Déclaration de M. Vincent Peillon, ministre de l'éducation nationale, sur la commémoration des deux guerres mondiales, Paris le 9 novembre 2012.

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Circonstance : Commémoration du 11 novembre 1918

Texte intégral

Il y a 94 ans, presque jour pour jour, le fracas des armes laissait place aux clameurs de la victoire, avant de le céder au silence du deuil. Après quatre ans de fureur, dans la boue des tranchées, sous les gaz et les obus, la signature de l'armistice à Rethondes rendait les poilus à leurs familles, à leur métier, à leurs études. Trois millions d'entre eux portaient dans leur chair, leurs visages anéantis et leur corps meurtris, les stigmates du conflit le plus meurtrier que le monde avait jamais connu. Près d'un million et demi manquaient à l'appel. Parmi eux, comme le rappellent ces plaques devant lesquelles nous nous recueillons aujourd'hui, des milliers d'instituteurs, d'enseignants et de fonctionnaires de l'éducation nationale. L'école avait payé son tribut, son lourd tribut pour que vivent la France et la République. Partout en France, des monuments - poignants - rappellent leur sacrifice, sur les places des villages, dans les bâtiments des écoles normales. Plus de 75 noms à Montauban, tombés au Chemin des Dames, à Bois Sabot, à Salonique, 95 en Corrèze, 150 en Gironde...
Mais les poilus rentraient et ils rentraient victorieux. Pour longtemps, pour toujours, voulait-on croire. La fin de la "der des der" devait clore à jamais ce chapitre sanglant de l'Histoire. La plaie béante au cœur de l'Europe pourrait - fol espoir - cicatriser, les hommes se reconstruire et les nations se réconcilier.
Comment pouvait-on alors imaginer que 22 ans plus tard, dans cette même clairière près de Compiègne, ce wagon même qui symbolisait la victoire recueillerait la signature de la France vaincue et démembrée. À la demande d'un maréchal, au terme d'une étrange défaite qui ne l'était pas tant, le combat cessait. Un autre commençait, dans l'ombre, pour libérer la France de la nuit de l'oppression et de la tyrannie.
Cette cérémonie aujourd'hui, c'est d'abord un hommage. C'est l'hommage que nous devons à Bert, à Brisou, à Cimqualabre, à Desbrosse, à Dufaur, à Garel, à Laneret, à Lépin, à Lesieur, à Natali, à Pla, à Tabour et à Veau - rédacteurs, gardiens, commis d'ordre de l'administration centrale, morts au champ d'honneur pendant la Première Guerre. C'est l'hommage que nous devons à Berthod, prisonnier comme un million de Français et mort 10 jours après la Libération. L'hommage que nous devons à Léo Lagrange - qui périt quelques jours avant l'armistice et nous rappelle à quel point les combats de 1940, s'ils durèrent peu, furent meurtriers - et à Jean Zay, massacré par la milice. Cet hommage, Marc Bloch, professeur de lycée quand la première guerre éclata, mort sous les balles en 1944, aurait sans doute voulu qu'on le rendît, non à la victime, mais au combattant qu'il fut : au combattant de 14, au combattant de 40, au combattant de la Résistance.
Cette cérémonie, c'est un hommage mais c'est aussi un espoir. Car ce que les morts nous demandent, comme le disait si bien Pierre Brossolette, ce n'est pas de les plaindre, c'est de les continuer. Les continuer, c'est conserver vivante et vibrante leur mémoire, à l'heure où les témoins de 14 ne sont plus, et où ceux de 40 s'éteignent. C'est de faire connaître ce qu'ils furent, leur histoire, leurs histoires. De transmettre leurs valeurs, ce pour quoi ils combattirent et moururent, et c'est le rôle de l'école. Dans les années qui viennent, la France entamera un long cycle de commémoration des deux guerres qui bouleversèrent l'Europe et le monde. L'éducation nationale y sera pleinement associée. Par le souvenir et la mémoire, mais surtout, parce que c'est sa mission propre, par le savoir et par l'histoire.
Les continuer, c'est aussi continuer leur œuvre. L'œuvre de ces pédagogues, de ces maîtres, qui furent durement touchés - je pense à Freinet, je pense à Monod, grièvement blessés au combat - et qui traversèrent les conflits avec toujours, chevillés au corps la foi dans l'éducation et le désir d'instruire, par le savoir et par l'exemple. Et je voudrais que l'on médite un instant cette phrase d'Henri Wallon, convaincu après la meurtrissure de la Première Guerre mondiale que pour "assurer au monde un avenir de paix, rien ne pourrait être plus efficace que de développer dans les jeunes générations le respect de la personne humaine par une éducation appropriée. Ainsi", disait-il, "pourront s'épanouir les sentiments de solidarité et de fraternité humaines qui sont aux antipodes de la guerre et de la violence".
Je vous remercie.Source http://www.education.gouv.fr, le 19 novembre 2012