Extraits d'un entretien avec l'association de la presse étrangère de M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères, sur les défis et priorités de la politique étrangère de la France, à Paris le 20 novembre 2012.

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Depuis quelques jours et en moins d'une semaine, mes déplacements m'ont conduit à Tripoli, en Libye, au Caire, à Varsovie, à Tel Aviv et Jérusalem et à Ramallah. C'est une activité assez intense qui est tout simplement liée aux crises actuelles même s'il y a quelques autres crises dont, évidemment, j'ai à m'occuper. Je pense, en particulier, pour avoir passé une partie de ma soirée d'hier et de ma matinée à ce qui se passe tristement en République démocratique du Congo autour de Goma et il y a, évidemment, beaucoup d'autres crises dans le monde.
Cette activité reflète, non seulement, bien sûr, l'acuité des crises mais aussi - et c'est un peu à cela que je voulais consacrer le début de mon propos - la place que la France occupe sur la scène internationale. Et, même si j'ai eu, dans le passé, l'occasion, l'honneur d'exercer beaucoup de fonctions, je mesure particulièrement à la place qui m'a été confiée le fait que notre voix, celle de la France, est reconnue, attendue et souvent entendue.
Dès ma prise de fonction, j'ai dit que plusieurs traits dessinaient, en effet, la position tout-à-fait particulière de notre pays dans le monde et j'ai qualifié la France de «puissance d'influence». Il y a toute une série de concepts qui sont développés par les spécialistes : «hardpower», «softpower». Je dirais, en bon français, que je pense que la France est une «influence power», une puissance d'influence. Cela provient d'un ensemble tout-à-fait particulier : le fait que nous soyons membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, qui est, évidemment, une donnée essentielle ; le fait que nous sommes une puissance nucléaire ; le fait que nous sommes la cinquième puissance économique mondiale ; le fait que notre langue est parlée, aujourd'hui, par un peu plus de 200 millions de personnes, mais le sera probablement par 700 à 750 millions d'ici peu de décennies grâce au développement de l'Afrique ; le fait que notre culture a un rayonnement particulier ; le fait que notre image auprès de nombreux peuples du monde est positive ; le fait que nous défendons une certaine conception des droits de l'Homme ; le fait que nous avons une certaine histoire. Tout cela fait que notre rayonnement est beaucoup plus large que notre seul poids objectif.
Notre position, qui est une position spécifique, qui ne doit pas conduire à je ne sais quelle arrogance, tient aussi à notre capacité - c'est une tradition française - à nous exprimer et à agir au-delà de nos seuls intérêts. Non pas que nous oublions nos intérêts mais la France, traditionnellement, ne parle pas seulement pour elle-même quand il s'agit de promouvoir la paix, les droits de l'Homme, la démocratie et la solidarité.
Je pense aussi que cette influence tient à notre indépendance reconnue qui nous permet d'être amis avec de nombreuses nations sans jamais être alignés. Enfin, cette influence tient à notre capacité à parler avec tout le monde ou presque, ce qui nous permet, dans de nombreuses situations, notamment des situations de conflit, d'être un interlocuteur et un facilitateur.
Sous le bénéfice de ces observations, que je ressens vraiment à la place où je suis, mon déplacement, dimanche dernier, en Israël et en Palestine, les contacts que nous avons en permanence avec l'ensemble des protagonistes - encore, tout à l'heure, juste après le déjeuner avec Mme Clinton qui était en avion quelque part venant d'Asie pour se rendre au Proche-Orient - sont une illustration du rôle particulier et, je l'espère, utile que peut jouer la France. Nous parlons avec les Israéliens, qui sont des amis de la France. Nous parlons avec les Palestiniens, qui connaissent notre engagement pour que justice leur soit rendue et, ces derniers jours, avec d'autres bien sûr.
Je me suis mobilisé pour tenter de mettre fin aux violences extrêmement graves qui existent dans cette partie du monde et pour essayer d'établir un cessez-le-feu. Nos efforts doivent continuer car, même s'il y a un certain nombre de signes positifs, tant qu'un cessez-le-feu durable, urgent, n'est pas obtenu, on ne peut pas parler en l'air. De toutes les manières, nous considérons, évidemment, que la guerre n'est pas une solution. Tout ce qui éloigne d'un règlement pacifique et négocié du conflit israélo-palestinien doit être rejeté.
La France s'est aussi manifestée sur le dossier syrien où elle a un rôle d'impulsion et d'initiative. Ces derniers jours, notre reconnaissance de la coalition nationale syrienne comme le seul représentant légitime du peuple syrien, selon la formule du président de la République, traduit notre engagement en faveur du peuple syrien en lutte pour sa liberté. Il était nécessaire d'être à la hauteur des avancées importantes qui sont été réalisées à Doha le 11 septembre dernier en apportant notre soutien à une opposition unie que nous avions réclamée, avec d'autres, depuis déjà pas mal de temps.
Bien évidemment, le travail de consolidation doit continuer en vue de constituer un gouvernement provisoire. Nous allons en discuter avec les dirigeants de la coalition samedi dernier avec le président François Hollande. Mais il est certain que l'existence d'un interlocuteur légitime ayant vocation à gouverner la Syrie après le départ de M. Bachar Al-Assad peut changer la donne là-bas.
Nous avons également mis en oeuvre notre capacité de facilitateur face à la crise du Sahel et du Mali. La présence, au nord du Mali, de groupes terroristes est un danger qui concerne évidemment le Mali mais qui - on s'en est rendu compte de plus en plus - concerne aussi des pays voisins, ainsi que l'ensemble de l'Afrique et l'Europe elle-même car la combinaison du terrorisme, des trafics de drogue, des trafics d'otages, d'autres trafics encore, avec des armes puissantes et beaucoup d'argent est, évidemment, une menace pour l'ensemble du continent africain - je dis bien «sur l'ensemble» - ainsi que pour nous car, une fois franchies les frontières du Mali, il ne reste plus qu'un état avant d'atteindre la Méditerranée. Nous n'avons pas prétendu et nous ne prétendons pas intervenir directement, ce qui serait, pour de nombreuses raisons, contre-productif mais nous nous sommes mobilisés et nous nous mobilisons pour aider les Africains à trouver une solution africaine. Il y a à la fois un volet politique, sécuritaire, humanitaire et de développement.
Les Africains sont les premiers à devoir agir mais il peut y avoir un soutien européen, un soutien international et ce sont ces efforts que, avec d'autres, nous déployons. Le dossier du nucléaire iranien, qui est le quatrième que je veux aborder puisque la question portait sur les crises, est une autre illustration du rôle que la France entend jouer. Nous sommes fidèles à notre feuille de route que nous appelons «la double approche». Nous continuons à discuter, bien sûr, avec les Iraniens au sein d'un groupe de 5+1 pour laisser ouverte la voie d'une solution négociée mais nous pesons fortement pour le renforcement des sanctions afin d'affaiblir le régime. Cette approche, il faut le reconnaître, jusqu'à ces jours-ci, est restée sans grand résultat tangible. Il faut observer toutefois que, depuis plusieurs semaines, le renforcement des sanctions économiques produit des effets significatifs qui mettent, aujourd'hui, les autorités iraniennes face à leurs responsabilités. Nous avons estime et amitié pour le peuple iranien mais leurs dirigeants doivent comprendre qu'il n'est pas acceptable - c'est la position de la communauté internationale - que l'Iran se dote de l'arme nucléaire, en contradiction avec ses engagements internationaux.
Ces quatre crises, que j'ai citées, il y en a d'autres mais ce sont celles auxquelles vous comme moi pensons imm??diatement et qui mobilisent, évidemment, beaucoup de mon temps. Ces quatre crises peuvent menacer la stabilité du monde bien au-delà des zones directement concernées. Notre rôle, en tant que France, nous permet d'être reconnus comme une puissance utile, comme une puissance intégratrice qui se mobilise sans agenda caché et sans arrière-pensées.
Mon travail, bien sûr, c'est d'essayer de contribuer à la solution de ces crises, mais il ne faut pas oublier, c'est un conseil que m'avait donné un de mes prédécesseurs - j'ai rencontré plusieurs de mes prédécesseurs pour qu'ils me fassent part de leurs expériences -, c'est qu'il ne faut pas que les crises qui aujourd'hui, malheureusement, sont très nombreuses offusquent et fassent oublier la dimension de long terme qui doit être celle du chef de la diplomatie. De ce point de vue, l'une de mes tâches principales est et sera d'adapter notre outil diplomatique, qui est très bon mais qui peut progresser, afin de lui permettre de faire face aux enjeux du XXIème siècle.
On vient de le montrer, le Quai d'Orsay est le ministère des crises et il y aurait un certain paradoxe que ce ministère se préoccupât de toutes les crises sauf une la crise économique. Compte tenu de l'importance des questions économiques, j'ai souhaité que notre diplomatie contribue encore plus que par le passé au développement économique. Elle le fait spontanément et les témoignages des entreprises, sur le rôle que jouent nos ambassadeurs pour essayer de les aider, sont en général très positifs.
Je pense qu'il faut aller encore plus loin et développer ce que j'appelle «le réflexe économique» dans le cadre d'une diplomatie économique qui a fait l'objet d'un plan d'ensemble avec trois grandes priorités : soutenir davantage nos entreprises, notamment les PME ; agir pour l'attractivité de la France en matière, en particulier, d'investissements étrangers vers la France ; nous mobiliser pour peser sur l'environnement normatif européen et international afin que les intérêts de notre économie soient bien défendus et promus.
Pour cela, j'ai pris un certain nombre d'initiatives. J'en prendrai encore d'autres dans les semaines qui viennent. J'ai notamment créé - elle n'existait pas, c'est un peu surprenant - une direction des entreprises au Quai d'Orsay. Les relations entre nos diplomates et le monde économique seront développées et j'ai demandé, par instruction particulière, à nos ambassadeurs de considérer que la diplomatie économique devait être pour eux une instruction prioritaire et permanente.
Autre transformation qui est engagée et s'étalera dans le temps, adapter notre outil diplomatique aux nouvelles réalités géopolitiques. Ce n'est pas à vous que je vais rappeler que l'avenir du monde s'écrit pour une part croissante en Asie, dans les pays émergents ou dans les pays néo-émergents des cinq continents et notre réseau diplomatique, pour des raisons historiques parfaitement compréhensibles, est encore marqué par des priorités qui sont un peu les «priorités d'hier». Il faut donc l'adapter pour qu'il nous permette d'être mieux en phase avec le monde d'aujourd'hui et de demain. Il faut en particulier que nous soyons très actifs auprès de ces néo-émergents qui sont parmi les puissances qui vont compter demain. Cela demande donc un effort, y compris d'adaptation, de nos postes qui s'étalera sur plusieurs années.
Dans cette perspective, la France doit s'appuyer sur tous ses atouts au nom même de sa spécificité que j'ai rappelé tout à l'heure et ses atouts, c'est à la fois bien sûr l'économie, je viens d'en parler, mais aussi notre culture, notre image, notre langue. J'ai tenu par exemple à sanctuariser complètement le budget de l'enseignement du français à l'étranger parce que nous avons dans ce domaine un réseau unique au monde qui est un atout décisif pour que nous ayons un réseau d'influence durable.
Je terminerai en disant ceci, on dit souvent du monde dans lequel nous sommes et celui qui vient que c'est un monde multipolaire. Si on parle de cela sans avoir une précision particulière attachée au mot, on voit bien de quoi il s'agit. Mais ce n'est pas parfaitement exact, c'est surtout un monde éclaté, un monde beaucoup plus fragmenté qu'avant où la puissance elle-même est divisée entre des acteurs de plus en plus nombreux et de nature de plus en plus diverse. Et c'est ce phénomène de fragmentation, d'éclatement qui rend plus difficile la résolution de toutes les crises dont j'ai parlé. Personne n'a le regret d'un monde où il y avait deux puissances, les États-Unis et l'URSS, puis une puissance pour un temps, les États-Unis d'Amérique. Désormais, c'est une fragmentation. Du même coup, il y a, ce qui est évidemment regrettable sur certains conflits, une paralysie des institutions internationales qui ont été dimensionnées pour un monde où régnaient deux grandes puissances. Toute la difficulté de notre tâche, c'est à la fois d'apporter des réformes à ce système qui a besoin d'être réadapté, et en attendant qu'il le soit, et cela ne se fera pas en un jour, d'apporter des solutions durables à toutes ces crises dont j'ai parlé sans qu'il y ait un régulateur qui s'impose de manière évidente. C'est dans ce monde-là que la France agit comme une puissance utile et veut développer des outils qui contribuent à son influence et à la solution de l'ensemble des problèmes qui nous sont posés.
Voilà quelques mots pour vous mettre, je l'espère, en appétit et maintenant je vous cède la parole.
Q - La condition veut que le président puisse poser la première question. Si vous voulez bien, je voudrais commencer par la Syrie parce que c'est une position, vous l'avez dit, de pointe qu'a la France. Alors ce qui m'intéressait de savoir c'est ce que la France va continuer de faire. Je me demande par exemple ce que la France va faire lors du Conseil européen à Bruxelles où il y aura beaucoup d'Européens qui pour le moment n'ont pas pris exactement la même position que la France ? Le président Hollande va essayer d'avoir une sorte d'unité européenne au moins sur ce problème diplomatique syrien ? Je sais que ce matin vous avez reçu aussi le Premier ministre du Mali me semble-t-il ?
R - Alors prenons d'abord la Syrie, il s'est produit à Doha, il y a peu de jours, un évènement fort important et que nous avions souhaité dès le mois d'août dernier. Il s'agit de la constitution d'une coalition élue et qui représente d'une façon large et inclusive l'opposition syrienne. Il est vrai que dans le passé, à travers par exemple le Conseil national syrien, cette opposition était vivace heureusement, mais il y avait des diversités, un éparpillement qui est compréhensible parce qu'il y a les Syriens de l'intérieur, les Syriens de l'extérieur etc. Nous avons considéré, avec beaucoup d'autres nations amies, que cet éparpillement était un grand handicap, non seulement pour faire son travail d'opposition, mais aussi par rapport à la question de l'après-Bachar. C'est quand même une question importante que soulève à la fois les partisans de Bachar El Assad et d'autres. Évidemment, pour répondre à cette question il faut aller vers une cohésion des forces d'opposition et c'est ce qui a été obtenu à Doha avec des représentants de diverses forces, des personnalités élues et des personnalités respectées et respectables à qui personne ne songerait à reprocher une quelconque corruption et qui ont fait appel, ce qui est très important, à une diversité et notamment aux conseils révolutionnaires locaux qui émanent des changements qui sont à l'oeuvre.
Puisque nous l'avions demandé, puisque ces personnalités étaient représentatives et puisqu'elles se sont engagées dans une feuille de route - dont je vais vous dire quelques mots - tout à fait conforme à ce que nous souhaitions, la France comme cela lui est arrivée dans d'autres périodes de son histoire, a décidé de franchir le pas et de montrer là où elle voulait aller. C'est le sens de la déclaration qui a été rendue publique par le président de la République dans sa conférence de presse après que moi-même j'ai eu l'occasion de rencontrer le nouveau président de cette coalition, le même jour au Caire. C'est une déclaration évidemment très importante. Il existe, pas très loin de nous, je pense en particulier à ce qui s'est passé en Libye, tel ou tel précédent.
Alors un mot sur le plan de travail de cette coalition et puis après j'évoquerai ce que font les autres pays.
Ce qui est intéressant dans le plan de travail de cette coalition, c'est qu'elle se fixe au moins trois buts. D'abord, dans l'immédiat, un objectif humanitaire qui est extrêmement important parce que les populations syriennes ont deux soucis immédiats : comment se protéger contre les bombes et, d'autres part, comment tout simplement vivre parce qu'il n'y a pas de nourriture, pas d'eau, pas de médicaments. L'hiver approche et cela devient de plus en plus difficile. Il va donc y avoir une action humanitaire puissante qui va passer pour une part par cette nouvelle coalition pour aider les populations. Il y a un deuxième aspect qui est que cette coalition veut voir se former rapidement, dans quelques jours, quelques semaines un gouvernement provisoire, un gouvernement selon leurs dires de technocrates qui va pouvoir donner une incarnation de ce que sera le jour d'après. Et puis il y a un troisième élément qui est l'élément militaire : il y a une demande de la part de cette coalition adressée à tous les pays qui soutiennent le changement, pour reprendre leur expression «d'armes qui font la différence».
Nous avons discuté de tout cela hier avec nos collègues européens, il y a effectivement des degrés d'engagements divers mais on peut déjà considérer que les Turcs vont apporter leur plein soutien à ces hypothèses dans des termes non équivoques, ainsi que l'ensemble des pays du Golfe. Cet après-midi, je crois, le gouvernement britannique souhaite s'exprimer sur cette question. Le gouvernement italien par la bouche du Premier ministre Monti a fait une déclaration qui va tout à fait dans le même sens et nous avons décidé hier en conseil des ministres des affaires étrangères de demander à la direction de la coalition de venir s'exprimer devant nous lors de notre prochaine réunion ; ce qui, lorsqu'on connaît évidemment nos habitudes, ne signifie pas tel ou tel changement juridique, mais il n'est pas commun que les 27 ministres des affaires étrangères reçoivent des passants dans la rue. Et donc il y a une évolution nette, chacun ayant son rythme.
Q - Vous parlez de la question d'armer l'opposition, est-ce que la France et l'Europe ne craignent pas le scénario libyen, c'est-à-dire les armes qui seront après entre les mains des groupes des milices armées syriennes et qu'il sera impossible de les contrôler par l'État post Assad si on peut dire.
R - C'est une question évidemment très importante et qui doit être posée. La France n'a pas dit qu'elle tranchait dans un sens mais la France se faisant d'ailleurs le relais de la coalition a voulu poser la question. Aujourd'hui, les pays européens sont liés par un embargo. Il n'est pas question qu'un pays de l'Union européenne viole cet embargo. En même temps, il y a des éléments de sens contraire, j'en décris quelques-uns.
D'un côté il y a cet embargo et il y a le risque de militarisation du conflit car il y a déjà beaucoup d'armes là-bas. On entend l'argument qui, d'ailleurs, reçoit immédiatement sa réponse car l'argument est surtout développé par des pays qui livrent eux-mêmes des armes, mais à Bachar Al-Assad. Il est évident que le conflit sur le conflit, on voit bien que cela peut donner une situation inextricable. En sens inverse, il faut écouter. J'ai également entendu des demandes lors de mes visites dans le camp de Zaatari en Jordanie où j'ai vu les réfugiés qui viennent de Syrie, qui sont dans des situations extrêmement difficiles où dans le camp turc. Ces personnes, qui sont dans une situation extrêmement difficile, qui ont tout perdu, tout abandonné, disent : donnez-nous des armes.
Et puis, il y a actuellement sur le terrain les zones libérées, aux prix de combats et de courage considérable, mais qui sont à la merci des avions de M. Bachar Al-Assad. Vous avez donc là une situation contradictoire et la question est posée devant l'ensemble des pays européens et de ceux qui sont ce qu'on appelle, les Amis du peuple syrien. Cette question n'a pas été tranchée pour le moment, il faut être honnête et le dire, mais on ne peut pas la balayer d'un revers de main. J'ajoute pour être complet sur ce point que la France a donc pris position en faveur de la coalition en même temps et évidemment en étroite liaison avec le médiateur envoyé par les Nations unies qui est un homme extrêmement compétent et qui essaie d'apporter sa pierre à une solution.
Nous sommes aussi en contact avec les Russes dont nous pensons qu'ils ont un rôle à jouer. Je me suis entretenu plusieurs fois avec mon collègue M. Sergei Lavrov qui lui insiste sur un texte que nous avons signé ensemble, le texte de Genève, qui évidemment ne fait pas l'objet de la même interprétation de part et d'autre, mais nous essayons de trouver un chemin parce que le risque le plus grave c'est que cette situation dramatique continue avec déjà plus de 40.000 morts.
Si cette situation devait durer, non seulement le nombre des morts, des réfugiés, des blessés, etc. s'aggraverait mais on risquerait d'aboutir, et ce serait dramatique pour la région, à une espèce d'enkystement et à une augmentation de la présence et de l'influence des extrémistes, alors que toute la difficulté dans ce dossier, c'est à la fois de changer le régime qui s'est déconsidéré - le mot est faible – mais, en même temps, de ne pas laisser de vide. Nous ne voulons pas d'un scénario - que l'on appelle comme cela par rapidité d'expression - à l'irakienne. C'est la raison pour laquelle nous avons beaucoup apprécié que parmi les positions de principes que prend la coalition, il y ait le fait de garantir à chaque communauté ses droits. Quand je dis chaque communauté c'est à la communauté alaouite, à la communauté chrétienne, à la communauté kurde, à toutes les communautés auxquelles je pense, car il n'est pas question que la victoire que nous espérons de l'opposition se traduise par la défaite et l'élimination des communautés. Il faut protéger les différentes communautés, c'est essentiel.
Q - Excusez-moi, même les États-Unis sont en retrait par rapport à la France au point de vue, non pas les armes, mais... (inaudible)
R - Je ne dirais pas que nous sommes isolés, je dirais que nous sommes l'avant-garde.
Q - Bonsoir Monsieur le Ministre, j'ai compris que d'après vous le fait de reconnaître la coalition, la nouvelle, est de nature à changer un peu la donne. Voulez-vous nous expliquer quel est le mécanisme pour aboutir à ce changement là ? Est-ce que par exemple à certain moment vous allez vous adresser à l'Assemblée générale des Nations unies, au Conseil de sécurité pour obtenir une légitimité réelle et indiscutable de cette nouvelle entité ?
R - Là, on entre dans des considérations diplomatiques et donc ma compétence s'arrête. Il y a la politique, il y a le droit, il y a un lien entre les deux, mais le fait important, c'est celui que vous avez dit : il y a désormais une coalition représentative diverse des personnes qui sont en situation d'assurer un changement. Le premier élément, c'est de reconnaître l'importance de ce changement et de ce qu'il incarne ; Ce sont les formules qui ont été trouvées y compris par la France pour dire : «nous reconnaissons». Certains disent : «nous reconnaissons le fait que vous avez une légitimité». Nous, nous disons : «nous reconnaissons le fait que vous êtes le représentant légitime». Ce sont les nuances de la diplomatie, même si au fur et à mesure, nous souhaitons que cette coalition réussisse. Mais là encore il faut qu'il y ait des précurseurs, des gens qui s'engagent.
Du point de vue du droit, il n'appartient pas, par simplement une reconnaissance dans les mots, de faire passer la représentation d'un État par M. X ou Y à M. X ou Y ; cela demande toute une série de procédures. Les Nations unies ont leur rôle à jouer. Chaque pays a aussi son rôle à jouer et, par exemple, c'est le fait que nous, nous avons reconnu que l'un des responsables de cette organisation est l'ambassadeur mais, pour autant, l'ambassade reste là où elle est parce que l'ambassade ne nous appartient pas et parce que ce ne sont pas les règles diplomatiques.
Il y a donc toute une série d'étapes qui doivent commencer par une affirmation de nature politique ; c'est celle que nous avons prise et, ensuite, en fonction de l'usage établit, on passe du politique au juridique. A partir du moment où un nombre significatifs de pays aura considéré que d'abord la coalition et ensuite et surtout le gouvernement sera le gouvernement légitime, d'autres opérations pourront avoir lieu.
Q - Monsieur le ministre, sur la Syrie, Il y a quand même un paradoxe. Les pays du Golfe, vous l'avez dit, ont été les premiers à reconnaître la coalition de l'opposition syrienne. On sait que ce sont ces pays qui financent les salafistes et que sur le terrain l'armée syrienne libre a de gros problèmes justement parce qu'elle manque de moyens et que ce manque de moyens fait que ceux qui veulent combattre montent des katibas avec l'argent des pays du Golfe. Est-ce que ce n'est pas paradoxal que les pays du Golfe soutiennent à la fois cette feuille de route, alors même qu'ils financent quelque chose qui va complètement à l'encontre de l'unification de l'armée et de sa feuille de route ?
R - Je ne vous dis pas qu'il n'y ait pas de contradictions apparentes ou réelles dans la position de tel ou tel pays, mais nous regardons les choses d'une façon simple et carrée. Si l'on veut que M. Bachar Al-Assad quitte le pouvoir - et c'est nécessaire dans l'intérêt de la liberté du peuple syrien - il faut qu'il soit clair qu'il peut être remplacé par des gens qui ont la capacité de gouverner et qui ont une feuille de route qui reconnait la démocratie et un certain nombre de principes auxquels nous tenons. Tel est le cas de la coalition. À partir de ce moment-là, nous pensons qu'il est de notre devoir de reconnaître la légitimité de cette coalition. Il y a sans doute tel ou tel élément contradictoires dans d'autres pays mais en ce qui concerne les engagements de cette coalition et la position du gouvernement français, il n'y a pas de contradiction.
Q - Vous avez fait le déplacement le week end dernier en Israël et à Gaza, estimez vous que les responsabilités dans cette escalade sont partagées ou bien, comme l'a dit Barak Obama, ce sont les tirs de roquettes du Hamas qui ont précipité cette crise ?
R - Je ne veux pas me lancer dans cette comparaison. J'ai entendu les positions des uns et des autres qui évidemment sont très différentes. La position de la France est de contribuer à un cessez-le-feu immédiat et de faire cesser la très grave situation qui existe. On peut avoir un sentiment différent et quand chacun s'exprime sur ce sujet pour exprimer une position, il choque en général l'autre. Nous concentrons notre attention sur l'action qui est à mener pour un cessez-le-feu urgent et durable. De ce point de vue, j'ai tiré quelques conclusions de mon déplacement en Israël et dans les Territoires palestiniens et, depuis, je continue à être en contact avec mes homologues des différents côtés.
D'abord, quelle que soit l'appréciation qu'on peut porter sur les responsabilités, ce qui est certain, c'est que de part et d'autre la situation est extrêmement grave. C'est extrêmement grave du côté de Gaza puisque vous avez des destructions massives et plus de 100 morts et une situation extrêmement dure. Elle est extrêmement grave aussi et préoccupante du côté israélien puisqu'il y a eu et il y a encore des tirs de roquettes de longue portée. Pour la première fois, il y a utilisation d'armes qui sont précisément de longue portée et peuvent porter à plus de 75 km avec des charges de TNT extrêmement puissantes donc extrêmement dangereuses. Donc, c'est une situation très grave.
À partir de là, le rôle de la France et de tous ceux qui veulent comme nous la paix, c'est d'essayer de trouver les termes d'un cessez-le-feu urgent, acceptable et durable.
C'est là où nous pouvons aider, puisque la France est une puissance de paix. Nous sommes un facilitateur de la paix, que ce soit en Israël, à Gaza, en Afrique ou ailleurs. C'est cela notre rôle. Il y a eu des avancées, il y a des discussions, maintenant les choses sont davantage connues entre d'un côté les Égyptiens qui jouent un rôle tout à fait important en cela, et qu'il faut saluer, et puis les Israéliens.
Cela bute notamment - et pas uniquement - sur des préoccupations qui évidemment sont de sens contraire. Du côté israélien, le gouvernement dit – ce que je comprends parfaitement – que l'on peut tout à fait envisager un cessez-le-feu mais qu'il faut que ce cessez-le-feu soit inclusif, c'est-à-dire qu'il concerne notamment le Hamas mais aussi les groupes voisins ; d'autre part mes interlocuteurs israéliens insistent sur le fait qu'il faut essayer d'arrêter l'importation, si je puis dire, d'armement nouveau à longue portée sinon, évidemment, le phénomène pourrait recommencer. De l'autre côté, c'est-à-dire du côté gazaoui, du côté des Égyptiens et d'autres qui sont dans la négociation, on insiste sur la volonté de desserrer un peu l'étau en disant que «la situation des gazaouis est impossible» et, évidemment, il faut arrêter les tirs.
C'est la conciliation de ces deux demandes qui est très difficile à obtenir. Nous essayons d'agir dans le bon sens. Je me suis entretenu tout à l'heure avec Mme Clinton qui venait d'Asie ; je me suis également entretenu avec Ban Ki-Moon qui se préoccupe de tout cela, et avec d'autres interlocuteurs bien sûr. Voilà où nous en sommes. En tout cas, la position de la France, c'est agir pour un cessez-le-feu urgent et durable.
Q - Excusez-moi, est-ce qu'il y a un peu plus de responsabilité d'un côté ou de l'autre ?
R - Je ne rentre pas dans ce débat-là. Pourquoi ? À partir du moment où on insiste sur tel ou tel élément, on se discrédite pour proposer une solution. Ce qui est parfaitement vrai, c'est qu'Israël a droit à la sécurité. Il s'agit d'un droit absolument fondamental. Israël a donc le droit de se défendre lorsque des roquettes lui sont envoyées, c'est une évidence. En même temps, ce qui est également vrai, c'est que dans les conditions où les choses se déroulent à Gaza - le nombre de morts, etc. - les choses ne peuvent pas continuer ainsi. Après on donne une chronologie qui peut être interprétée différemment mais nous nous concentrons sur les solutions.
Q - Par rapport à la demande palestinienne d'adhésion à l'ONU en tant qu'État non membre, est-ce que l'opération israélienne sur Gaza va influer sur la position de la France ?
R - C'est aussi une question importante et difficile, la position de la France - cela doit être notre ligne de conduite - est celle qui est la plus favorable à la paix. Vous savez que traditionnellement la France insiste sur les droits des Palestiniens : deux États. Vous savez aussi que la France a toujours insisté sur le droit d'Israël à vivre en sécurité. Une résolution va vraisemblablement être proposée le 29 novembre et nous avons été de ceux - François Hollande l'a dit je crois pendant sa conférence de presse - qui pensons qu'il faut regarder avant tout ce qui peut faire progresser la paix. C'est cela la ligne. Il est exact qu'en période électorale pour Israël d'une part, et à un moment où l'administration américaine, avec le même président, va connaître un changement, peut aboutir à des conclusions qui seraient inverses de ce que l'on souhaiterait. On ne peut pas le contester. Si le texte, dont on ne connaît pas encore l'exact contenu, est présenté et voté, a pour conséquence que les Israéliens cessent de reverser les revenus des taxes aux Palestiniens, empêchent les mouvements des responsables palestiniens ; et si par ailleurs les Américains comme ils l'ont dit, gèlent les crédits, non seulement vis-à-vis de tel ou tel, mais même vis-à-vis des organismes, est-ce que nous ne risquons pas d'aboutir aux résultats inverses de ce que nous souhaitons ?
J'ai eu l'occasion de discuter de cela en tête-à-tête avec Mahmoud Abbas, dimanche dernier. Ce sont des arguments bien sûr qu'il entend mais, en même temps, il est engagé dans un combat depuis longtemps et sa réponse est de dire : «Écoutez, moi je ne peux pas dépendre de telle ou telle circonstance, le gouvernement ceci, le gouvernement cela». J'ai donc compris, même si on verra les choses lorsqu'elles se produiront, qu'il était enclin à déposer sa résolution ainsi qu'à le faire voter. C'est le premier point et ce n'est pas lever un secret de dire qu'il ne nous semble pas que le moment soit le meilleur.
Après si néanmoins ce texte, dont il faut encore une fois connaître l'exact contenu, est déposé, il faudra que nous prenions une décision. La position de la France, comme lorsqu'un vote avait eu lieu à l'UNESCO était une position, même si les choses sont un peu différentes, tout à fait favorable. Cependant, ce n'est pas exactement la même question qui est posée. D'autre part, nous ne connaissons pas encore la rédaction exacte du texte, ce qui a beaucoup d'importance. Quelles seront les conséquences de ce qui sera voté ? Et puis nous ne savons pas encore quelles sont les positions des autres pays européens, ce qui, après tout, 'est important. Classiquement, lorsque ces questions sont venues, les Européens étaient divisés mais est-ce que cette fois les Européens pourraient être unis et sur quelle position ? Nous ne le savons pas encore. C'est la raison pour laquelle je réponds ainsi à votre question. Nous nous donnons quelques jours, à la fois pour connaître la rédaction exacte du texte, pour l'analyser, en nous rapprochant des uns et des autres, de voir quelles seraient les conséquences d'un vote et, troisièmement, pour préciser quelles seraient les positions de nos partenaires européens. Quand nous aurons rassemblé tous ces éléments, nous rendrons publique notre position.
Q - Je voudrais juste glisser une petite question concernant l'éventuel rôle sous-marin de l'Iran dans tout cela pour affaiblir Israël ?
R - L'Iran est évidemment présent dans beaucoup de ces conflits et parfois les alimente, par exemple en ce qui concerne l'affaire syrienne. Je crois qu'il n'est pas contesté que l'Iran alimente directement et indirectement en armes le gouvernement de Bachar Al-Assad. De la même façon il y a eu l'affaire récente du drone qui survolait Israël. D'une autre façon, les missiles de longue portée à Gaza sont de fabrication iranienne et puis d'une manière encore plus directe, l'Iran n'a pas fait la lumière sur les finalités de son programme. Donc évidemment l'Iran est très présent dans tout cela et d'une façon générale contribue à l'aggravation de ces conflits.
Q - Dans les différentes circonstances que vous avez mentionnées de ce vote qui sera peut-être fait à l'ONU, vous n'avez pas mentionné la réaction du Hamas et ce qui se passera à Gaza, et les différentes organisations. Est-ce que cela fait aussi partie du calcul que vous faites ? Est-ce que vous avez discuté de cela avec Mahmoud Abbas ? Et comment la France estime l'influence de ce vote si jamais il est accepté à l'ONU sur ce qui se passe ?
R - J'ai eu un long entretien en tête-à-tête avec Mahmoud Abbas ; la définition de cet entretien en tête-à-tête c'est qu'il doit rester en tête-à-tête. Pour le reste, nous examinons la diversité des conséquences possibles.
Q - J'avais une question sur la République démocratique du Congo. Goma vient de tomber aux mains du M23, apparemment soutenu par le Rwanda. Est-ce que la France a l'intention de déposer une résolution au Conseil de sécurité des Nations unies, notamment pour élargir le mandat et renforcer la force internationale de l'ONU ?
R - Nous sommes déjà intervenus sur cette question de Goma. Nous sommes intervenus immédiatement auprès du Conseil de sécurité qui a pris, à notre demande, une position de condamnation des exactions du M23. Par ailleurs, je crois savoir que M. Ban Ki-moon a demandé à sa chef de cabinet de se rendre immédiatement sur place pour voir ce qui pouvait être fait. Bien évidemment, il s'agit d'une position de condamnation, puisque de nombreuses exactions ont été commises.
J'ai eu l'occasion de m'en entretenir à la fois avec Mme Clinton, avec les responsables de République démocratique du Congo et avec le ministre des Affaires étrangères du Rwanda. Notre position est de demander évidemment qu'il y ait une condamnation des actes du M23, de demander aux Nations unies de dénoncer cet état de fait et de demander à la République démocratique du Congo et au Rwanda de se rapprocher l'un de l'autre. Quant à la question que vous posez, elle est parfaitement légitime, la MONUSCO ce sont 17.000 hommes et, malheureusement, elle n'a pas été en situation d'empêcher ce qui s'est passé et qui est le fait de quelques centaines d'hommes. Cela signifie, comme d'ailleurs nous l'avions constaté sur place en nous rendant à Kinshasa il y a de cela quelques semaines pour le sommet de la francophonie, que c'est vraisemblablement le mandat de la MONUSCO qui est à revoir. En effet, déployer 17.000 hommes, ce qui est probablement l'engagement le plus lourd des Nations unies à travers le monde, et fixer un mandat qui, selon l'interprétation qui en a été faite, ne permet pas d'intervenir, je dois dire que c'est absurde pour employer un mot poli.
Dans l'immédiat, il faut arrêter ce qui se passe, favoriser les contacts entre la République démocratique du Congo et le Rwanda et, rapidement, se poser la question de l'efficacité de la MONUSCO. La France est là-aussi en relation avec les uns et avec les autres.
Q - Un dialogue inter-malien doit se tenir à Bamako du 26 au 28 novembre courant, entre le gouvernement malien, les autorités maliennes et les groupes rebelles du MMLA pour aboutir à des négociations politiques. À ce propos votre homologue algérien a déclaré, il y a deux jours, je le paraphrase : «ces négociations doivent être engagées en urgence pour marginaliser l'option militaire - et il continue - aujourd'hui il est clair que la priorité est donnée à la solution politique». Est-ce aussi l'avis de la France et du ministre des affaires étrangères français ?
R - J'ai de très bons contacts avec mon collègue algérien, qui est un homme tout à fait compétent et sage, et nous nous entendons extrêmement bien. Je m'étais rendu, il s'agissait d'un de mes premiers déplacements en Algérie où j'avais eu l'occasion de voir le président Bouteflika. Nous avons parlé de toute une série de choses. Je me rappelle que la presse sur place titrait : «désaccord entre l'Algérie et la France sur la question du Mali». Et s'il ne s'était agi d'un sujet aussi sérieux, nous aurions souri avec mon collègue et ami, parce que nous avions trouvé que nous avions énormément de points d'accord. Nous avons fait une conférence de presse et nous avons dit à la presse : «vous avez titré «désaccord», mais en fait nous sommes très largement en accord».
Au Mali, il y a des terroristes au Nord qui, comme vous le savez, refusent l'intégrité du Mali. Cela a des conséquences désastreuses parce que le Mali est coupé en deux et que les groupes terroristes violent, torturent, assassinent. Des exactions de toute sorte sont commises, des liens existent avec le trafic de drogue. Enfin, et il faut faire très attention à cela, il y a des prises d'otages. Tout cela ne peut vraiment pas être toléré. Cette situation qui longtemps n'a peut-être pas été perçue, l'est de plus en plus par les Africains eux-mêmes et par la communauté internationale. Je pense que le point de basculement a été une réunion dédiée à la question du Mali et du Sahel, qui s'est tenue dans la semaine de l'Assemblée générale des Nations unies. Toute une série de personnalités y sont intervenues, notamment le président français. J'ai senti physiquement une prise de conscience que ce n'était pas simplement la question du Mali - au demeurant très importante - qui était posée, mais j'allais dire presque le devenir de l'ensemble de l'Afrique. On comprend le risque de voir s'enkyster des groupes terroristes avec des ramifications. J'ai reçu au Quai d'Orsay des chefs d'État et de gouvernements ou des ministres des affaires étrangères d'Afrique de l'Est qui sont venus me dire : «nos terroristes apprentis vont se former au Mali et après ils reviennent chez nous pour commettre des exactions». Donc, il y a eu une prise de conscience.
Alors, que faut-il faire au Mali ? On a beaucoup travaillé là-dessus, les uns, les autres, à la fois d'abord les Africains, la CEDEAO, l'Union africaine qui joue un rôle excellent dans cette affaire, l'Europe bien sûr, en appui, la communauté internationale, les Algériens évidemment, qui sont très directement concernés. Il faut faire trois choses et c'est d'abord aux Africains d'avancer sur ces trois domaines. D'abord, et c'est ce à quoi vous faites allusion, il faut consolider la situation politique, c'est-à-dire qu'il faut qu'il y ait un dialogue entre les autorités légitimes du Mali et ceux du nord qui refusent la violence et le terrorisme. On ne peut parler ni avec AQMI ni avec Mujao ; qu'est-ce qu'on aurait à se dire ? Mais il y a des populations du nord et même des organisations de gens du nord qui eux acceptent davantage maintenant qu'il y a quelques mois de dire : «nous les terroristes, nous n'en voulons pas », ou bien «nous, nous acceptons l'intégrité du Mali». Ce n'était pas exactement leur langage il y a quelques mois, quelques semaines, mais ils ont évolué. Cette décision, ce n'est pas nous qui allons la prendre, elle revient aux Africains et d'abord aux autorités maliennes. Et c'est le sens de la réunion qui va avoir lieu dans quelques jours.
Évidemment en parallèle, vous avez la dimension sécuritaire. Le Mali, ses forces de sécurité se sont extrêmement affaiblies et dispersées, il faut donc les reconstituer. C'est une affaire qui concerne les Maliens, mais l'Europe a décidé hier d'aider à leur formation. Nous n'allons pas, nous Européens, avoir des hommes sur le terrain pour mener telle ou telle bataille. Mais si nous pouvons y apporter notre aide, nous le ferons. Et puis il y a des contingents qui vont être mis à disposition. Un certain nombre de pays se sont proposés, autour de la CEDEAO et de l'Union africaine, pour développer ce qu'on appelle un concept de crise, et donc s'il y a des opérations à faire c'est aux Africains de les mener. Le moment venu il faudra affronter les groupes terroristes et, évidemment, ils sont armés. Ce sont des choses difficiles. Donc, ça c'est le deuxième volet.
Et puis, il y a le troisième volet qu'il ne faut pas oublier, le développement et l'aide humanitaire parce que le Mali, comme un certain nombre de pays voisins, est un pays pauvre qui a besoin de se développer, qui a besoin de ressources, qui a besoin d'être aidé. Là aussi, la communauté européenne, la communauté internationale doivent les aider.
Donc, il faut mettre en oeuvre ces trois volets. Et je suis tout à fait en accord avec mon ami et collègue algérien pour dire qu'il faut, bien sûr, mener des discussions politiques. Mon collègue algérien est parfaitement convaincu que pour un certain nombre de groupes terroristes il ne sera pas possible d'éviter la solution sécuritaire, c'est ainsi. Mais il ne faut pas oublier la dimension politique.
Q - Concernant la Grèce et sa dette, le FMI prône une restructuration, Mme Merkel semble réticente, craignant que le peuple allemand ait peur de payer cette dette. Le président Hollande, durant sa conférence de presse, avait dit qu'il y a une solution pour que le peuple allemand ou d'autres peuples ne payent pas, qu'il y aurait une solution qui est en négociation. Quelle est la position française par rapport au FMI et Mme Merkel ? Quelle est la proposition de François Hollande ?
R - Je ne peux pas marcher sur les platebandes de mon collègue et ami Pierre Moscovici, même si dans mon portefeuille j'ai aussi les affaires européennes, extrêmement bien traitées par Bernard Cazeneuve, un homme très compétent. Nous sommes en train de discuter pour être très précis sur ces questions concernant la Grèce. Il nous faut absolument trouver une solution. D'ailleurs, nous regrettons que les choses aient beaucoup duré puisque, comme on dit en français : «ce n'est pas la peine de pleurer sur le lait qui a été renversé». Quand on regarde - parce que cette affaire est très largement financière - ce qu'aurait couté le sauvetage de la Grèce si des décisions avaient été prises rapidement - la France en était partisane - et ce que finalement va demander le sauvetage, on a un rapport peut-être de 1 à 100, peut-être de 1 à 50. Cela doit servir de leçon à tous les Européens. Demain, je donne une interview dans le Frankfuter Allgemeine Zeitung, dans laquelle je dis que l'un des problèmes c'est que le temps que la décision économique, le temps des marchés représente des jours alors que le temps de la décision européenne représente des mois, voire des semestres, et ce n'est pas possible. Il faut que nous essayions de rapprocher ces deux temps. Il y a donc une discussion entre le FMI, l'Allemagne, la France et d'autres Européens et nous souhaitons que les choses soient réglées très rapidement. Je ne vais pas donner une position ne varietur parce que c'est un compromis, c'est une discussion, mais nous souhaitons en tout cas très vivement que cette affaire soit enfin réglée.
Q - Pendant le sommet Ibéro-américain à Cadiz, il s'est avéré que l'Amérique latine est une terre où il y a beaucoup de croissance, où il peut y avoir beaucoup d'investissements. Je sais que votre ministre chargé du développement, Pascal Canfin, s'est réuni avec plusieurs ministres des affaires étrangères là-bas. La France, pendant l'ancienne administration, s'est concentrée sur trois dossiers, Florence Cassez, Ingrid Betancourt, le Rafale au Brésil. Qu'est-ce que compte faire cette nouvelle administration pour se rapprocher plus de l'Amérique latine, pour avoir plus de représentations diplomatiques là bas ?
R - Je vous remercie beaucoup de votre question. Il est vrai que la France n'a pas été suffisamment présente en Amérique latine, alors que nous avons toutes les raisons d'être présents auprès de ce continent et de ces pays qui sont par leur histoire, par leur culture, très proches de nous. Nous avons bien l'intention, je vais vous en donner quelques exemples, de changer cet état de fait.
Je vais reprendre les trois pays que vous avez cités. Le Brésil, où il y a bien sûr des intérêts économiques et nous sommes très présents au Brésil. Songez que les entreprises françaises au Brésil représentent 500 000 emplois. Nous avons une très bonne relation avec Mme Rousseff, une présidente et une femme d'une grande personnalité, qui va venir d'ailleurs ici dans peu de temps. Nous avons l'intention - j'en ai discuté avec mon collègue - d'avoir, de développer ce partenariat stratégique dont on a absolument besoin avec le Brésil. Donc, le Brésil, la France, c'est une histoire d'amour et nous allons la développer, sachant que selon le proverbe français : «il n'y a pas d'amour, il n'y a que des preuves d'amour».
En ce qui concerne le Mexique et plus précisément ce que l'on appelle l'affaire Cassez, la façon dont les choses ont été traitées a rendu très difficile la dernière période. Le président élu du Mexique est venu et sa visite a été excellente. Le contact est très bien passé entre ce nouveau président et le président français et l'administration française. Sur l'affaire Cassez nous avons dit de part et d'autre que nous faisions confiance à l'indépendance de la justice mexicaine et qu'elle allait se prononcer. En tout état de cause, nous comptons développer très fortement nos relations dans tous les domaines. J'ai reçu, de notre ambassadeur français au Mexique, des propositions extrêmement nombreuses et pour incarner cela, nous avons décidé avec le président qui va être installé au mois de décembre, de créer un haut conseil franco-mexicain. Je vous précise déjà que du côté français, la présidence en sera confiée à M. Faure qui a été Secrétaire général du quai d'Orsay, un excellent ambassadeur au Mexique, qui connaît admirablement ce pays - y compris dans sa dimension économique - et qui va donc contribuer avec d'autres à donner, comme on dit à l'Académie française, un coup de booster à nos relations.
En ce qui concerne la Colombie, c'est un pays passionnant que très longtemps on a identifié en France avec les FARC. Mais, d'une part, les choses sont probablement en train d'évoluer et, d'autre part, la Colombie devient la quatrième puissance de cet ensemble. Le président colombien est un homme tout à fait remarquable qui, si je peux me permettre de porter un jugement qui ne le compromette pas, a pris des initiatives extrêmement utiles. Là aussi, selon les formes que vous verrez dans quelque temps, nous avons bien l'intention de développer nos relations avec la Colombie. Enfin, pour être très concret, à la fin du mois de janvier, François Hollande se rendra à la conférence qui a lieu au Chili et qui rassemble un certain nombre de pays d'Amérique du Sud. Il y aura aussi des Européens et nous devrions saisir cette occasion pour rendre visite à un autre pays de la même région. Donc, pour être très concrets, vous voyez que l'Amérique du Sud et d'ailleurs aussi l'Amérique centrale, est dans notre agenda.
Q - Quels sont les pays ou les États qui aident le Hamas ? Et au-delà, y a-t-il un message justement vers l'État d'Israël dans l'hypothèse d'une attaque vers les sites iraniens ?
R - C'est autre chose, vous posez la question plutôt de nucléaire. Sur l'Iran, je répondrai plutôt sur ce qui me paraît vraiment tout à fait central même si les autres aspects sont centraux. Nous avons beaucoup de respect pour le peuple iranien et pour la civilisation iranienne qui est une grande civilisation, simplement nous voyons ce qui se passe, les actions que mènent directement ou indirectement l'Iran sur toute une série de parties du monde et le rôle déstabilisateur, malheureusement, qu'il joue souvent.
Et puis, nous sommes confrontés à un problème extrêmement grave qui est la question de savoir si l'Iran peut ou non accéder à l'arme nucléaire. La réponse est tout à fait claire : autant l'Iran a parfaitement le droit d'utiliser l'énergie nucléaire civile, autant nous considérons - quand je dis «nous» c'est la communauté internationale, y compris les cinq membres permanents du Conseil de sécurité qui ne sont pas toujours d'accord sur tout, c'est un euphémisme - que l'accès, la possession par l'Iran de l'arme nucléaire est inacceptable et inacceptable, cela veut dire qui ne peut pas être accepté. À partir de là, nous avons mis au point ensemble une position dite de double approche : d'un côté il y a des négociations qui ont lieu avec l'Iran et, de l'autre, il y a des sanctions.
Jusqu'à présent les négociations n'ont pas donné de grands résultats. Les sanctions ont été appliquées et il a été décidé de les augmenter. La bonne solution est évidemment la négociation et, vraisemblablement, un nouveau round de négociations va avoir lieu d'ici quelque temps. La bonne solution, c'est que l'Iran accepte d'utiliser comme il le souhaite l'énergie civile mais qu'il respecte les accords internationaux et donc n'aille pas vers le nucléaire, alors que les rapports de l'agence internationale de l'énergie atomique - son directeur était ici en France hier - montrent clairement qu'il y a une augmentation du nombre des centrifugeuses qui ne peut s'expliquer que s'il y a cette perspective. Il faut donc que cette négociation ait lieu et qu'elle permette de lever ce risque qui est gravissime, d'une part parce que la dissémination nucléaire c'est grave, d'autre part parce que la dissémination nucléaire dans cette partie du monde entrainerait une réaction extrêmement vigoureuse car à ce moment-là d'autres pays voisins voudraient se doter aussi de l'arme nucléaire et, dans cette région dont nous avons vu dans la première partie de mon propos que c'était quand même pas la plus calme du monde, c'est vraiment une totale irresponsabilité que de laisser se développer une telle perspective. Donc, nous souhaitons, nous demandons, nous voulons que la négociation porte ses fruits. Si ce n'était pas le cas, l'Iran se placerait dans une situation extrêmement dangereuse du point de vue international.
Q - Sur le prélèvement d'organes en Chine, est-ce que notre gouvernement est au courant de ce crime incroyable et quelle sera la mesure que notre gouvernement saura prendre ?
R - Vous savez qu'il y a une position générale. Dans tous les pays du monde, le gouvernement français est très respectueux et favorable au respect des droits de l'homme. Cette position du gouvernement français s'applique vis-à-vis de toutes les atteintes au droit de la personne si j'ai bien compris, qui peuvent se passer dans tous les pays du monde.
Il n'y a pas de zones du monde où nous ne plaidions pas pour le respect des droits de la personne humaine. Mais puisque vous intervenez sur la Chine, évidemment ces questions sont très importantes, en même temps on ne peut pas ne pas faire un commentaire fut-il très rapide sur ce qui se passait en Chine récemment puisque le XVIIIe congrès a débouché sur la nomination de responsables nouveaux. Je crois qu'ils vont être installés au mois de mars, c'est la date que j'ai dans l'esprit, le président français souhaitera certainement se rendre ensuite en Chine et nous aurons des conversations approfondies avec les nouveaux dirigeants chinois.
Nos relations d'une façon générale sont bonnes avec la Chine. Nous reconnaissons tout à fait l'importance considérable qu'elle a prise et qu'elle prendra de plus en plus. En même temps, sur le plan économique, nous insistons beaucoup sur la nécessité d'une bonne réciprocité dans nos relations puisque vous savez que c'est le pays du monde avec lequel nous avons le déficit le plus important qui est, pour l'année dernière, de 27 milliards d'euros. Nous aurons des relations politiques, nous discuterons de tout sur le plan stratégique, nous aurons des relations économiques, des relations culturelles et nous le ferons, c'est notre choix, d'une façon stabilisée, c'est-à-dire que je crois qu'il est très important, lorsqu'on essaie de définir une diplomatie, à la fois bien sûr d'être adapté aux réalités du monde, mais d'avoir une diplomatie claire, c'est-à-dire qui ne soit pas avec des hauts et des bas, des sinusoïdes, des coups et puis des à-coups. Je crois que, autant nous-mêmes Français, demandons qu'à notre endroit les diplomaties pratiquées soient stables, autant on peut nous demander d'avoir une vision et une pratique stable de ce que sont nos rapports diplomatiques avec le reste du monde.
Vous avez compris, j'en suis sûr, que même si les problèmes sont difficiles, le ministre des affaires étrangères est un ministre heureux de ce qu'il fait. J'essaie de le faire, c'est la dernière mention que je ferai, en essayant d'avoir une diplomatie qui puisse rassembler autant que possible les Français et leurs forces politiques. Bien évidemment, il peut y avoir telle ou telle inflexion, tel ou tel choix qui est lié à nos engagements, mais sur beaucoup de cas les positions que nous prenons peuvent représenter l'ensemble du spectre français. D'ailleurs je reçois - et je veille à le faire - l'ensemble des responsables des différents partis politiques. J'en ai déjà reçu plusieurs des différentes formations et, régulièrement, personnellement dans des entretiens en tête-à-tête je verrai les principaux dirigeants des différentes formations politiques françaises. Je pense que lorsqu'il s'agit de la politique étrangère de la France, autant elle peut rassembler, mieux elle peut rassembler, meilleure et plus forte est notre diplomatie.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 26 novembre 2012