Déclaration de M. Michel Sapin, ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, sur la situation de l'emploi et le rôle de l'insertion par l'activité économique, Paris le 7 novembre 2012.

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A mon tour, après Benoit HAMON, je souhaite vous dire ma conviction quant à l’utilité –la nécessité même- de l’action que vous menez, et vous dire mon engagement –et celui de tout mon ministère- à vos côtés.
Ce n’est pas un hasard si cette réunion se tient au Ministère du Travail. Vous y êtes chez vous, depuis longtemps. Les plus anciens se souviennent des premières étapes de reconnaissance de l’insertion par l’activité économique, du rapport Praderie, de l’action de Martine AUBRY jeune ministre du travail il y a tout juste 20 ans.
Je suis très heureux de cette première occasion qui nous est donnée de dialoguer de façon directe et ouverte. Je souhaite vous entendre et qu’un dialogue s’installe, et donc je serai bref dans mon propos.
* Le rôle original et irremplaçable de l’Insertion par l’Activité Economique
La situation que nous vivons sur le front de l’emploi est particulièrement difficile. Dans ses phases aigües, comme aujourd’hui, la crise fabrique encore davantage d’exclusions, et le retour à l’emploi pour ceux qui en ont été éloignés est encore plus ardu.
La tache qui est la notre –j’insiste sur ce « nous »-, combattre l’exclusion qui menace les plus fragiles, n’en est que plus nécessaire. Nous ne devons pas baisser les bras. Je sais que ce n’est pas votre état d’esprit. Notre société, nous tous collectivement, devons permettre le droit à une nouvelle chance pour tous ceux que la vie a maltraité à un moment donné.
C’est à ce droit que vous contribuez. Il est essentiel pour notre pacte social.
Bien sûr, vous le savez, la mise en situation de travail est essentielle, mais souvent ne suffit pas. Pour reprendre durablement la vie professionnelle, la formation est nécessaire. C’est un sujet qui me tient particulièrement à coeur, avec le ministre délégué Thierry Repentin. Nous devons de faire le maximum pour que les salariés en insertion accèdent à la formation et acquièrent les compétences professionnelles nécessaires à l’accès au marché du travail. Nous travaillons à lever les freins en déclinant l’accord-cadre pour l’accès à la formation dans l’IAE au niveau régional.
L’accompagnement social est aussi nécessaire, pour aider à résoudre progressivement les difficultés cumulatives que les personnes en insertion peuvent rencontrer. Vous avez ce savoir-faire extrêmement précieux.
Votre originalité, c’est d’effectuer ce travail d’accompagnement dans le cadre de structures économiques ayant une activité de production et inscrites sur des marchés, avec les opportunités que cela comporte mais aussi votre exposition à la concurrence et aux aléas conjoncturels. Vous avez donc, en quelque sorte, deux métiers et toute la difficulté consiste à ce que l’un se nourrisse de l’autre.
Je veux vous dire que je suis parfaitement conscient de cette difficulté.
Le monde économique est source de grandes incertitudes, qui occupent tout chef d’entreprise. La crise profonde que nous traversons accroit encore ces incertitudes et ces tensions.
Le soutien public a pu être aussi sources d’incertitudes.
* Le soutien public à l’IAE
A mon arrivée, j’ai pris conscience de la complexité du financement des structures que vous représentez, de la multiplicité des financeurs à mobiliser, de la complexité du montage des dossiers FSE, des tentatives passées de simplification qui ne sont pas parvenues à des résultats concrets.
C’est pourquoi j’ai souhaité que soit dressé un état des lieux pour y voir plus clair et faire émerger des propositions pour l’avenir. La mission que j’ai confiée, avec Pierre Moscovici et Benoît Hamon, à l’inspection générale des finances et à l’inspection générale des affaires sociales nous permettra d’avancer, et nous aurons à partager ensemble ses conclusions et propositions, pour mettre en oeuvre en 2013 une reforme des modalités de financement de l’IAE. Je sais que la mission a déjà eu des échanges avec nombre d’entre vous.
Certains d’entre vous portent des revendications d’augmentation des financements consacrés à l’IAE. Je peux le comprendre. Mais je veux vous dire –vous redire car vous le savez- que l’effort de l’Etat en faveur des plus éloignés de l’emploi est conséquent. Il augmente au travers un dispositif comme les Emplois d’Avenir par exemple, et il ne diminue pas sur les autres dispositifs. Dans le projet de loi de finances pour 2013, dans un contexte que vous connaissez, je me suis battu pour que les crédits soient maintenus à hauteur de 197 millions d’euros, pour le financement des aides au poste, de l’aide à l’accompagnement et l’aide du fonds départemental d’insertion.
L’Assemblée Nationale débattra demain jeudi du projet de budget de mon ministère. Certains d’entre vous savent que nous y débattrons d’amendements parlementaires visant à accroitre l’engagement budgétaire pour l’IAE. Le débat aura lieu demain, je ne veux pas en préjuger, mais si des marges de redéploiement pouvaient être dégagées, je serais évidement favorable à ce que puisse être provisionnée une enveloppe supplémentaire pour accompagner la réforme des modalités de financement de l’IAE en 2013.
Par ailleurs et sans attendre cette réforme, je m’engage à signer dès à présent les arrêtés permettant l’augmentation des plafonds des aides à l’accompagnement pour les associations intermédiaires et les ateliers et chantiers d’insertion.
La mobilisation des contrats aidés par le secteur de l’IAE a aussi connu un fort accroissement dans les dernières années, le montant des aides correspondantes s’est élevé à 550 millions d’euros en 2011. La situation du marché du travail a conduit le gouvernement à renforcer la mobilisation des contrats uniques d’insertion en 2012 , et cet effort sera poursuivi, au même rythme, en 2013.
D’autres aides de l’Etat viennent abonder les crédits budgétaires : 160 millions d’euros d’exonérations de cotisations patronales et d’exonérations fiscales pour les associations intermédiaires ; 54 millions d’euros d’allègements de droit commun pour les entreprises d’insertion et les entreprises de travail temporaire d’insertion ; 160 millions d’euros d’exonérations de cotisations patronales pour les contrats d’accompagnement dans l’emploi des ateliers et chantiers d’insertion.
Au total, l’effort de l’Etat pour l’IAE représente donc plus de 1 milliard d’euros par an, auxquels viennent s’ajouter les soutiens des conseils généraux, des conseils régionaux et du fonds social européen.
* Les Emplois d’Avenir
Un mot sur les Emplois d’Avenir. Depuis le 1er novembre, toutes les structures de l’IAE –toutes !- ont la possibilité de recruter en emploi d’avenir. Les entreprises d’insertion et les GEIQ qui exercent dans le secteur marchand pourront bénéficier d’un taux de prise en charge plus favorable que les autres entreprises : 47 %, c'est-à-dire le taux maximum autorisé dans le cadre des contrats aidés du secteur marchand. Je sais que certains auraient espéré un dispositif différent, mais je suis persuadé que certaines de vos entreprises auront à coeur de prendre leur part à ce mouvement des Emplois d’Avenir.
* L’IAE est un terrain d’innovation
Mais le potentiel de développement de l’IAE ne repose pas que sur les aides publiques. Les structures de l’IAE connaissent pour beaucoup d’entre elles un formidable dynamisme économique, que je souhaite encourager. Sur les territoires, vous répondez à des besoins souvent non-satisfaits, avec un professionnalisme et des savoir-faire que pourraient vous envier nombre d’entreprises.
Les nombreuses expérimentations mise en oeuvre ces dernières années ont démontré, s’il en était besoin, les capacités d’innovation du secteur. Je pourrais citer l’expérimentation menée avec les structures volontaires dans le Haut-Rhin, le Doubs, la Gironde et le Rhône, qui doit s’achever d’ici la fin de l’année. Ou encore l’accord-cadre conclu avec les groupes ADECCO INSERTION, VITAMINE T et IDE’ES, groupes engagés depuis de nombreuses années dans la mise en oeuvre de méthodes innovantes pour lutter contre l’exclusion.
Le secteur de l’IAE est un véritable laboratoire, avec beaucoup de projets innovants, comme l’expérimentation de durées dérogatoires de parcours pouvant aller jusqu’à 5 ans en contrat aidé pour des publics très éloignés de l’emploi, dans le cadre du projet EPIDA avec des ateliers et chantiers d’insertion de la région Rhône-Alpes, le Secours Catholique et le Réseau des Jardins de Cocagne. Ou encore le projet CONVERGENCE mené par Emmaüs Défi à Paris.
* Rapprocher l’IAE et le monde des entreprises
Je crois qu’il est nécessaire de poursuivre le rapprochement avec le monde économique, tant pour le développement de vos structures que pour l’accès à l’emploi des personnes que vous accompagnez. Pour ce faire, les « clauses sociales » peuvent être un bon outil pour créer des ponts entre les structures d’IAE et les entreprises. Nous avons encore d’importantes marges de progrès dans cette direction.
Il nous faut également approfondir le travail sur les transitions pour les personnes sortant de l’IAE. Aujourd’hui, trop de parcours réussis dans la structure d’insertion ne se prolongent pas naturellement dans une autre entreprise. Nous savons à quel point est difficile alors l’impression, pour les personnes comme pour ceux qui les ont accompagnées, de devoir tout reprendre à zéro. Pour faciliter ces transitions, vous travaillez sur plusieurs pistes : la poursuite de l’accompagnement dans l’emploi en entreprise peut être un axe essentiel, mais aussi le caractère progressif des sorties avec la possibilité d’allers-retours si besoin. Là encore je serai intéressé à vous entendre.
* La conférence de lutte contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale
Toutes ces réflexions, je sais que vous les menez dans le cadre de la préparation de la conférence de lutte contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale de décembre prochain, au sein du groupe de travail animé par Jean-Baptiste de Foucauld et Catherine Barbaroux au sein duquel l’IAE est largement représentée. Pour préparer cette conférence, nous souhaitons nous appuyer sur vous, sur les actions qui fonctionnent, réfléchir avec les principaux intéressés, des personnes en situation de pauvreté sont d’ailleurs présentes dans chacun des groupes de travail préparatoires.
* Questionner notre modèle social
Plus profondément, la question que vous posez est celle de notre modèle social. Ce modèle est généreux et j’y suis évidement très attaché, mais je constate qu’il souffre aujourd’hui d’une forme de dualité à l’intérieur de laquelle tout le monde ne trouve pas sa place :
• d’un côté, un versant assurantiel, assez consensuel, dans lequel le fait d’être en emploi et d’avoir déjà des droits génère d’autres droits : droit à une indemnisation du chômage, droit à la retraite.
• De l’autre côté, un versant plus universel qui couvre ceux qui n’ont aucun de ces droits, je pense à la couverture maladie universelle, je pense à la mise en place du RMI, de belles et grandes réformes de la gauche.
• Mais restent encore aujourd’hui des personnes en zone grise qui peinent à faire valoir leurs droits : c’est le cas de tous les travailleurs pauvres, frappés par le développement de l’emploi précaire, c’est aussi le cas des jeunes, qui sont la catégorie de la population la plus touchée par la pauvreté.
Pour réconcilier ces logiques,
• nous avons besoin de remettre le travail au coeur de notre modèle social, un travail de qualité, s’appuyant sur les capacités d’innovation des personnes et sur leur autonomie.
• Nous avons besoin de casser les logiques institutionnelles pour partir des personnes.
• Nous avons besoin d’innovateurs et d’entrepreneurs sociaux,
• Nous avons besoin des partenaires sociaux. La négociation actuelle sur la sécurisation de l’emploi permettra, je l’espère, de faire reculer la précarité qui n’est pas étrangère à notre sujet
• Nous avons besoin de toutes les parties prenantes dont vous êtes au premier chef
Je vous redis, avec Benoît Hamon, que nous faisons confiance au travail que vous menez au quotidien sur les territoires. Vous savez notre exigence, mais aussi notre volonté de faire le maximum pour faciliter votre action et le développement de vos structures. Nous resterons à votre écoute et attentifs aux projets que vous pourrez porter.
Je vous remercie.
Source http://iledefrance.chantierecole.org, le 30 novembre 2012