Texte intégral
Je voudrais commencer par vous dire mon sentiment à brûle-pourpoint à la fin de cet évènement.
Je dois vous dire que jai passé une excellente après-midi. Une après-midi passionnante, qui a permis de tracer, en un temps record, à la fois un état des lieux de la situation et douvrir de nombreuses perspectives.
Je suis ravie que cette initiative ait rassemblé autant de monde. Cest la preuve que les droits des femmes et en particulier la lutte contre les violences faites aux femmes mobilise de plus en plus de personnes dans notre pays. Nous sommes en train de lever la chape de plomb qui pèse sur notre société. Cette chape de plomb qui nous empêche de regarder la réalité en face :
Nous avons encore un problème avec légalité entre les femmes et les hommes.
Le fait que des dizaines de milliers de femmes soient violées chaque année en France en est la démonstration glaçante.
Ces violences que subissent les femmes ne sont pas des « cas isolés ». Elles correspondent bien entendu chacune à des histoires individuelles, douloureuses. Mais elles constituent aussi un fait politique et social, un système quil nous changer.
Je voudrais vous citer lexposé des motifs de la loi espagnole de 2004, intitulée « Loi contre les violences de genre ». Cette loi, vous la connaissez sans doute, elle a fait date. Cest delle que nous nous sommes inspirées pour mettre en uvre lordonnance de protection.
Ces quelques phrases qui introduisent la loi espagnole résument parfaitement ce dont nous parlons aujourdhui :
« La violence de genre nest pas un problème qui affecte la sphère privée. Au contraire, elle représente le symbole le plus brutal de linégalité existant dans notre société. Il sagit dune violence qui est exercée sur les femmes en raison de leur simple condition de femmes, parce que leurs agresseurs considèrent quelles sont dépourvues des droits élémentaires de liberté, de respect et de capacité de décision.»
Je le dis solennellement ici : le temps est venu dun sursaut collectif. Un sursaut de toutes et tous. Ce sursaut doit être collectif. Jen ai conscience, il viendra dabord de lengagement total du Gouvernement.
La cause des femmes est aujourdhui portée par la République. Elle est portée par la France, au moment où tant de femmes, dans le monde, sont confrontées à la lâcheté du sexisme.
Au courage de ces femmes, nous ne pouvons pas répondre par la lâcheté du silence. Ne rien faire, cest laisser faire. Chaque année, plus dune centaine de femmes sont assassinées par leurs conjoints. Une femme sur dix est victime de violences.
Ce nest pas parce lalerte sonne sans cesse quil faut cesser de lentendre. Ces violences sont indignes dun grand pays de liberté et dégalité.
Au nom de nos principes, par respect pour le courage des femmes qui se battent chaque jour contre la lâcheté de la violence, nous devons faire front. Nous devons être à leurs côtés.
Notre refus des violences sexistes ne doit pas être une posture, il doit être un projet, une politique publique à part entière, autour de laquelle jappelle tous nos concitoyens à se mobiliser.
Ce combat ne date pas daujourdhui. Je le sais. Je connais, jai vu même encore aujourdhui linvestissement des associations qui au quotidien se mobilisent pour épauler les victimes, pour les informer sur leurs droits, pour les accompagner dans des démarches qui sont encore trop souvent des parcours du combattant dans lequel tant de femmes renoncent, subissent en espérant que la violence cessera.
Jai vu aujourdhui aussi lengagement personnel des professionnels, policiers, médecins, travailleurs sociaux, agents de lEtat ou bien des collectivités.
Face à la violence, il ny a dautre réponse que la mobilisation générale. Cette mobilisation va se concrétiser dans les jours à venir. Nous avons mobilisé tout le gouvernement, tous les ministres, toutes les autorités.
Cette mobilisation, je lai engagée dès ma prise de fonction. Vous le savez, avec Christiane TAUBIRA, nous avons porté avec le soutien du Parlement tout entier, la loi relative au harcèlement sexuel pour que le délit, que le Constitutionnel avait abrogé, soit sanctionné, quil réponde aux situations que nous avaient rapporté les associations.
Cette loi nétait quune première étape et cest pour cela que jai demandé au premier ministre, Jean-Marc AYRAULT et à la ministre des droits des femmes, de réunir dès jeudi prochain un comité interministériel aux droits des femmes pour que nous engagions sans tarder cette seconde étape.
La lutte contre les violences sera la grande priorité de ce comité interministériel.
Je voudrais, à la lumière des échanges que jai eus ce jour avec les professionnels, tracer les lignes directrices de cet engagement collectif, que je suivrais personnellement pour que le plus vite possible, pour quà la fin de mon mandat, nous ayons changé les choses, nous ayons fait ce que je me suis engagé à faire devant les françaises et les français : construire une société de légalité, une société pacifiée, fondée sur le respect entre les femmes et les hommes.
- Il sagira dabord de prévenir
« La suprématie masculine est la dernière aristocratie » disait Maria Deraime. Les violences ont pour point commun de naître là où quelquun place un sexe au-dessus de lautre. Elles ne sont pas une succession de faits divers. Elles expriment toute la lâcheté des siècles dinégalités qui nous précèdent. Ces siècles qui sous prétexte dordre naturel des choses ont partagé lhumanité entre soi-disant « sexe faible » et soi-disant « sexe fort ».
Cest pour cela que léducation à légalité doit avoir toute sa place à lEcole, dès le plus jeune âge, mais aussi tout au long de la scolarité pour déconstruire les stéréotypes existes qui fondent et entretiennent les comportements de domination, et puis finalement de violence.
Avec Vincent Peillon, vous le savez, nous avons engagé un travail en profondeur pour faire en sorte que la loi de 2001 garantissant des séances déducation à légalité et à la sexualité dans les écoles et établissements scolaires soit respectée.
- Refuser les violences, cest aussi bien sûr savoir sanctionner leurs auteurs et prévenir la récidive
Trop souvent, intimité rime avec impunité. Mais la loi sapplique à la maison, et même dans la chambre à coucher. Pour que la réponse de la société soit à la hauteur de la gravité de ces violences, de ces délits et de ces crimes, chacun doit se mobiliser et créer les conditions qui permettent aux victimes de déposer plainte.
Il est impossible de savoir combien dactes de violences conjugales sont commis chaque année. Nous savons, en revanche, que 17.000 dentre eux donnent lieu à une condamnation. Cest énorme. Mais cest sans doute trop peu, parce que la majorité des violences restent impunies.
Il ne sagit pas de faire du chiffre, nous avons rompu avec cette politique mais damener le plus grand nombre dauteurs de violence à une sanction utile contre la récidive. Nous développerons les programmes de prise en charge des auteurs de violences et la Garde des Sceaux y travaille tout particulièrement cette question dans le cadre de la conférence de consensus quelle a initiée.
- Ensuite, réactiver lordonnance de protection
Un instrument juridique a été élaboré en 2010, pour mettre les victimes à labri sans avoir recours à une plainte : lordonnance de protection. LEspagne sest engagée avant nous dans un tel dispositif et cela a changé les choses radicalement. Les premiers bilans que nous en tirons nous montrent que cet objectif na pas encore été atteint. En pratique, lordonnance de protection ne se substitue pas à laction pénale. Et elle se déclenche lentement, plus de trois semaines alors que ses initiateurs les voulaient prises sous 48 heures.
Je ne veux pas me contenter dune situation dans laquelle le partenariat efficace entre les acteurs, en Seine-Saint-Denis, permet dutiliser pleinement cette ordonnance tandis quelle reste complètement inconnue dans dautres départements.
Une femme victime de violences est une femme en danger. Elle doit pouvoir obtenir du juge une protection immédiate, quelle soit victime de son mari, ou de toute autre individu qui la menace. Je veux et serais attentif à ce que cette ordonnance trouve toute sa place dans notre réponse aux violences, quelle soit mieux connue, voir que nous létendions à dautres formes de violences, si cest utile aux victimes.
- Protéger les femmes en danger, cest aussi leur donner les moyens dappeler à laide.
Un outil simple et efficace a été expérimenté par les acteurs locaux en Seine-Saint-Denis, dans le Bas-Rhin, dans le Val-dOise et à Paris : le téléphone grand danger, qui permet à la victime dêtre immédiatement en contact avec les forces de lordre qui envoient une équipe sur les lieux dans les meilleurs délais. Ce dispositif a sauvé des vies. Il sera généralisé en 2013.
- Nous devrons également garantir laccueil et la prise en charge des victimes.
La main courante est aujourdhui le symbole dune société qui met dans limpasse les femmes qui pousse la porte dans le commissariat ; nous avons fait des propositions avec Manuel Valls sur ce sujet.
Seule une femme battue sur dix dépose aujourdhui plainte. Et même parmi celles qui poussent la porte dun commissariat, une moitié seulement porte effectivement plainte. Pour lautre moitié, la protection quapporte une procédure pénale butte encore trop souvent sur des situations inextricables : contraintes familiales, par souci de protéger les enfants, par labsence de logement ou par peur. Il est de la responsabilité du gouvernement de lever ces contraintes et de permettre aux femmes dêtre protégées soit par la voie pénale, soit par la voie civile, comme le dispositif de lordonnance de protection le permet désormais.
Je souhaite que nous puissions construire un véritable parcours qui sécurise les femmes dès que la violence est repérée jusquà ce que le cycle cesse pour de bon. Nous devons réussir à mettre tous les acteurs et les actrices autour dune table pour créer des conditions optimales daccueil et de prise en charge des femmes. Je parle de laccueil en commissariat ou en gendarmerie, au tribunal, à lhôpital ou encore dans les centres dhébergement. Des mesures très concrètes seront annoncées jeudi prochain.
Les commissions départementales des violences faites aux femmes sont de très bons outils pour mettre en uvre cette coordination des politiques publiques et des professionnels.
Voilà rapidement quelques-uns des axes proposés au Premier Ministre. Il y en a un autre, qui nous a particulièrement occupés aujourdhui : celui de la formation des professionnels. Cest un élément fondamental pour mon Ministère et pour lensemble du gouvernement.
En 2010, dans la loi quils avaient rédigé contre les violences faites aux femmes, les députés Danielle Bousquet et Guy Geoffroy mettaient laccent sur cette nécessaire formation, la qualifiant de « cruciale pour une mise en uvre effective et efficace de la loi ». Tout le monde saccorde sur ce constat et pourtant, depuis le vote de la loi, dans ce domaine, les choses peinent à avancer.
Un rapport exhaustif réalisé par le Service des Droits des Femmes montre que la formation des professionnels reste majoritairement le fait dinitiatives ponctuelles et locales, souvent dassociations ou des services déconcentrés du Ministère des Droits des femmes (jen profite pour saluer le travail important que font les Déléguées régionales et chargées de mission départementales). Si certains secteurs ont avancé en intégrant de manière obligatoire des modules dans leurs formations initiales et continue, ils restent des exceptions.
- je demanderai au futur observatoire national des violences, dont les contours seront définis vendredi prochain, de définir le cahier des charges de ces formations pluridisciplinaires.
Jai proposé au Premier Ministre que le Ministère des Droits des Femmes lance, conjointement avec lensemble des Ministères concernés, un plan national de formation de lensemble des professionnels.
La nouvelle instance qui suivra ce programme sinspirera du succès de lobservatoire de Seine Saint Denis aura plusieurs objectifs. Il permettra de réunir et publier des statistiques consolidées et les études sur les femmes victimes de violences. Il organisera lanimation locale de la politique de protection des femmes victimes de violence et diffuser les innovations.
Nous travaillerons à intégrer dans toutes les formations initiales des métiers des secteurs de la santé, de la justice, du travail social ou de lenseignement des modules obligatoires pour connaître les violences sexistes et sexuelles.
Nous ferons de même sur les formations continues. Nous allons rencontrer lensemble des fédérations, organisations syndicales, organisations professionnelles, ordres ou confédérations et nous établirons avec eux un plan de travail.
Cette instance ne sera utile que si elle met à votre disposition des outils opérationnels. Nous avons pris les devants aujourdhui en publiant le premier annuaire national de toutes les associations de lutte contre les violences faites aux femmes. Vous lavez dans les mains. Je remercie toutes les associations qui ont participé à son élaboration. Cet annuaire deviendra très vite, jen suis sûre une référence, pour les professionnels, les collectivités locales, les élus comme pour les femmes victimes.
Mesdames, Messieurs, je terminerai mon propos en vous remerciant davoir participé à cette après-midi.
Vous lavez compris, nous sommes en train de créer les conditions dun sursaut. Nous allons changer de rythme et de méthode.
Ce que je retiens de cette journée, cest que la formation professionnelle, ça marche. Les retours sont nombreux cette après-midi pour montrer que nous pouvons faire évoluer les représentations, les pratiques et les comportements en formant. Nous avons là un outil efficace qui peut permettre de briser des milliers de cycles de violences. Et donc de changer la vie de milliers de femmes.
Nous aurions tort de nous priver de cet outil. Je dirais même : nous ferions une faute grave en nous en privant.
Nous pouvons faire changer les choses. Dans ce domaine encore plus que dans dautres, il sagit de volonté, de détermination et dénergie. Soyez assuré que vous trouverez dans mon action aujourdhui chacun de ces trois ingrédients.
Je vous remercie.
Source http://femmes.gouv.fr, le 30 novembre 2012