Texte intégral
14 %.
14 % de pauvres dans notre pays en 2010. Ce chiffre à lui seul constitue une gifle pour nous tous et justifie que nous soyons ici, aujourdhui, rassemblés. Car, derrière les chiffres et les statistiques ce sont des réalités concrètes quil nous faut affronter, des histoires de vie quil nous faut regarder. 8,6 millions de personnes vivent avec moins de 964 euros par mois, 1 Français sur 5 déclare avoir renoncé à des soins pour des raisons financières, il y a 3,5 millions de mal-logés en France, 150 000 personnes qui vivent dans la rue ou des structures dhébergement. 800 000 personnes ont recours à laide alimentaire faute de pouvoir simplement se nourrir. Je veux dailleurs rappeler que le gouvernement pèse de tout son poids pour que le programme européen daide aux plus démunis, créé par Jacques Delors en 1986, ne soit pas amputé dune partie de son financement, alors même que les besoins augmentent avec la crise.
Il y a enfin des hommes et des femmes dont lhumanité semble évanouie, et qui en sont, aujourdhui, dans notre pays, à demander le droit de pouvoir, le jour venu, être enterré dignement.
Mais à côté de la grande pauvreté, il y a aussi la pauvreté ordinaire, celle qui fait renoncer aux vacances, aux loisirs, celle des millions de Français qui comptent dès le 20 du mois, réduisent leur chauffage en hiver, limitent leurs déplacements toute lannée. Et il y a ces jeunes, tous ces jeunes, 1 million en tout, désormais en grande précarité parce quils sont sans formation, sans emploi, sans soutien.
Cette réalité là est si forte, si présente, si violente, que chacun se sent menacé. La crise ronge la confiance dans lavenir, elle soulève les inquiétudes et stimule des angoisses : 60 % des Français craignaient lannée dernière de se retrouver à la rue, la moitié dentre eux se perçoit pauvre ou sur le point de le devenir. Cest désormais une frange croissante de nos concitoyens qui vit avec la crainte quotidienne du déclassement.
Cest pour cela que nous sommes aujourdhui rassemblés. Parce que cette réalité ne peut être davantage occultée, parce quil est temps, plus que temps, de dire non. Non à la banalisation de la pauvreté. Non au sentiment de fatalité qui semble avoir gagné nos sociétés. Non au renoncement.
1. Lutter contre la pauvreté de certains, cest combattre pour légalité de tous. Si le Premier ministre Jean-Marc Ayrault a annoncé dans son discours de politique générale la tenue dune conférence contre la pauvreté et pour linclusion sociale, cest pour marquer lengagement de tout le gouvernement dans une politique résolue, partagée, volontariste, qui soit pleinement identifiée. Je veux saluer le remarquable travail de Marie-Arlette Carlotti depuis plusieurs mois. Nombreux sont ceux parmi vous quelle a rencontrés, avec qui elle a échangé et dont les expériences ont nourri notre réflexion.
Ce nest pas un hasard si cette conférence se tient ici, au Palais dIéna, siège du Conseil économique, social et environnemental. Elle sinscrit dans la lignée de la grande conférence sociale et marque avec solennité que la lutte contre la pauvreté exige une mobilisation dampleur, une politique à part entière. Lengagement social du gouvernement doit se fixer comme objectif non seulement de combattre la pauvreté, mais de la faire reculer. Tous les acteurs sociaux sont appelés à y participer.
Et puis, si cette conférence se tient ici cest aussi parce quy résonnent encore de grandes voix qui ont fait de la lutte contre la pauvreté un combat pour lhumanité tout entière. Je pense ici à Geneviève de Gaulle-Anthonioz, ou à Joseph Wrezinski, fondateur dATD Quart Monde. Celui-là même dont les mots sont gravés à jamais sur la dalle du Trocadéro, devenue parvis des droits des lhomme, à quelques pas dici : « Là où des hommes sont condamnés à vivre dans la misère, les droits de lhomme sont violés. Sunir pour les faire respecter est un devoir sacré ».
La promesse républicaine est vaine si elle ne sadresse pas à chacun dentre nous. Sans justice sociale, il ny a pas de cohésion démocratique. Le progrès dune société ne se mesure pas seulement au regard de ses conquêtes techniques, économiques ou même sociales. Il sévalue à sa capacité, ou à sa volonté de faire partager ces conquêtes par tous. Lun des participants à un groupe de travail a résumé en une phrase cette conviction que chacun partage : « on est citoyen, même pauvre ».
En luttant contre la pauvreté, nous luttons pour la dignité de toute notre société. Cest cette exigence qui doit nous mobiliser, avec ténacité et dans la durée.
Cette mobilisation a dabord été la vôtre, et je veux saluer limplication exceptionnelle de toutes celles et ceux qui ont activement participé à lélaboration de cette conférence : vous avez été nombreux à vous engager dans les 7 groupes thématiques qui se sont mis en place il y a plus de deux mois. Les contributions écrites sont arrivées par centaines. Lensemble constitue un immense travail de fond, réalisé avec pragmatisme et responsabilité.
Cette mobilisation est aussi celle du gouvernement dans son entier. Notre volonté cest que cette conférence ne soit pas seulement un aboutissement, mais un point de départ nous permettant dinscrire notre action dans la durée. Les réflexions que nous avons engagées devront rapidement se traduire, dès 2013, par des mesures concrètes. Mais au-delà, il sagira de donner de lampleur à nos engagements en les consolidant dans un plan pluriannuel.
2. Pour lutter contre la pauvreté, il nous faut cerner ses nombreux visages.
La France est aujourdhui confrontée à une contradiction quil nous revient de surmonter.
Dun côté, le principe de solidarité est lun des piliers de notre modèle social. Les Français y sont particulièrement attachés. Le niveau de nos dépenses publiques est élevé et nos politiques de redistribution sont importantes. Nos politiques familiales sont parmi les plus développées en Europe. Lexcellence de notre système de santé est reconnue partout dans le monde. Dans le même temps, le travail qui est mené, chaque jour, au plus près de celles et ceux qui sont dans le besoin, est remarquable : lengagement des travailleurs sociaux, la créativité des associations et les nombreuses initiatives développées par les collectivités territoriales ont une place majeure dans la prise en charge de la solidarité.
Malgré cela, la pauvreté progresse.
a/ Etre pauvre, cest dabord ne pas avoir assez de ressources pour vivre. Linstauration du RMI a constitué une étape majeure, que prolonge aujourdhui le rSa socle. Le rSa activité, qui devait répondre à la situation des travailleurs pauvres, na pas atteint toute sa cible. Il en est de même pour laide à la complémentaire santé. Contrairement à ce que scandent certains, le problème des pauvres ce nest pas la fraude, cest le non recours aux droits. Comment se satisfaire davoir créé des droits nouveaux si ceux pour qui ils ont été conquis ny accèdent pas ?
b/ Lemploi, ensuite, est à lévidence lenjeu majeur, puisque plus dun tiers des chômeurs vit sous le seuil de pauvreté. Au sein de la moitié des ménages pauvres, il y a au moins une personne en activité. Emporter la bataille de lemploi, cest combattre directement la pauvreté, même si nous savons que le travail ne remplit plus toujours la fonction protectrice qui était autrefois la sienne. Je sais que Michel Sapin partage cette conviction et que tout est mis en uvre pour lemploi en particulier en direction des jeunes. Disons-le simplement : si lemploi ne règle pas tout, le chômage dérègle tout. Travailler ne suffit pas à protéger de la pauvreté, mais ne pas travailler y expose.
c/ Dans le champ des politiques familiales, la lutte contre lexclusion doit occuper une place plus grande. Je me réjouis dailleurs que près de 3 millions de familles et 5 millions denfants aient bénéficié dès la rentrée des classes 2012 de laugmentation de 25 % de lallocation de rentrée scolaire. Aujourdhui, près dun enfant sur cinq est pauvre et plus de 40 % des enfants de parents isolés vivent en dessous du seuil de pauvreté. Pour combattre ces inégalités, il nous faut donc agir le plus tôt possible, dès le plus jeune âge. Cest la démarche ambitieuse qui a été engagée avec détermination par Dominique Bertinotti.
d/ La question de la santé et de légal accès aux soins pour tous est centrale, quand on sait quelle pèse pour 20 % dans les situations de pauvreté. Sans doute les inégalités de santé sont-elles les plus injustes. A la sortie de lécole primaire, le taux dobésité est dix fois plus élevé pour les enfants douvriers que pour les enfants de cadre. A 35 ans, un cadre a six années de plus despérance de vie quun ouvrier. Le renoncement aux soins sest banalisé.
Nous devons réaffirmer un principe simple : laccès de tous aux droits de tous.
Cest pour cela que le gouvernement a fait voter la suppression du droit de timbre de 30 pour lentrée dans le dispositif de laide médicale dEtat instauré par la précédente majorité. Laccord sur la limitation des dépassements dhonoraires garantit laccès des bénéficiaires de la CMU, mais aussi des personnes éligibles à lACS, à des soins pratiqués au tarif remboursé par la sécurité sociale. La reconnaissance de la spécificité des missions de service public en direction des plus démunis accomplies par lhôpital public participe dune politique daccès aux droits. Enfin, le faible recours, ou là encore le non-recours, à une complémentaire santé sont des signes préoccupants.
e/ Le logement, enfin, est sans doute ce qui cristallise à la fois les désespoirs et les attentes. Le mal logement sest généralisé, les bidonvilles font leur réapparition dans le paysage français : 700 000 personnes nont pas de domicile personnel. Comment construire un projet de vie durable sans seulement avoir un toit ?
Ces constats terribles illustrent, par la diversité des champs quils concernent, la nécessité de mener une action gouvernementale coordonnée.
3. La lutte contre la pauvreté et lexclusion nécessite un changement radical de méthode. Et dabord de regard et de discours. Il nous faut collectivement porter cette priorité. Il faut en finir avec le discours stigmatisant qui a été la règle ces dernières années. Le principe de solidarité a régulièrement été ébranlé par lexploitation de la rhétorique sur l« assistanat » dans le débat public. Une vision discriminante a associé les chômeurs à des personnes qui auraient fait le choix de ne pas travailler. Régulièrement, les bénéficiaires de prestations sociales ont été présentés au mieux comme des profiteurs, au pire comme des fraudeurs en puissance. Lindéniable succès de ce discours fait écho à une souffrance. La peur du déclassement lexplique largement, linquiétude, aussi, de voir notre modèle social réservé à quelques uns. Cest pourquoi je suis convaincue que nous ne devons pas dresser les Français les uns contre les autres, opposer les politiques sociales les unes aux autres, mais bien défendre le droit commun pour tous.
Nous ne devons pas céder aux humeurs du moment. Il nous faut au contraire reconquérir le terrain des valeurs en réaffirmant les grands principes de notre action : lappartenance à une identité collective plutôt que le repli sur soi ; le respect de la dignité de la personne humaine quelle que soit sa condition ; laccès de tous aux droits de tous parce que cest le fondement de notre contrat social.
A la responsabilité de chacun dans son parcours de vie doit répondre la mobilisation des pouvoirs publics dans les politiques quils mettent en uvre.
Notre mobilisation sera totale. Cest dans chaque territoire que nos actions doivent senraciner en faisant mieux travailler ensemble les représentants de lEtat, les collectivités, les associations, les partenaires sociaux, les élus et les personnes en situation de pauvreté. Cest en mettant en commun vos expériences et en nous appuyant sur votre expertise que nous avancerons. LEtat na pas vocation à se substituer aux acteurs de terrain. Il est là pour favoriser leur coordination.
Cette conférence vise enfin à engager la modernisation de la gouvernance des politiques sociales. Recourir à une prestation sociale tient parfois dun véritable parcours du combattant. Vos recommandations seront précieuses pour gagner en cohérence et en lisibilité.
Pendant ces deux journées, les nombreuses pistes esquissées au sein des groupes de travail seront débattues et approfondies. Dans les semaines qui viennent, le plan de lutte contre la pauvreté et pour linclusion sociale que présentera le Premier ministre à lissue de nos travaux sera adopté en conseil des ministres.
Le combat contre la pauvreté et pour linclusion ne devrait pas connaître de frontières partisanes. Mais la gauche a une responsabilité particulière dans ce domaine. Les mots de Victor Hugo sadressant à lAssemblée nationale en juillet 1849 doivent venir chaque jour nous le rappeler : « Détruire la misère ! Oui, cela est possible ! Les législateurs et les gouvernants doivent y songer sans cesse ; car, en pareille matière, tant que le possible nest pas le fait, le devoir nest pas rempli ». Je tiens à vous assurer que, dès 2013, lEtat prendra ses responsabilités.
Je vous remercie.
Source http://www.social-sante.gouv.fr, le 12 décembre 2012