Extraits d'un entretien de Mme Hélène Conway-Mouret, ministre des Français de l'étranger, avec la chaîne de télévision portugaise "SIC Notícias" le 22 novembre 2012, sur la présence française au Portugal.

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Circonstance : Déplacement à Lisbonne (Portugal), le 22 novembre 2012

Média : SIC TV

Texte intégral

Q - Madame Hélène Conway-Mouret, vous êtes la ministre des Français à l'étranger. Bienvenue sur l'émission SIC Notícias - Europa 21. Il y a environ 16.000 Français au moins officiellement au Portugal. Quelles sont les raisons de votre visite ?
R - C'est une double raison. C'est une raison politique puisque je viens rencontrer mon homologue ici, M. Cesário qui est secrétaire d'état pour la communauté portugaise établie hors du Portugal. Je vais aussi rencontrer un certain nombre de parlementaires, de députés qui représentent les Portugais à l'étranger, et puis aussi des parlementaires du groupe d'amitié Portugal-France. Le deuxième volet de ma visite est de venir au contact de la communauté française qui, comme vous l'avez rappelé, est plus importante que les 16.000 personnes enregistrées : nous avons près de 30.000 Français qui résident au Portugal. Je suis donc venue les rencontrer. Dans mes attributions, je m'occupe du réseau consulaire, du réseau scolaire et de la sécurité des personnes ; donc je vais faire une visite bien sûr au consulat, une visite aux établissements scolaires, et puis aussi rencontrer la communauté française plus largement, les acteurs économiques et des Français qui travaillent dans tous les domaines.
Q - Vous avez des origines irlandaises, vous avez une expérience professionnelle en Irlande, je voudrais savoir comment l'avez-vous vécue, notamment du fait que l'Irlande a eu aussi des moments très difficiles du point de vue économique. Est-ce que vous pouvez faire un petit parallèle avec le Portugal ?
R - Je résidais encore en Irlande en 2008, quand la crise économique a frappé le pays de plein fouet. C'était un pays en pleine expansion, qui était même un modèle présenté en tout cas comme pouvant être suivi par les autres pays européens en matière de croissance, en matière économique et financière. Et puis la crise a sévi en 2008. Elle a été incroyablement brutale, elle a touché à la fois le pays et l'État, ses institutions, mais aussi essentiellement la population. Donc je l'ai vécue très intimement de l'intérieur ; le chômage est passé de 3% à 16% en l'espace de neuf mois. C'était donc incroyablement brutal. Alors j'ai cette expérience d'avoir vécu à l'étranger de savoir à la fois la richesse que de parler deux langues peut apporter, qu'une culture binationale peut apporter aussi. Je m'identifie parfaitement aux problématiques et ce que peuvent ressentir à la fois les Français établis au Portugal, mais aussi la large communauté portugaise établie en France - puisque on compte plus d'un million de Portugais qui résident en France, dont 700.000, je crois, sont enregistrés à l'ambassade du Portugal.
Q - En ce qui concerne la langue française au Portugal, il y a de moins en moins de Portugais qui parlent le français, comme vous le savez. Existe-t-il une stratégie du gouvernement français pour qu'il y ait au Portugal, je l'espère, plus de Portugais qui s'intéressent à la langue française ? Comme vous le savez il y a beaucoup de binationaux et ceux-là pourraient aussi aider dans ce sens là.
R - Oui c'est vrai que la communauté française ici est représentée pour plus de la moitié par des binationaux, et dont l'intérêt se manifeste bien sûr pour les deux langues. La France a toujours défendu la diversité culturelle et donc le multilinguisme. C'est vrai qu'en France nous devons aussi faire l'effort de la promotion du portugais et d'autres langues aussi. Au Portugal il est bien entendu qu'aujourd'hui nous voyons que l'anglais s'impose comme première langue, comme dans la plupart des pays européens. C'est une demande mondiale aujourd'hui, les jeunes veulent pouvoir s'expatrier et puis travailler au niveau international. Je sais que notre ambassadeur a la volonté de réactualiser un accord qui a été passé en 2006, un accord bilatéral en matière linguistique justement pour valoriser la promotion du français ici, qui doit passer par la formation des professeurs, qui peut aussi passer par le développement des certifications, la création aussi de filières bilingues voire européennes dans les écoles nationales.
Q - Vous avez l'espoir, vous pensez que le gouvernement portugais pourrait effectuer des démarches dans ce sens ?
R - Je l'espère. Vous savez, quand on signe un partenariat bilatéral, cela veut dire que les deux parties ont vocation et surtout la volonté de faire la promotion mutuelle de nos langues. C'est à dire qu'un effort sera fait bien sûr en France mais également au Portugal, et je crois en tout cas nous y travaillons.
Q - Parlons un petit peu des entreprises françaises. Elles sont aussi en difficulté au Portugal, comme les entreprises portugaises. Il y en a qui ferment, il y a beaucoup de licenciements. Y a-t-il des mesures que le gouvernement français est en train de mettre en place pour éviter que cela continue ?
R - Le gouvernement auquel j'appartiens a une cohérence à tous les niveaux. Vous savez que François Hollande, en juin dernier, avait présenté et proposé - au niveau européen en tout cas - un pacte pour la croissance et l'emploi. Jean-Marc Ayrault, le premier ministre, il y a quelques semaines de cela, a présenté un pacte pour la compétitivité au niveau national, et tous les ministères sont engagés - le mien aussi - pour accompagner nos entreprises, pour les aider à l'international, à l'exportation. Nous avons là un déficit gigantesque, nous avons besoin de redresser, comme le fait le Portugal aujourd'hui, à la fois nos finances publiques dans un esprit de responsabilité, et d'essayer de réduire les déficits et la dette - et puis aussi bien sûr de travailler sur la compétitivité. L'emploi passe par nos entreprises bien évidemment, et nous travaillons à cela au niveau national et au niveau européen. D'où la réponse à votre question. Je crois que nous sommes tous engagés collectivement dans un effort européen. Nous n'avons pas le choix aujourd'hui parce que le Portugal traverse une période difficile et ce n'est pas facile en France non plus.
Q - Et au niveau européen exactement, est-ce que vous pensez qu'au niveau des négociations du budget européen, la France pourrait être solidaire avec le Portugal ? Comme vous le savez on prend des mesures très, très dures en ce moment.
R - Écoutez, je crois qu'elle l'est. Ma présence ici est un gage de solidarité envers le peuple portugais pour bien montrer que le gouvernement français est très attentif à ce qui se passe ici. Nos entreprises, qui sont bien insérées - la plupart sont ici depuis bien longtemps - sont compétitives parce qu'elles ont vocation à s'insérer dans la durée, elles ne sont pas là simplement de passage. Elles ne sont pas là pour investir de façon ponctuelle, elles font vraiment partie du tissu économique portugais et ont vocation à participer au redressement du pays, elles le font - ça c'est du secteur privé - et le gouvernement français est attentif à ce qui se passe ici. Pour les discussions qui ont lieu aujourd'hui et demain, qui seront très compliquées, au niveau européen, je sais que la France et le Portugal défendent les mêmes intérêts. La France ne fléchira pas sur les crédits alloués à la PAC. Je sais que la politique de cohésion est très importante pour le Portugal. Ni la France ni le Portugal ne font partie de ce groupe de pays qui demandent des coupes, qui demandent des rabais, nous sommes, je crois tous les deux dans une logique de compétitivité et de croissance parce que les politiques que nous mettons en place nous en France et que vous avez depuis quelques années au Portugal sont assez similaires au niveau national. Au niveau européen nous avons vraiment besoin d'une relance. Ce n'est pas un coupant les budgets que l'on peut relancer la croissance et l'emploi dans l'Union.
Q - Je voudrais parler d'un projet que vous avez mentionné la semaine dernière à Paris. Vous interveniez dans une conférence et je vous ai écoutée par Internet : vous aviez dit que vous étiez pour la création d'une Maison de la Lusophonie à Paris.
R - J'y suis favorable ; mais mon ministère n'a pas vocation à soutenir de tels projets. En revanche j'avais invité un certain nombre de parlementaires français qui eux sont très intéressés par la création d'une telle institution. Et dans la discussion je leur disais que c'était un projet fantastique, qui avait vocation à aboutir s'ils arrivaient à trouver en effet davantage de bonnes volontés que simplement la leur. Que le fait d'avoir ce projet là est tout à fait louable, et qu'il allait finalement dans le sens de ce dont le Portugal peut avoir besoin aujourd'hui. C'est-à-dire avoir autour de lui et avec lui un ensemble de pays qui partagent la même langue et qui se retrouvent sur des continents différents puisque l'on trouve le Brésil, bien sûr incontournable en Amérique du sud, et puis un certain nombre de pays africains ; et aussi l'Indonésie où le portugais est parlé. S'il y avait une telle maison de la lusophonie à Paris, cela pourrait rassembler l'ensemble de ces pays qui partagent cette langue et en faire une force. On sait que le portugais est la cinquième langue la plus parlée au monde. Cela pourrait être une reconnaissance au niveau de la France, et je soutiens totalement ce genre de projets.
(...)
Q - Je vais reprendre juste ce que vous avez dit encore lors de cette conférence. Vous avez dit : nous prenons très au sérieux leur langue, donc le portugais, et en retour nous facilitons cet échange et cette compréhension mutuels. Est-ce que vous ne pensez pas qu'il pourrait y avoir réciprocité dans la diffusion de la francophonie et de la lusophonie pas seulement dans les deux pays mais peut être dans le monde entier ? Et de quelle façon pourrait-on le faire ?
R - Il convient d'examiner cette question de façon plus détaillée. Pour qu'un accord bilatéral fonctionne, il faut bien sûr qu'il soit basé sur la réciprocité. Vous avez tout à fait raison. Nous devons encourager, nous Français, qui sommes au coeur de la francophonie, la promotion de la lusophonie. Cela a un sens et je crois que nous avons tous à y gagner.
Q - Je voudrais vous parler aussi du potentiel des luso-descendants. Il y en a environ, selon ce que j'ai compris, 2 millions - 1 million et demi de luso-descendants. Ne pensez-vous pas que ces gens-là ont un potentiel énorme à amener aux deux pays, à la France et au Portugal ? Il y en a de plus en plus. Il fut une époque où les Portugais et les luso-descendants de France venaient au Portugal chercher du travail. Est-ce qu'ils ne pourraient pas être un vecteur du rayonnement de la culture française et de la langue française ?
R - Oui bien sûr vous avez raison. Quand une personne porte en elle deux langues, deux cultures et deux nationalités, elle a une double richesse par rapport aux citoyens nés dans un pays qui n'ont qu'une seule langue. C'est aujourd'hui ce que l'on a. L'ambassadeur du Portugal à Paris me disait récemment, ce sont les gens qui ont aujourd'hui besoin de ces racines. C'est-à-dire que spontanément, ceux qui sont nés en France sont Français avant d'être Portugais, ils viennent au Portugal en vacances. L'été, énormément de Portugais reviennent au pays voir leurs familles. Ce sont ces jeunes-là qui aujourd'hui, finalement, sont les plus attachés à une langue qu'ils n'ont pas pratiquée - en tout cas dans leur environnement quotidien en France, qu'ils pratiquaient peut-être à la maison avec les parents et c'était limité à cela. Je crois qu'aujourd'hui il y a un vrai besoin d'enracinement qui est peut-être l'effet de la mondialisation. À l'inverse, les gens ont besoin de retrouver des racines et de se forger une identité forte. Et celle-ci peut être double, et je crois que ces personnes - et j'en fais partie - ont cette vocation, quand ils ne peuvent être de nulle part parce qu'ils sont plusieurs choses à la fois, soit par la langue qu'ils pratiquent soit par leur culture, à s'enraciner là où ils sont justement. Si je suis née en Irlande et je suis en France, pour moi c'est la même chose qu'un Portugais qui serait né en France et qui revient au Portugal. Il se sent Portugais quand il est ici et c'est une force c'est un atout, et je crois qu'à la fois la France et le Portugal doivent s'appuyer sur cette communauté-là.
Q - Est-ce qu'il y a autre chose que vous aimeriez ajouter sur votre visite au Portugal ?
R - Simplement vous rappeler que ma présence ici est un gage de solidarité et de compréhension aussi de ce qui se passe ici. Il est important d'être aux côtés des Portugais dans la période que nous traversons. Et si nous la traversons ensemble, comme je disais tout à l'heure, nous en sortirons plus rapidement.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 29 novembre 2012