Texte intégral
Laurent Fabius - Par ce groupe des cinq pays du groupe «Weimar +», par cette réunion, nous avons voulu contribuer, à travers cette initiative concrète, aux travaux sur la relance de l'Europe de la défense. Ce texte est le point auquel nos conversations ont permis d'aboutir. Nous avons à l'idée de préparer les prochaines échéances européennes qui vont avoir lieu sur les sujets dont nous avons traité. Il y a un conseil Affaires étrangères le 19 novembre, c'est-à-dire la semaine prochaine. Il y a un conseil européen en décembre 2012 qui va donner un mandat pour une cession au cours de laquelle les chefs d'État et de gouvernement, en 2013, examineront les questions de défense conformément au souhait qui a été émis par le président du Conseil, M. Van Rompuy. Dans ce texte, vous voyez que nous examinons toute une série de perspectives en ce qui concerne l'Europe de la défense, aussi bien en ce qui concerne le développement des capacités de l'Union européenne, l'amélioration de l'efficacité de nos missions, la compétitivité de l'industrie européenne. Ce que nous voulons, c'est renforcer la contribution des Européens à la stabilité internationale.
Nous sommes cinq mais, bien sûr, nos discussions sont ouvertes aux autres. Nous avons d'ailleurs, bien évidemment, informé Mme Ashton, notre Haute représentante pour la politique étrangère et de sécurité, de ces initiatives et des conclusions auxquelles nous sommes parvenus et nous souhaitons qu'elles soient partagées par le plus grand nombre possible des pays d'Europe. D'ailleurs, nous présenterons aussi des pistes pour améliorer les procédures, les structures de gestion de crise, dans l'Union européenne.
Ce qui nous a frappé, c'est que l'Union européenne fait déjà des choses tout à fait remarquables. Il faut par exemple souligner combien l'action menée dans la lutte contre la piraterie a été efficace, mais peu de nos concitoyens le savent. Et puis, il y a toute une série de perspectives devant nous, sans qu'il y ait du tout de contradiction entre, d'un côté, l'appartenance à l'Alliance atlantique et, de l'autre, les actions que doit mener l'Union européenne. En tout cas, nous sommes tous convaincus, je crois pouvoir le dire, que nous avons besoin de plus d'Europe en matière de défense. L'un d'entre nous faisait référence à un texte intitulé «Plus d'Europe» et nous sommes tout à fait résolus à oeuvrer ensemble en ce sens. Voilà, Mesdames et Messieurs, en peu de mots ce que je voulais dire.
Q - Je ne voudrais pas être pessimiste mais des grandes déclarations pour la relance de l'Europe de la défense, il y en a eu un certain nombre ces dernières années. Le rapport de M. Védrine, que l'on a tous lu hier montre effectivement qu'il y a eu quelques réalisations, beaucoup de débats, de rencontres mais finalement pas grand chose. Qu'est-ce qui fait qu'aujourd'hui, on va enfin relancer quelque chose et est-ce qu'au moins il y a une définition commune de ce que doit être l'Europe de la défense ? Est-ce que ça va enfin bouger ?
R - Mes collègues compléteront mais je reprends vos termes: «il y a eu beaucoup de grandes déclarations, peu de résultat». Ici, il ne s'agit pas d'une grande déclaration, il s'agit d'une déclaration qui est liée aux travaux que nous avons entrepris ensemble dans un esprit extrêmement concret et, donc, le fait que ce soit le «couple», ministre des affaires étrangères/ministre de la défense, que ce soit ces cinq pays et que ce soit à la lumière de l'expérience que l'on décide de travailler ensemble, d'aller plus avant, est significatif.
De plus, je crois que nous sommes tous d'accord, sur le fait que les circonstances ont changé. En particulier, plusieurs d'entre nous l'ont remarqué, les États-Unis d'Amérique s'intéressent bien sûr à l'Europe mais ils s'intéressent semble-t-il beaucoup, et même prioritairement, à la zone Asie-Pacifique. D'autre part, les questions de sécurité et de défense sont majeures et il suffit de suivre l'actualité pour s'en convaincre.
Troisièmement, nous avons tous la nécessité d'être efficaces, notamment en matière budgétaire, et donc la conjugaison de tout cela et la volonté qui est la nôtre que l'Europe soit concrètement présente nous a fait aboutir à une série de conclusion communes, qui vont vous être livrées.
Q - J'ai une question peut-être un peu impertinente, comment peut-on parler d'Europe de la défense sans la Grande-Bretagne ?
R - Laurent Fabius - Ça n'est pas du tout impertinent, c'est même pertinent. Tout simplement le texte que nous avons mis au point est ouvert à l'ensemble de nos autres collègues et singulièrement la Grande-Bretagne dont chacun sait à quel point elle est importante en matière de défense. D'ailleurs, la France a des accords précis avec la Grande-Bretagne, mais ce n'est pas les uns ou les autres, c'est les uns et les autres. Et ceux qui sont ici présents sont rassemblés par une même volonté, par une certaine conception des choses et par une expérience en commun. Dès lors que la Grande-Bretagne voudra se joindre à cet ensemble, elle est évidemment la bienvenue. N'oublions pas que le texte que nous avons mis au point, nous l'adressons à M. Van Rompuy, qui préside l'ensemble du Conseil européen. Dans celui-ci il y a nos amis de Grande-Bretagne. Cela n'est pas alternatif, c'est cumulatif. Et nous sommes d'accord et ouverts à l'ensemble de nos autres collègues y compris, bien sûr, nos amis britanniques.
R - Jean-Yves Le Drian - Je voudrais compléter ce que dit Laurent Fabius en précisant que nous avons évidemment informé nos amis britanniques de cette initiative. Il se trouve que la France a un traité de coopération en matière de défense avec la Grande-Bretagne. Cela se fait dans la transparence. Mais notre initiative a une double volonté. D'abord s'inscrire dans un calendrier, ce qui a été énoncé au début, qui va être lancé par M. Van Rompuy et qui va durer toute l'année 2013. Et créer un mouvement, qui est ouvert à tous mais sur des bases que nous avons identifiées, que vous avez entre les mains et qui reposent d'abord sur l'action et le pragmatisme comme cela a été dit par les uns et par les autres : au-delà de déclarations incantatoires, nous sommes dans l'Europe de la défense, de l'action.
Q - J'ai deux questions. La première sur la Syrie. Le président français Hollande vient de reconnaître officiellement la coalition syrienne comme le seul représentant légitime du peuple syrien. C'est le premier pays à prendre position comme cela. Je voulais savoir si sur ce sujet en particulier il y a un consensus parmi les autres pays, si c'est la même position pour les autres pays. Deuxième question sur le projet industriel, puisque qu'on parle beaucoup de synergie et de coût, avez-vous repéré en particulier quelques projets industriels sur lesquels on peut aller à l'avant pour ce qui concerne la coopération européenne ? Merci.
R - Laurent Fabius - Je peux peut-être répondre sur le premier point puis un de mes collègues ou plusieurs compléteront ou répondront sur le deuxième. Je crois que nous sommes tous d'accord pour dire que ce qui s'est passé à Doha, la création de cette coalition nouvelle, est un élément très important dans le conflit syrien. C'est un conflit épouvantable, 40.000 morts déjà, des centaines de milliers de réfugiés et nous avons tous demandé depuis déjà des semaines que l'opposition puisse s'unir. Parce que si l'on veut qu'une alternative soit constituée au régime de Bachar Al-Assad, il est évident que l'union de l'opposition est une pierre absolument indispensable dans la construction d'une Syrie démocratique et libre.
Le fait qu'à Doha, au-delà du Conseil national syrien, dont les instances ont d'ailleurs été renouvelées, se soient rassemblés des hommes et des femmes venant d'horizons différents, représentant à la fois l'intérieur et l'extérieur de la Syrie, appartenant à des confessions différentes, voulant travailler ensemble, développant une feuille de route, est un événement très important. Je crois que tout le monde en est d'accord. À partir de là, quelles sont les conséquences à en tirer ?
En Égypte, au Caire, c'était avant-hier, une position a été adoptée. Certains pays souhaitent aller peut-être un peu plus vite ou un peu plus loin ; c'est le cas de la France. Le président de la République française s'est exprimé pour dire que la coalition, pour reprendre ses termes, est le seul représentant légitime du peuple syrien. D'ailleurs, François Hollande recevra avec moi samedi matin les dirigeants de cette coalition. Nous examinerons certainement ce point lundi puisque nous avons une réunion à Bruxelles des différents ministres et nous verrons quelles sont les formulations qui sont retenues.
Je crois que ce qui est important, c'est un accord absolument unanime pour souligner, justement, le caractère novateur de cette coalition. Il y a évidemment toute une série de sujets qui se posent. Première question : quelle sont les conséquences qui en sont tirées en termes humanitaires ? La logique est que désormais l'aide humanitaire passe essentiellement par cette nouvelle coalition. Il y a des aussi des questions plus complexes qui sont posées. Cela va-t-il déboucher sur une force armée commune, et quand ? Va-t-il y avoir un gouvernement provisoire, en tant que tel, et quand ? Nous allons avoir l'occasion de parler de cela.
Et puis, il y a aussi une question connexe qui n'est pas la plus facile, qui concerne les armes qui nous sont demandées par la coalition. Il peut y avoir là-dessus des positions qui peuvent être diverses, en tout cas, le fait que la coalition existe est un élément positif, nouveau, mobilisateur ; je crois que tout le monde le reconnaît.
C'est très intéressant ce qu'a dit Thomas de Maizière parce que cela montre qu'au-delà des théories un peu complexes, il y a du concret et c'est cela que beaucoup attendent, Jean-Yves, sur l'aspect industriel !
R - Jean-Yves Le Drian - Thomas a dit l'essentiel. Nous nous inscrivons totalement dans le cadre de l'Agence européenne de défense qui se réunit d'ailleurs lundi. Nous souhaitons la renforcer, en faire l'outil de définition et d'acquisition de capacités nouvelles. Nous sommes là aussi très pragmatiques. Nous sommes convenus que pour la définition de capacités à venir, il importait de définir ensemble les normes et la demande précise, de le faire à deux, à trois ou à quatre selon l'intérêt et la demande de chacun mais de ne par éparpiller les normes pour une commande unique et, ensuite, pour une capacité beaucoup plus performante. Il y a dans ce domaine des champs importants à explorer.
Thomas de Maizière a parlé des drones, nous en avons en effet parlé, mais nous avons aussi parlé du satellitaire. On peut aussi s'interroger sur la défense antimissile et ses implications. Voilà des sujets où la capacité d'acquisition en commun doit être possible, en le faisant instruire par l'Agence européenne de défense. Et puis nous avons les capacités existantes qu'il nous faut mettre en commun le mieux possible, les partager pour être efficace et avoir une autonomie stratégique. À cet égard, vous connaissez les sujets qui sont en cours de discussion : je pense en particulier au commandement de l'aviation de transport militaire et aussi au ravitaillement en vol. Voilà très concrètement l'Europe de la défense.
Q - Sur le Mali, vous en avez beaucoup parlé avec les ministres à l'instant. Pourriez-vous être un peu plus concret, une date de prévue. Combien de troupes, de personnes...
R - Laurent Fabius - Sur le Mali, mes collègues complèteront. D'abord, il faut bien avoir à l'esprit que nous sommes tous d'accord pour dire qu'il y a au Mali un problème qui concerne l'Afrique mais qui concerne toute l'Europe et qui est la question du terrorisme et du narcotrafic au Nord Mali. Ils ont des conséquences potentielles ravageuses sur l'ensemble de l'Afrique et sur l'Europe. C'est une des raisons pour lesquelles cela concerne aussi l'Europe. C'est le premier point.
Deuxième point, ce qui se fait au Mali est d'abord fait par les Africains : il ne faut pas qu'il y ait d'ambiguïté sur ce point. Ce qui va se faire au Mali ne recouvrira pas seulement un secteur, mais plusieurs. Il y a d'abord l'aspect politique : il est indispensable que les autorités légitimes du Mali soient impliquées et qu'il y ait des discussions avec les populations du Nord, en tout cas avec les groupes qui récusent le terrorisme et qui acceptent l'intégrité du Mali. Et tout cela doit déboucher sur des élections.
Il y a un aspect sécuritaire. Je vais y venir dans un instant parce qu'il faut bien sûr qu'il y ait des forces qui soient formées et qui puissent mener à bien les actions de sécurité. Et puis, il y a un aspect humanitaire qui est aussi indispensable parce que le Mali, le Sahel, l'ensemble de la région, rassemblent des populations qui sont extrêmement pauvres et qui ont besoin qu'on soutienne leur développement. Il n'y a donc pas uniquement l'aspect sécurité : il y a aussi les aspects politique et de développement.
Alors l'Europe dans tout cela ? Nous allons en discuter la semaine prochaine au Conseil Affaires étrangères. Il y a des travaux qui ont été menés par les Africains, puisque vous savez que dans la procédure internationale, il faut que la Communauté des États d'Afrique de l'Ouest, et l'Union africaine proposent au Conseil de sécurité des Nations unies une deuxième résolution qui sera présentée à la fin du mois de novembre ou début décembre. Il y a une première résolution n°2071 qui a été adoptée, à l'unanimité du Conseil de sécurité - et qui a fixé un délai de 45 jours - et une deuxième résolution rendant effective toute une série de décisions.
Les Africains ont travaillé, en particulier, sur ce que l'on appelle le concept d'opérations, et ils se sont mis d'accord sur le fait que différents pays fournissent 3.300 hommes dans un certain délai.
Et puis il y a le volet européen et nous allons être saisis d'une demande qui concerne essentiellement la formation. Il faudra former les troupes maliennes et nous avons une expérience en cette matière au niveau européen. La démarche de l'Europe ne se limitera pas à cela mais elle passera par cette formation. Je dis bien de l'Europe, et nous en avons discuté ce matin, bien sûr nous demanderons aux différents pays d'Europe d'apporter leur appui, technique et financier, à cette formation. Donc, ce n'est pas une opération qui concerne seulement un ou deux pays en Europe, c'est une opération qui concerne toute l'Europe et qui s'inscrit dans le cadre de la politique de sécurité et de défense dont nous avons parlé ce matin.
J'ajoute, parce que c'est parfois mal compris, que tout cela ne va pas se faire entre aujourd'hui et après-demain. C'est une opération sur la durée qui doit être d'abord menée par les Africains, et l'Europe est là pour les aider. Mais cela va prendre du temps et des moyens.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 22 novembre 2012
Nous sommes cinq mais, bien sûr, nos discussions sont ouvertes aux autres. Nous avons d'ailleurs, bien évidemment, informé Mme Ashton, notre Haute représentante pour la politique étrangère et de sécurité, de ces initiatives et des conclusions auxquelles nous sommes parvenus et nous souhaitons qu'elles soient partagées par le plus grand nombre possible des pays d'Europe. D'ailleurs, nous présenterons aussi des pistes pour améliorer les procédures, les structures de gestion de crise, dans l'Union européenne.
Ce qui nous a frappé, c'est que l'Union européenne fait déjà des choses tout à fait remarquables. Il faut par exemple souligner combien l'action menée dans la lutte contre la piraterie a été efficace, mais peu de nos concitoyens le savent. Et puis, il y a toute une série de perspectives devant nous, sans qu'il y ait du tout de contradiction entre, d'un côté, l'appartenance à l'Alliance atlantique et, de l'autre, les actions que doit mener l'Union européenne. En tout cas, nous sommes tous convaincus, je crois pouvoir le dire, que nous avons besoin de plus d'Europe en matière de défense. L'un d'entre nous faisait référence à un texte intitulé «Plus d'Europe» et nous sommes tout à fait résolus à oeuvrer ensemble en ce sens. Voilà, Mesdames et Messieurs, en peu de mots ce que je voulais dire.
Q - Je ne voudrais pas être pessimiste mais des grandes déclarations pour la relance de l'Europe de la défense, il y en a eu un certain nombre ces dernières années. Le rapport de M. Védrine, que l'on a tous lu hier montre effectivement qu'il y a eu quelques réalisations, beaucoup de débats, de rencontres mais finalement pas grand chose. Qu'est-ce qui fait qu'aujourd'hui, on va enfin relancer quelque chose et est-ce qu'au moins il y a une définition commune de ce que doit être l'Europe de la défense ? Est-ce que ça va enfin bouger ?
R - Mes collègues compléteront mais je reprends vos termes: «il y a eu beaucoup de grandes déclarations, peu de résultat». Ici, il ne s'agit pas d'une grande déclaration, il s'agit d'une déclaration qui est liée aux travaux que nous avons entrepris ensemble dans un esprit extrêmement concret et, donc, le fait que ce soit le «couple», ministre des affaires étrangères/ministre de la défense, que ce soit ces cinq pays et que ce soit à la lumière de l'expérience que l'on décide de travailler ensemble, d'aller plus avant, est significatif.
De plus, je crois que nous sommes tous d'accord, sur le fait que les circonstances ont changé. En particulier, plusieurs d'entre nous l'ont remarqué, les États-Unis d'Amérique s'intéressent bien sûr à l'Europe mais ils s'intéressent semble-t-il beaucoup, et même prioritairement, à la zone Asie-Pacifique. D'autre part, les questions de sécurité et de défense sont majeures et il suffit de suivre l'actualité pour s'en convaincre.
Troisièmement, nous avons tous la nécessité d'être efficaces, notamment en matière budgétaire, et donc la conjugaison de tout cela et la volonté qui est la nôtre que l'Europe soit concrètement présente nous a fait aboutir à une série de conclusion communes, qui vont vous être livrées.
Q - J'ai une question peut-être un peu impertinente, comment peut-on parler d'Europe de la défense sans la Grande-Bretagne ?
R - Laurent Fabius - Ça n'est pas du tout impertinent, c'est même pertinent. Tout simplement le texte que nous avons mis au point est ouvert à l'ensemble de nos autres collègues et singulièrement la Grande-Bretagne dont chacun sait à quel point elle est importante en matière de défense. D'ailleurs, la France a des accords précis avec la Grande-Bretagne, mais ce n'est pas les uns ou les autres, c'est les uns et les autres. Et ceux qui sont ici présents sont rassemblés par une même volonté, par une certaine conception des choses et par une expérience en commun. Dès lors que la Grande-Bretagne voudra se joindre à cet ensemble, elle est évidemment la bienvenue. N'oublions pas que le texte que nous avons mis au point, nous l'adressons à M. Van Rompuy, qui préside l'ensemble du Conseil européen. Dans celui-ci il y a nos amis de Grande-Bretagne. Cela n'est pas alternatif, c'est cumulatif. Et nous sommes d'accord et ouverts à l'ensemble de nos autres collègues y compris, bien sûr, nos amis britanniques.
R - Jean-Yves Le Drian - Je voudrais compléter ce que dit Laurent Fabius en précisant que nous avons évidemment informé nos amis britanniques de cette initiative. Il se trouve que la France a un traité de coopération en matière de défense avec la Grande-Bretagne. Cela se fait dans la transparence. Mais notre initiative a une double volonté. D'abord s'inscrire dans un calendrier, ce qui a été énoncé au début, qui va être lancé par M. Van Rompuy et qui va durer toute l'année 2013. Et créer un mouvement, qui est ouvert à tous mais sur des bases que nous avons identifiées, que vous avez entre les mains et qui reposent d'abord sur l'action et le pragmatisme comme cela a été dit par les uns et par les autres : au-delà de déclarations incantatoires, nous sommes dans l'Europe de la défense, de l'action.
Q - J'ai deux questions. La première sur la Syrie. Le président français Hollande vient de reconnaître officiellement la coalition syrienne comme le seul représentant légitime du peuple syrien. C'est le premier pays à prendre position comme cela. Je voulais savoir si sur ce sujet en particulier il y a un consensus parmi les autres pays, si c'est la même position pour les autres pays. Deuxième question sur le projet industriel, puisque qu'on parle beaucoup de synergie et de coût, avez-vous repéré en particulier quelques projets industriels sur lesquels on peut aller à l'avant pour ce qui concerne la coopération européenne ? Merci.
R - Laurent Fabius - Je peux peut-être répondre sur le premier point puis un de mes collègues ou plusieurs compléteront ou répondront sur le deuxième. Je crois que nous sommes tous d'accord pour dire que ce qui s'est passé à Doha, la création de cette coalition nouvelle, est un élément très important dans le conflit syrien. C'est un conflit épouvantable, 40.000 morts déjà, des centaines de milliers de réfugiés et nous avons tous demandé depuis déjà des semaines que l'opposition puisse s'unir. Parce que si l'on veut qu'une alternative soit constituée au régime de Bachar Al-Assad, il est évident que l'union de l'opposition est une pierre absolument indispensable dans la construction d'une Syrie démocratique et libre.
Le fait qu'à Doha, au-delà du Conseil national syrien, dont les instances ont d'ailleurs été renouvelées, se soient rassemblés des hommes et des femmes venant d'horizons différents, représentant à la fois l'intérieur et l'extérieur de la Syrie, appartenant à des confessions différentes, voulant travailler ensemble, développant une feuille de route, est un événement très important. Je crois que tout le monde en est d'accord. À partir de là, quelles sont les conséquences à en tirer ?
En Égypte, au Caire, c'était avant-hier, une position a été adoptée. Certains pays souhaitent aller peut-être un peu plus vite ou un peu plus loin ; c'est le cas de la France. Le président de la République française s'est exprimé pour dire que la coalition, pour reprendre ses termes, est le seul représentant légitime du peuple syrien. D'ailleurs, François Hollande recevra avec moi samedi matin les dirigeants de cette coalition. Nous examinerons certainement ce point lundi puisque nous avons une réunion à Bruxelles des différents ministres et nous verrons quelles sont les formulations qui sont retenues.
Je crois que ce qui est important, c'est un accord absolument unanime pour souligner, justement, le caractère novateur de cette coalition. Il y a évidemment toute une série de sujets qui se posent. Première question : quelle sont les conséquences qui en sont tirées en termes humanitaires ? La logique est que désormais l'aide humanitaire passe essentiellement par cette nouvelle coalition. Il y a des aussi des questions plus complexes qui sont posées. Cela va-t-il déboucher sur une force armée commune, et quand ? Va-t-il y avoir un gouvernement provisoire, en tant que tel, et quand ? Nous allons avoir l'occasion de parler de cela.
Et puis, il y a aussi une question connexe qui n'est pas la plus facile, qui concerne les armes qui nous sont demandées par la coalition. Il peut y avoir là-dessus des positions qui peuvent être diverses, en tout cas, le fait que la coalition existe est un élément positif, nouveau, mobilisateur ; je crois que tout le monde le reconnaît.
C'est très intéressant ce qu'a dit Thomas de Maizière parce que cela montre qu'au-delà des théories un peu complexes, il y a du concret et c'est cela que beaucoup attendent, Jean-Yves, sur l'aspect industriel !
R - Jean-Yves Le Drian - Thomas a dit l'essentiel. Nous nous inscrivons totalement dans le cadre de l'Agence européenne de défense qui se réunit d'ailleurs lundi. Nous souhaitons la renforcer, en faire l'outil de définition et d'acquisition de capacités nouvelles. Nous sommes là aussi très pragmatiques. Nous sommes convenus que pour la définition de capacités à venir, il importait de définir ensemble les normes et la demande précise, de le faire à deux, à trois ou à quatre selon l'intérêt et la demande de chacun mais de ne par éparpiller les normes pour une commande unique et, ensuite, pour une capacité beaucoup plus performante. Il y a dans ce domaine des champs importants à explorer.
Thomas de Maizière a parlé des drones, nous en avons en effet parlé, mais nous avons aussi parlé du satellitaire. On peut aussi s'interroger sur la défense antimissile et ses implications. Voilà des sujets où la capacité d'acquisition en commun doit être possible, en le faisant instruire par l'Agence européenne de défense. Et puis nous avons les capacités existantes qu'il nous faut mettre en commun le mieux possible, les partager pour être efficace et avoir une autonomie stratégique. À cet égard, vous connaissez les sujets qui sont en cours de discussion : je pense en particulier au commandement de l'aviation de transport militaire et aussi au ravitaillement en vol. Voilà très concrètement l'Europe de la défense.
Q - Sur le Mali, vous en avez beaucoup parlé avec les ministres à l'instant. Pourriez-vous être un peu plus concret, une date de prévue. Combien de troupes, de personnes...
R - Laurent Fabius - Sur le Mali, mes collègues complèteront. D'abord, il faut bien avoir à l'esprit que nous sommes tous d'accord pour dire qu'il y a au Mali un problème qui concerne l'Afrique mais qui concerne toute l'Europe et qui est la question du terrorisme et du narcotrafic au Nord Mali. Ils ont des conséquences potentielles ravageuses sur l'ensemble de l'Afrique et sur l'Europe. C'est une des raisons pour lesquelles cela concerne aussi l'Europe. C'est le premier point.
Deuxième point, ce qui se fait au Mali est d'abord fait par les Africains : il ne faut pas qu'il y ait d'ambiguïté sur ce point. Ce qui va se faire au Mali ne recouvrira pas seulement un secteur, mais plusieurs. Il y a d'abord l'aspect politique : il est indispensable que les autorités légitimes du Mali soient impliquées et qu'il y ait des discussions avec les populations du Nord, en tout cas avec les groupes qui récusent le terrorisme et qui acceptent l'intégrité du Mali. Et tout cela doit déboucher sur des élections.
Il y a un aspect sécuritaire. Je vais y venir dans un instant parce qu'il faut bien sûr qu'il y ait des forces qui soient formées et qui puissent mener à bien les actions de sécurité. Et puis, il y a un aspect humanitaire qui est aussi indispensable parce que le Mali, le Sahel, l'ensemble de la région, rassemblent des populations qui sont extrêmement pauvres et qui ont besoin qu'on soutienne leur développement. Il n'y a donc pas uniquement l'aspect sécurité : il y a aussi les aspects politique et de développement.
Alors l'Europe dans tout cela ? Nous allons en discuter la semaine prochaine au Conseil Affaires étrangères. Il y a des travaux qui ont été menés par les Africains, puisque vous savez que dans la procédure internationale, il faut que la Communauté des États d'Afrique de l'Ouest, et l'Union africaine proposent au Conseil de sécurité des Nations unies une deuxième résolution qui sera présentée à la fin du mois de novembre ou début décembre. Il y a une première résolution n°2071 qui a été adoptée, à l'unanimité du Conseil de sécurité - et qui a fixé un délai de 45 jours - et une deuxième résolution rendant effective toute une série de décisions.
Les Africains ont travaillé, en particulier, sur ce que l'on appelle le concept d'opérations, et ils se sont mis d'accord sur le fait que différents pays fournissent 3.300 hommes dans un certain délai.
Et puis il y a le volet européen et nous allons être saisis d'une demande qui concerne essentiellement la formation. Il faudra former les troupes maliennes et nous avons une expérience en cette matière au niveau européen. La démarche de l'Europe ne se limitera pas à cela mais elle passera par cette formation. Je dis bien de l'Europe, et nous en avons discuté ce matin, bien sûr nous demanderons aux différents pays d'Europe d'apporter leur appui, technique et financier, à cette formation. Donc, ce n'est pas une opération qui concerne seulement un ou deux pays en Europe, c'est une opération qui concerne toute l'Europe et qui s'inscrit dans le cadre de la politique de sécurité et de défense dont nous avons parlé ce matin.
J'ajoute, parce que c'est parfois mal compris, que tout cela ne va pas se faire entre aujourd'hui et après-demain. C'est une opération sur la durée qui doit être d'abord menée par les Africains, et l'Europe est là pour les aider. Mais cela va prendre du temps et des moyens.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 22 novembre 2012