Texte intégral
"comment interprétez-vous le relatif silence des politiques au sujet de la nouvelle donne internationale ?
- Pour beaucoup, cette nouvelle donne constitue une remise en cause. Ils n'ont pas vu, ou pas voulu, voir la menace de ce fanatisme islamique qui défigure l'islam. Ils sont restés passifs devant l'odieux régime des talibans en Afghanistan et l'installation dans ce pays de foyers de terrorisme. Ils n'ont pas eu le courage de remettre en cause notre politique étrangère au lendemain de la chute du mur de Berlin. Je me suis trouvé bien seul quand j'ai essayé de relayer, en France et au Parlement européen, les cris d'alarme du commandant Massoud, que j'étais allé soutenir dans la vallée du Panchir. Aujourd'hui, il n'est pas facile d'expliquer pourquoi on a vendu des armes à l'Angola ou au Pakistan, et refusé d'aider l'Alliance du commandant Massoud.
- Ce débat va-t-il faire apparaître de nouveaux clivages ?
- Il y a d'un côté l'ancienne politique héritée de la guerre froide, assise sur le principe de non-ingérence et de souveraineté absolue, et qui faisait bon marché des droits de l'homme. C'est la politique africaine ou la politique arabe de la France, faite d'amitiés douteuses qui ont perdu toute justification depuis la chute du mur de Berlin. De l'autre côté, il y a un nouvel ordre international en gestation, fondé sur le respect des valeurs universelles et sur la légitimation, certes délicate, du droit d'ingérence. Ce nouvel ordre est encore balbutiant : si l'on sait protéger les riches Koweïtiens, on ne sait pas agir pour les Tibétains opprimés. On réagit devant l'horreur des crimes de New York, mais on reste encore indifférent devant le génocide perpétré au Soudan. L'après-11 septembre porte l'exigence d'une nouvelle approche de la politique étrangère.
- Quel a été le moteur de cette politique que vous dénoncez ?
- Le conflit Est-Ouest et la menace soviétique qui pesait sur nous nous ont conduits à soutenir des régimes oppresseurs, contraires à nos valeurs, ennemi principal oblige. Mais on a pris de bien mauvaises habitudes et nous n'avons pas su rompre à temps avec cette politique. Il est vrai que ces régimes nous offraient de juteux marchés et étaient de bons clients pour nos ventes d'armes. Derrière l'intérêt national invoqué, il serait intéressant de savoir, de l'Irak au Pakistan en passant par l'Angola, quelle est la part des commissions générées par ces douteux marchés.
- Les regrets tardifs exprimés sur la dépouille du comman-dant Massoud ne sont-ils pas le fruit de la Realpolitik que vous dénoncez ?
- J'y vois une prise de conscience, mais qui peut tourner court si la réponse aux crimes de New York devait se limiter à la libération du peuple afghan du joug taliban, et à une grande coalition de lutte contre le terrorisme incluant une série d'Etats qualifiés il y a encore quelques semaines d'Ëtats voyous". En rester là reviendrait à dire au monde que notre réaction est celle de la vengeance des Américains morts à Manhattan et à Washington, et non pas un combat pour des valeurs universelles.
"C'est pourquoi je suis convaincu que, derrière la coalition contre le terrorisme, il va nous falloir construire un nouveau pacte démocratique entre les pays dont les systèmes politiques garantissent les libertés fondamentales. C'est sur cette base que nous pourrons construire un nouvel ordre international. Nous devons ouvrir les yeux sur tous les massacres perpétrés dans le monde, de l'Algérie au Soudan, et en finir avec les complaisances vis-à-vis de ceux des Etats qui oppriment les peuples.
- Quel bilan dressez-vous de l'action diplomatique de la France sous le septennat de Jacques Chirac ?
- Nous ne sommes pas à l'heure des bilans mais à celle des remises en cause. Il nous faut remettre de la morale et des valeurs dans notre politique étrangère, et avoir des comportements conformes à ces valeurs. On peut certes recevoir les dirigeants communistes chinois, mais il est des signes de connivence dont on peut se dispenser. De même, j'aurais souhaité que Jacques Chirac ne déroule pas le tapis rouge devant les dirigeants syriens et qu'il reçoive le commandant Massoud lorsqu'il était à Paris.
- Vous souhaitez une "solidarité sans faille" avec les Etats-Unis. Ne craignez-vous pas que l'opinion publique ainsi que les responsables politiques français ne soient plus réservés ?
- Les Français, qui se souviennent que les Américains sont venus deux fois se battre et mourir pour nous, font preuve d'une solidarité instinctive. Quant aux hommes politiques français, ils adorent donner des conseils aux Américains... car c'est la preuve de leur existence ! En revanche, il est navrant de lire ou d'entendre, ici et là, que ce qui arrive aux Américains est au fond... la faute des Américains. Il faut récuser fermement cette culture qui conduit à excuser le terrorisme."
(Source http://www.demlib.com, le 15 octobre 2001)