Texte intégral
Monsieur le Sénateur,
Mesdames, Messieurs les élus,
Mesdames, Messieurs,
Permettez-moi de vous remercier pour votre invitation à intervenir aujourd'hui à Ruralitic en clôture de votre table ronde consacrée à l'innovation dans les territoires ruraux et au « Territorial Innovation Act ».
J'ai au moins deux raisons de me réjouir d'être parmi vous cet après-midi. Ce déplacement me donne l'occasion de parler du levier de croissance formidable qu'est l'innovation, et il me permet de le faire dans cette belle région d'Auvergne.
Le thème de votre table ronde constitue un enjeu de première importance. Il est essentiel en effet d'encourager l'innovation, en particulier dans les territoires ruraux.
A ce stade, je souhaite vous présenter les trois pistes qui me semblent devoir être privilégiées :
D'abord, il nous faut à mon sens encourager la commande publique innovante, car c'est aussi l'action publique en la matière qui est à même de créer un effet de levier.
Que constate t-on aujourd'hui ?
D'abord, les PME sont exclues en pratique de la commande publique.
Ensuite, les PME sont les entreprises les plus nombreuses dans nos territoires et particulièrement de nos territoires les plus ruraux.
Il faut nous servir de ce constat pour agir.
En premier lieu, nous allons nous fixer des règles afin que 2% des achats publics soient des achats d'innovation : cela suppose de réformer la chaine des achats publics, mais nous le ferons.
Les achats publics représentent 70G/an. Sanctuariser 2% de ce total , cela représenterait 1,4G de commandes pour les PME innovantes de toute la France et en particulier des territoires ruraux.
En second lieu, nous allons développer des fonds d'amorçage et de capital-risque dans tous les territoires grâce à la Banque Public d'Investissement.
Aujourd'hui, vous le savez, les entreprises et tout particulièrement les jeunes entreprises innovantes manquent d'investisseurs. Les estimations montrent que nous avons, de manière structurelle, chaque année en France, un écart d' l milliard d'euros entre les besoins et la collecte.
Ce phénomène est amplifié par le fait que les fonds ne sont pas répartis sur tout le territoire. Seuls 20% des fonds d'investissement de proximité se situent en dehors de Paris, Lyon et Marseille.
Tant que les territoires ruraux n'ont pas accès aux mêmes facilités financières, nous continuerons à aggraver la fracture économique. Le redressement de notre pays, dans la justice , voulu par le Président de la République, et qui est en quelque sorte la feuille de route du gouvernement, passera par la solidarité territoriale. C'est toute l'ambition sous-jacente à la création de la Banque Publique d'Investissement.
Un mot de cette future BPI si vous le permettez.
Elle sera présente dans tous les territoires grâce à ses antennes régionales.
Elle sera donc réactive et s'adaptera aux besoins de financements, Les dossiers seront traités et décidés par les acteurs locaux qui sont par définition les meilleurs connaisseurs de leurs territoires.
Elle s'assurera de l'existence de fonds d'amorçage sur tout le territoire. Les territoires ruraux seront enfin couverts.
Et enfin, elle pourra mobiliser toute une série de nouvelles ressources, notamment issues du Livret Epargne Industrie, pour atteindre ses objectifs.
Accès facilité à la commande publique, création de la Banque publique d'investissement mais aussi mise en réseaux.
Nous devons développer beaucoup plus que nous ne le faisons aujourd'hui, les logiques de clusters.
Il y a un sujet de taille de nos entreprises, les territoires ruraux contiennent souvent des PME de petite taille. Il faut encourager le travail collaboratif, les regroupements, qui permettent à chacun de bénéficier des compétences des autres pour développer de nouveaux produits.
Mon Ministère soutient par exemple une association d'entreprises en Bourgogne regroupant des plasturgistes et des cultivateurs de lin qui développent ensemble des biomatériaux à destination du marché aéronautique : seuls ils n'auraient jamais pu attaquer ce marché.
Les pôles de compétitivité, que nous allons renforcer et transformer en « usines à produits d'avenir », vont venir renforcer encore cette nouvelle logique que l'on pourrait résumer ainsi : se regrouper davantage, pour inventer davantage de nouveaux produits et conquérir de nouveaux marchés.
Cela doit permettre de développer des compétences spécifiques dans chaque territoire rural et permettre à un plus grand nombre de PME de réussir le défi de l' export.
Je suis convaincue qu'il faut avoir une grande ambition pour nos territoires, leur donner les moyens de la réussite économique et du développement. C'est un enjeu d'aménagement , de décentralisation, mais c'est aussi et surtout un enjeu de compétitivité.
Et ce sur ce point, au-delà de l'innovation et de l'accompagnement de nos PME, le numérique constitue un moyen formidable pour libérer les possibilités créatives dans les territoires ruraux.
Vous le savez, l'engagement du Président de la République durant la campagne présidentiel est extrêmement fort. En annonçant que le très haut débit sera disponible sur l'ensemble du territoire dans 10 ans, il a tout d'abord souhaité envoyer un message à tous les territoires ruraux. Il a souhaité que le déploiement du très haut débit se fasse dans la justice et que tous nos concitoyens, où qu'ils soient en France, y aient accès.
Je suis venue à Ruralitic aujourd'hui, pour vous redire l'importance que le Gouvernement accorde à cet engagement présidentiel extrêmement fort et ambitieux pris devant les Français.
Nous tiendrons le cap.
Vous le savez, c'est à moi qu'il revient de piloter ce chantier au sein du Gouvernement. Je suis déterminée à agir pour que la logique qui a prévalue jusqu'à présent soit enfin renversée.
Reparlons justement de cette logique qui n'a que trop longtemps prévalue et qui aujourd'hui fait que les collectivités et leurs administrés vivent dans une profonde inégalité aujourd'hui en matière de déploiement du très haut débit.
En définissant son plan très haut débit, le précédent Gouvernement a souhaité donner la plus grande latitude au secteur privé et a confié aux opérateurs la réalisation des engagements pris en matière de très haut débit sans prendre sa part de responsabilité.
Ce parti pris n'a que trop duré.
Je souhaite au contraire que le Gouvernement prenne pleinement ses responsabilités et que l'État soit totalement impliqué dans le nouveau dispositif.
Je n'ai pas peur de dire qu'aujourd'hui l'État doit avoir un véritable rôle de planificateur, de chef d'orchestre des déploiements. Après des années de laissez faire, l'État assumera un certain dirigisme.
Les chantiers que l'État doit faire avancer sont au nombre de 4 :
Premièrement, la définition_ de la couverture de notre territoire.
La fibre optique constituera la technologie principale, car c'est la seule technologie pérenne et de long terme envisageable. Mais les déploiements devront également s'appuyer sur d'autres technologies compte tenu des capacités d'investissement du secteur.
Pour atteindre une couverture de l'ensemble du territoire en très haut débit en 10 ans, nous devrons vraisemblablement nous appuyer sur un mix technologique, intégrant notamment des solutions hertziennes ou satellitaires.
L'articulation de l'ensemble de ces différentes technologies pour atteindre l'objectif national devra donc être centralisée, avant, ensuite d'être déclinée au niveau régional ou départemental.
Ensuite, il faudra réfléchir à la priorisation des déploiements en FTTH, en commençant dans les zones aujourd'hui les plus mal desservies en haut débit. Le recours à des technologies de montée vers le très haut débit peut dès lors apparaitre comme une solution transitoire mais la priorité doit être le déploiement de solutions durables.
Enfin, et j'y attache une attention toute particulière compte tenu de mon portefeuille ministériel, c'est le sujet de l'accès des entreprises au très haut débit.
Mon message est clair: nous devons nous mobiliser pour nos entreprises, trop souvent oubliées lorsque l'on parle de déploiement très haut débit. C'est un enjeu de compétitivité de nos territoires.
Nous avons aujourd'hui une formidable occasion de doter nos entreprises d'un atout considérable dans la compétition internationale.
Deuxièmement, le financement
Le besoin de financement public sera important, et l'effort difficile dans le contexte budgétaire actuel.
L'Europe et les collectivités y prendront leur part mais l'Etat devra là aussi jouer pleinement son râle.
Nous ne pouvons pas différer l'effort sur un chantier aussi urgent et décisif pour la France.
Il nous faudra trouver, au-delà des 900 millions d'euros de subventions prévus en appui aux collectivités locales dans le cadre des investissements d'avenir, les moyens financiers à mobiliser pour assurer la poursuite de l'accompagnement des projets de déploiement dans les zones non rentables.
Nous devons également assurer la justice entre les territoires.
N'ayons pas peur d'élargir la réflexion sur l'accompagnement financier du déploiement du très haut débit : les modalités d'intervention ne se limitent pas à la subvention, mais pourraient également inclure des interventions par effet de levier, en s'appuyant sur le volet « prêt » du programme des investissements d'avenir et sur les dispositifs européens comme la Banque européenne d'investissement, le MIE et les project bonds.
Nous devons nous éloigner des raisonnements financiers de court terme car le très haut débit, comme tous les projets d'infrastructures structurant du territoire, doit s'envisager dans une logique de long terme.
L'Etat devra dans tous les cas prendre toute sa part dans le financement du très haut débit, se mobiliser sur le terrain européen pour mobiliser tous les financements possibles.
Troisièmement, l'accompagnement de l'État
Le PNTHD a pu créer certaines tensions entre opérateurs et collectivités locales, en apportant des réponses incomplètes aux deux parties en matière d'engagement et de sécurisation de leurs déploiements respectifs.
L'Etat doit revenir dans le jeu et jouer surtout pleinement son rôle.
C'est à lui qu'il revient de trouver les moyens de sécuriser les interventions des différentes parties. De mobiliser autour d'une ambition commune. De créer les conditions de la réussite de ce chantier !
J'ai rencontré nombre d'élus locaux depuis ma prise de fonctions, et entendu les collectivités qui s'inquiètent de voir leurs territoires les plus rentables préemptés par les opérateurs. J'ai entendu leurs demandes d'être rassurées que ces territoires ne seront pas in fine laissés à l'abandon.
C'est parfaitement justifié ? Vous, collectivités, êtes les garants d'un aménagement responsable de vos territoires.
J'ai aussi entendu les opérateurs. Leurs inquiétudes sont tout aussi légitimes comment répondre à l'attente des collectivités d'un engagement à utiliser les réseaux d'initiative publique sans garanties industrielles ?
Et puis naturellement se pose la question de l'implication de l'Etat.
Aujourd'hui la plupart des collectivités départementales ou régionales ont acquis des compétences en matière de TIC mais les élus peuvent se retrouver dépourvus dans un certain nombre de cas.
Les collectivités territoriales doivent pouvoir, si elles le souhaitent, capitaliser sur les bonnes pratiques en bénéficiant de l'expérience acquise par les projets les plus avancés, certaines associations de collectivités agissent en ce sens. Mais cela ne permet pas de toucher tous les territoires.
Car l'enjeu industriel est de taille, il convient d'assurer une certaine homogénéité à l'échelle nationale des différents réseaux d'initiative publique afin de faciliter l'accès à ces réseaux par leurs clients et d'assurer la pérennité technique de ce qui constitue.
Le « plan câble » a montré que le morcellement des initiatives locales sans pilotage national de long terme et l'absence de partenaire d'envergure nationale conduisaient à des échecs industriels.
La France ne peut se permettre un échec industriel et stratégique en matière de télécommunications alors qu'elle doit s'engager encore plus volontairement sur la voie du numérique et de la compétitivité.
Il me paraît ainsi absolument nécessaire de renforcer la gouvernance du programme national «très haut débit» afin que l'État accompagne plus efficacement les collectivités territoriales dans l'élaboration de leurs projets de réseaux d'initiative publique, et de permettre la diffusion de bonnes pratiques pour le déploiement de réseaux à très haut débit.
J'ai identifié quatre chantiers sur lesquels le rôle de l'État doit renforcer sa présence :
(1) La planification des déploiements, en organisant les zonages et les mixtes technologiques ;
(2) Le recueil et la diffusion des retours d'expérience des collectivités (guide de bonnes pratiques, harmonisation des architectures technico-commerciales), l'accompagnement et la formation des chargés de mission TIC dans les préfectures ;
(3) L'organisation du cofinancement des projets, en définissant et mettant en oeuvre d'une part les modalités d'intervention financière de l'État pour assurer la péréquation et d'autre part en catalysant les projets d'investissements privés (y compris les financements européens) ;
(4) Le suivi de l'avancement de tous les projets de déploiements de réseaux et la mise en lumière des manquements des opérateurs privés par rapport à leurs engagements.
Enfin, le dernier chantier est celui de « l'écosystème » du très haut débit.
Au-delà des aspects techniques et financiers relatifs au déploiement des réseaux à très haut débit, il convient de s'assurer que l'industrie française est prête à effectuer des déploiements massifs de réseaux en fibre optique. Ceux-ci seront en grande partie assurés par les entreprises de génie électrique qui doivent donc disposer d'une main d'oeuvre qualifiée.
Pour atteindre l'objectif d'une couverture du territoire d'ici 10 ans, le chantier du très haut débit va nécessiter une main d'oeuvre qualifiée en nombre suffisant.
D'après la fédération française des télécoms (FFT), le chantier du déploiement du très haut débit nécessite de former « 10 à 15 000 personnes dont nous aurons besoin dans les cinq prochaines années pour déployer la fibre ».
C'est une formidable opportunité pour l'emploi. Car nous parlons là d'emplois en France, dans le BTP, le tirage de câbles, la soudure, l'installation dans les immeubles. Des emplois non délocalisables.
Il convient donc de mettre en place des dispositifs de formation aux métiers de la fibre optique qui assurent la disponibilité d'une main d'uvre importante et de qualité. Il s'agit à la fois de former des étudiants et de faire évoluer la main d'oeuvre actuelle vers les métiers de la fibre.
Des initiatives ont été prises dans le cadre d'Objectif Fibre mais sans doute faudra t-il évaluer si elles sont suffisantes au vu des enjeux futurs.
Le déploiement du très haut débit sera moins cher à financer si les consommateurs ont un intérêt à basculer vers la fibre.
Or aujourd'hui le constat est alarmant à l'échelle nationale : des réseaux en fibre optique ont été déployés à proximité de presque 6 millions de foyers. Presque 2 millions peuvent être raccordés immédiatement. Et seuls moins de 250 000 foyers ont aujourd'hui décidé de franchir le pas du FTTH.
Cette situation est problématique. Car les investissements engagés par les opérateurs ne trouvent pas de rentabilité, et le cycle vertueux tarde à s'enclencher pour accélérer la poursuite des déploiements.
Trois voies doivent faire l'objet d'une instruction plus poussée :
La première concerne l'accès aux logements. Vous le savez, le parlement a instauré en 2008 un « droit à la fibre » qui permet à n'importe quel occupant d'un immeuble de demander l'inscription à l'assemblée générale suivante de l'étude des projets de fibrage présentés par les opérateurs.
Or, le constat est que, dans ces zones la qualité de l'ADSL est souvent bonne et les services sur la fibre ne sont pas encore suffisamment innovants. L'assemblée générale est alors souvent amenée à ne pas statuer sur le fibrage de l'immeuble qui se trouve alors repoussé à l'année suivante.
On se retrouve donc avec des investissements dans la fibre qui dorment pendant éventuellement plusieurs années et la fibre va continuer de pâtir de son image.
Il faut trouver un moyen de faire arriver la fibre au plus près de nos concitoyens, pour créer cette dynamique qui manque encore actuellement. Peut-être d'ailleurs que cela passe par un déploiement de la fibre en priorité dans les zones les moins bien desservies. Celles où l'attente est la plus forte.
Je pense qu'en Seine et Marne, cela ne fait pas de doute que l'engouement des habitants des territoires ruraux pour le très haut débit dépasse de très loin celui des citadins.
La seconde concerne la régulation et sa capacité à créer une dynamique vertueuse d'investissement. C'est ce que l'ARCEP a réussi à créer sur le cuivre dans le respect du cadre européen.
Avant l'été, la Commissaire Kroes a formulé un certain nombre de propositions pour accélérer l'agenda numérique européen. Ces propositions vont dans le bon sens, en renforçant le cadre réglementaire en place. On voit que les lignes bougent, et que sur les sujets d'incitation aux déploiements, il ne faut pas avoir peur d'être innovant.
Peut-être faut-il pousser le modèle encore plus loin et donner des incitations économiques aux opérateurs pour la bascule des clients du cuivre vers la fibre ? Qui doit le faire ? La régulation ? L'État ? C'est un vaste chantier, mais je suis convaincue qu'il ne faut pas le négliger car il peut nous permettre de retrouver la rentabilité des investissements qui nous manque si cruellement aujourd'hui.
Enfin, troisièmement, sans doute faudra t-il également encourager et accompagner les initiatives visant à préparer la substitution progressive des réseaux FTTH à la boucle locale cuivre. Nous devons avoir en tête le chantier de la TNT.
Car le réseau en fibre optique a vocation à terme à remplacer le réseau cuivre. Il est donc nécessaire d'envisager une extinction du réseau cuivre dans les zones concernées par les déploiements de réseaux FTTH.
Le basculement du cuivre vers la fibre soulève des problématiques complexes.
Il s'agit bien sûr, auparavant, de convaincre l'ensemble de la population de la zone concernée d'abandonner le cuivre.
En termes de service ensuite, vous savez que certaines fonctionnalités permises par le cuivre, comme la télé-alimentation, ne sont pas disponibles sur les réseaux en fibre optique. Il faut prévoir et accompagner ce changement.
C'est le rôle du Gouvernement que de fédérer les initiatives et lancer la réflexion avec tous les acteurs concernés, pour préparer l'extinction du cuivre à moyen terme sur les zones entièrement couvertes en fibre optique.
Une expérimentation de l'extinction du cuivre à l'échelle d'une ville pourrait être lancée rapidement afin d'identifier au plus tôt les difficultés posées par l'arrêt du cuivre et de proposer des solutions adaptées.
Enfin, il ne faut pas oublier de veiller au développement des usages ; je pense à l'e-santé, au développement de l'offre culturelle en ligne, ou encore aux perspectives formidables en matière d'éducation ou de logement. Je prendrai dans les mois qui viennent une série d'initiatives conjointes avec d'autres membres du gouvernement pour impulser ce développement des usages, à l'école, à l'hôpital. Partout où l'Etat a la capacité d'agir vite.
Je vous remercie.Source http://www.ruralitic.org, le 23 novembre 2012
Mesdames, Messieurs les élus,
Mesdames, Messieurs,
Permettez-moi de vous remercier pour votre invitation à intervenir aujourd'hui à Ruralitic en clôture de votre table ronde consacrée à l'innovation dans les territoires ruraux et au « Territorial Innovation Act ».
J'ai au moins deux raisons de me réjouir d'être parmi vous cet après-midi. Ce déplacement me donne l'occasion de parler du levier de croissance formidable qu'est l'innovation, et il me permet de le faire dans cette belle région d'Auvergne.
Le thème de votre table ronde constitue un enjeu de première importance. Il est essentiel en effet d'encourager l'innovation, en particulier dans les territoires ruraux.
A ce stade, je souhaite vous présenter les trois pistes qui me semblent devoir être privilégiées :
D'abord, il nous faut à mon sens encourager la commande publique innovante, car c'est aussi l'action publique en la matière qui est à même de créer un effet de levier.
Que constate t-on aujourd'hui ?
D'abord, les PME sont exclues en pratique de la commande publique.
Ensuite, les PME sont les entreprises les plus nombreuses dans nos territoires et particulièrement de nos territoires les plus ruraux.
Il faut nous servir de ce constat pour agir.
En premier lieu, nous allons nous fixer des règles afin que 2% des achats publics soient des achats d'innovation : cela suppose de réformer la chaine des achats publics, mais nous le ferons.
Les achats publics représentent 70G/an. Sanctuariser 2% de ce total , cela représenterait 1,4G de commandes pour les PME innovantes de toute la France et en particulier des territoires ruraux.
En second lieu, nous allons développer des fonds d'amorçage et de capital-risque dans tous les territoires grâce à la Banque Public d'Investissement.
Aujourd'hui, vous le savez, les entreprises et tout particulièrement les jeunes entreprises innovantes manquent d'investisseurs. Les estimations montrent que nous avons, de manière structurelle, chaque année en France, un écart d' l milliard d'euros entre les besoins et la collecte.
Ce phénomène est amplifié par le fait que les fonds ne sont pas répartis sur tout le territoire. Seuls 20% des fonds d'investissement de proximité se situent en dehors de Paris, Lyon et Marseille.
Tant que les territoires ruraux n'ont pas accès aux mêmes facilités financières, nous continuerons à aggraver la fracture économique. Le redressement de notre pays, dans la justice , voulu par le Président de la République, et qui est en quelque sorte la feuille de route du gouvernement, passera par la solidarité territoriale. C'est toute l'ambition sous-jacente à la création de la Banque Publique d'Investissement.
Un mot de cette future BPI si vous le permettez.
Elle sera présente dans tous les territoires grâce à ses antennes régionales.
Elle sera donc réactive et s'adaptera aux besoins de financements, Les dossiers seront traités et décidés par les acteurs locaux qui sont par définition les meilleurs connaisseurs de leurs territoires.
Elle s'assurera de l'existence de fonds d'amorçage sur tout le territoire. Les territoires ruraux seront enfin couverts.
Et enfin, elle pourra mobiliser toute une série de nouvelles ressources, notamment issues du Livret Epargne Industrie, pour atteindre ses objectifs.
Accès facilité à la commande publique, création de la Banque publique d'investissement mais aussi mise en réseaux.
Nous devons développer beaucoup plus que nous ne le faisons aujourd'hui, les logiques de clusters.
Il y a un sujet de taille de nos entreprises, les territoires ruraux contiennent souvent des PME de petite taille. Il faut encourager le travail collaboratif, les regroupements, qui permettent à chacun de bénéficier des compétences des autres pour développer de nouveaux produits.
Mon Ministère soutient par exemple une association d'entreprises en Bourgogne regroupant des plasturgistes et des cultivateurs de lin qui développent ensemble des biomatériaux à destination du marché aéronautique : seuls ils n'auraient jamais pu attaquer ce marché.
Les pôles de compétitivité, que nous allons renforcer et transformer en « usines à produits d'avenir », vont venir renforcer encore cette nouvelle logique que l'on pourrait résumer ainsi : se regrouper davantage, pour inventer davantage de nouveaux produits et conquérir de nouveaux marchés.
Cela doit permettre de développer des compétences spécifiques dans chaque territoire rural et permettre à un plus grand nombre de PME de réussir le défi de l' export.
Je suis convaincue qu'il faut avoir une grande ambition pour nos territoires, leur donner les moyens de la réussite économique et du développement. C'est un enjeu d'aménagement , de décentralisation, mais c'est aussi et surtout un enjeu de compétitivité.
Et ce sur ce point, au-delà de l'innovation et de l'accompagnement de nos PME, le numérique constitue un moyen formidable pour libérer les possibilités créatives dans les territoires ruraux.
Vous le savez, l'engagement du Président de la République durant la campagne présidentiel est extrêmement fort. En annonçant que le très haut débit sera disponible sur l'ensemble du territoire dans 10 ans, il a tout d'abord souhaité envoyer un message à tous les territoires ruraux. Il a souhaité que le déploiement du très haut débit se fasse dans la justice et que tous nos concitoyens, où qu'ils soient en France, y aient accès.
Je suis venue à Ruralitic aujourd'hui, pour vous redire l'importance que le Gouvernement accorde à cet engagement présidentiel extrêmement fort et ambitieux pris devant les Français.
Nous tiendrons le cap.
Vous le savez, c'est à moi qu'il revient de piloter ce chantier au sein du Gouvernement. Je suis déterminée à agir pour que la logique qui a prévalue jusqu'à présent soit enfin renversée.
Reparlons justement de cette logique qui n'a que trop longtemps prévalue et qui aujourd'hui fait que les collectivités et leurs administrés vivent dans une profonde inégalité aujourd'hui en matière de déploiement du très haut débit.
En définissant son plan très haut débit, le précédent Gouvernement a souhaité donner la plus grande latitude au secteur privé et a confié aux opérateurs la réalisation des engagements pris en matière de très haut débit sans prendre sa part de responsabilité.
Ce parti pris n'a que trop duré.
Je souhaite au contraire que le Gouvernement prenne pleinement ses responsabilités et que l'État soit totalement impliqué dans le nouveau dispositif.
Je n'ai pas peur de dire qu'aujourd'hui l'État doit avoir un véritable rôle de planificateur, de chef d'orchestre des déploiements. Après des années de laissez faire, l'État assumera un certain dirigisme.
Les chantiers que l'État doit faire avancer sont au nombre de 4 :
Premièrement, la définition_ de la couverture de notre territoire.
La fibre optique constituera la technologie principale, car c'est la seule technologie pérenne et de long terme envisageable. Mais les déploiements devront également s'appuyer sur d'autres technologies compte tenu des capacités d'investissement du secteur.
Pour atteindre une couverture de l'ensemble du territoire en très haut débit en 10 ans, nous devrons vraisemblablement nous appuyer sur un mix technologique, intégrant notamment des solutions hertziennes ou satellitaires.
L'articulation de l'ensemble de ces différentes technologies pour atteindre l'objectif national devra donc être centralisée, avant, ensuite d'être déclinée au niveau régional ou départemental.
Ensuite, il faudra réfléchir à la priorisation des déploiements en FTTH, en commençant dans les zones aujourd'hui les plus mal desservies en haut débit. Le recours à des technologies de montée vers le très haut débit peut dès lors apparaitre comme une solution transitoire mais la priorité doit être le déploiement de solutions durables.
Enfin, et j'y attache une attention toute particulière compte tenu de mon portefeuille ministériel, c'est le sujet de l'accès des entreprises au très haut débit.
Mon message est clair: nous devons nous mobiliser pour nos entreprises, trop souvent oubliées lorsque l'on parle de déploiement très haut débit. C'est un enjeu de compétitivité de nos territoires.
Nous avons aujourd'hui une formidable occasion de doter nos entreprises d'un atout considérable dans la compétition internationale.
Deuxièmement, le financement
Le besoin de financement public sera important, et l'effort difficile dans le contexte budgétaire actuel.
L'Europe et les collectivités y prendront leur part mais l'Etat devra là aussi jouer pleinement son râle.
Nous ne pouvons pas différer l'effort sur un chantier aussi urgent et décisif pour la France.
Il nous faudra trouver, au-delà des 900 millions d'euros de subventions prévus en appui aux collectivités locales dans le cadre des investissements d'avenir, les moyens financiers à mobiliser pour assurer la poursuite de l'accompagnement des projets de déploiement dans les zones non rentables.
Nous devons également assurer la justice entre les territoires.
N'ayons pas peur d'élargir la réflexion sur l'accompagnement financier du déploiement du très haut débit : les modalités d'intervention ne se limitent pas à la subvention, mais pourraient également inclure des interventions par effet de levier, en s'appuyant sur le volet « prêt » du programme des investissements d'avenir et sur les dispositifs européens comme la Banque européenne d'investissement, le MIE et les project bonds.
Nous devons nous éloigner des raisonnements financiers de court terme car le très haut débit, comme tous les projets d'infrastructures structurant du territoire, doit s'envisager dans une logique de long terme.
L'Etat devra dans tous les cas prendre toute sa part dans le financement du très haut débit, se mobiliser sur le terrain européen pour mobiliser tous les financements possibles.
Troisièmement, l'accompagnement de l'État
Le PNTHD a pu créer certaines tensions entre opérateurs et collectivités locales, en apportant des réponses incomplètes aux deux parties en matière d'engagement et de sécurisation de leurs déploiements respectifs.
L'Etat doit revenir dans le jeu et jouer surtout pleinement son rôle.
C'est à lui qu'il revient de trouver les moyens de sécuriser les interventions des différentes parties. De mobiliser autour d'une ambition commune. De créer les conditions de la réussite de ce chantier !
J'ai rencontré nombre d'élus locaux depuis ma prise de fonctions, et entendu les collectivités qui s'inquiètent de voir leurs territoires les plus rentables préemptés par les opérateurs. J'ai entendu leurs demandes d'être rassurées que ces territoires ne seront pas in fine laissés à l'abandon.
C'est parfaitement justifié ? Vous, collectivités, êtes les garants d'un aménagement responsable de vos territoires.
J'ai aussi entendu les opérateurs. Leurs inquiétudes sont tout aussi légitimes comment répondre à l'attente des collectivités d'un engagement à utiliser les réseaux d'initiative publique sans garanties industrielles ?
Et puis naturellement se pose la question de l'implication de l'Etat.
Aujourd'hui la plupart des collectivités départementales ou régionales ont acquis des compétences en matière de TIC mais les élus peuvent se retrouver dépourvus dans un certain nombre de cas.
Les collectivités territoriales doivent pouvoir, si elles le souhaitent, capitaliser sur les bonnes pratiques en bénéficiant de l'expérience acquise par les projets les plus avancés, certaines associations de collectivités agissent en ce sens. Mais cela ne permet pas de toucher tous les territoires.
Car l'enjeu industriel est de taille, il convient d'assurer une certaine homogénéité à l'échelle nationale des différents réseaux d'initiative publique afin de faciliter l'accès à ces réseaux par leurs clients et d'assurer la pérennité technique de ce qui constitue.
Le « plan câble » a montré que le morcellement des initiatives locales sans pilotage national de long terme et l'absence de partenaire d'envergure nationale conduisaient à des échecs industriels.
La France ne peut se permettre un échec industriel et stratégique en matière de télécommunications alors qu'elle doit s'engager encore plus volontairement sur la voie du numérique et de la compétitivité.
Il me paraît ainsi absolument nécessaire de renforcer la gouvernance du programme national «très haut débit» afin que l'État accompagne plus efficacement les collectivités territoriales dans l'élaboration de leurs projets de réseaux d'initiative publique, et de permettre la diffusion de bonnes pratiques pour le déploiement de réseaux à très haut débit.
J'ai identifié quatre chantiers sur lesquels le rôle de l'État doit renforcer sa présence :
(1) La planification des déploiements, en organisant les zonages et les mixtes technologiques ;
(2) Le recueil et la diffusion des retours d'expérience des collectivités (guide de bonnes pratiques, harmonisation des architectures technico-commerciales), l'accompagnement et la formation des chargés de mission TIC dans les préfectures ;
(3) L'organisation du cofinancement des projets, en définissant et mettant en oeuvre d'une part les modalités d'intervention financière de l'État pour assurer la péréquation et d'autre part en catalysant les projets d'investissements privés (y compris les financements européens) ;
(4) Le suivi de l'avancement de tous les projets de déploiements de réseaux et la mise en lumière des manquements des opérateurs privés par rapport à leurs engagements.
Enfin, le dernier chantier est celui de « l'écosystème » du très haut débit.
Au-delà des aspects techniques et financiers relatifs au déploiement des réseaux à très haut débit, il convient de s'assurer que l'industrie française est prête à effectuer des déploiements massifs de réseaux en fibre optique. Ceux-ci seront en grande partie assurés par les entreprises de génie électrique qui doivent donc disposer d'une main d'oeuvre qualifiée.
Pour atteindre l'objectif d'une couverture du territoire d'ici 10 ans, le chantier du très haut débit va nécessiter une main d'oeuvre qualifiée en nombre suffisant.
D'après la fédération française des télécoms (FFT), le chantier du déploiement du très haut débit nécessite de former « 10 à 15 000 personnes dont nous aurons besoin dans les cinq prochaines années pour déployer la fibre ».
C'est une formidable opportunité pour l'emploi. Car nous parlons là d'emplois en France, dans le BTP, le tirage de câbles, la soudure, l'installation dans les immeubles. Des emplois non délocalisables.
Il convient donc de mettre en place des dispositifs de formation aux métiers de la fibre optique qui assurent la disponibilité d'une main d'uvre importante et de qualité. Il s'agit à la fois de former des étudiants et de faire évoluer la main d'oeuvre actuelle vers les métiers de la fibre.
Des initiatives ont été prises dans le cadre d'Objectif Fibre mais sans doute faudra t-il évaluer si elles sont suffisantes au vu des enjeux futurs.
Le déploiement du très haut débit sera moins cher à financer si les consommateurs ont un intérêt à basculer vers la fibre.
Or aujourd'hui le constat est alarmant à l'échelle nationale : des réseaux en fibre optique ont été déployés à proximité de presque 6 millions de foyers. Presque 2 millions peuvent être raccordés immédiatement. Et seuls moins de 250 000 foyers ont aujourd'hui décidé de franchir le pas du FTTH.
Cette situation est problématique. Car les investissements engagés par les opérateurs ne trouvent pas de rentabilité, et le cycle vertueux tarde à s'enclencher pour accélérer la poursuite des déploiements.
Trois voies doivent faire l'objet d'une instruction plus poussée :
La première concerne l'accès aux logements. Vous le savez, le parlement a instauré en 2008 un « droit à la fibre » qui permet à n'importe quel occupant d'un immeuble de demander l'inscription à l'assemblée générale suivante de l'étude des projets de fibrage présentés par les opérateurs.
Or, le constat est que, dans ces zones la qualité de l'ADSL est souvent bonne et les services sur la fibre ne sont pas encore suffisamment innovants. L'assemblée générale est alors souvent amenée à ne pas statuer sur le fibrage de l'immeuble qui se trouve alors repoussé à l'année suivante.
On se retrouve donc avec des investissements dans la fibre qui dorment pendant éventuellement plusieurs années et la fibre va continuer de pâtir de son image.
Il faut trouver un moyen de faire arriver la fibre au plus près de nos concitoyens, pour créer cette dynamique qui manque encore actuellement. Peut-être d'ailleurs que cela passe par un déploiement de la fibre en priorité dans les zones les moins bien desservies. Celles où l'attente est la plus forte.
Je pense qu'en Seine et Marne, cela ne fait pas de doute que l'engouement des habitants des territoires ruraux pour le très haut débit dépasse de très loin celui des citadins.
La seconde concerne la régulation et sa capacité à créer une dynamique vertueuse d'investissement. C'est ce que l'ARCEP a réussi à créer sur le cuivre dans le respect du cadre européen.
Avant l'été, la Commissaire Kroes a formulé un certain nombre de propositions pour accélérer l'agenda numérique européen. Ces propositions vont dans le bon sens, en renforçant le cadre réglementaire en place. On voit que les lignes bougent, et que sur les sujets d'incitation aux déploiements, il ne faut pas avoir peur d'être innovant.
Peut-être faut-il pousser le modèle encore plus loin et donner des incitations économiques aux opérateurs pour la bascule des clients du cuivre vers la fibre ? Qui doit le faire ? La régulation ? L'État ? C'est un vaste chantier, mais je suis convaincue qu'il ne faut pas le négliger car il peut nous permettre de retrouver la rentabilité des investissements qui nous manque si cruellement aujourd'hui.
Enfin, troisièmement, sans doute faudra t-il également encourager et accompagner les initiatives visant à préparer la substitution progressive des réseaux FTTH à la boucle locale cuivre. Nous devons avoir en tête le chantier de la TNT.
Car le réseau en fibre optique a vocation à terme à remplacer le réseau cuivre. Il est donc nécessaire d'envisager une extinction du réseau cuivre dans les zones concernées par les déploiements de réseaux FTTH.
Le basculement du cuivre vers la fibre soulève des problématiques complexes.
Il s'agit bien sûr, auparavant, de convaincre l'ensemble de la population de la zone concernée d'abandonner le cuivre.
En termes de service ensuite, vous savez que certaines fonctionnalités permises par le cuivre, comme la télé-alimentation, ne sont pas disponibles sur les réseaux en fibre optique. Il faut prévoir et accompagner ce changement.
C'est le rôle du Gouvernement que de fédérer les initiatives et lancer la réflexion avec tous les acteurs concernés, pour préparer l'extinction du cuivre à moyen terme sur les zones entièrement couvertes en fibre optique.
Une expérimentation de l'extinction du cuivre à l'échelle d'une ville pourrait être lancée rapidement afin d'identifier au plus tôt les difficultés posées par l'arrêt du cuivre et de proposer des solutions adaptées.
Enfin, il ne faut pas oublier de veiller au développement des usages ; je pense à l'e-santé, au développement de l'offre culturelle en ligne, ou encore aux perspectives formidables en matière d'éducation ou de logement. Je prendrai dans les mois qui viennent une série d'initiatives conjointes avec d'autres membres du gouvernement pour impulser ce développement des usages, à l'école, à l'hôpital. Partout où l'Etat a la capacité d'agir vite.
Je vous remercie.Source http://www.ruralitic.org, le 23 novembre 2012