Déclaration de M. Alain Richard, ministre de la défense, sur l'Europe de la défense et la coopération européenne en matière d'industrie d'armement, Paris le 17 juin 2001.

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Circonstance : Conférence internationale de l'aéronautique et de l'espace de défense "Air 2001", Paris le 17 juin 2001

Texte intégral

Mes chers collègues élus,
Mesdames et Messieurs les officiers généraux,
Mesdames et Messieurs les présidents de société,
Mesdames et Messieurs,
Hier s'est ouvert au Bourget le 44° salon international de l'air et de l'espace, dont la renommée n'est plus à démontrer et qui revêt cette année une importance particulière pour l'industrie européenne et pour la politique européenne de sécurité et de défense que nous développons avec nos partenaires politiques, en concertation avec nos alliés. Je remercie le chef d'état-major de l'armée de l'air et le président du groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales d'avoir organisé ce colloque, en prologue du salon, de cette conférence internationale de haut niveau. Je salue cordialement tous les responsables militaires et industriels du monde entier qui, par leur présence et leur participation, marquent leur intérêt pour les grandes évolutions que nous pourrons mettre en uvre en matière de défense. Je voudrais justement souligner le caractère innovant de ce colloque qui prouve, je crois, l'importance que notre pays accorde à la coopération militaire et d'armement au service de la coopération politique entre pays amis. La présence, ici, de 50 chefs d'état-major des armées de l'air ou de leurs représentants démontre que cette conception est très largement partagée.
Si vous le voulez bien, je souhaiterais rappeler les conditions de notre engagement au Kosovo avant d'esquisser les enseignements que nous avons pu en tirer.
Il y a un peu plus de deux ans, les opérations militaires menées au Kosovo constituaient, pour nos forces armées, un engagement de forte intensité marqué par de longues périodes de frappes aériennes. Ces opérations conduites au sein d'une coalition multinationale mettaient à l'épreuve nos armées elles-mêmes, mais également la conception de notre outil de défense et la conception du dispositif de sécurité européen et atlantique.
Au cours des opérations aériennes, nous avons su faire un usage maîtrisé de la force militaire, en cohérence avec nos objectifs politiques.
La stratégie aérienne a présenté les meilleures garanties pour assurer une issue favorable de la crise. Par sa souplesse de mise en uvre, son haut degré de réactivité, elle a permis de s'adapter aux conditions d'évolution du conflit et de relier efficacement la manuvre militaire à l'action diplomatique. Dans ce contexte, l'usage de la force aérienne a apporté la preuve de sa capacité coercitive vis-à-vis des forces adverses sur le terrain. Elle a été le moyen principal permettant d'enclencher le règlement politique de la crise et de mettre en uvre le dispositif d'interposition et de sécurité qui est encore en place aujourd'hui et qui obtient les résultats attendus.
Du point de vue technique et opérationnel, notre engagement au Kosovo a démontré toute l'importance de la technologie en matière de maîtrise de l'information, d'appréciation de situation stratégique et tactique, d'analyse des cibles, d'adaptation des armements et des procédures d'engagement dans le contexte politique et humanitaire très particulier de ce conflit.
Certaines insuffisances ont été néanmoins décelées, qui ont rendu nécessaire de poursuivre la réflexion, sans pour autant remettre en question la qualité des matériels, ni des hommes qui les servent.
La capacité d'adaptation technologique de nos industriels a été fortement sollicitée, et ils ont su réaliser dans l'urgence des modifications d'équipement prévues à plus long terme, permettant ainsi à nos forces d'uvrer dans des domaines d'action partiellement ouverts. Cette capacité s'est révélée très utile, car la réactivité est un atout majeur dans la gestion des crises.
Je l'ai dit à l'époque, la France a mis en uvre une large gamme de moyens opérationnels, en particulier aériens, dont la qualité nous a permis de peser au sein de la coalition et d'apporter notre contribution à l'action militaire conduite sous l'égide de l'Alliance. Notre interopérabilité avec les forces de l'OTAN a été globalement assurée, même si de nombreux progrès seront encore à faire.
La France a été en mesure, tout au long des opérations, d'exprimer clairement ses choix politiques tout en restant pleinement solidaire de ses alliés. De ce point de vue, la stratégie aérienne a montré qu'elle se prêtait particulièrement, dans sa conduite, à une gestion politique partagée de la crise.
Les enseignements du Kosovo et d'autres engagements récents ont donné une réelle impulsion à la construction de la politique européenne de sécurité et de défense en permettant une prise de conscience des opinions et en apportant des éclairages opérationnels nouveaux. L'accent a été mis sur la nécessité de construire un outil commun avec des institutions de décision et des capacités opérationnelles crédibles, autonomes et projetables, au sein desquelles l'arme aérienne tient toute sa place.
L'année passée a été marquée par une avancée significative dans la construction de l'Europe de la Défense. L'Europe est en train de se donner les moyens de mener une politique commune en matière de sécurité et de défense.
Pour les capacités militaires, vous le savez, les Etats membres se sont fixés à Helsinki, il y a à peu près deux ans, l'objectif d'être en mesure, d'ici 2003, de déployer en moins de 60 jours et de soutenir pour une durée d'au moins un an, des forces pouvant aller jusqu'au niveau d'un corps d'armée. Ces forces doivent être autosuffisantes d'un point de vue militaire et dotées des capacités adaptées de commandement, de contrôle et de renseignement, de la logistique et d'autres unités d'appui aux combats ainsi que, là où cela est nécessaire, d'un accompagnement naval et aérien.
Depuis le Conseil de Feira, au mois de juin 2000, les Quinze ont mené à bien le délicat travail de traduction en organisation militaire de ces objectifs. Pour la première fois, des représentants militaires des quinze nations réunies ont effectué ensemble un travail de planification militaire, et chacun voit qu'ils l'ont accompli de manière exemplaire. Ce travail a été rendu possible, bien sûr, par la volonté politique qui le sous-tendait.
L'Europe affirme aujourd'hui ses capacités en traçant des perspectives au long terme, et en posant les premières bases d'une culture de défense commune.
Les objectifs politiques ont donc désormais une première traduction concrète, celle des documents de planification militaire, jusqu'au niveau du détail. C'est le " catalogue de capacités ". Ce document de plus de 300 pages organise de manière rigoureuse les capacités militaires nécessaires pour assumer l'ensemble des missions de Petersberg : aide humanitaire, évacuation des ressortissants, prévention des conflits, séparation par la force des parties belligérantes. D'autre part, nous avons adopté, au mois de novembre de l'année dernière, le " catalogue de forces ", qui retranscrit les contributions annoncées par chacun des Etats membres.
Les contributions volontaires confirmées par les Quinze dans le catalogue de forces constituent un réservoir de plus de 100 000 hommes, d'environ 400 avions de combat et de 100 bâtiments navals. Ces contributions permettent donc, sur le plan quantitatif, de répondre intégralement à l'objectif global défini à Helsinki.
La conférence d'engagement tenue en novembre dernier va au-delà de ce catalogue. Nous sommes en effet convenus que nous devions poursuivre ensemble un travail d'amélioration qualitative de ces forces, en particulier pour en améliorer encore la réactivité, la disponibilité, la capacité de déploiement, l'interopérabilité. C'est en conséquence de cette orientation que le comité directeur du Groupe aérien européen vient de décider, le 6 juin 2001, de créer une cellule de coordination du transport aérien européen. Cette cellule chargée de coordonner et d'optimiser l'emploi de moyens de transport et de ravitaillement en vol des 7 nations du groupe sera créée le 17 septembre prochain sur la base aérienne de Eindhoven. Il s'agit d'un exemple concret qui montre que la dynamique commune se poursuit avec des impacts réels. L'Europe de la Défense constitue une dimension centrale que nous prenons en compte dans l'organisation de nos forces et la définition de notre posture stratégique. Elle ne s'oppose en rien à l'Alliance atlantique mais, compte bien, au contraire, la renforcer et la compléter.
Grand projet politique, l'Europe de la Défense est aussi un grand projet industriel. A l'occasion du salon du Bourget, je tiens à vous rappeler le processus de consolidation que les industries de défense européennes ont réalisé ces dernières années, avec succès. C'est en fait une véritable spirale vertueuse qui s'est engagée entre la constitution de grands groupes européens de défense et l'émergence d'une Europe de la Défense.
En effet, pour exister, l'Europe de la Défense doit pouvoir s'appuyer sur une industrie de défense européenne forte et compétitive.
Le maintien de la compétitivité et le développement de nouvelles générations de produits passaient par le développement de partenariats et d'alliances entre les différents acteurs européens de cette industrie et par des adaptations progressives des capacités industrielles. C'était l'enjeu de la place de ces industries sur le marché mondial.
Les quatre dernières années ont été propices à la consolidation de ce secteur industriel.
EADS, issu de la fusion d'Aérospatiale Matra, du groupe allemand DASA et de l'entreprise CASA, a été créé en un temps record. Français, Allemands et Espagnols ont déjà su surmonter une partie des difficultés inévitablement liées à ce type de fusions. Sans vouloir minimiser ces obstacles, je crois que la direction d'EADS a su créer, tant au niveau central qu'au sein des filiales opérationnelles, la nécessaire logique d'intégration qui sous-tend ce projet industriel ambitieux.
Le groupe Thales est à présent le pôle européen de référence en matière d'électronique professionnelle et de défense. Fortement dual, solidement implanté dans plusieurs pays d'Europe et au-delà, Thales a maintenant tous les moyens de jouer un rôle majeur au niveau mondial.
L'action des Etats, complémentaire aux alliances des groupes industriels, a également été dans le bon sens. Je vous rappelle qu'en décembre 1997, les chefs d'Etats et de Gouvernements français, britannique et allemand ont demandé, dans une déclaration commune, une consolidation de l'industrie de défense en Europe. Un traité entre les 6 Etats les plus concernés par l'industrie européenne de défense, pour donner des règles légales d'activité adaptées à ces groupes transnationaux, a été signé, il y a moins d'un an, le 27 juillet 2000. Cet accord-cadre constitue l'aboutissement de la démarche de la " LOI " initiée en 1998. Enfin, l'Organisation conjointe de coopération en matière d'armement (OCCAR) réalise sa montée en puissance. Elle a, depuis le 28 janvier 2001, la personnalité juridique, ce qui lui permet de réaliser une coopération d'armement de niveau plus efficace entre les pays partenaires. Elle soutiendra donc la compétitivité de notre industrie de défense européenne en développant des programmes communs.
Il faut désormais que les Etats se coordonnent davantage pour constituer un acheteur puissant face à ces grands groupes industriels, afin d'obtenir en commun - industriels et gouvernements - les gains d'efficacité que nous attendons de cette ambition européenne.
Plusieurs programmes ambitieux sont en cours de réalisation ou de définition. Dans le domaine aérien, je veux citer l'avion de transport stratégique, l'A400M. Je viens de confirmer, à mes homologues la signature, mardi 19 juin 2001, du MoU, qui marque une étape importante dans l'avancement de ce programme. L'objectif suivant sera de conclure le contrat avec l'industrie, d'ici le mois de septembre prochain.
La montée en puissance de l'OCCAR doit permettre d'accroître notre coopération en matière de recherche, de réalisation et de suivi des projets industriels. L'accent sera mis sur la nécessité de prendre en compte dans les programmations militaires nationales l'adaptation des capacités, notamment dans les domaines prioritaires du renseignement, du contrôle et du commandement, de la précision des armes ou de l'action à distance sous toutes ses formes.
La maîtrise de la violence et le contrôle des espaces imposent désormais des actions de projection de moyens aptes à délivrer des modes d'actions militaires souples et rapidement réversibles, au contact des populations, très souvent en milieu urbain et alternant rapidement l'accompagnement d'un effort humanitaire et le contrôle de la sécurité des personnes, jusqu'aux opérations de maintien de la paix pouvant impliquer des phases de combat aéro-terrestre et maritime de haute intensité.
Ces axes d'action font l'objet des travaux menés actuellement dans la préparation de notre future loi de programmation militaire, pour la période 2003 à 2008, qui s'inscrira de manière croissante dans un cadre européen, en complément des moyens de l'Alliance atlantique qui demeure le fondement de notre sécurité collective.
Le délégué général pour l'armement Yves GLEIZES a rappelé dans l'introduction des travaux menés cet après-midi, les grands programmes que notre pays doit mener à bien, au bon niveau de performance et à moindre coût.
Qu'il s'agisse d'avions de combat, d'armes air-air et air-sol, d'hélicoptères de combat et de transport, du futur avion de transport européen, de drones, de satellites d'observation ou de télécommunication, que ces programmes soient menés dans un cadre national ou, comme c'est le cas pour la majorité d'entre eux, en coopération, je suis convaincu que la bataille de la technologie sera remportée. Elle l'est déjà dans un grand nombre de domaines, particulièrement illustrés par le système d'armes Rafale et ses premiers armements.
Il est essentiel maintenant de remporter également la bataille des coûts. L'exercice de nos responsabilités, militaires et politiques, s'effectue désormais dans un environnement budgétaire rigoureux qui impose à tous les responsables politiques, militaires et industriels de concevoir des systèmes d'armement optimisés en termes de qualité, de délai et de prix de revient. Défi pour l'industrie, cela concerne également chacun d'entre nous, tant il est vrai que c'est une définition optimisée en amont qui conditionne le succès d'un programme. Ceci implique un important travail d'analyse des besoins militaires, de confrontation avec les technologies disponibles et émergentes, d'organisation du tissu industriel et de pertinence des choix qui sont très souvent le fruit de difficiles compromis. Pour ne citer qu'un exemple, la maintenance d'un équipement doit être conçue dès le départ d'un programme.
La conférence à laquelle vous venez de participer me semble un moyen privilégié de partage de nos expériences réciproques, et je me réjouis que ce travail se fasse entre pays européens et membres de l'Alliance, mais aussi avec de nombreux autres grands partenaires de notre pays. J'ai ainsi bien noté la contribution aujourd'hui de nos amis hors d'Europe. Je les en remercie chaleureusement.
Cette journée est ainsi révélatrice de l'évolution du contenu de la coopération d'armement entre la France et ses partenaires. Auparavant centrées sur la seule acquisition d'armement, elles s'étendent aujourd'hui aux bénéfices réciproques des partenaires, à une coopération militaire et technologique qui inclut la formation, l'action en opérations en commun, l'échange d'expériences et de technologies, la participation commune à des programmes. Permettez-moi de témoigner ici de la satisfaction des personnels de mon ministère et des industriels français pour la richesse et l'intérêt de ces contacts dans la durée : cela fait partie de notre approche de la coopération d'armement. Votre présence nombreuse aujourd'hui est un encouragement à poursuivre dans la voie d'une coopération toujours plus ouverte.
Je souhaite conclure mon propos en évoquant la situation de l'armée française et de sa composante aérienne. Le processus de professionnalisation de cette arme est à présent achevé, et nous disposons d'équipes d'une grande compétence, aptes à mener les missions opérationnelles que rendraient nécessaires nos engagements internationaux.
Elles s'appuieront sur le programme Rafale qui a fait la preuve de son efficacité et est stabilisé, en termes budgétaires, au sein de nos forces. Il arrive actuellement en dotation au sein de la marine nationale et le sera en 2005 au sein de l'armée de l'air.
Tout en me félicitant de la qualité de nos technologies, je souhaite m'associer aux propos tenus par le général Jean-Pierre JOB en introduction de cette journée.
La complexité des situations auxquelles les politiques et les militaires doivent faire face, place plus que jamais l'homme au cur de l'action, quelle que soit l'excellence des outils de combat qui lui sont confiés. Les qualités propres des personnels militaires se révèlent déterminantes pour remplir les grands objectifs que j'ai rappelés : la maîtrise du milieu aérospatial, l'adaptation à la manuvre politique et diplomatique, la maîtrise de l'information quand il s'agit de l'interpréter pour la rendre utilisable par le décideur, la maîtrise enfin des effets militaires quant il s'agit d'allier leur efficacité et leur impact sur les opinions publiques.
[Conclusion]
Pour conclure, je voudrais à nouveau remercier les organisateurs de cette conférence, et les personnalités civiles et militaires qui ont bien voulu enrichir de leur participation la haute tenue de ce forum. La qualité des interventions et la richesse des sujets abordés reflètent parfaitement la volonté de tous les acteurs de saisir les enjeux stratégiques auxquels nous sommes confrontés et de dégager dans le meilleur esprit de coopération les solutions militaires et technologiques que l'arme aérienne est capable d'y apporter.
Je vous remercie de votre attention.
(source http://www.defense.gouv.fr, le 22 juin 2001)