Extraits d'un entretien de Mme Yamina Benguigui, avec BFM TV le 19 octobre 2012, sur l'indépendance de l'Algérie et sur la situation des femmes dans les camps de réfugiés du Nord-Kivu en République démocratique du Congo.

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Média : BFM TV

Texte intégral

Q - Bonsoir, merci beaucoup d'être sur le plateau de BFM TV. Vous êtes ministre déléguée à la Francophonie, il faut le dire, vous ne venez pas du sérail. Vous êtes réalisatrice, productrice, vous avez fait de très beaux films sur la mémoire d'immigrés, Aïcha, 9 3. Vous avez été adjointe au maire de paris chargée de la lutte contre les discriminations et vous revenez du camp de Goma au Nord-Kivu où vous avez aidé des réfugiés, des femmes, des enfants coupés du monde.
Tout d'abord, je voudrais savoir ce que vous pensiez des réactions de François Fillon etc. à propos du 17 octobre 1961 ?
R - Tout cela me fait penser que l'on veut nier l'Histoire. Je crois que c'est tout à l'honneur du Président François Hollande de faire référence à tout ce qui touche toute une composante de la société française. Je suis française, issue de l'immigration algérienne, tous mes oncles ont été assassinés en France pendant cette période. Ces moments sont dans notre mémoire mais on oublie que c'était une marche pacifique. Oui pour l'autodétermination certes, mais aussi pour l'égalité des droits. Je crois que le président est absolument «droit dans ses bottes» lorsqu'il s'agit d'égalité des droits.
De plus, cela fait maintenant partie de la mémoire européenne. Il y a beaucoup d'Algériens, d'Allemands d'origine algérienne par exemple, et cette Europe est aussi composée de cette Histoire. Vous savez, ma famille m'a toujours dit «les Français sont bons». Parfois, les choses ont dérapé mais il y a une confiance en la France et c'est sur cette question qu'il faut faire des avancées. C'est vraiment grave d'en faire un «truc gauche-droite». Ils doivent abandonner cela car c'est une réalité, on sait que les choses se sont passées ainsi.
Q - Faut-il être en repentance ? C'est ce qui inquiète la droite française ?
R - L'Algérie est un très grand pays, c'est une nation et une des nations les plus proches de la nôtre. Elle s'inscrit aussi dans cet espace francophone. L'Algérie parle en français, l'Algérie a eu une histoire douloureuse, il y a eu une autodétermination.
A-t-on pu faire définitivement la paix avec l'Allemagne ? Oui, alors aujourd'hui faut-il faire quelques pas en avant, c'est un grand mot repentance.
Q - Est-il juste ou non ce mot ?
R - Mettons-le de côté. Vous savez, moi je sais changer de chemin et quand un mot commence à gêner pour dire quelque chose d'important, il faut changer de mot et réconcilier plusieurs mémoires. Il y a les Algériens, les Français, les pieds noirs, les Harkis. Qu'a-t-on fait des enfants et des petits-enfants de Harkis ?
C'est un problème franco-français, c'est comme si tout était dans une marmite et que de temps en temps, on essaie d'en ouvrir le couvercle. Cette fois-ci, tentons de laisser échapper la vapeur.
Q - vous revenez du Nord-Kivu où vous avez fait un voyage dans un camp de réfugiés, coupée du monde, dans la misère et la maladie et où les femmes sont violées. C'est un voyage autour duquel il y a eu une polémique.
R - En effet, non seulement je suis tombée de ma chaise mais tombée de l'immeuble. Je suis allée dans une région en guerre, avec aucun aéroport, donc pas de piste d'atterrissage. Il n'est pas possible de se rendre au Nord-Kivu et la piste est coupée en deux à cause d'une éruption volcanique. C'est pour cela qu'un avion militaire m'y a conduite. Je tenais à y aller après le Sommet de la Francophonie où nous avons pris des résolutions pour le Mali, le Sahel et aussi le Nord-Kivu, je ne pouvais pas, pour avoir rencontré des dizaines de femmes à Kinshasa qui sont venues me voir en me disant qu'aucun ministre n'était venu les voir. Je leur ai donné ma parole en leur disant que c'était aussi cela la Francophonie. On ne peut pas laisser des femmes se faire violer en masse, mutiler dans l'espace francophone. C'est la raison pour laquelle j'ai décidé d'y aller. Cela a été dit par Matignon et par le quai d'Orsay on m'a demandé de prendre cet avion militaire avec des personnes du quai d'Orsay qui ont voyagé avec moi.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 26 octobre 2012