Entretien de M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères, avec la radio allemande "ARD" le 28 août 2001, sur les lignes communes et les positions communes franco-allemandes face aux situations au Proche-Orient et en Macédoine et ses relations personnelles avec M. Joschka Fischer, ministre allemand des affaires étrangères.

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Média : ARD

Texte intégral

Q - Lors de votre rencontre à Paris avec M. Fischer, vous allez parler des problèmes d'actualité, à savoir surtout en ce moment le Proche-Orient et la Macédoine. La France et l'Allemagne s'efforcent toujours d'adopter des lignes communes, des positions communes. Allez-vous aborder avec M. Fischer sa mission récente au Proche-Orient et quelle ligne commune souhaitez-vous adopter sur la Macédoine ?
R - Le premier objet de ces rencontres n'est pas uniquement de traiter l'actualité. Le premier objet de ces rencontres, que nous avons menées depuis le mois de janvier, c'est de passer en revue tous les sujets qui concernent la France et l'Allemagne pour s'assurer que les positions sont convergentes et préparer les rencontres à cinq (chancelier, président, Premier ministre, ministres des Affaires étrangères), la prochaine a lieu d'ailleurs dans les premiers jours de septembre. Donc, c'est cela le premier objectif de cette rencontre et cette fois-ci c'est M. Fischer qui vient à Paris. La prochaine fois, c'est moi qui irai à Munich.
Nous allons naturellement parler de l'actualité, dans laquelle il y a deux sujets importants : le Proche-Orient et la Macédoine. Sur le Proche-Orient, Joschka Fischer a fait des efforts très importants, que je salue, qui sont positifs. Il rejoint, en quelque sorte, les efforts que la France fait depuis des années avec quelques autres pays d'Europe pour la paix au Proche-Orient. Il a fait deux missions successives. A chaque fois, il a essayé de faire avancer les choses dans un contexte qui est tragique et totalement bloqué. Le fait d'essayer d'amener une rencontre entre Arafat et Shimon Pères, c'est une bonne chose parce que dans les situations de blocage où nous sommes, il n'y a pas tellement d'autres possibilités. Cela ne va pas tout changer. Arafat et Pères se sont en effet rencontrés un nombre incalculable de fois dans le passé. Cela ne peut pas tout régler mais au moins, il faut essayer de sortir du blocage. Donc, je vois la mission de M. Fischer comme une démarche européenne, qui doit être prolongée et continuée par d'autres politiques européennes, et d'ailleurs plusieurs ministres des Affaires étrangères d'Europe vont aller au Proche-Orient en septembre et en octobre pour continuer le même effort, c'est-à-dire essayer d'arrêter l'engrenage.
Q - Quant à la Macédoine, souhaitez-vous adopter une position commune avec l'Allemagne ?
R - Nous avons des positions communes sur la Macédoine. Il faut voir que sur cette question de la Macédoine, ce sont les Européens, à commencer par la France, l'Allemagne, l'Italie, la Grande-Bretagne, qui ont fait l'analyse, qui ont fait le diagnostic, qui ont proposé une politique dès que la question a commencé à être préoccupante, au printemps dernier. Nous, les Européens, nous l'avons fait adopter par le groupe de contact. Donc, nous étions sûrs d'avoir les Américains et les Russes jusqu'à un certain point sur la même ligne, et ensuite le Conseil européen, les Conseils des Affaires générales, le G7 mais aussi l'OTAN ont agi dans ce même sens. Et depuis qu'il a fallu s'occuper en urgence de la Macédoine, la France et l'Allemagne ont toujours été sur la même ligne : solution politique ; nous avons soutenu à fond les efforts de M. Solana et de l'envoyé de l'Union européenne, M. Léotard, en liaison avec l'envoyé américain, M. Pardew. Solution politique mais qui, à un moment donné, suppose un accord militaire. Alors, comme il y a eu l'accord politique, les deux parties ayant fait preuve d'esprit de raison, finalement, j'espère que cela va continuer. On a pu passer à la première phase de la mise en oeuvre avec l'opération de ramassage des armes qui a lieu en ce moment. Je sais qu'il y a eu des débats en Allemagne sur notre participation à cette opération de l'OTAN. C'est normal, c'est la démocratie mais je suis content que l'Allemagne ait confirmé son engagement parce que tout cela, c'est vraiment une politique qui ne peut être faite que par les Européens ensemble.
Q - Un mot encore sur l'Union européenne, quant à la construction de l'Union européenne, il paraît qu'il y a comme une légère différence entre l'Allemagne et la France. Où voyez-vous des points d'harmonisation ?
R - Il y a un accord d'ensemble sur le calendrier et la méthode, sur ce que nous devons faire en 2002, 2003, 2004 et c'est en 2004 que se prendront les décisions dans une Conférence intergouvernementales et un Conseil européen qui concluront. Sur le fond, il y a une très grande variété de positions mais pas entre la France et l'Allemagne. Il y a une grande variété de positions en Allemagne, une variété de positions en France et c'est la même chose dans chaque pays d'Europe. Ce n'est pas un débat franco-allemand, c'est un débat à quinze auquel nous associons même les douze pays candidats. Et comme nous ne sommes pas dans la phase de la synthèse ni de la négociation, ni de la conclusion, pas encore, puisque nous sommes en 2001-2002, c'est-à-dire dans une phase différente où chacun réfléchit à haute voix, fait des propositions, participe à la réflexion, réfléchit sur l'avenir de l'Europe, c'est cela qui explique qu'il y ait une variété de positions dans chaque pays. Donc, il est prématuré de demander que la France et l'Allemagne arrêtent ce débat tout de suite pour avoir une seule position franco-allemande. C'est trop tôt. Cela n'a pas d'intérêt. Il faut au contraire laisser le débat public se développer, y compris en Allemagne d'ailleurs, mais le moment venu, plus tard, je suis convaincu que la France et l'Allemagne se mettront d'accord d'abord sur la méthode, qui est une question que nous aurons à trancher à la fin de l'année pendant la Présidence belge au Conseil européen de Laeken et puis, plus tard sur le fond. Mais c'est en 2003-2004 qu'il faudra trancher sur le fond. D'ici là, il faut laisser le débat démocratique vivre.
Q - Dernière question, vos relations personnelles avec M. Fischer ?
R - Je crois pouvoir dire qu'elles sont excellentes. Il faudra vérifier auprès de lui ! Elles sont excellentes, nous nous entendons très bien. Nous avons travaillé ensemble sur beaucoup de crises, sur beaucoup de sujets. Nous nous téléphonons souvent. Récemment, il m'a appelé deux fois sur les questions du Proche-Orient. Lorsque nous nous rencontrons, c'est toujours avec plaisir. On parle aussi de beaucoup d'autres choses, de l'histoire, de l'actualité politique, de la vie culturelle, de beaucoup de choses. Je pense que nous avons développé, outre les responsabilités que nous avons, une forme d'amitié.

(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 30 août 2001)