Interview de M. Marc Blondel, secrétaire général de FO, dans France-Inter le 31 août 2001, sur les négociations sur les 35 heures dans les hôpitaux, notamment les créations de postes dans le secteur para médical et le maintien du pouvoir d'achat dans ce secteur.

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Média : France Inter

Texte intégral

A. Ardisson Les négociations pour les 35 heures dans les hôpitaux ont commencé hier. E. Guigou a donné un chiffre : 40 000 créations de postes en trois ans pour les paramédicaux. Vos amis du secteur Santé en réclament un peu plus de 50 000. Vous en espérez combien ?
- "C'est relativement sans importance. Ce n'est pas le nombre qui compte dans cette affaire, au moins dans l'immédiat. Il faut bien mesurer la situation : c'est le problème des 35 heures mais aussi un problème d'insuffisance précédemment. Si on applique les règles, si j'ai bien compris, s'il y a règle, quand il y a réduction de la durée du travail de 39 heures à 35 heures, cela fait 11 %. Les énarques ont déclaré qu'il y aurait, grosso modo, la moitié en gains de productivité, la moitié en créations d'emplois. D'où les 7 millions de travailleurs du privé et les 380 000 postes - ça devrait être 450 mais enfin, 380 000 postes. Voilà, grosso modo, comment c'est calculé, il faut le savoir. Même chose pour les hôpitaux : 800 000 salariés, six fois huit = 48. Ca fait déjà, avec gains de productivité, 48 000 postes de plus. Comme le Premier ministre a dit lui-même que, dans ce secteur hospitalier, on ne pouvait pas faire des gains de productivité, il faudrait aller beaucoup plus que ça, c'est clair, bête et précis, pour que les salariés des hôpitaux bénéficient des 35 heures. Donc situation nouvelle avec les 35 heures. Mais à la situation des 39 heures en ce moment, on sait déjà qu'il y a des gens qui ne peuvent pas bénéficier de leurs congés, etc. Ce qui veut dire que la situation est suffisamment dégradée pour qu'on alourdisse encore la charge. Alors, c'est très clair : je pense qu'on va faire une réformette - même si ça apparaît comme ça assez spectaculaire - mais on devrait faire plus, on devrait l'annoncer. Je rappelle d'ailleurs que 40 000 c'est pas 40 000 demain, on ne pourrait pas les satisfaire, il faut trois ans pour faire une infirmière. Le vrai problème de fond, c'est de savoir tout simplement qu'une infirmière de 50 ans est lasse de son métier, comme les instituteurs. Ils sont las de leur métier, dans un métier qu'ils ont généralement choisi, qui est difficile. Et cela mérite effectivement qu'on fasse autre chose. On a encore vu, cet été, comment ça s'est passé dans les hôpitaux, où on a fermé les services, etc, etc."
Mais on s'en sort comment, on fait comment, parce que c'est l'argent de la Sécurité sociale ?
- "Bien sûr, et je vous remercie de me le faire remarquer. Effectivement, il se trouve, de plus qu'il y a une opération tout à fait particulière dans cette affaire : on laisse supposer que c'est une charge pour l'Etat. Des gens qui ne vont pas être informés vont dire : c'est des impôts en plus. Eh bien, non ! C'est la Sécurité sociale, ce sont les prélèvements sociaux. D'où la grande question : faut-il, oui ou non - et pour moi c'est "non", je me précipite tout de suite de manière à ce que vous ne le disiez pas à ma place - que monsieur Jospin prennent les sous de la Sécurité sociale, les cotisations en plus, dues aux créations potentielles d'emplois etc, pour les 35 heures ? Je dis "non" parce que déjà le régime de l'assurance-maladie est en déficit. Mais alors là, croyez-moi, ça va cartonner encore plus. Un jour ou l'autre, les gens les paieront. Ils paieront soit par les prélèvements sociaux, soit tout simplement par les impôts. C'est d'ailleurs pour cela que je considère, pardonnez-moi je continue ma pensée, que monsieur Fabius a tort en redistribuant des impôts, quand justement les besoins sociaux, les besoins du secteur public sont suffisamment importants pour qu'on fasse attention avant de redistribuer des impôts. Basse démagogie tout ça."
Restons sur les 35 heures quand même. L. Jospin, avant-hier, a annoncé un assouplissement de la loi pour les entreprises de moins de 20 salariés. Juridiquement, est-ce que c'est possible d'avoir deux régimes différents ?
- "Gros problème, très gros problème. Nous sommes en train d'y réfléchir. Nous avions été consultés. Je dois rappeler que monsieur Jospin et madame Guigou nous avaient consultés en disant : les 35 heures en 2002, comment fait-on pour les PME ? Je suis partisan de l'ouverture des heures supplémentaires. Je vais vous expliquer rapidement pourquoi ? L'essentiel de ces entreprises sont des entreprises sous-traitantes. Si on ne donne pas la possibilité de faire des heures supplémentaires, c'est-à-dire de faire le travail quand il y a le boulot, on va les payer de la main à la main. C'est comme ainsi que cela se passe. Dans une petite entreprise de 20 salariés, si le patron dit : "les gars, on fait les des heures supplémentaires ..." Exemple : en ce moment, Peugeot parle de travailler sept jours sur sept parce que le marché le sollicite. On gère maintenant à flux tendus. Il n'y a plus les magasins, il n'y a plus les réserves. Pratiquement il faut satisfaire à la demande. Les sous-traitants de Peugeot vont avoir du boulot. Je me vois, patron d'une petite entreprise de 20 salariés, à faire du décoltage ou je ne sais pas quoi, une pièce particulière. Je dis à mes gars : "écoutez, Peugeot a besoin, on va faire des heures supplémentaires - on fait 35 heures mais on fait des heures sup." Les gars vont me dire : "si je n'ai pas l'autorisation, eh bien on va les faire et tu vas nous les payer de la main à la main." Il faut faire attention, il vaut mieux éviter ça. Ceci étant, comment faire pour que les heures supplémentaires soient contrôlées ? On parle de 180 heures, certains disent 200, etc. Faut-il une disposition pour tous, faut-il des décrets particuliers au plan sectoriel, faut-il des négociations ? Je suis assez pour des négociations au niveau des branches. Qu'on négocie au niveau des branches en disant : dans tel secteur d'activité, que va-t-on faire quand les petites entreprises vont travailler notamment pour l'étranger ? Est-ce qu'on n'a pas intérêt justement, pour éviter les délocalisations et autres, que les petites entreprises, quand elles travaillent pour l'étranger, aient la possibilité de faire un petit peu au-delà des 35 heures ? Attention, il ne faut peut-être dire par exemple : le quota d'heures supplémentaires ne peut pas être pris d'un seul coup..."
En clair, cela veut dire quand même qu'on va privilégier le pouvoir d'achat aux créations d'emplois ?
- "Pardonnez-moi ! Vous êtes en train... Faites la conclusion vous-même. Quelle est l'organisation syndicale qui disait, en 1997, que les 35 heures ne créeraient pas automatiquement et arithmétiquement d'emplois ? On en fait rapidement le bilan : 7 millions ont les 35 heures, 380 000 emplois. Maintenant, pour les petites entreprises de moins de 20, 6%, cela fait 1,2. Vous pouvez déjà mettre en l'air les 0,2. On ne va pas couper un homme. Il reste un type. On l'embauche ou pas ? Je vous dis tout de suite que les gars diront : "on fait des heures sup, on ne l'embauche pas." C'est réglé, donc cela ne créera plus d'emplois. Comme madame Guigou vient de le confirmer, on ne créera pas d'emplois dans le secteur public en dehors des hospitaliers, qu'on améliorera la productivité. Cela veut dire que les 35 heures auront créé 380 000 à 400 000 emplois. On est bien loin des espérances qui avaient été initiées en 1997. Et cependant, je pense maintenant, c'est pas pour être à contre-temps, qu'il ne faut surtout pas revenir sur les 35 heures."
C'est une bonne chose ?
- "Oui. Je crois que les salariés maintenant sont habitués à cela. Et même dans les petites entreprises, contrairement à ce qu'on dit, si les 35 heures, comme je le pense, seront appliquées partout, elles ont un effet de réduction de la durée du travail dans les petites entreprises, tout simplement parce que les types iront bosser ailleurs. Il y a quand même en ce moment des problèmes : il y a des endroits où il y a des postes libres, où les types ne vont pas, tout simplement parce que les conditions ne sont pas acceptables !"
On va avoir tout à l'heure les chiffres du chômage, on sait déjà qu'ils ne sont pas bons : entre 8 et 10 000 chômeurs de plus. Etes-vous inquiet sur le long terme ou pensez-vous que c'est un mauvais moment à passer jusqu'à la fin de l'année ?
- "Je suis inquiet sur le long terme. Je change un peu de position, je le dis. Le mois dernier, j'ai dit que cela ne signifiait pas grand chose. L'important pour les statistiques du chômage, c'est à la fois la tendance et puis c'est, à la fois, la nature. Vous regardez où il va y avoir du chômage en plus. Est-ce que c'est le chômage traditionnel du mois de juillet, voire la rentrée, les jeunes etc. qui vont arriver ? Ou est-ce que par exemple, il va y avoir beaucoup plus de chômeurs de longue durée, des chômeurs de plus de 50 ans etc. ? On voit, quand l'amélioration de l'emploi est en train de se faire, on touche y compris des parties que j'appellerais plus dures de chômage résiduel et permanent. Et c'est cela qui était important. Ce qui m'inquiète, c'est la situation économique. Je suis comme tout le monde. La croissance a l'air de s'essouffler relativement sérieusement ; elle était soutenue par la consommation aux Etats-Unis. Cela semble être un peu bousculé maintenant. Et puis, nous, est-ce qu'on va soutenir la consommation, refaire un peu de keynésianisme ? C'est la raison pour laquelle je dis au Premier ministre : il faut y aller, là, il faut tenir sur la demande, parce qu'il faut un relais avant que la croissance, notamment la croissance au niveau européen, se substitue à la croissance mondiale. Ce me semble indispensable. Alors, la conjonction d'une mauvaise donnée statistique, et en même temps la tendance m'inquiètent quelque peu, un peu plus que le mois précédent. Je suis d'ores et déjà très curieux de savoir ce qui va se passer en septembre. En tout cas, nous serons obligés, nous, je le dis très clairement, de réagir. J'engage les organisations FO à attendre le 13 septembre et, après, nous lancerons vraisemblablement un mouvement interprofessionnel, parce que c'est maintenant qu'il faut amener..."
Qu'appelez-vous "mouvement interprofessionnel" ?
- "Cela peut être pratiquement des manifestations partout, le même jour, de la même façon, sur les mêmes thèmes, de manière interprofessionnelle, de manière à engager ceux qui, par hasard seraient des candidats à la présidence de la République à prendre des engagements tout de suite et de ne pas nous promettre ou ne rien dire pour pouvoir faire n'importe quoi le lendemain de l'élection. Que ce soit la majorité ou l'opposition, je le dis tout à fait clairement."
(Source http://sig.premier-ministre.gouv.fr, le 4 septembre 2001)