, avec des hauts représentants américains, qui se poursuit aujourd'hui et que la France enverrait deux drones ?
R - Non, je ne confirme absolument pas cela. J'ai indiqué ce que nous faisons. Bien évidemment, nous avons des concertations au plan international puisque nous avons voté ensemble des résolutions avec les Américains, les Russes, les Chinois. Cette résolution a été coparrainée par l'Afrique du Sud. Nous agissons donc de concert, dans le cadre de ce qui a été dit à l'ONU, au niveau européen et lors de la réunion de Bamako. Nous aurons bien évidemment des concertations, notamment parce que nous devons, d'ici une trentaine de jours au maximum, présenter une seconde résolution aux Nations unies. Entre les deux résolutions, un délai maximum de 45 jours a été donné.
Cette seconde résolution va présenter des concepts plus opératoires. Il y a un travail de rassemblement à faire entre les uns et les autres. Il n'y a pas de matériel, au sol ou en l'air qui sont mis en place spécifiquement.
Q - Les médias américains annoncent que les États-Unis négocient avec l'Iran. Cela vous gêne-t-il dans les négociations au sein des 5+1 ?
Concernant le Liban, après l'assassinat du général Hassan, les ambassadeurs du Conseil de sécurité, dont l'ambassadeur français, ont exprimé la volonté de leur gouvernement que le gouvernement libanais reste en place alors qu'il est Hezbollah, allié de la Syrie et de l'Iran. Pouvez-vous nous expliquer la logique de ce raisonnement ?
R - Sur le premier point, vous faites référence à des informations publiées par un journal américain et qui ont été contestées par l'administration américaine. Comme vous le savez, la position des 5+1 est ce que l'on appelle en bon Français le «double track» c'est-à-dire à la fois les sanctions et les négociations. Nous avons pris des sanctions, nous en avons proposé de nouvelles et il semble qu'elles aient un effet assez important. La négociation a eu lieu dans le passé, à plusieurs reprises. Il est prévu qu'elles se poursuivent car c'est la seule bonne position pour parvenir à faire bouger les choses. Elle se mène dans le cadre du 5+1. Je n'ai pas d'autre élément d'information que celui-là.
Concernant le second point, les choses sont plus complexes, chacun le sait ici. En particulier, dans la dernière période, le président Sleimane a réuni ce qu'il appelle le «dialogue national» avec l'ensemble des parties prenantes. Le président libanais, qui à une autorité importante, souhaite que cette cohésion soit maintenue. Ce n'est pas le gouvernement français qui doit dire ce qui doit se faire. Nous voulons de manière claire que l'on puisse éviter au maximum la contagion entre le conflit syrien et le Liban. Nous voulons manifester notre solidarité à l'ensemble du peuple libanais et nous voulons éviter d'encourager les discordes entre les uns et les autres car cela ferait l'affaire des ennemis du Liban, de ceux qui veulent son démembrement. C'est une tactique qui a été utilisée dans le passé, à plusieurs reprises par le régime syrien et dans le sens de laquelle nous refusons d'aller.
Q - Monsieur le Ministre, à propos du Mali, la France considère-t-elle que l'Algérie, à laquelle Paris a envoyé un certain nombre de messages, il s'est noué un dialogue nouveau, est-ce que l'Algérie, de votre point de vue, vient vers l'idée qu'une intervention militaire serait effectivement souhaitable ? On avait senti les Algériens plus favorables à un processus de négociations, d'engagement politique, vous avez mentionné vous aussi un processus politique à Bamako. Pouvez-vous nous dire si vous avez l'impression d'avoir l'Algérie à bord ?
R - Nous avons évidemment des contacts avec nos amis algériens. J'avais discuté de ce sujet, mais il y a déjà plusieurs semaines, avec mon homologue algérien et avec le président Bouteflika. Déjà à l'époque, j'avais été frappé de voir que ce qui était présenté comme une opposition de principes entre la France, qui était supposée être militariste, et les Algériens qui étaient supposés surtout refuser toute intervention, était erroné. Et je me rappelle fort bien une conversation avec le président Bouteflika qui me disait que cela n'était pas fondé.
Depuis, nous avons eu beaucoup d'occasions de nous rencontrer et de travailler ensemble. Et ce qui me paraît aujourd'hui la réalité - mais bien sûr il faudra le demander aux Algériens eux-mêmes -, ce sont deux points d'accord qui existent non seulement entre l'Algérie et nous mais aussi avec tous les autres pays. Deux principes doivent être absolument respectés : premièrement, l'intégrité des territoires, en l'occurrence celui du Mali. On ne peut pas accepter qu'un pays soit coupé en deux par un putsch et la présence de terroristes. Deuxième principe : lutter contre le terrorisme et, en l'occurrence, le terrorisme mélangé au trafic de drogue. Sur ces deux points, la France et l'Algérie, avec l'immense majorité des autres pays, sont parfaitement d'accord. Voilà un point évidemment très important de convergence.
Après, quant au processus, les Algériens sont, comme nous, sensibles au fait qu'il faut qu'il y ait un renforcement du pouvoir et de la sécurité, ainsi qu'un rétablissement de l'intégrité territoriale du Mali. Mais, dans le même temps, il faut qu'il y ait des discussions parce que, parmi la population du nord, beaucoup de gens ne sont pas ni membres d'Aqmi ni partisans du Mujao. Ils sont, pour beaucoup, des touaregs. Des discussions doivent ainsi être engagées. C'est le sens de la conclusion commune de la réunion de Bamako. C'est également inscrit dans la résolution du Conseil de sécurité.
Certes, il peut y avoir des divergences d'appréciation : existe-t-il une indépendance entre ces groupes et aussi par rapport à Aqmi - que tout le monde reconnaît comme étant terroriste ? Est-ce que tel mouvement ou telle autre personne peut rentrer dans la catégorie des gens avec lesquels nous pouvons discuter ? Chacun peut avoir une opinion et nous échangeons nos informations. De plus, nos services travaillent assez largement ensemble.
Voilà où nous en sommes. Je pense qu'il est très utile d'avoir des contacts et nous en avons en permanence avec nos partenaires algériens sur différents sujets et notamment sur le Mali. Géographiquement et par sa propre expérience, l'Algérie est un pays qui a souffert tragiquement du terrorisme pendant des années et qui a eu récemment, vraisemblablement certains de ses diplomates tués par un groupe terroriste. L'Algérie connaît le coût du terrorisme et sait qu'il faut lutter contre ce fléau.
Q - Concernant l'Iran. Samedi, vous avez annoncé que l'Iran pourrait avoir en moins de six mois sa première bombe. Est-ce que c'est une information technique ou autre ? Deuxièmement, le 27 octobre, il y a une délégation qui va en Iran, je pense à Strasbourg, le Parlement européen, va-t-elle y aller pour parler ou plus pour écouter ?
R - Sur le deuxième point, je ne suis pas informé de ce déplacement. De toutes façons, les négociations se font dans le cadre du «5+1», pas dans un autre.
Sur le premier point, je ne me souviens plus exactement de l'expression que j'ai utilisée. Je ne dispose pas d'informations secrètes et, d'ailleurs, si j'en disposais et pour respecter le sens même du mot «secret», je n'en aurais pas fait état. J'ai repris ce qui est maintenant avéré à partir des rapports de l'AIEA et d'autres éléments. On sait que l'accumulation de centrifugeuses, l'augmentation du taux d'enrichissement font que, dans un laps de temps que je ne peux pas traduire en termes de mois - ce qui fait évidemment l'objet de toute une série d'interprétations et de calculs - , nous risquons de passer dans une zone où il sera très difficile d'arrêter l'Iran dans sa quête de la possession de l'arme nucléaire.
Dans ce contexte - c'est une information publique et je la confirme - nous nous sommes réunis aux Nations Unies en comité ministériel et nous avons discuté de ces sujets, nous avons fait le point. Et parmi les points que nous avons établis, il y a la confirmation que nous considérons que l'Iran - un grand pays qui peut parfaitement disposer de l'énergie nucléaire civile - ne doit pas posséder l'arme nucléaire, ce serait inacceptable. Inacceptable.
Q - Sur l'OTAN, un examen devait être effectué de la politique menée par le président du précédent quinquennat. Êtes-vous arrivé à des conclusions ? Est-ce qu'il peut y avoir des inflexions ?
R - Je pense que vous faites allusion au rapport qui a été confié à M. Hubert Védrine. Nous avons confié un rapport à M. Hubert Védrine, dont on connaît la compétence, pour évaluer, à la lumière de l'expérience et en rencontrant les uns et les autres, si les mérites qui avaient été mis en valeur à l'époque par le gouvernement précédent pour réintégrer le commandement intégré de l'OTAN étaient confirmés ou pas.
Lorsque le précédent président de la République avait pris la décision de réintégrer le commandement militaire de l'OTAN, deux arguments principaux avaient été mis en avant : c'était d'une part, que cela permettrait à la France d'être plus influente au sein de l'OTAN et, d'autre part, que cela permettrait de faire avancer la défense européenne. À l'époque nous avions dit que nous ne voyions pas cela ainsi. Il n'est pas question de sortir de l'OTAN, ce n'est pas quelque chose qui est en question aujourd'hui, mais il est question d'évaluer exactement si ces motifs qui avaient été mis en avant sont vérifiés ou pas.
C'est le travail de M. Hubert Védrine qu'il doit nous remettre avant la fin d'année puisque son travail va être utile en particulier pour la préparation du Livre blanc sur la Défense. Voilà où nous en sommes. Il doit remettre son rapport dans quelque temps.
Q - Qui sont vos interlocuteurs et quelle est votre analyse de la situation dans le pays ? Qui sont les bons interlocuteurs ? À qui on peut se fier ? Est-ce qu'il y a des divisions entre l'armée qui semble ne pas avoir très envie d'une intervention de l'extérieur et les pouvoirs politiques au pays ?
R - Nous avons une assez bonne connaissance de ce pays, mais nous discutons, comme c'est normal au premier chef, avec le président et avec le Premier ministre qui sont les autorités légitimes du Mali. On ne va pas entrer dans l'épisode qui concerne telle ou telle personnalité, mais nous discutons comme c'est normal avec les autorités constituées du Mali, ce qui ne nous empêche pas de faire une analyse de la diversité de la situation.
Q - Si vous le permettez, deux petites questions sur l'Asie. La semaine dernière, avec votre rencontre, votre homologue japonais avait souligné à la presse que la position du Japon sur le conflit des îles avec la Chine a eu un certain degré de compréhension de la part de la France ? Est-ce que vous pouvez nous expliquer quel est le degré de cette compréhension ? En tant que gagnant du prix Nobel de la paix et en tant que puissance influente à l'ONU, quels conseils avez-vous concrètement pu donner, suggérer pour apaiser la tension du conflit dans cette région ?
La deuxième question porte sur l'Asie centrale. Est-ce que vous pouvez confirmer le retrait en avance des troupes françaises d'Afghanistan ?
R - Sur le premier point, j'ai eu beaucoup de plaisir à recevoir M. Gemba que j'ai vu plusieurs fois d'ailleurs au cours de cette année et qui est un ministre extrêmement dynamique. Vous savez que nous souhaitons avoir des relations de plus en plus proches avec le Japon. C'est un grand pays, proche à beaucoup d'égards de la France, qui économiquement est très présent en France. Il y a 60 000 emplois qui dépendent d'entreprises japonaises, spécialisées dans la haute technologie. Nous voulons vraiment développer nos relations, notamment avec le Japon, mais pas seulement avec le Japon. Le président de la République d'ailleurs, lors de l'ouverture de la Conférence des ambassadeurs, avait insisté sur ce point.
Nous avons donc parlé de beaucoup de sujets. Il a notamment fait un exposé de la position japonaise et j'ai dit que nous souhaitions que ces questions ne fassent pas l'objet d'affrontements et soient réglées conformément au droit. J'ai vu d'ailleurs avec plaisir - il n'y a pas de rapport de cause à effet -, au cours des derniers jours et j'espère que cela va continuer, une diminution des tensions. Mais je ne pense pas que ce soit dû à mes propos.
Sur l'autre point, l'Afghanistan où je me suis rendu il y a quelques jours pour un séjour rapide qui avait un but essentiellement civil, nous avons ratifié un traité d'amitié entre la France et l'Afghanistan. Le précédent gouvernement l'avait négocié et signé et nous l'avons fait ratifier. Le gouvernement afghan vient de le faire ratifier par le Parlement afghan. Il fallait donc mettre tout cela en oeuvre. Il y a d'ailleurs une oeuvre absolument magnifique, l'hôpital qui est réalisé à Kaboul, à la fois par la France, la fondation de l'Aga Khan et une association remarquable qui s'appelle la Chaîne de l'Espoir. C'est M. Cheysson, le neveu de Claude Cheysson qui anime tout cela. C'est vraiment quelque chose d'extraordinaire. Il y avait déjà un pavillon qui avait été réalisé en ce qui concerne les petits enfants. Maintenant, il va y avoir la maternité aussi avec un service de gynécologie et d'obstétrique. Il y aura ensuite une troisième étape avec un centre qui rayonnera plus largement et qui servira aussi comme un CHU. J'ai fait ce que j'avais à faire par rapport à cela.
J'ai rencontré aussi les autorités politiques, M. Karzaï, l'opposition, etc., et bien sûr aussi les militaires.
Tout en restant prudent parce que ce sont des sujets très compliqués où il faut évidemment faire d'abord attention à la sûreté, à la sécurité, il m'a été confirmé par nos militaires, alors que nous avions dit que nos troupes combattantes seraient totalement retirées d'Afghanistan à la fin du mois de décembre, que nous devrions pouvoir le faire en avance, tout en assurant le niveau maximum de sécurité ; c'est donc une bonne nouvelle. Nous allons donc nous retirer sur le plan militaire et continuer et augmenter même notre coopération sur le plan civil.
Q - Monsieur le Ministre, je reviens au Mali pour vous parler des otages. Est-ce que vous pourriez nous rappeler la position de la France concernant les otages ? Est-ce que la France a pour politique de ne pas verser de rançon ? Est-ce que c'est ça la politique de la France ? Dans le contexte actuel de bruits de bottes et d'intervention possible d'ici quelques mois, est-ce que cela met, selon vous, en péril la vie des otages et comment réagissez-vous face à cette situation où les familles expriment leur vive inquiétude ?
La deuxième question sur le plan de l'intervention possible, si les Africains demandent à la France d'intervenir à leurs côtés sur le plan logistique, est-ce que la France accepterait de mettre ses drones et ses avions à disposition de cette intervention en termes d'appui logistique, pour que l'intervention soit un succès ?
R - Vous m'interrogez sur les otages qui est un sujet particulièrement sensible. Nous travaillons chaque jour, les uns et les autres, pour essayer d'obtenir leur libération. Les familles que nous avons reçues, le président de la République et moi-même, font preuve d'un courage admirable parce qu'il faut connaître, imaginer quelle est leur situation en pensant aux membres de leurs familles qui sont détenus là-bas. Donc, nous y travaillons vraiment d'une façon extrêmement profonde, méthodique et constante. Mais comme mes prédécesseurs le faisaient certainement avant moi, je ne souhaite pas communiquer de détails là-dessus pour des raisons de discrétion évidentes. Ce qui compte c'est d'être aussi efficaces qu'on le peut. Ce n'est pas facile. Notre objectif est clair, il s'agit de libérer les otages. Je n'entrerai pas dans les détails.
L'objectif de la communauté internationale, c'est également de libérer le Nord-Mali du terrorisme, du terrorisme intégriste, du « narco-terrorisme ». C'est une démarche qui comporte plusieurs aspects et qui doit être menée d'abord par les Africains. S'agissant de la communauté internationale non africaine, la France et d'autres, nous pouvons venir en appui logistique. Je ne veux pas être plus précis mais cela définit bien le cadre dans lequel nous intervenons.
Q - Au sujet de la réunion de soutien au Conseil révolutionnaire civil syrien de la semaine dernière : est-ce qu'il y a des retombées ? Est-ce qu'il y a d'autres pays européens qui maintenant commencent à vraiment mettre la main à la pâte, à vraiment faire tâche d'huile avec la France sur le système que vous avez défini ? Est-ce qu'il y a peut-être davantage de conseillers locaux, de comités de coordination qui viennent en France ou que vous contactez là-bas ? Est-ce que nous avons, au-delà de la tache d'huile du territoire libéré à l'intérieur même derrière les lignes du régime, des interlocuteurs qui pourraient faire ce nouveau pays une fois que le régime sera tombé ?
R - Notre action dans les zones libérées, chacun ici le sait, ne peut pas à elle seule résoudre le conflit syrien. C'est cependant une action qui a été jugée utile, non seulement par les populations qui nous en remercient et qui souhaitent qu'elle soit étendue mais par un nombre important de partenaires, à la fois des pays arabes, des pays européens, et des pays non européens.
C'est dans ce cadre que nous nous situons et parmi les pays que je peux citer - chacun doit prendre évidemment ses propres décisions - il y a le Canada, qui est très intéressé et allant sur ces sujets Je pense à la Croatie où le ministre des Affaires étrangères m'a fait valoir son intérêt. Il y a aussi l'Allemagne qui est déjà pleinement mobilisée et qui souhaite intervenir selon des modalités voisines. Bref, c'est une façon d'intervenir qui est intéressante à la fois parce que c'est très concret et parce que, comme vous l'avez dit, cela peut préfigurer ce que seront les autorités et la Syrie de demain, puisque les autorités que nous aidons sont des autorités élues et plébiscitées par la population compte tenu de leur comportement dans le conflit.
Q - Monsieur le Ministre, hier M. Hervé Ladsous a évoqué la possibilité d'une hypothèse d'envoi d'une force d'interposition internationale ou arabe en Syrie. Est-ce que cette hypothèse avance et est-ce que vous discutez de cela avec les Russes que vous connaissez très bien qui sont absolument opposés à toute résolution sous le chapitre 7 des Nations unies ?
R - M. Brahimi a fait des propositions en faveur de l'instauration d'une trêve pendant la fête de l'Aïd. En même temps, il dit dans ses derniers commentaires qu'il s'agit d'une initiative personnelle. Il a eu une rencontre avec M. Bachar Al-Assad dont il a tiré un certain nombre de sentiments. Vous l'interrogerez pour lui demander ce qu'il en pense. Il se rend en Iran, à Moscou, à Pékin, il fait le travail fort utile qui lui a été confié par le Secrétaire général des Nations unies. Par ailleurs, les Nations unies font leur travail et examinent les différentes hypothèses.
Quant aux Russes, ils insistent beaucoup et après tout pourquoi pas, sur ce que nous appelons «Genève». J'étais à Genève, c'est quelque chose d'important. J'étais de ceux qui ont tenu la plume et nous nous étions mis d'accord sur une déclaration, les membres permanents du Conseil de sécurité plus quelques autres pays. Kofi Annan était présent, nous lui avions demandé ce qui pouvait l'aider à faire son travail qui finalement n'a pas pu prospérer et nous avons tous signé.
Ce constat de Genève, je ne sais pas s'il faut l'appeler constat, accord, peu importe, simplement dès la sortie de la réunion, les choses n'ont pas pu aller plus loin. Certains d'entre nous estimaient que «Genève» avait comme conditions préalables que M. Bachar Al-Assad ne soit plus au pouvoir, c'est ce qu'il y a dans le texte puisque le texte d'après ma mémoire prévoyait la création d'un organe de transition doté des pleins pouvoirs exécutifs, agréé par l'opposition syrienne et capable d'établir un environnement neutre ce qui ne correspond pas à la définition la plus évidente que je donnerais de M. Bachar Al-Assad. Je me rappelle d'ailleurs très bien que dans les couloirs de cette négociation, la discussion portait sur la question suivante : «mais si Bachar Al-Assad s'en va, quel pays l'accueillera ?»
À l'issue de la réunion de Genève, il y a eu une divergence d'interprétation qu'il faut considérer comme un fait. Certains des participants, je pense en particulier à mon collègue, M. Lavrov a dit : «non, ce n'est pas du tout cela que le texte veut dire». À partir de ce moment-là «Genève» n'a pas pu prospérer. Il reste que nous avons signé ensemble cette analyse, cette proposition, ce constat, ce plan. Or, il n'y a pas beaucoup de documents que nous avons signés ensemble puisque malheureusement au Conseil de sécurité il y a eu plusieurs fois de suite les oppositions que vous savez.
C'est aussi un document qui peut être utilisé. Mais l'accord que nous souhaitons - le départ de M. Bachar Al-Assad, la fin du conflit en Syrie, le cessez-le-feu -, ce n'est pas simplement reprendre un document, même si cela peut être utile, c'est quelque chose de beaucoup plus vaste. Nous avons confiance en M. Brahimi qui est un homme de grande qualité et qui est en train de faire son travail.
Et puis, nous espérons vraiment très fortement que nous allons pouvoir faire un pas, un progrès dans ce conflit qui est extrêmement cruel puisque chaque jour il y a des centaines de personnes qui meurent là-bas.
J'ajouterai que sur le plan humanitaire, l'approche de l'hiver est tout à fait redoutable et qu'en plus le risque de contagion libanaise est extrêmement dangereux. Toutes raisons pour lesquelles la position française consiste à dire qu'il faut que ce conflit s'arrête et cela demande que M. Bachar Al-Assad quitte le pouvoir.
Il faut en même temps penser au jour d'après et, en particulier, assurer toutes les communautés qu'elles seront respectées et protégées y compris bien sûr la communauté alaouite. Il faut unir l'opposition parce qu'il faudra bien que il y ait un projet alternatif et des hommes et des femmes pour l'incarner. Il faut penser aussi d'un point de vue économique, social et politique à la Syrie du futur. C'est dans ce sens-là que travaille la France.
Merci.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 24 octobre 2012