Conférence de presse conjointe de MM. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères, et Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense, sur la coopération franco-russe en matière de sécurité et sur la situation en Syrie, à Paris le 31 octobre 2012.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Conseil de coopération franco-russe sur les questions de sécurité (CCQS), à Paris le 31 octobre 2012

Texte intégral

Laurent Fabius - Mesdames et Messieurs, merci beaucoup d'être là. Je suis heureux d'accueillir aujourd'hui à Paris, mon collègue le ministre de la défense, le ministre des affaires étrangères de Russie, Sergueï Lavrov et le ministre de la défense de Russie, Anatoli Serdioukov. C'est la onzième session du Conseil de Coopération franco-russe sur les questions de sécurité. Ce Conseil est une enceinte de dialogue tout à fait unique qui montre la relation spécifique et importante qui lie la Russie et la France.
Nous avons eu des discussions ce matin et durant le déjeuner qui ont été utiles. Chacun d'entre nous s'exprimera brièvement et, ensuite, nous pourrons répondre à quelques questions.
Lors de mon entretien bilatéral avec Sergueï Lavrov et durant la session plénière qui nous a réuni tous les quatre, nous avons notamment abordé les questions qui touchent à la Syrie, à l'Iran, au Mali, à la lutte contre la piraterie, à l'Afghanistan, aux relations entre l'Union européenne et la Russie, entre l'OTAN et la Russie, ainsi que les questions bilatérales franco-russes.
Notre objectif commun est de rechercher le plus de convergences possible entre deux pays qui sont traditionnellement amis et qui sont tous les deux membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies. Ces convergences, on les retrouve en particulier sur le Mali et l'Afghanistan, ainsi qu'en matière de lutte contre la piraterie, mais ce ne sont pas les seuls sujets sur lesquels des convergences existent.
En tout cas, notre réunion a été utile et nous nous retrouverons bientôt. En effet, de nombreuses réunions France-Russie sont prévues dans la période qui vient, notamment cette réunion entre les deux Premiers ministres qui aura lieu très bientôt. Lorsque nous aurons terminé cette conférence de presse, nous irons ensemble rejoindre le président de la République à l'Élysée pour un entretien.
Voilà quelques éléments. Je vais donner la parole à M. Sergueï Lavrov et, ensuite, nos deux collègues chargés de la défense interviendront. Après quoi vous pourrez poser quelques questions.
Jean-Yves Le Drian - Nous avons eu avec mon collègue Anatoli Serdioukov notre première rencontre, notre premier entretien. En complément de ce qu'a dit Laurent Fabius sur le déroulé global de nos entretiens de ce matin, nous avons abordé tous les deux, en particulier, trois questions directement liées à nos compétences.
Concernant l'Afghanistan, j'ai évoqué avec Anatoli la manière dont la France effectuait son retrait et la façon dont nous appréhendions l'avenir. J'ai aussi eu l'occasion de le remercier de l'aide de la Russie pour le soutien logistique de notre retrait, en particulier par la voie Nord.
Deuxièmement, nous avons fait le point sur notre coopération en matière d'armement et nous avons pu constater que le projet de vente de deux bâtiments de projection et de commandement de type Mistral se déroulait convenablement. Nous en avons pris acte avec satisfaction. Nous avons par ailleurs évoqué d'autres pistes de coopérations possibles.
Enfin, nous avons évoqué ensemble la lutte contre la piraterie maritime. C'est un sujet important sur la partie de la Corne de l'Afrique et de l'Océan indien où nous avons déjà une collaboration très utile, essentiellement dans le cadre de l'Union européenne. Nous participons à trois initiatives européennes sur le secteur, en particulier celle qui est la plus connue, l'initiative Atalante. C'est une initiative de prévention et d'interpellation des marines européennes d'une part, et d'autres marines dont la marine russe d'autre part, pour assurer la sécurité des lignes maritimes dans cette partie du monde. Nous avons convenu ensemble de continuer à travailler dans cette direction puisque cela donne des résultats très concrets et que nous avons un abaissement de la piraterie depuis trois ans maintenant dans cette partie du monde. Il faut donc poursuivre dans ce sens.
Nous avons eu des relations extrêmement franches permettant d'envisager des suites utiles, y compris en évoquant avec toute franchise les relations entre l'OTAN et la Russie. J'ai eu l'occasion de rappeler que s'il y avait eu une impulsion positive au moment du Sommet de l'OTAN de Lisbonne permettant aux Comité OTAN-Russie de prendre une certaine dynamique, on n'avait pas retrouvé cet esprit à Chicago. Mais la France, par la voix du président de la République avait insisté fortement pour que la mise en oeuvre de la défense antimissile ne se fasse pas contre la Russie ; c'était l'une des conditions de la validation par la France du protocole qui a mis fin à ce Sommet.
Q - (en russe)
R - Laurent Fabius - Vous me posez la question de savoir si la France donne effectivement des armes aux rebelles syriens, la réponse est non.
Q - À propos de la défense anti-missile, pourquoi la France ne donne-t-elle pas des garanties juridiques pour assurer que cette défense anti-missile ne sera pas contre la Russie ?
R - Laurent Fabius - La position de la France, qui a été réaffirmée notamment - comme l'a fort bien dit le ministre français de la défense - au Sommet de Chicago, est de dire que le système anti-missile peut être accepté sous certaines conditions. Il y a six conditions qui ont été fixées par le président français et, parmi celles-ci, il y a le fait que nous considérons que la défense anti-missile ne peut pas être conçue et mise en pratique contre la Russie.
Q - Pardonnez-moi, je vous repose la question : la France aide-t-elle la Syrie en fournissant des armes comme en Libye ?
R - Laurent Fabius - Non
Q - Récemment, un rapport médiatique d'une télévision occidentale a démontré qu'il y avait des djihadistes combattant en Syrie armés par l'OTAN. Pouvez-vous nous confirmer la présence de soldats français ou de combattants djihadistes de nationalité française en Syrie ?
De plus, il y a quelques semaines, la France a accueilli ici des représentants de zones libérées en Syrie. Reconnaissez-vous la présence de zones libérées en Syrie ?
(...)
R - Laurent Fabius - Il n'y a pas d'armement de l'OTAN livré à une partie syrienne. Quant à des soldats français qui se trouveraient sur le sol de la Syrie, la réponse est évidement et clairement non.
Je souhaite dire que concernant les zones libérées, puisque c'est un concept qui a été beaucoup utilisé notamment par les Français, nous apportons de l'aide matérielle qui sert à rétablir les infrastructures de base dans ces zones comme par exemple les boulangeries industrielles, les systèmes d'épuration....
De quoi s'agit-il ? Il y a des territoires avec des zones contrôlées de manière différentes. Dans certains endroits, c'est le régime de M. Al-Assad et, dans d'autres endroits, ce sont des résistants. Il y a des zones qui ont été attaquées durement et où, finalement, ce sont les résistants qui l'ont emporté. Il y a aussi des zones contrôlées par les résistants sans qu'il n'y ait eu d'affrontements avec le régime de Bachar Al-Assad car elles étaient hors de portée. Dans certaines de ces zones, il y a des conseils qui ont été élus par la population et qui commencent les administrer.
Nous avons estimé que, plutôt que de donner une aide humanitaire qui souvent peut être détournée ou ne va pas exactement à ceux qui en ont besoin et auxquels elle était destinée, nous pouvions apporter une aide directement à ces zones libérées. D'autant que cela peut préfigurer, dans une certaine mesure, ce que pourra être une Syrie libre où chacun devra élire ses représentants. Nous apportons donc de l'aide matérielle qui n'est pas militaire à ces zones libérées.
Et d'autres pays, comme le Canada, la Croatie ou encore d'autres qui pensent que c'est une bonne manière de procéder car il y a des problèmes humanitaires qui sont considérables et pas seulement en Syrie mais aussi en Jordanie, au Liban et ailleurs. Nous voulons contribuer à la résolution de ces problèmes humanitaires et pour ce faire, nous souhaitons que notre aide parvienne à la population pour qu'elle puisse se chauffer, pour qu'elle puisse avoir de l'eau, de la nourriture et qu'elle puisse se soigner.
(...)
Q - Monsieur Fabius, êtes-vous parvenu, lors de cet entretien, à surmonter vos divergences dans l'interprétation de l'Accord de Genève, notamment autour d'un point précis, celui du départ de Bahar Al-Assad ou bien de son maintien au pouvoir ?
R - Laurent Fabius - Oui, nous avons bien sûr évoqué ce point parce que Sergueï Lavrov et moi-même étions présents lors de la rédaction de l'Accord de Genève. Nous en avons discuté et nous l'avons paraphé ensemble.
Simplement, comme vous le soulignez vous-même, il y a eu, à l'issue de cette réunion de Genève, une divergence d'interprétation. Nous-mêmes considérant qu'il n'y avait pas de solution si M. Bachar Al-Assad restait au pouvoir, alors que - Sergueï me corrigera si je me trompe - nos collègues russes disaient que ce n'était pas une question de souhait, puisque M. Bachar Al-Assad pour le moment était là et qu'il fallait donc compter avec lui.
C'est évidemment une des difficultés majeures. C'est la raison pour laquelle, même s'il peut y avoir une divergence d'interprétation là-dessus, il existe en revanche des points sur lesquels nous sommes tout à fait d'accord.
D'une part, plus le conflit syrien dure, plus il y a malheureusement des victimes et il faut d'abord penser à elles ; plus le conflit devient difficile à résoudre car cela provoque une exacerbation des oppositions, notamment confessionnelles ; plus il y a des personnes totalement étrangères au conflit qui risquent de venir ou qui viennent en Syrie ; plus ce qui faisait une des spécificités de la Syrie, c'est-à-dire la coexistence de différentes communauté devient difficile alors que nous considérons, aussi bien les Russes que nous-mêmes, qu'il est absolument indispensable que les droits des communautés qui composent la Syrie soient garantis. Nous disons que l'on n'arrivera pas à trouver de solutions qui prévoit que M. Bachar Al-Assad reste au pouvoir.
Il faut qu'il y ait un changement mais, en même temps, il est nécessaire que les institutions puissent continuer à fonctionner parce que sinon on risque d'avoir en Syrie, le même processus qu'en Irak où on a changé de dirigeants et où il y a eu un tel vide que pendant des années et des années on a assisté à des exactions réciproques.
C'est toute la difficulté et c'est la raison pour laquelle, même si nous avons encore une fois des différences qui sont connues, je crois ne pas travestir la réalité en disant que nous souhaitons l'un comme l'autre qu'il y ait une union des forces de l'opposition. En effet, si l'on veut discuter, il faut que les parties qui discutent soient le plus possible rassemblées.
Donc oui, une différence d'appréciation parce que nous nous disons que M. Bachar Al-Assad étant là, on ne voit pas comment cette discussion s'instaurerait alors que nos collègues russes disent qu'il faut trouver une solution en prenant en compte Bachar Al-Assad.
Mais sur la volonté que le conflit cesse, que l'on aille vers un cessez-le-feu qui puisse être garanti, que l'on puisse trouver des solutions pour que les communautés puissent coexister, que la Syrie soit libre, et que l'on évite une contagion régionale extrêmement dangereuse : il y a des points de convergence entre la France et la Russie. En tout cas, nous sommes en contact, nous discutons et nous souhaitons aussi bien sûr que le Conseil de sécurité puisse jouer son rôle parce qu'il a un rôle très important à jouer dans cette crise. Il est nécessaire que le Conseil de sécurité puisse retrouver son rôle pour arriver à une solution satisfaisante en Syrie. Mais je ne veux pas interpréter ta pensée, Sergueï, donc peut-être peux-tu compléter.
(...)
Je me rappelle fort bien effectivement la phrase qui à la demande de nos collègues russes avait été supprimée. En même temps, c'était une négociation, et comme toute négociation, elle a été le fruit d'un compromis.et donc en conséquence, une autre phrase, je parle de mémoire, avait été ajoutée disant qu'il fallait que «the governing body», c'est-à-dire l'élément qui allait gouverner, soit désigné sur la base d'un consentement mutuel de toutes les parties - ce qui n'est pas à proprement parler la définition que je donnerais de M. Bachar Al-Assad.
Maintenant, ce qui est important au-delà de l'interprétation que les uns et les autres peuvent avoir, c'est d'essayer d'aller de l'avant pour trouver des solutions, pour faire en sorte qu'il y ait un cessez-le-feu qui soit respecté et qu'il y ait des évolutions pour que le peuple syrien puisse retrouver sa liberté. De ce point de vue, à la fois les Russes et les Français mettent leur confiance dans la mission de Lakhdar Brahimi - qui était chez toi il y a deux jours je crois, que j'ai eu au téléphone, qui est à Pékin aujourd'hui et qui fait le tour d'un certain nombre de capitales. Le moment venu, il pourra, ayant entendu toutes les parties, formuler des propositions qui, nous l'espérons, pourront permettre de sortir de la grave crise actuelle.
(...)
Q - Monsieur Fabius, si vous le permettez, y a-t-il une possibilité d'avoir un «Genève 2» avec une solution que la France pourrait peut-être trouver avec vos partenaires russes ?
R - Laurent Fabius - La France est à disposition pour toute solution utile. Ce qui se passe en Syrie est un drame abominable : près de 35.000 morts, des centaines de milliers de personnes déplacées, des réfugiés également par centaines de milliers. Vous avez non pas un seulement un risque mais bien un conflit qui devient de plus en plus régional et même international. Donc, tout contribue à ce qu'il faille trouver absolument une solution à ce conflit et, à chaque fois que la France pourra aider à trouver une solution, elle le fera. Nous mettons beaucoup de confiance dans M. Brahimi, qui a été désigné par les Nations unies et nous sommes bien sûr totalement disponibles et également à l'initiative et nous continuerons d'avoir des contacts bien sûr avec la partie russe.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 16 novembre 2012