Texte intégral
Je voulais, avant de quitter Le Caire, avec Mme Guigou, présidente de la Commission des affaires étrangères de l'Assemblée nationale qui a eu la gentillesse de m'accompagner, vous faire un petit point.
C'est un voyage de deux jours. Hier nous sommes allés en Libye et j'étais le premier membre d'un gouvernement étranger à pouvoir m'exprimer devant l'Assemblée nationale libyenne. Il s'agissait donc d'un moment émouvant et fort. Le thème de mon intervention était le suivant : «la France a été la première à vous soutenir au moment où vous vous libériez de Kadhafi. Donc, nous serons évidemment les premiers à vous soutenir au moment de la reconstruction». Nous avons rencontré les nouvelles autorités libyennes, qui sont des personnes de grandes qualités, évoqué le partenariat stratégique que nous voulons nouer entre la Libye et la France et j'ai invité, au nom du président français, le président et le Premier ministre à venir en France. Il est prévu prochainement une conférence sur les questions de sécurité - qui sont tellement importantes en Libye - qui pourrait se tenir à Paris au début du mois de décembre.
Ensuite, nous sommes venus en Égypte pour ce sommet entre l'Union européenne et la Ligue arabe. C'est la deuxième fois, vous le savez, que ce sommet a lieu. Cette rencontre est intéressante à la fois par les sujets abordés et par les contacts que cela permet, ainsi que bien évidemment par les sujets d'actualité qui ont été évoqués. Nous avons eu l'occasion, avec Mme Guigou, ce matin, de rencontrer les nouveaux dirigeants de la coalition nationale syrienne : son président, d'une part, et Georges Sabra, d'autre part, qui est le président du CNS. Je leur ai dit le soutien que la France apporte à cette coalition nationale. Je vous rappelle que François Hollande et moi-même avons été les premiers, au mois d'août dernier, à non seulement demander que l'opposition s'unisse mais à dire que dès lors qu'ils seraient représentatifs, nous reconnaîtrions le gouvernement provisoire syrien, pour bien montrer qu'il existait une alternative au régime de Bachar Al-Assad. Nous avons discuté avec ces deux dirigeants de leurs projets, de ce qu'ils attendaient de nous. J'ai une impression extrêmement positive des personnes que j'ai eues en face de moi. M. Sabra, que je connais bien, sait que la France est l'amie de la Syrie libre et démocratique. Il l'a reconnu lui-même puisque François Hollande est le premier à avoir reçu à l'Élysée le CNS. Nous avons parlé du futur, de leurs projets.
Ensuite j'ai participé à la réunion proprement dite, entre la Ligue arabe et l'Union européenne. J'ai développé deux séries d'arguments. Le premier est que l'année 2013 allait être l'année internationale de tous les dangers, puisque nous avions à la fois le risque nucléaire iranien, la question israélo-palestinienne, la question syrienne, sans oublier la question du Mali ; tout cela étant à la fois différent et lié. Dans ce contexte, il est absolument indispensable que l'Union européenne et la Ligue arabe travaillent très étroitement ensemble pour essayer de trouver des solutions de paix à ces problèmes si difficiles.
Et puis j'ai abordé directement la question de la Syrie et ce que nous pensions de la coalition nationale qui s'était mise en place. C'est une coalition très représentative, à la fois de personnes élues qui représentent, et c'est ce que nous souhaitions, la diversité des courants d'opposition syrienne et à la fois différentes communautés. Elle s'est donné une feuille de route qui veut être inclusive et qui en même temps a vocation à établir un gouvernement provisoire. J'ai dit nettement que notre souhait était que les différents pays reconnaissent la coalition nationale syrienne comme le représentant légitime du peuple syrien. Le président François Hollande tient une conférence dans quelques dizaines de minutes et il sera vraisemblablement interrogé sur ce point. Il utilisera la formule qu'il souhaitera utiliser. Je l'ai eu au téléphone ce matin, je lui ai fait le point de notre conversation et il dira donc au nom de la France quelle est notre position. Mais je vous donne une indication qui donne le chemin sur lequel nous allons.
J'ai eu aussi l'occasion avec Mme Guigou de rencontrer, parallèlement à notre réunion, un certain nombre de personnalités : M. Brahimi avec qui nous avons échangé sur ce qu'il fallait faire pour essayer de contribuer à la solution du problème syrien ; mes collègues William Hague et Guido Westerwelle, anglais et allemands, avec qui nous travaillons chaque semaine et avec lesquels nous avons échangé sur différents sujets ; le ministre des affaires étrangères du Fatah et un certain nombre de collègues de différents pays qui ont souhaité me rencontrer. Dans quelques minutes nous allons partir pour Paris avec le sentiment que ces deux jours ont été utiles. Je suis à vous.
Q - Dans l'hypothèse folle que François Hollande reconnaisse dans quelques instants cette coalition, est-ce qu'il ne serait pas précipité justement de la reconnaître ?
R - Comme vous dites, dans l'hypothèse où ce serait le cas. Hier, je vous le disais, j'étais en Libye et je rappelais à mes interlocuteurs d'aujourd'hui que la France, à l'époque, avait été la première à reconnaître le Conseil National de transition, c'était son nom. Et à l'époque, majorité et opposition réunies d'ailleurs, nous avions souhaité cette reconnaissance. Aujourd'hui, me trouvant en Libye, reçu par les nouvelles autorités, je constatais que ce qui avait été la reconnaissance, qui avait été jugée à l'époque peut-être par certains comme trop précoce, est simplement l'anticipation et l'aide à ce qui s'est effectivement produit.
Comparaison n'est pas raison, mais je me rappelle très bien qu'au mois d'août, lorsque François Hollande et moi-même avons lancé en France et devant la communauté internationale le projet de favoriser l'union de l'opposition et d'aller vers un gouvernement provisoire, on nous a fait le reproche que vous nous avez dit. C'était au mois d'août, aujourd'hui nous sommes en novembre, donc 3 à 4 mois se sont écoulés et on y est presque. Donc ce qui est l'utopie de la veille devient la réalité le lendemain. Le rôle des politiques, et singulièrement de la France, qui doit être à l'initiative, c'est de rendre possible ce qui est souhaitable. Alors, il y aura encore des étapes, bien sûr, parce que ce que vous me dites est juste : on n'est pas encore au gouvernement provisoire, il y a des éléments à parfaire. Nous avons demandé l'union de l'opposition : elle a fait un énorme pas en avant. Nous avons demandé que l'on aille vers un gouvernement provisoire : c'est désormais la feuille de route. Il paraît normal d'en tirer les conséquences et que la France, une fois de plus, soit à l'initiative.
Q - Si on inversait la question et si on disait que vous n'êtes pas allés assez loin puisque certains réclament d'aider matériellement, au niveau des armes, l'opposition syrienne, la rébellion syrienne - puisque c'était le cas en Libye ?
R - La situation n'est pas exactement la même, mais je vais vous répondre sur le fond. En Libye, vous le savez, il y avait une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies ; pour la Syrie, il n'y en a pas. La base juridique n'est donc pas la même. Même si on peut dire qu'il ne faut pas faire de juridisme, le droit international existe quand même.
D'autre part, ce n'est pas dire une énormité que de reconnaître que l'état des forces n'est pas le même. M. Kadhafi, d'une part, était soutenu au plan international essentiellement par Hugo Chavez et M. Mugabé. M. Bachar Al-Assad, même si on peut le regretter, est soutenu par des pays qui n'ont pas la même dimension que ceux dont je viens de parler. Et puis les forces ne sont pas les mêmes, puisque M. Kadhafi disposait de forces - en particulier aériennes - qui n'étaient pas importantes. Aujourd'hui, M. Bachar Al-Assad dispose d'un peu plus de 500 avions. Je pourrais ajouter, pour la comparaison, qu'à l'époque, sur une base légale internationale, avec un système qui n'est pas le même, les Américains s'étaient engagés fortement. Aujourd'hui, ce n'est pas la même situation. Donc, comparaison n'est pas raison, mais je vais dans votre sens et notre souhait aujourd'hui est qu'il y ait un changement en Syrie et que ce régime laisse la place à une situation démocratique, pour une Syrie libre.
Nous avons également pris des dispositions d'ordre humanitaire. J'ai moi-même présidé une réunion du Conseil de sécurité des Nations unies. Vous savez que nous avons été à l'origine de ce que nous avons appelé l'effort en direction des conseils révolutionnaires civils. Maintenant, nous avons la satisfaction de voir que la quasi-totalité de nos partenaires soutiennent cet effort. Nous aidons à la fois sur le plan médical, alimentaire, de l'organisation administrative, toute une série de zones libérées ou pas en Syrie. Et vous avez vu que dans la coalition nationale - et c'est une satisfaction pour nous - il y a des représentants de ces zones libérées. Ce sont des personnes qui se sont illustrées dans la lutte révolutionnaire et qui ont été désignées par les populations pour siéger dans ce Conseil.
Sur la question des armes que vous posez, les Européens se sont engagés dans un embargo. Il n'appartient pas à un pays européen de violer cet embargo mais ce qui est vrai, c'est que la coalition nationale qui a été installée présente les choses sous un jour nouveau, plus particulièrement dans sa feuille de route ; il est dit qu'elle souhaite se défendre contre les attaques de Bachar Al-Assad et plus particulièrement contre les attaques aériennes. C'est donc un point que nous allons considérer. Voilà exactement où nous en sommes.
Q - Dans l'éventualité d'une reconnaissance de la coalition de l'opposition en tant que gouvernement syrien, que deviennent l'initiative de M. Brahimi et les autres tentatives de négocier avec le gouvernement de Bachar Al-Assad ?
R - Ce sont deux choses qui ne sont pas contradictoires. La reconnaissance de la coalition nationale syrienne, c'est la reconnaissance d'une entité comme le représentant légitime du peuple syrien. Ensuite, il y aura le gouvernement provisoire, il n'est pas actuellement en place. Ce qu'essaye de faire M. Brahimi - il nous l'a expliqué en séance plénière, ensuite nous en avons discuté en séance plus restreinte - c'est de trouver une solution pacifique pour à la fois aboutir à un cessez-le-feu, qui est indispensable, et en même temps faire en sorte qu'il y ait une alternative au régime de Bachar. Il voudrait s'appuyer, et je le comprends tout à fait, sur l'accord de Genève que nous avons signé à quelques uns - j'étais là, j'étais de ceux qui ont tenu la plume : les cinq membres du Conseil de sécurité des Nations unies plus quelques autres pays directement concernés. C'est un texte sur lequel les participants se sont mis d'accord. Les interprétations ont été différentes, vous le savez, mais il n'y a pas tellement de textes sur la Syrie sur lesquels les grands pays sont d'accord. M. Brahimi essaye donc de repartir de cela pour trouver une solution pacifique. Je lui ai confirmé que nous étions en contact avec les différentes parties prenantes : les États-Unis et le Royaume-Uni, bien sûr, mais également avec la Russie. J'ai eu l'occasion de recevoir, il n'y a pas si longtemps, mon collègue M. Lavrov à Paris, et nous avons parlé de cela de manière précise. Nous continuons à être en contact et le fait que la France soit dans cette situation où elle dit qu'elle est aux côtés de la Syrie démocratique et libre, et en même temps qu'elle discute avec en particulier la Russie et aussi la Chine, peut aider M. Brahimi à sa tâche. Nous sommes convenus de rester étroitement en contact pour essayer d'aider à trouver une solution rapidement.
Q - Cette possible reconnaissance internationale du bloc de l'opposition syrienne peut quand même accélérer la possibilité d'options militaires ?
R - C'est une bonne chose que cette coalition existe et, en même temps, qu'elle puisse accéder à la reconnaissance. Pourquoi ? Soyons très concret. S'il y a, et il doit y avoir, des appuis humanitaires à donner - que ce soit des vivres, de l'argent, que des médicaments, etc - à partir du moment où cette coalition existe et qu'elle sera reconnue, cela permet de passer par elle. Alors jusqu'à présent, l'expérience le prouve- la France n'est pas tombée dans ce piège - lorsqu'on donne un certain nombre de soutiens à des organisations, entre guillemets officielles, malheureusement souvent ils ont été détournés et se sont retrouvés ailleurs que là où ils devraient être. Cela devient donc le canal facile, évident, officiel par lequel nous pouvons déverser notre aide. Cela peut poser aussi, en des termes différents et nouveaux, la question militaire dans la mesure où l'une des difficultés existante - ce n'est pas la seule - c'est qu'à partir du moment où il serait décidé - j'emploie un conditionnel - d'apporter un certain nombre d'armes, à qui les livrer ? Évidemment, il ne s'agit pas de les livrer à des personnes qui les retourneraient contre ceux qui les ont livrés. Dès lors qu'il y a une coalition nationale, considérée comme représentant légitime du peuple, cela permet d'agir de manière beaucoup plus aisée.
Q - Est-ce que tout comme le Royaume-Uni vous souhaitez que davantage de groupes de l'opposition syrienne rejoignent cette coalition ? Est-ce que cette formation de la coalition peut accélérer l'option militaire ?
R - Nous sommes très favorables à la création de cette coalition. Nous l'avons demandée dans le passé ; nous sommes donc cohérents avec nous-mêmes. À partir du moment où elle existe, même si elle peut-être encore complétée, nous pensons qu'elle doit être reconnue comme le représentant légitime du peuple syrien. Cela va faciliter les choses parce que, lorsqu'il s'agissait par exemple de donner des vivres, de donner des moyens en médicaments, dès lors que cette coalition existe, nous pouvons passer directement par elle.
Est-ce que cela va changer quelque chose sur le plan militaire ? Vous savez qu'il y a un embargo qui concerne tous les pays d'Europe. Nous respectons cet embargo, mais il est vrai qu'à partir du moment où il y a ce représentant légitime, alternatif, du peuple syrien, cela peut ouvrir des perspectives qui autrefois n'existaient pas.
Je le répète, dès maintenant, cette coalition est un élément extrêmement positif et j'ai à l'esprit ce qui s'est passé en Libye où la France avait été la première à reconnaître le Conseil national de transition. On nous avait dit : «vous allez trop vite». Et puis finalement, vous avez vu que cela a permis d'établir une nouvelle Libye. Et bien là, on nous dit parfois : «vous, Français, vous allez trop vite». Non, nous allons à la bonne vitesse, c'est-à-dire la vitesse de ceux qui veulent que cela change.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 22 novembre 2012