Extraits d'un entretien de M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères, avec BFM TV et RMC le 22 novembre 2012, sur la situation à Gaza, la question du nucléaire iranien, l'opposition syrienne, les otages français au Mali et sur le budget de l'Union européenne .

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : BFM TV - Emission Forum RMC FR3 - RMC

Texte intégral

(...)
Q - Laurent Fabius, parlons du Proche-Orient. Trêve au Proche-Orient, accord entre Israéliens et Palestiniens, trêve, pour l'instant, respectée...
R - Oui.
Q - Alors, on a deux sentiments ce matin, on a le sentiment palestinien, à Gaza c'est l'euphorie, on fait la fête, et côté israélien un sentiment de frustration. J'ai vu un sondage, 70% des Israéliens pensent que Israël aurait dû aller plus loin, pénétrer dans la Bande de Gaza, et en terminer une fois pour toute avec ceux qui combattent Israël. Que dites-vous ?
R - Le cessez-le-feu, qui a été respecté cette nuit, est une bonne nouvelle. J'espère qu'il va continuer à être respecté. Et pourquoi est-ce une bonne nouvelle ? Parce qu'on ne peut pas obtenir de solution par la violence. Nous sommes très attachés à la sécurité d'Israël, c'est évident. Dans le même temps cette sécurité passe par la reconnaissance des palestiniens, on le sait. Les derniers événements ont tout fait voler en éclats. Là il y a eu un accord entre les Israéliens et le Hamas, l'Égypte a joué un rôle très important, il faut le souligner.
Q - Oui, d'ailleurs le mécanisme de surveillance est exercé par l'Égypte, c'est l'Égypte qui va surveiller la trêve.
R - Oui, enfin...
Q - En partie.
R - Cela reste encore à définir.
Q - Ah bon ? Ça reste à définir, bon !
R - L'Égypte a joué un rôle important, les États-Unis aussi et nous avons essayé d'aider. Maintenant il faut que ce cessez-le-feu tienne, parce que la violence ne résout rien.
Q - Mais alors comment, à la fois, améliorer les conditions de vie des habitants de Gaza, et comment garantir aussi la sécurité des Israéliens ?
R - C'est tout le problème, et c'est sur ce point que cela a achoppé pendant plusieurs jours. François Hollande m'a demandé d'aller sur place dimanche et nous avons discuté de ce problème. Il y avait d'un côté une demande de la part des Israéliens - qui est parfaitement légitime - consistant à dire que les tirs de roquettes sur Israël devaient cesser et dans ce but il faut en surveiller l'approvisionnement. Symétriquement les Gazaouis veulent que le blocus soit desserré. Et donc, le cessez-le-feu a été décidé, il est respecté, j'espère qu'il va continuer, mais il va falloir surveiller tout cela.
Q - Et aller plus loin maintenant, sinon ça recommencera.
R - Aller plus loin, c'est la recherche de la paix...
Q - Cela veut dire quoi ?
R - Une recherche qui passe par la négociation, qui passe par la sécurité d'Israël et par la reconnaissance des deux États.
Q - Est-ce que vous demandez à Israël de lever le blocus exercé sur Gaza ?
R - À long terme il est évident - je ne sais pas si vous êtes allé à Gaza - mais la situation est absolument invivable. C'est un territoire qui est tout petit, avec un nombre d'habitants au kilomètre carré très important, avec des check-points extrêmement nombreux et des conditions de vie terribles, donc il faut trouver une solution, bien sûr.
Q - Est-ce que vous demandez à lever le blocus ?
R - Nous demandons depuis longtemps qu'il y ait un desserrement du blocus, qui d'ailleurs a été condamné, et dans le même temps nous demandons que la sécurité d'Israël soit garantie.
Q - Mais alors comment faire ? On lève le blocus...
R - La négociation.
Q - La négociation ?
R - Il n'y a pas d'autre solution, il faut qu'il y ait une négociation. Alors là...
Q - Donc vous demandez à Israël un geste, de lever, en partie, le blocus, et vous demandez au Hamas et aux Palestiniens de...
R - Pour l'instant je demande...
Q - La France, je parle de la France, vous.
R- Que l'on respecte le cessez-le-feu.
Q - Oui.
R - Ensuite, il faut, bien sûr, qu'il y ait des discussions, qui seront longues, pour résoudre les problèmes que nous venons d'évoquer.
Q - Est-ce l'Iran qui fournit l'aide militaire au Hamas ?
R - D'après les informations, il y a plusieurs types d'approvisionnement de fourniture. Pour ce qui concerne les missiles à longue portée, portée de 75 kilomètres et poids de 950 kilos qui, menacent pour la première fois, Israël, y compris les villes du Sud, ce sont des missiles de construction iranienne, oui.
Q - Parce que Téhéran vous accuse de porter, je vois la dépêche qui est tombée il y a quelques minutes, de porter une lourde responsabilité dans le conflit de la Bande Gaza pour avoir fourni des armes à longue portée au Hamas, et vous avez accusé Téhéran de porter cette lourde responsabilité...
R - Oui...
Q - Oui, oui, et l'Iran s'indigne de vos propos.
R - Écoutez, je ne vais pas entrer dans une polémique, cela n'a aucun intérêt. Simplement il y a un fait. Dans plusieurs conflits graves actuels, l'Iran est directement impliquée et elle le revendique. En Syrie on sait que l'Iran aide Bachar Al-Assad. On a vu l'Iran envoyer un drone au-dessus d'Israël. Vous savez que nous sommes en négociations pour que l'Iran n'accède pas à l'arme nucléaire. Ce sont des faits, voilà.
Q - Ce sont des faits ?
R - Oui, bien sûr.
Q - Donc pour vous c'est clair, malgré les indignations iraniennes, c'est clair, l'Iran est partie prenante dans ce conflit, et l'Iran arme en partie le Hamas.
R - Il y a des faits que personne ne conteste.
Q - Alors l'Iran justement, parlons-en, que peut-il se passer dans les semaines et les mois qui viennent maintenant ?
R - Sur quel aspect ?
Q - À la fois diplomatique et militaire, concernant l'Iran. Diplomatique et militaire. Parce que si la diplomatie...
R - Vous voulez dire sur l'aspect nucléaire ?
Q - Oui, aspect nucléaire, et l'aspect géopolitique dans la région.
R - Sur le nucléaire, les choses se présentent ainsi. La dissémination nucléaire est un grave danger et l'Agence internationale de l'énergie atomique a établi que l'Iran avait accumulé un nombre de centrifugeuses au-delà de seuil qui était nécessaire pour produire de l'énergie civile nucléaire. On admet tout à fait que l'Iran, qui est un grand peuple, puisse posséder de l'énergie civile nucléaire. Mais nous ne voulons pas, quand je dis nous, ce sont les Russes, les Chinois, les États-Unis, les Anglais, les Français, les Allemands, enfin la communauté internationale, que l'Iran ait l'arme nucléaire. Donc il y a des négociations qui ont lieu et dans le même temps il y a des sanctions...
Q - Mais qui avancent ou qui n'avancent pas ?
R - Pour l'instant ces négociations n'avancent pas et nous espérons que cela va changer. Puisque la seule bonne solution c'est la négociation, pour que l'Iran, qui a le droit à l'énergie nucléaire civile, renonce à la bombe atomique qui serait un danger. Et nous espérons que les négociations vont aboutir, voilà où nous en sommes.
Q - Et si ces négociations qui durent n'aboutissent pas ...
R - Oui, ces négociations durent, depuis longtemps.
Q - Est-ce que l'option militaire est à écarter ?
R - Écoutez, nous travaillons pour que les négociations aboutissent.
Q - Et si elles n'aboutissent pas ?
R - Je vous citerai le président Obama, qui, pendant sa campagne électorale, a dit «l'Iran n'aura pas la bombe atomique». Voilà.
Q - C'est clair. Cela veut dire que l'option militaire s'appliquera si les négociations n'aboutissent pas.
R - Le rôle d'un ministre des affaires étrangères n'est pas d'ajouter des difficultés aux difficultés, c'est d'essayer résoudre les problèmes. Donc je dis, négociations et dans le même temps sanctions. Nous avons pris des sanctions, fortes, et nous espérons que les négociations aboutissent et que l'Iran respecte ses obligations. Voilà.
Q - La Syrie. Est-il vrai que l'OTAN va déployer des missiles en Turquie ?
R - Il y a eu une demande de nos collègues turcs, pour que des missiles Patriot soient déployés à la frontière turque. La demande a été faite sur la base de l'article 4 de l'OTAN. Nous en discutons en ce moment. Deux pays possèdent ces Patriot : les Pays-Bas et l'Allemagne. La demande a été faite, par rapport à des envois de missiles par les Syriens. Nous sommes aux côtés de ceux qui souhaitent que l'article 4 s'applique.
Q - Donc vous soutenez cette demande ?
R - Elle est étudiée en ce moment, mais il n'y a pas de raison de la refuser.
Q - Il n'y a pas de raison de la refuser.
R - À titre purement défensif.
Q - Les combattants djihadistes en Syrie, ne veulent pas faire partie de la coalition nationale que vous avez adoubée.
R - Tant mieux.
Q - Vous dites tant mieux...
R - Bien sûr.
Q - Mais ils se réfugient dans leur fief autour d'Alep.
R - Tant mieux. L'élément nouveau qui est intervenu la semaine dernière, qui est très important, c'est que l'ensemble de l'opposition, j'allais dire démocratique, s'est regroupée dans la coalition nationale syrienne. Nous avons besoin de ce regroupement de l'opposition parce que si l'on veut une alternative à Bachar Al-Assad, il faut que l'on puisse dire, que les Syriens puissent dire, voilà ce que sera l'alternative. Et donc, des gens respectés et respectables se sont unis dans cette coalition.
Elle a été reconnue par les États du Golfe, par la France, par la Grande-Bretagne et par l'Italie, donc les choses progressent. Que va faire cette coalition ? Elle va mettre sur pied un gouvernement provisoire d'ici quelques jours, c'est ce qu'elle nous a annoncé et elle va aussi distribuer de l'aide humanitaire aux populations syriennes qui sont dans une situation très difficile. Petit à petit elle va prendre de l'ampleur pour préparer la Syrie de demain. Et il est tout à fait vrai qu'un ou deux groupes djihadistes a dit qu'ils ne se reconnaissaient pas dans la coalition. Mais la coalition nous a dit, et c'est extrêmement important, qu'elle voulait que la Syrie de demain respecte l'ensemble des communautés, c'est-à-dire les Alaouites, les Russes, les Chrétiens etc. Alors que les djihadistes eux, veulent autre chose.
Q - Laurent Fabius, parlons de ce Français qui a été enlevé à la frontière entre le Mali et la Mauritanie je crois...
R - Oui du côté malien, c'est-à-dire au sud-ouest du Mali dans une zone qui jusqu'à présent n'apparaissait pas comme contrôlée par les terroristes. Alors évidemment...
Q - Est-ce que vous avez des nouvelles ?
R - Oui nous avons eu des informations par les autorités maliennes.
Q - Il est en vie ?
R - D'après ce que l'on peut savoir oui. Il y a eu revendication mais que nous n'avons pas pu encore vérifier. Il aurait été enlevé par un groupe de djihadistes du nord et maintenant il faut se méfier parce que l'on ne connait pas exactement les conditions dans lesquelles cela s'est passé. D'autre part, on ne sait pas si c'est un groupe qui l'a enlevé pour le revendre, excusez l'expression, à un autre groupe, parce qu'il y a...
Q - C'est comme ça que ça se passe.
R - Malheureusement, ou si c'est directement des gens du nord. En tout cas que signifie cette affaire et évidemment nos services sont mobilisés pour faire le maximum. Premièrement, je le redis : il ne faut pas aller dans cette zone parce que c'est extrêmement imprudent d'y aller et je le redis à l'égard de tout le monde. Deuxièmement cela signifie, encore une fois, qu'il faut absolument lutter contre le terrorisme et c'est ce que commencent à faire les Africains à la fois au Mali et dans les pays voisins.
Q - Alors où en est-on de cette éventuelle intervention militaire africaine ?
R - On n'en est pas encore là. Alors...
Q - On en est où ?
R - Le problème du Mali, malheureusement il vient d'être illustré par cet enlèvement supplémentaire qui fait que nous avons maintenant sept otages, c'est que là-bas se développe un terrorisme, un narco-terrorisme souvent, qui menace non seulement le Mali, mais aussi l'ensemble de l'Afrique ? Nous sommes à la frontière de la Mauritanie et nous ne sommes pas loin du Sénégal. Donc vous voyez le risque dans tous ces pays. Et donc la communauté internationale a pris conscience qu'il fallait agir dans trois directions.
Un, une direction politique. Il faut que les autorités du Mali au sud discutent avec les groupes du nord qui refusent le terrorisme. C'est en train de se faire, parce qu'il faut une base politique. Deuxièmement il faut une base sécuritaire. Il faut que l'armée malienne se reconstitue et qu'il y ait autour des forces africaines qui acceptent, le cas échéant, d'intervenir. C'est en train d'être fait, mais cela va prendre du temps, parce qu'il n'y a plus d'armée malienne. Et troisièmement, il faut aider au développement et à l'humanitaire, et tout cela est en train de cheminer au niveau international...
Q - Et quand, vous avez des dates, sur... ?
R - Oui, l'ONU va donner son feu vert à cet ensemble début décembre.
Q - Début décembre. Mais une éventuelle intervention...
R - Nous n'en sommes pas là.
Q - Dans les semaines qui viennent.
R - Non, nous n'en sommes pas là. Il faut d'abord reconstituer les forces maliennes, évidemment car on ne peut pas intervenir sans forces maliennes, et il faut que les pays voisins fournissent des contingents. Mais, j'insiste quand même Monsieur Bourdin, c'est aux Africains, d'abord, de mener les actions nécessaires, la communauté internationale...
Q - Notre soutien ne sera que logistique...
R - C'est en appui. Mais c'est une affaire qui relève d'abord des Africains. Mais sur ce sujet, comme dans l'affaire syrienne et les évènements à Gaza et en Israël, la France essaye de faciliter la paix. La ligne qui est la nôtre est une France puissance de paix.
Q - Bien, Laurent Fabius, l'Europe. La Grèce, c'est toujours aussi catastrophique, solution, peut-être effacer une partie de la dette, oui ou pas ?
R- Nous sommes passés pas loin de l'accord, comme l'a dit Pierre Moscovici, mais nous ne l'avons pas obtenu et il faut l'obtenir dans les jours qui viennent, absolument. Alors, il y a des discussions techniques très compliquées, mais il faut obtenir une solution.
Q - Et le sommet européen de Bruxelles qui s'annonce...
R - Difficile.
Q - Difficile.
R - Très difficile.
Q - Pourquoi ? Je vais résumer. Il s'agit de voter le budget 2014/ 2020. Quelle est la situation ? La Grande-Bretagne veut - c'est un budget de 1000 milliards d'euros à peu près - la Grande-Bretagne veut une économie de 200 milliards d'euros sur ce budget, l'Allemagne 100 milliards...
R - Et garder son chèque.
Q - Et garder son chèque, oui, négocié par Margaret Thatcher en 1984. Et nous, nous disons non, parce que nous, nous voulons préserver la Politique agricole commune.
R - Nous, nous disons que nous pouvons faire des économies, mais qu'il y a deux politiques qui sont des politiques majeures de l'Union : la Politique agricole commune et la politique de cohésion, qui aide les régions. Alors nous disons que l'on peut faire un certain nombre d'économies, mais que sur ces deux points, il en est hors de question.
Q - Combien d'économies ?
R - On peut discuter sur les chiffres.
Q - Cent milliards d'euros demandent les Allemands, c'est... on peut les rejoindre ?
R - Non, c'est au-delà de ce qui est faisable. Mais nous disons qu'il faut garder, pour conserver de la croissance et cela est nécessaire, à la fois une politique agricole solide et une politique régionale, c'est-à-dire la politique de cohésion. Alors que nos partenaires anglais disent, on veut garder notre chèque, et en plus il faut tout ratiboiser. A ce moment-là, il n'y a plus d'Europe.
Q - Mais, ce chèque, il faut le renégocier ou pas ?
R - Les conditions dans lesquelles le rabais britannique a été négocié en 1984 au Sommet de Fontainebleau, font qu'il y a un montant qui est prévu, et juridiquement c'est difficile.
Q - 3 milliards d'euros, par an.
R - Ce qui n'est pas possible c'est que, non seulement ce chèque soit maintenu et que toutes les dépenses soient diminuées. Et puis d'autres pays demandent aussi un chèque. Donc, nous sommes pour un compromis, mais un compromis qui ne casse pas l'Europe et qui ne soit pas au détriment de la France.
Q - Ça va être rude, ce sommet.
R - Cela n'est pas facile.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 26 novembre 2012