Déclaration de M. Bernard Cazeneuve, ministre des affaires européennes, sur les relations franco-allemandes et la construction européenne, à l'Assemblée nationale et au Sénat le 18 décembre 2012.

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Circonstance : Audition avec son homologue allemand, M. Michael Link, devant les commissions des affaires étrangères de l'Assemblée nationale et du Sénat, le 18 décembre 2012

Texte intégral

Je vous remercie pour cette invitation conjointe qui nous permet d'évoquer la relation franco-allemande et la position de nos deux pays sur les sujets abordés dans les Conseils européens.
Le 50e anniversaire du traité de l'Élysée, sur lequel Michael Link est largement revenu dans son intervention, ne se résume pas, pour nous, à un exercice mémoriel. S'il nous offre l'occasion de rendre hommage au courage et à la vision des deux grands leaders européens que furent le chancelier Adenauer et le général de Gaulle, il nous permet surtout de dire ce que nous ferons ensemble demain, afin que l'amitié franco-allemande reste aussi forte dans les cinquante prochaines années qu'elle l'a été durant celles qui viennent de s'écouler. La grande manifestation du 22 janvier à Berlin doit indiquer les perspectives de notre relation en matière de politique industrielle et énergétique, de coopération transfrontalière, d'emploi et de formation professionnelle et universitaire. Il faut notamment réfléchir à l'articulation entre les actions de l'OFAJ et celles du Secrétariat général franco-allemand pour les échanges en formation professionnelle, mais également aux initiatives de politique culturelle à développer dans les prochaines années. Michael Link et moi travaillons ensemble sur toutes ces questions, dans nos fonctions de Secrétaires généraux pour la coopération franco-allemande.
Mais la relation entre nos deux pays ne se résume pas aux perspectives du cinquantenaire du traité de l'Élysée ; elle s'élabore aussi dans les compromis qui se nouent à la faveur des Conseils de l'Union européenne et des Conseils européens. Tant Michael Link que moi-même lisons parfois dans la presse française et allemande, voire entendons dans les enceintes parlementaires, que notre relation serait devenue moins forte que par le passé, depuis que nous exprimons clairement nos divergences. Mais ceux qui pensent que cette franchise affaiblit notre amitié se trompent ; au contraire, la capacité à assumer nos positions respectives rend les compromis obtenus d'autant plus solides. En prenant le parti, lors de la préparation des réunions du Conseil européen, de ne taire aucun désaccord, Michael Link et moi avons fait le choix des compromis forts et durables ; c'est ce qui nous a permis, durant les six derniers mois, de progresser sur des sujets essentiels pour l'Europe.
Nous voulons ensemble assurer le redressement de l'Europe et sortir de la crise. Il est d'usage de dire que nos partenaires allemands privilégieraient, pour ce faire, la voie de la discipline et les Français celle de la croissance et de la solidarité. Une telle approche est trop sommaire : à en juger par ce que j'ai vu depuis six mois, l'Allemagne aussi est soucieuse de croissance et de solidarité, de même que la France est désireuse de rétablir ses comptes et sa compétitivité. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle des compromis ont été possibles et qu'un accord a été trouvé au mois de juin sur un plan de 120 milliards. Le conseil affaires générales discute de sa mise en oeuvre.
La croissance doit être soutenue par un bon budget de l'Union européenne. Nous n'avons pas encore abouti sur ce point, mais les choses progressent et, contrairement à ce que j'ai pu lire, l'Allemagne et la France n'ont pas agi séparément. L'une et l'autre, chacune à sa place, se sont efforcées d'ouvrir la voie à un compromis ultérieur. Nous voulons la croissance. De ce fait, les budgets de la rubrique 1a, consacrés à la compétitivité pour la croissance et l'emploi, à l'innovation et aux transferts de technologie, augmentent de plus de 50 %, et le programme Connecting Europe de 400 %.
Parce que, comme nous, l'Allemagne est attachée à certains aspects de la politique de cohésion et de la Politique agricole commune, nous devons continuer à cheminer jusqu'à parvenir à un équilibre favorable au compromis sans faire l'impasse sur les coupes budgétaires souhaitées par quelques membres. Là aussi, il faudra trouver un équilibre ensemble, comme nous l'avons toujours fait.
S'agissant de l'approfondissement du marché intérieur, nous avons réussi à trouver des accords sur la plupart des questions mises à l'ordre du jour du conseil compétitivité et du conseil affaires générales, en particulier sur les offres anormalement basses faites dans le cadre des marchés publics, et sur le juste échange. Bref, nous progressons.
À propos du deuxième sujet, l'union bancaire, que n'avons-nous entendu ! Ici même, on nous affirmait qu'aucun accord ne serait possible puisque nous nous divergions sur le périmètre de la supervision. Pourtant, nous avons trouvé un terrain d'entente. Il sera possible d'évoquer la situation de toutes les banques devant la Banque centrale européenne et les rôles seront répartis entre le superviseur intégré européen et les banques centrales des États. Ainsi, les préoccupations des uns et des autres ont été prises en compte. La supervision bancaire a été actée dans ses principes et son calendrier.
Il reste à réaliser le mécanisme de garantie des dépôts et de résolution des crises bancaires, mais, au Conseil européen, nous avons fixé le calendrier et la méthode, apportant la preuve que la France et l'Allemagne étaient capables de compromis, dans l'intérêt de l'Europe.
Un dernier mot de la solidarité, pour répondre aux présidentes des deux commissions. Certes, il y a des appréciations différentes concernant la contractualisation, le budget de la zone euro, la mutualisation de la dette ; nous ne le nions pas. Pourtant, Herman Van Rompuy s'est vu confier par la feuille de route trois questions à traiter en priorité : le périmètre de la contractualisation, la question sociale et la solidarité.
La contractualisation doit permettre d'allier croissance et compétitivité, de sorte que les réformes structurelles ne soient pas le seul instrument de convergence des politiques économiques. Il reste à nous mettre d'accord sur les moyens à utiliser pour atteindre la convergence.
La question sociale doit être replacée au coeur de nos préoccupations communes. Nous assumons cette prise de position. Il a donc été décidé de donner un contenu à l'agenda social dans un souci constant de pragmatisme et de compromis.
En matière de solidarité, plusieurs suggestions ont été avancées - le budget comme moyen d'amortir les chocs conjoncturels, la mutualisation de la dette - sans qu'un compromis ait été atteint. De toute façon, le contenu de cette politique ne peut être précisé par le Conseil sans un compromis préalable. Nous continuerons donc à débattre.
En somme, nous avons trouvé des accords sur la croissance, la supervision et l'union bancaires pour créer les conditions de recapitalisation des banques. S'agissant de la solidarité, les débats doivent se poursuivre mais il n'y a aucune raison que nous n'aboutissions pas à des solutions équilibrées.
Quels que soient les sujets, nous sommes capables de nous parler franchement, de définir ensuite la méthode qui nous permettra d'aboutir, et de créer les conditions du compromis politique. Ceux qui répètent en boucle que la relation franco-allemande n'est plus ce qu'elle était finiront par se rendre compte qu'elle n'a cessé de progresser et de s'approfondir car, sinon, il aurait été plus difficile encore à l'Europe de résoudre ses problèmes.
(...)
Nous avons décidé de mettre en oeuvre la taxe sur les transactions financières sur la base d'une lettre conjointe franco-allemande adressée à chacun de nos partenaires européens. Nous avons abouti à une coopération renforcée entre douze États, peut-être treize, bien que nous ne soyons pas d'accord sur l'usage à donner à cette taxe. Nous souhaitons qu'elle aille au budget europ??en qui a besoin de ressources propres, mais je conviens volontiers avec Michael qu'il serait paradoxal que le produit de la taxe abonde le budget des Vingt-sept. Aussi préconisons-nous que les pays où elle est perçue l'affectent au budget européen, en déduction de leur contribution nationale, de façon à amorcer une dynamique qui pourrait gagner en ampleur. Quant à consacrer la TTF à l'aide au développement, le président de la République a déclaré clairement que nous l'envisagions. L'aide au développement n'est pas qu'une question de volume, mais c'est aussi une question de volume. Tout est affaire d'équilibre. En tout cas, nous sommes d'accord sur le principe, sinon sur l'utilisation de la taxe, mais tout cela évoluera lorsque le dispositif aura été élargi.
La politique européenne de défense et de sécurité est pour nous une priorité absolue. Michael Link et moi avons rencontré notre homologue polonais Piotr Serafin dans le cadre du Triangle de Weimar. Les ministres des affaires étrangères et de la défense se sont réunis le 15 novembre au titre de «Weimar +», avec leurs homologues italiens et espagnols. Par ailleurs, une mission a été confiée à Mme Ashton en liaison avec l'Agence européenne de défense pour faire des propositions sur l'Europe de la défense d'ici à septembre 2013. Ce qui compte pour nous, c'est l'approche globale dont parlait Michael : capacité civile de prévention des crises mais aussi capacité d'intervention militaire là où des crises pourraient éclater et compromettre notre sécurité commune. À cet égard, la décision prise par le conseil des ministres des affaires étrangères le 10 décembre d'engager une action commune de formation des militaires maliens, dans la perspective et en complément d'une intervention qui serait décidée par le conseil de sécurité, est emblématique de ce que nous pouvons faire ensemble.
Sur la croissance en 2013 et 2014, et une zone euro renforcée, le président de la République française a exprimé clairement notre volonté de favoriser les solutions de sortie de crise et d'accélérer le redressement par une meilleure coordination des politiques économiques au sein de la zone euro. Il faut un dispositif permanent de pilotage de la zone euro et nous devons progresser dans cette direction.
Quant au budget de la zone euro, le sujet n'est pas mûr, pour plusieurs raisons.
Nous souhaitons améliorer la gouvernance de la zone euro, renforcer son dispositif de pilotage, mais créer un budget de la zone euro maintenant ne serait pas opportun. Les négociations à vingt-sept sont déjà compliquées ; elles le seraient encore bien davantage. Nous n'avons pas vocation à rendre les compromis impossibles. Il nous faut nous mettre d'accord sur la méthode et le calendrier.
Monsieur Émorine, votre question n'aurait plus de raison d'être si la réforme avait été réalisée avant. Doit-elle être faite maintenant, en pleine récession ? Nous maîtrisons la dépense publique - en économisant 10 milliards cette année puis 10 milliards l'année prochaine -, mais nous ne voulons pas aggraver la conjoncture.
Nous étions favorables à ce que le superviseur européen puisse superviser toutes les banques. Encore fallait-il que cette supervision soit effective. L'Allemagne souhaitait que les petites banques restent sous le regard du superviseur national et ne pas alourdir le dispositif de contrôle. L'articulation imaginée permet de concilier les deux, mais aucune banque ne pourra échapper à la supervision. Il n'est pas interdit d'être pragmatique pour être efficace.
L'union politique sera à l'ordre du jour en 2014. Nous en débattrons avant, dans la perspective des élections européennes, mais le sujet est si vaste que je vous donne rendez-vous pour en discuter plus amplement avec vos commissions respectives.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 16 janvier 2013