Déclaration de Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre des droits des femmes, porte-parole du gouvernement, sur la formation des professionnels confrontés à la question des violences faites aux femmes, Paris le 28 novembre 2012.

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Je voudrais commencer par vous dire mon sentiment à brûle-pourpoint à la fin de cet évènement.
Je dois vous dire que j’ai passé une excellente après-midi. Une après-midi passionnante, qui a permis de tracer, en un temps record, à la fois un état des lieux de la situation et d’ouvrir de nombreuses perspectives.
Je suis ravie que cette initiative ait rassemblé autant de monde. C’est la preuve que les droits des femmes et en particulier la lutte contre les violences faites aux femmes mobilise de plus en plus de personnes dans notre pays. Nous sommes en train de lever la chape de plomb qui pèse sur notre société. Cette chape de plomb qui nous empêche de regarder la réalité en face :
Nous avons encore un problème avec l’égalité entre les femmes et les hommes.
Le fait que des dizaines de milliers de femmes soient violées chaque année en France en est la démonstration glaçante.
Ces violences que subissent les femmes ne sont pas des « cas isolés ». Elles correspondent bien entendu chacune à des histoires individuelles, douloureuses. Mais elles constituent aussi un fait politique et social, un système qu’il nous changer.
Je voudrais vous citer l’exposé des motifs de la loi espagnole de 2004, intitulée « Loi contre les violences de genre ». Cette loi, vous la connaissez sans doute, elle a fait date. C’est d’elle que nous nous sommes inspirées pour mettre en œuvre l’ordonnance de protection.
Ces quelques phrases qui introduisent la loi espagnole résument parfaitement ce dont nous parlons aujourd’hui :
« La violence de genre n’est pas un problème qui affecte la sphère privée. Au contraire, elle représente le symbole le plus brutal de l’inégalité existant dans notre société. Il s’agit d’une violence qui est exercée sur les femmes en raison de leur simple condition de femmes, parce que leurs agresseurs considèrent qu’elles sont dépourvues des droits élémentaires de liberté, de respect et de capacité de décision.»
Je le dis solennellement ici : le temps est venu d’un sursaut collectif. Un sursaut de toutes et tous. Ce sursaut doit être collectif. J’en ai conscience, il viendra d’abord de l’engagement total du Gouvernement.
La cause des femmes est aujourd’hui portée par la République. Elle est portée par la France, au moment où tant de femmes, dans le monde, sont confrontées à la lâcheté du sexisme.
Au courage de ces femmes, nous ne pouvons pas répondre par la lâcheté du silence. Ne rien faire, c’est laisser faire. Chaque année, plus d’une centaine de femmes sont assassinées par leurs conjoints. Une femme sur dix est victime de violences.
Ce n’est pas parce l’alerte sonne sans cesse qu’il faut cesser de l’entendre. Ces violences sont indignes d’un grand pays de liberté et d’égalité.
Au nom de nos principes, par respect pour le courage des femmes qui se battent chaque jour contre la lâcheté de la violence, nous devons faire front. Nous devons être à leurs côtés.
Notre refus des violences sexistes ne doit pas être une posture, il doit être un projet, une politique publique à part entière, autour de laquelle j’appelle tous nos concitoyens à se mobiliser.
Ce combat ne date pas d’aujourd’hui. Je le sais. Je connais, j’ai vu même encore aujourd’hui l’investissement des associations qui au quotidien se mobilisent pour épauler les victimes, pour les informer sur leurs droits, pour les accompagner dans des démarches qui sont encore trop souvent des parcours du combattant dans lequel tant de femmes renoncent, subissent en espérant que la violence cessera.
J’ai vu aujourd’hui aussi l’engagement personnel des professionnels, policiers, médecins, travailleurs sociaux, agents de l’Etat ou bien des collectivités.
Face à la violence, il n’y a d’autre réponse que la mobilisation générale. Cette mobilisation va se concrétiser dans les jours à venir. Nous avons mobilisé tout le gouvernement, tous les ministres, toutes les autorités.
Cette mobilisation, je l’ai engagée dès ma prise de fonction. Vous le savez, avec Christiane TAUBIRA, nous avons porté avec le soutien du Parlement tout entier, la loi relative au harcèlement sexuel pour que le délit, que le Constitutionnel avait abrogé, soit sanctionné, qu’il réponde aux situations que nous avaient rapporté les associations.
Cette loi n’était qu’une première étape et c’est pour cela que j’ai demandé au premier ministre, Jean-Marc AYRAULT et à la ministre des droits des femmes, de réunir dès jeudi prochain un comité interministériel aux droits des femmes pour que nous engagions sans tarder cette seconde étape.
La lutte contre les violences sera la grande priorité de ce comité interministériel.
Je voudrais, à la lumière des échanges que j’ai eus ce jour avec les professionnels, tracer les lignes directrices de cet engagement collectif, que je suivrais personnellement pour que le plus vite possible, pour qu’à la fin de mon mandat, nous ayons changé les choses, nous ayons fait ce que je me suis engagé à faire devant les françaises et les français : construire une société de l’égalité, une société pacifiée, fondée sur le respect entre les femmes et les hommes.
- Il s’agira d’abord de prévenir
« La suprématie masculine est la dernière aristocratie » disait Maria Deraime. Les violences ont pour point commun de naître là où quelqu’un place un sexe au-dessus de l’autre. Elles ne sont pas une succession de faits divers. Elles expriment toute la lâcheté des siècles d’inégalités qui nous précèdent. Ces siècles qui sous prétexte d’ordre naturel des choses ont partagé l’humanité entre soi-disant « sexe faible » et soi-disant « sexe fort ».
C’est pour cela que l’éducation à l’égalité doit avoir toute sa place à l’Ecole, dès le plus jeune âge, mais aussi tout au long de la scolarité pour déconstruire les stéréotypes existes qui fondent et entretiennent les comportements de domination, et puis finalement de violence.
Avec Vincent Peillon, vous le savez, nous avons engagé un travail en profondeur pour faire en sorte que la loi de 2001 garantissant des séances d’éducation à l’égalité et à la sexualité dans les écoles et établissements scolaires soit respectée.
- Refuser les violences, c’est aussi bien sûr savoir sanctionner leurs auteurs et prévenir la récidive
Trop souvent, intimité rime avec impunité. Mais la loi s’applique à la maison, et même dans la chambre à coucher. Pour que la réponse de la société soit à la hauteur de la gravité de ces violences, de ces délits et de ces crimes, chacun doit se mobiliser et créer les conditions qui permettent aux victimes de déposer plainte.
Il est impossible de savoir combien d’actes de violences conjugales sont commis chaque année. Nous savons, en revanche, que 17.000 d’entre eux donnent lieu à une condamnation. C’est énorme. Mais c’est sans doute trop peu, parce que la majorité des violences restent impunies.
Il ne s’agit pas de faire du chiffre, nous avons rompu avec cette politique mais d’amener le plus grand nombre d’auteurs de violence à une sanction utile contre la récidive. Nous développerons les programmes de prise en charge des auteurs de violences et la Garde des Sceaux y travaille tout particulièrement cette question dans le cadre de la conférence de consensus qu’elle a initiée.
- Ensuite, réactiver l’ordonnance de protection
Un instrument juridique a été élaboré en 2010, pour mettre les victimes à l’abri sans avoir recours à une plainte : l’ordonnance de protection. L’Espagne s’est engagée avant nous dans un tel dispositif et cela a changé les choses radicalement. Les premiers bilans que nous en tirons nous montrent que cet objectif n’a pas encore été atteint. En pratique, l’ordonnance de protection ne se substitue pas à l’action pénale. Et elle se déclenche lentement, plus de trois semaines alors que ses initiateurs les voulaient prises sous 48 heures.
Je ne veux pas me contenter d’une situation dans laquelle le partenariat efficace entre les acteurs, en Seine-Saint-Denis, permet d’utiliser pleinement cette ordonnance tandis qu’elle reste complètement inconnue dans d’autres départements.
Une femme victime de violences est une femme en danger. Elle doit pouvoir obtenir du juge une protection immédiate, qu’elle soit victime de son mari, ou de toute autre individu qui la menace. Je veux et serais attentif à ce que cette ordonnance trouve toute sa place dans notre réponse aux violences, qu’elle soit mieux connue, voir que nous l’étendions à d’autres formes de violences, si c’est utile aux victimes.
- Protéger les femmes en danger, c’est aussi leur donner les moyens d’appeler à l’aide.
Un outil simple et efficace a été expérimenté par les acteurs locaux en Seine-Saint-Denis, dans le Bas-Rhin, dans le Val-d’Oise et à Paris : le téléphone grand danger, qui permet à la victime d’être immédiatement en contact avec les forces de l’ordre qui envoient une équipe sur les lieux dans les meilleurs délais. Ce dispositif a sauvé des vies. Il sera généralisé en 2013.
- Nous devrons également garantir l’accueil et la prise en charge des victimes.
La main courante est aujourd’hui le symbole d’une société qui met dans l’impasse les femmes qui pousse la porte dans le commissariat ; nous avons fait des propositions avec Manuel Valls sur ce sujet.
Seule une femme battue sur dix dépose aujourd’hui plainte. Et même parmi celles qui poussent la porte d’un commissariat, une moitié seulement porte effectivement plainte. Pour l’autre moitié, la protection qu’apporte une procédure pénale butte encore trop souvent sur des situations inextricables : contraintes familiales, par souci de protéger les enfants, par l’absence de logement ou par peur. Il est de la responsabilité du gouvernement de lever ces contraintes et de permettre aux femmes d’être protégées soit par la voie pénale, soit par la voie civile, comme le dispositif de l’ordonnance de protection le permet désormais.
Je souhaite que nous puissions construire un véritable parcours qui sécurise les femmes dès que la violence est repérée jusqu’à ce que le cycle cesse pour de bon. Nous devons réussir à mettre tous les acteurs et les actrices autour d’une table pour créer des conditions optimales d’accueil et de prise en charge des femmes. Je parle de l’accueil en commissariat ou en gendarmerie, au tribunal, à l’hôpital ou encore dans les centres d’hébergement. Des mesures très concrètes seront annoncées jeudi prochain.
Les commissions départementales des violences faites aux femmes sont de très bons outils pour mettre en œuvre cette coordination des politiques publiques et des professionnels.
Voilà rapidement quelques-uns des axes proposés au Premier Ministre. Il y en a un autre, qui nous a particulièrement occupés aujourd’hui : celui de la formation des professionnels. C’est un élément fondamental pour mon Ministère et pour l’ensemble du gouvernement.
En 2010, dans la loi qu’ils avaient rédigé contre les violences faites aux femmes, les députés Danielle Bousquet et Guy Geoffroy mettaient l’accent sur cette nécessaire formation, la qualifiant de « cruciale pour une mise en œuvre effective et efficace de la loi ». Tout le monde s’accorde sur ce constat et pourtant, depuis le vote de la loi, dans ce domaine, les choses peinent à avancer.
Un rapport exhaustif réalisé par le Service des Droits des Femmes montre que la formation des professionnels reste majoritairement le fait d’initiatives ponctuelles et locales, souvent d’associations ou des services déconcentrés du Ministère des Droits des femmes (j’en profite pour saluer le travail important que font les Déléguées régionales et chargées de mission départementales). Si certains secteurs ont avancé en intégrant de manière obligatoire des modules dans leurs formations initiales et continue, ils restent des exceptions.
- je demanderai au futur observatoire national des violences, dont les contours seront définis vendredi prochain, de définir le cahier des charges de ces formations pluridisciplinaires.
J’ai proposé au Premier Ministre que le Ministère des Droits des Femmes lance, conjointement avec l’ensemble des Ministères concernés, un plan national de formation de l’ensemble des professionnels.
La nouvelle instance qui suivra ce programme s’inspirera du succès de l’observatoire de Seine Saint Denis aura plusieurs objectifs. Il permettra de réunir et publier des statistiques consolidées et les études sur les femmes victimes de violences. Il organisera l’animation locale de la politique de protection des femmes victimes de violence et diffuser les innovations.
Nous travaillerons à intégrer dans toutes les formations initiales des métiers des secteurs de la santé, de la justice, du travail social ou de l’enseignement des modules obligatoires pour connaître les violences sexistes et sexuelles.
Nous ferons de même sur les formations continues. Nous allons rencontrer l’ensemble des fédérations, organisations syndicales, organisations professionnelles, ordres ou confédérations et nous établirons avec eux un plan de travail.
Cette instance ne sera utile que si elle met à votre disposition des outils opérationnels. Nous avons pris les devants aujourd’hui en publiant le premier annuaire national de toutes les associations de lutte contre les violences faites aux femmes. Vous l’avez dans les mains. Je remercie toutes les associations qui ont participé à son élaboration. Cet annuaire deviendra très vite, j’en suis sûre une référence, pour les professionnels, les collectivités locales, les élus comme pour les femmes victimes.
Mesdames, Messieurs, je terminerai mon propos en vous remerciant d’avoir participé à cette après-midi.
Vous l’avez compris, nous sommes en train de créer les conditions d’un sursaut. Nous allons changer de rythme et de méthode.
Ce que je retiens de cette journée, c’est que la formation professionnelle, ça marche. Les retours sont nombreux cette après-midi pour montrer que nous pouvons faire évoluer les représentations, les pratiques et les comportements en formant. Nous avons là un outil efficace qui peut permettre de briser des milliers de cycles de violences. Et donc de changer la vie de milliers de femmes.
Nous aurions tort de nous priver de cet outil. Je dirais même : nous ferions une faute grave en nous en privant.
Nous pouvons faire changer les choses. Dans ce domaine encore plus que dans d’autres, il s’agit de volonté, de détermination et d’énergie. Soyez assuré que vous trouverez dans mon action aujourd’hui chacun de ces trois ingrédients.
Je vous remercie.
Source http://femmes.gouv.fr, le 30 novembre 2012