Texte intégral
Je suis heureuse des échanges auxquels nous venons dassister car la question qui nous est posée est fondamentale pour le futur que nous construisons maintenant : « Peut-on parler dexception culturelle dans une Europe numérique ? »
Je souhaite répondre à cette question immédiatement et sans ambigüité : par laffirmative et avec conviction.
Je ne reviendrai pas longtemps sur ce que signifie pour le cinéma la révolution du numérique, les débats de la table ronde lont bien cerné.
Il faut surtout bien partir du fait que le numérique :
- rend la circulation des uvres instantanée,
- permet techniquement le « clonage » des uvres audiovisuelles et cinématographiques.
Et ceci représente aussi bien une opportunité dexposition des uvres, quune menace quant au fonctionnement harmonieux et équitable du marché.
Face à cette mutation numérique, il nous faut rappeler à quel point lEurope est certes un espace déchange, mais aussi un espace de partage. Il nous faut prospérer, mais il nous faut aussi vivre et nous épanouir ensemble :
- les politiques culturelles ne sopposent en aucun cas à léchange, elles visent à rééquilibrer les termes de léchange, faussés par la capacité des productions américaines à samortir sur un marché mondial.
- les politiques culturelles nourrissent le partage, et la construction dun destin commun pour les Européens.
1-Il nous faut donc réaffirmer lexception culturelle au service de la diversité culturelle
Les bouleversements apportés par larrivée du numérique dans notre approche de la création et de celle de nos enfants ne doivent pas nous faire renoncer à une conviction politique forte et énoncée lors de nos combats à lOMC et à lOCDE dans les années 1980 et 1990 : nos uvres et nos industries culturelles ont des spécificités qui nécessitent que nous en favorisions lémergence, le financement et la diffusion la plus large, dans des cadres juridiques adaptés.
Parce que la culture est une quête de sens et un élément de citoyenneté et didentité, elle ne peut être considérée comme une monnaie déchange ou comme nimporte quel bien. Et le fonctionnement sans bornes du marché nest pas satisfaisant pour les uvres de lesprit.
La responsabilité qui est la nôtre - élu, auteur, réalisateur, financeur, diffuseur, et bien sûr citoyen - nest donc pas de défendre une exception culturelle franco-française, dano-danoise, etc.
Notre responsabilité doit être commune au sein de lUnion européenne car elle est politique : parce que notre objectif est que la culture doit être diverse, et non mono-chromatique, elle doit porter toute la palette de couleurs de la cinématographie européenne, et nous devons réaffirmer lexclusion des services audiovisuels et culturels, numériques ou analogiques, des règles du marché unique.
2-Il nous faut pour cela convaincre à léchelle européenne et affirmer nos principes sur la scène internationale.
Pourquoi prêcher à nouveau le bien fondé de lexception culturelle ? Parce que cet objectif que nous pensions atteint politiquement est à nouveau questionné avec les services permis par les nouvelles technologies, de même que dans nos échanges commerciaux.
Sur la scène internationale, ce combat sest incarné dans la convention de lUNESCO de 2005 sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles. Il est pleinement dactualité, mais il nest quà moitié gagné, car les pressions sont fortes encore, y compris dans les enceintes de lUnion européenne, pour considérer que la simple ratification de la convention de lUNESCO est un geste qui se suffit à lui-même et que l'Union européenne, en excluant les services audiovisuels de ses engagements de libéralisation commerciale en a épuisé la portée.
Dans les enceintes de négociation commerciale, il faut veiller à ce que les services permis par les nouvelles technologies bénéficient pleinement de l'exception, de même que les services culturels non audiovisuels.
A l'UNESCO, il faut donc engager la réflexion concrète sur les exigences de la diversité culturelle dans le nouveau contexte numérique.
En droit communautaire, cette exception culturelle existe également, dans la reconnaissance par le traité sur le fonctionnement de lUnion européenne, de ce que lUnion « tient compte des aspects culturels dans son action au titre d'autres dispositions des traités, afin notamment de respecter et de promouvoir la diversité de ses cultures » (article 167) ou encore dans le statut particulier que le traité accorde aux aides dEtat destinées à promouvoir la culture (article 107-3d). Ces avancées sont présentes dans les textes mais la pratique décisionnelle des institutions de lUnion européenne montre que les objectifs dharmonisation du marché intérieur, de respect de la concurrence ou de libéralisation commerciale dictent des agendas où les considérations de politique culturelle passent le plus souvent au second plan.
Cest la raison pour laquelle jentends ouvrir une démarche européenne de construction dune coalition de pays soucieux de défendre lidentité culturelle européenne et sa diversité au sein et entre nos pays. Nous pourrons ainsi rassembler plus largement en Europe et insister sur nos objectifs : diversité de loffre (pluralisme), dynamique de production domestique, accès le plus large et ouvert possible de tous aux contenus.
3-Quelles adaptations nous faut-il engager à lère du numérique ?
Lexception culturelle, en France, depuis le début des années 1980 ce sont des politiques volontaristes et concrètes : prix unique du livre, autorité indépendante de régulation des médias, chronologie des médias, contribution des chaînes de télévision au compte de soutien du CNC, engagements de création des chaînes de télévision
Ces politiques ont été suffisamment cohérentes pour tenir depuis 30 ans face à des mutations profondes : le marché unique, leuro, la crise, la multiplication des chaînes accessibles, lADSL et la fibre, lexplosion de linternet.
Depuis peu, laccès à la télévision sous ses formes les plus diverses, laccès aux uvres et aux contenus culturels se sont multipliés, à la faveur déquipements novateurs et souvent extrêmement faciles à utiliser (tablettes, téléphones mobiles multi-fonctions, télé connectée).
Sans que pour autant nos outils aient évolué aussi rapidement que souhaité ou avec lefficacité requise, et souvent dans un premier temps au détriment du respect du droit dauteur (comme cela sest opéré pour la musique) et dun partage de la valeur équitable (comme le souhaiteraient par exemple les éditeurs) !
Parce que le numérique a su faire émerger de nouveaux acteurs économiques et de nouvelles pratiques, il constitue également une opportunité collective formidable pour que nous adaptions nos outils de régulation et de soutien.
Ma conviction est forte que la contribution de ceux qui tirent profit des uvres de création pour leur propre développement économique puissent continuer de contribuer à leur financement.
La télévision est devenue accessible même sans offre spécifique sur internet fixe ou mobile. Cest ce qui confirme le bien-fondé dune approche volontariste concernant la taxe sur les services de télévision dans sa partie « distributeurs », actuellement en discussion avec la Commission européenne. La procédure dexamen du texte TST-D proposée par la France arrive à son terme le 21 octobre après deux prorogations. Pour éviter une phase dite dexamen approfondi, nous allons denotifier le texte du PLF 2012, et notifier les jours prochains un nouveau texte pour arriver à un accord avec la Commission qui permette un article en LFR. Ce texte devra reformuler dans des termes acceptables par la Commission, une taxe dassiette neutre faite de haut débit fixe et mobile, cale sur lactivité économique des fournisseurs daccès internet, avec un abattement qui tienne compte de la densité audiovisuelle du web. Nous respecterons ainsi les grands principes du compte de soutien. Tôt ou tard, ladaptation de nos outils de régulation sera nécessaire à la préservation dun financement de cette création cinématographique et audiovisuelle que nous voulons diverse.
A ce titre, je tiens à réaffirmer mon attachement aux principes du compte de soutien au cinéma et à limage animée, et de celui du Premier ministre qui par son arbitrage dans le cadre de la Loi de finances pour 2013 a su préserver les mécanismes globaux en renonçant aux écrêtements et plafonnements qui ont pu être pratiqués antérieurement.
Rappelons nous combien ce mécanisme permet par exemple quune cinématographie française rencontre près de 60 millions de spectateurs chaque année et favorise lémergence et la diffusion duvres étrangères, comme la palme dOr « Amour » de Michal Haneke, pour nen citer quune particulièrement emblématique.
La présence de Fernando Trueba est à ce titre éloquente et nous invite à nous unir pour réaffirmer ces messages et ainsi préserver les cinématographies nationales, espagnole ou encore italienne.
Cest également le sens de la mission Lescure, qui par son « Acte 2 de lexception culturelle », doit nous permettre de réinventer une régulation adaptée en faveur du développement de loffre légale, de la protection des droits, et des mécanismes de soutien financier.
Je précise que cette démarche participative - déjà plus dune vingtaine dauditions - associe étroitement notamment le ministère des affaires étrangères, pour que la cohérence de la proposition qui nous sera formulée sinscrive dans un schéma plus européen.
Jentends aussi proposer au gouvernement, en concertation avec mes collègues ministres de Bercy, de nous pencher sur les grands enjeux de la fiscalité touchant lensemble des tuyaux et des contenus (contenus numériques versus physiques, gros opérateurs mondiaux agrégateurs ou moteurs de recherche).
En conclusion, vous laurez donc compris, ma croyance est forte que lEurope qui sest construite depuis 60 ans en vue de favoriser un marché unique, peut aujourdhui écrire une page plus politique, une page culturelle fière de ses uvres diverses, produites dans des territoires forts de leurs artistes, et de leurs industries culturelles.
Le Président de la République a réaffirmé que si « LEurope reste la plus belle aventure pour notre continent, ( ) est la première puissance économique du monde, un espace politique de référence, un modèle social et culturel », « elle mérite un sursaut pour renouer avec lespérance ».
Jappelle de mes vux que nous tous ici réunis à Dijon, unissions nos énergies et nos enthousiasmes pour concrétiser demain, avec nos élus, nos commissaires européens, notre Président de la Commission européenne, ce sursaut au plan culturel.
Je vous remercie de votre attention.
Source http://www.culturecommunication.gouv.fr, le 24 octobre 2012