Déclaration de Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé, sur l'exclusion sociale et la lutte contre la pauvreté, Paris le 11 décembre 2012.

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Circonstance : Conférence nationale de lutte contre la pauvreté et pour l'inclusion sociale à Paris le 11 décembre 2012

Texte intégral


14 %.…
14 % de pauvres dans notre pays en 2010. Ce chiffre à lui seul constitue une gifle pour nous tous et justifie que nous soyons ici, aujourd’hui, rassemblés. Car, derrière les chiffres et les statistiques ce sont des réalités concrètes qu’il nous faut affronter, des histoires de vie qu’il nous faut regarder. 8,6 millions de personnes vivent avec moins de 964 euros par mois, 1 Français sur 5 déclare avoir renoncé à des soins pour des raisons financières, il y a 3,5 millions de mal-logés en France, 150 000 personnes qui vivent dans la rue ou des structures d’hébergement. 800 000 personnes ont recours à l’aide alimentaire faute de pouvoir simplement se nourrir. Je veux d’ailleurs rappeler que le gouvernement pèse de tout son poids pour que le programme européen d’aide aux plus démunis, créé par Jacques Delors en 1986, ne soit pas amputé d’une partie de son financement, alors même que les besoins augmentent avec la crise.
Il y a enfin des hommes et des femmes dont l’humanité semble évanouie, et qui en sont, aujourd’hui, dans notre pays, à demander le droit de pouvoir, le jour venu, être enterré dignement.
Mais à côté de la grande pauvreté, il y a aussi la pauvreté ordinaire, celle qui fait renoncer aux vacances, aux loisirs, celle des millions de Français qui comptent dès le 20 du mois, réduisent leur chauffage en hiver, limitent leurs déplacements toute l’année. Et il y a ces jeunes, tous ces jeunes, 1 million en tout, désormais en grande précarité parce qu’ils sont sans formation, sans emploi, sans soutien.
Cette réalité là est si forte, si présente, si violente, que chacun se sent menacé. La crise ronge la confiance dans l’avenir, elle soulève les inquiétudes et stimule des angoisses : 60 % des Français craignaient l’année dernière de se retrouver à la rue, la moitié d’entre eux se perçoit pauvre ou sur le point de le devenir. C’est désormais une frange croissante de nos concitoyens qui vit avec la crainte quotidienne du déclassement.
C’est pour cela que nous sommes aujourd’hui rassemblés. Parce que cette réalité ne peut être davantage occultée, parce qu’il est temps, plus que temps, de dire non. Non à la banalisation de la pauvreté. Non au sentiment de fatalité qui semble avoir gagné nos sociétés. Non au renoncement.
1. Lutter contre la pauvreté de certains, c’est combattre pour l’égalité de tous. Si le Premier ministre Jean-Marc Ayrault a annoncé dans son discours de politique générale la tenue d’une conférence contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale, c’est pour marquer l’engagement de tout le gouvernement dans une politique résolue, partagée, volontariste, qui soit pleinement identifiée. Je veux saluer le remarquable travail de Marie-Arlette Carlotti depuis plusieurs mois. Nombreux sont ceux parmi vous qu’elle a rencontrés, avec qui elle a échangé et dont les expériences ont nourri notre réflexion.
Ce n’est pas un hasard si cette conférence se tient ici, au Palais d’Iéna, siège du Conseil économique, social et environnemental. Elle s’inscrit dans la lignée de la grande conférence sociale et marque avec solennité que la lutte contre la pauvreté exige une mobilisation d’ampleur, une politique à part entière. L’engagement social du gouvernement doit se fixer comme objectif non seulement de combattre la pauvreté, mais de la faire reculer. Tous les acteurs sociaux sont appelés à y participer.
Et puis, si cette conférence se tient ici c’est aussi parce qu’y résonnent encore de grandes voix qui ont fait de la lutte contre la pauvreté un combat pour l’humanité tout entière. Je pense ici à Geneviève de Gaulle-Anthonioz, ou à Joseph Wrezinski, fondateur d’ATD Quart Monde. Celui-là même dont les mots sont gravés à jamais sur la dalle du Trocadéro, devenue parvis des droits des l’homme, à quelques pas d’ici : « Là où des hommes sont condamnés à vivre dans la misère, les droits de l’homme sont violés. S’unir pour les faire respecter est un devoir sacré ».
La promesse républicaine est vaine si elle ne s’adresse pas à chacun d’entre nous. Sans justice sociale, il n’y a pas de cohésion démocratique. Le progrès d’une société ne se mesure pas seulement au regard de ses conquêtes techniques, économiques ou même sociales. Il s’évalue à sa capacité, ou à sa volonté de faire partager ces conquêtes par tous. L’un des participants à un groupe de travail a résumé en une phrase cette conviction que chacun partage : « on est citoyen, même pauvre ».
En luttant contre la pauvreté, nous luttons pour la dignité de toute notre société. C’est cette exigence qui doit nous mobiliser, avec ténacité et dans la durée.
Cette mobilisation a d’abord été la vôtre, et je veux saluer l’implication exceptionnelle de toutes celles et ceux qui ont activement participé à l’élaboration de cette conférence : vous avez été nombreux à vous engager dans les 7 groupes thématiques qui se sont mis en place il y a plus de deux mois. Les contributions écrites sont arrivées par centaines. L’ensemble constitue un immense travail de fond, réalisé avec pragmatisme et responsabilité.
Cette mobilisation est aussi celle du gouvernement dans son entier. Notre volonté c’est que cette conférence ne soit pas seulement un aboutissement, mais un point de départ nous permettant d’inscrire notre action dans la durée. Les réflexions que nous avons engagées devront rapidement se traduire, dès 2013, par des mesures concrètes. Mais au-delà, il s’agira de donner de l’ampleur à nos engagements en les consolidant dans un plan pluriannuel.
2. Pour lutter contre la pauvreté, il nous faut cerner ses nombreux visages.
La France est aujourd’hui confrontée à une contradiction qu’il nous revient de surmonter.
D’un côté, le principe de solidarité est l’un des piliers de notre modèle social. Les Français y sont particulièrement attachés. Le niveau de nos dépenses publiques est élevé et nos politiques de redistribution sont importantes. Nos politiques familiales sont parmi les plus développées en Europe. L’excellence de notre système de santé est reconnue partout dans le monde. Dans le même temps, le travail qui est mené, chaque jour, au plus près de celles et ceux qui sont dans le besoin, est remarquable : l’engagement des travailleurs sociaux, la créativité des associations et les nombreuses initiatives développées par les collectivités territoriales ont une place majeure dans la prise en charge de la solidarité.
Malgré cela, la pauvreté progresse.
a/ Etre pauvre, c’est d’abord ne pas avoir assez de ressources pour vivre. L’instauration du RMI a constitué une étape majeure, que prolonge aujourd’hui le rSa socle. Le rSa activité, qui devait répondre à la situation des travailleurs pauvres, n’a pas atteint toute sa cible. Il en est de même pour l’aide à la complémentaire santé. Contrairement à ce que scandent certains, le problème des pauvres ce n’est pas la fraude, c’est le non recours aux droits. Comment se satisfaire d’avoir créé des droits nouveaux si ceux pour qui ils ont été conquis n’y accèdent pas ?
b/ L’emploi, ensuite, est à l’évidence l’enjeu majeur, puisque plus d’un tiers des chômeurs vit sous le seuil de pauvreté. Au sein de la moitié des ménages pauvres, il y a au moins une personne en activité. Emporter la bataille de l’emploi, c’est combattre directement la pauvreté, même si nous savons que le travail ne remplit plus toujours la fonction protectrice qui était autrefois la sienne. Je sais que Michel Sapin partage cette conviction et que tout est mis en œuvre pour l’emploi en particulier en direction des jeunes. Disons-le simplement : si l’emploi ne règle pas tout, le chômage dérègle tout. Travailler ne suffit pas à protéger de la pauvreté, mais ne pas travailler y expose.
c/ Dans le champ des politiques familiales, la lutte contre l’exclusion doit occuper une place plus grande. Je me réjouis d’ailleurs que près de 3 millions de familles et 5 millions d’enfants aient bénéficié dès la rentrée des classes 2012 de l’augmentation de 25 % de l’allocation de rentrée scolaire. Aujourd’hui, près d’un enfant sur cinq est pauvre et plus de 40 % des enfants de parents isolés vivent en dessous du seuil de pauvreté. Pour combattre ces inégalités, il nous faut donc agir le plus tôt possible, dès le plus jeune âge. C’est la démarche ambitieuse qui a été engagée avec détermination par Dominique Bertinotti.
d/ La question de la santé et de l’égal accès aux soins pour tous est centrale, quand on sait qu’elle pèse pour 20 % dans les situations de pauvreté. Sans doute les inégalités de santé sont-elles les plus injustes. A la sortie de l’école primaire, le taux d’obésité est dix fois plus élevé pour les enfants d’ouvriers que pour les enfants de cadre. A 35 ans, un cadre a six années de plus d’espérance de vie qu’un ouvrier. Le renoncement aux soins s’est banalisé.
Nous devons réaffirmer un principe simple : l’accès de tous aux droits de tous.
C’est pour cela que le gouvernement a fait voter la suppression du droit de timbre de 30€ pour l’entrée dans le dispositif de l’aide médicale d’Etat instauré par la précédente majorité. L’accord sur la limitation des dépassements d’honoraires garantit l’accès des bénéficiaires de la CMU, mais aussi des personnes éligibles à l’ACS, à des soins pratiqués au tarif remboursé par la sécurité sociale. La reconnaissance de la spécificité des missions de service public en direction des plus démunis accomplies par l’hôpital public participe d’une politique d’accès aux droits. Enfin, le faible recours, ou là encore le non-recours, à une complémentaire santé sont des signes préoccupants.
e/ Le logement, enfin, est sans doute ce qui cristallise à la fois les désespoirs et les attentes. Le mal logement s’est généralisé, les bidonvilles font leur réapparition dans le paysage français : 700 000 personnes n’ont pas de domicile personnel. Comment construire un projet de vie durable sans seulement avoir un toit ?
Ces constats terribles illustrent, par la diversité des champs qu’ils concernent, la nécessité de mener une action gouvernementale coordonnée.
3. La lutte contre la pauvreté et l’exclusion nécessite un changement radical de méthode. Et d’abord de regard et de discours. Il nous faut collectivement porter cette priorité. Il faut en finir avec le discours stigmatisant qui a été la règle ces dernières années. Le principe de solidarité a régulièrement été ébranlé par l’exploitation de la rhétorique sur l’« assistanat » dans le débat public. Une vision discriminante a associé les chômeurs à des personnes qui auraient fait le choix de ne pas travailler. Régulièrement, les bénéficiaires de prestations sociales ont été présentés au mieux comme des profiteurs, au pire comme des fraudeurs en puissance. L’indéniable succès de ce discours fait écho à une souffrance. La peur du déclassement l’explique largement, l’inquiétude, aussi, de voir notre modèle social réservé à quelques uns. C’est pourquoi je suis convaincue que nous ne devons pas dresser les Français les uns contre les autres, opposer les politiques sociales les unes aux autres, mais bien défendre le droit commun pour tous.
Nous ne devons pas céder aux humeurs du moment. Il nous faut au contraire reconquérir le terrain des valeurs en réaffirmant les grands principes de notre action : l’appartenance à une identité collective plutôt que le repli sur soi ; le respect de la dignité de la personne humaine quelle que soit sa condition ; l’accès de tous aux droits de tous parce que c’est le fondement de notre contrat social.
A la responsabilité de chacun dans son parcours de vie doit répondre la mobilisation des pouvoirs publics dans les politiques qu’ils mettent en œuvre.
Notre mobilisation sera totale. C’est dans chaque territoire que nos actions doivent s’enraciner en faisant mieux travailler ensemble les représentants de l’Etat, les collectivités, les associations, les partenaires sociaux, les élus et les personnes en situation de pauvreté. C’est en mettant en commun vos expériences et en nous appuyant sur votre expertise que nous avancerons. L’Etat n’a pas vocation à se substituer aux acteurs de terrain. Il est là pour favoriser leur coordination.
Cette conférence vise enfin à engager la modernisation de la gouvernance des politiques sociales. Recourir à une prestation sociale tient parfois d’un véritable parcours du combattant. Vos recommandations seront précieuses pour gagner en cohérence et en lisibilité.
Pendant ces deux journées, les nombreuses pistes esquissées au sein des groupes de travail seront débattues et approfondies. Dans les semaines qui viennent, le plan de lutte contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale que présentera le Premier ministre à l’issue de nos travaux sera adopté en conseil des ministres.
Le combat contre la pauvreté et pour l’inclusion ne devrait pas connaître de frontières partisanes. Mais la gauche a une responsabilité particulière dans ce domaine. Les mots de Victor Hugo s’adressant à l’Assemblée nationale en juillet 1849 doivent venir chaque jour nous le rappeler : « Détruire la misère ! Oui, cela est possible ! Les législateurs et les gouvernants doivent y songer sans cesse ; car, en pareille matière, tant que le possible n’est pas le fait, le devoir n’est pas rempli ». Je tiens à vous assurer que, dès 2013, l’Etat prendra ses responsabilités.
Je vous remercie.
Source http://www.social-sante.gouv.fr, le 12 décembre 2012