Entretien de M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense, avec RTL le 16 janvier 2013, sur l'intervention militaire française au Mali.

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Texte intégral

Q - Peut-on dire au sixième jour de la guerre, que l'armée française mène au Mali, que leurs adversaires, les islamistes radicaux sont affaiblis, peut-être, désorganisés ?
R - Lorsque le président de la République a décidé vendredi dernier de provoquer l'intervention française avant qu'il ne soit trop tard, il y avait une opération, une offensive forte de groupes terroristes vraiment déterminés à descendre sur Mopti au Sud du Mali et éventuellement après, sur Bamako. Il fallait bloquer immédiatement cette offensive surprise. Alors aujourd'hui...
Q - Ce projet a été contrarié, mais c'est...
R - Très contrarié sur l'Est où c'était des groupes liés à Ansar Dine, Mujao, ce sont des noms que les auditeurs commencent à connaître maintenant, cette offensive-là je crois, est en train de bien marcher, c'est un peu plus difficile à l'Ouest où nous avons les groupes les plus durs, les plus fanatiques, les mieux organisés et les plus déterminés et les mieux armés. Et là c'est en cours mais c'est difficile, on était bien conscient depuis le départ que c'était une opération très difficile parce qu'on à affaire a plusieurs centaines, plus d'un millier, 1.200 - 1.300 terroristes bien organisés...
Q - Pas plus ? Quelquefois on lit d'autres chiffres...
R - Dans la zone là oui notre évaluation est celle-là, dans la zone avec peut-être des renforts demain, voilà la difficulté. C'est la raison pour laquelle les forces aériennes françaises frappent les bases arrières, en particulier Gao où là l'opération a parfaitement réussi. Donc on est en situation tout à fait positive par rapport à la semaine dernière mais le combat continue, et ça sera long. Il ne faut pas s'imaginer ; le but c'est de faire en sorte que le Mali retrouve sa souveraineté, son intégrité sur l'ensemble de son territoire.
Q - C'est-à-dire le but c'est que tous ces combattants, ces islamistes radicaux...
R - Soient extirpés, se diluent...
Q - Ne soient plus sur ce territoire.
R - Absolument.
Q - Aujourd'hui c'est une nouvelle phase de l'action militaire puisque des troupes françaises maintenant combattront au sol.
R - Oui, aujourd'hui les forces terrestres sont en train de se déployer, jusqu'à présent nous avions fait en sorte qu'il y ait quelques forces terrestres à Bamako pour sécuriser d'abord nos populations, nos ressortissants, les ressortissants européens et sécuriser aussi la ville de Bamako, là maintenant, les forces terrestres françaises sont en train de remonter vers le Nord.
Q - Qui arme et finance ces groupes d'islamistes radicaux ? On nous dit le trafic...
R - C'est un peu tout, c'est un mélange de trafics, leurs trafics de drogues bien évidemment, les chemins de la drogue passent par le Sahel, c'est trafics d'armes, les trafics d'armes passent par le Sahel, y compris les armes de Libye. C'est le marché noir des armes d'une certaine manière avec aussi l'argent des otages, argent récupéré dans le passé par toute une série de transactions qui avaient été faites et puis c'est aussi les armes de Libye, c'est aussi les armes laissées par les Maliens.
Q - Des États ? Des États ? Quelquefois par l'Arabie Saoudite, du Qatar ou de groupes à l'intérieur de ces pays qui pourraient financer ces combattants...
R - Je ne me prononce pas, je n'ai... peut-être des groupes, peut-être des groupes.
Q - Vous le savez, vous ne pouvez pas le dire.
R - Non ! Non !
Q - La diplomatie vous empêche de le dire.
R - Non, non, je n'ai pas de preuve.
Q - On dit aussi que ces islamistes se ravitaillent beaucoup en carburant, puisqu'on voit, les images sont toujours saisissantes, ces pick-up dans le désert se ravitaillent en carburant en Algérie.
R - Si c'était le cas ça ne l'est plus.
Q - Pourquoi ?
R - L'Algérie a fermé ses frontières avant-hier soir, le président François Hollande s'est entretenu avec le président Bouteflika hier, il a eu le soutien du président Bouteflika.
Q - Pas public ? Aucune autorité algérienne publique ne s'est exprimée encore.
R - Je pense que les Algériens ont posé les actes nécessaires dans les heures qui viennent d'autant plus qu'ils nous ont laissé la liberté de circulation aérienne, ce qui était un acte politique majeur.
Q - Vous êtes certain du soutien de l'Algérie ?
R - Je suis certain que l'Algérie a considéré que sa problématique qui était d'aboutir à un accord entre les Touaregs, ce qui pouvait se concevoir, ce qui était d'ailleurs sans doute souhaitable, cela a échoué parce que, Ansar Dine a renié ses engagements et a préféré s'allié avec Aqmi et Mujao se sont les principaux ennemis de l'Algérie, eux qui ont été au départ à l'origine de cette guerre terrible que l'Algérie a vécue c'est Mujao qui aujourd'hui encore, il faut se le rappeler, a des otages algériens, parce qu'il n'y a pas que des otages français. Il y a aussi des otages algériens tenus aujourd'hui par le groupe terroriste Mujao que nous combattons.
Q - Et donc vous êtes certain du soutien de l'Algérie qui n'a pas encore exprimé publiquement ce soutien, qui le fera peut-être.
R - Je suis convaincu que l'Algérie sait maintenant les enjeux qui sont devant elle et c'est la raison pour laquelle l'Algérie a fermé sa frontière, ce qui n'est pas rien.
Q - Aucun autre pays européen ne souhaite envoyer de soldats au Mali, est-ce un problème pour vous Jean-Yves Le Drian ?
R - Pour l'instant nous avons agi dans l'urgence et personne n'a dit non à rien puisque s'il a fallu...
Q - Les Britanniques ont dit qu'ils n'enverraient pas de troupes.
R - S'il a fallu agir vendredi c'est parce que nous étions face à une offensive extrêmement rapide des groupes terroristes et donc à la demande du gouvernement malien et du président malien, le président Hollande a décidé d'agir très très rapidement, ceci étant, les Européens que nous avons au téléphone régulièrement nous ont soutenu par des équipements dont nous avions besoin, en particulier des équipements de transport, les Britanniques, les Danois, les Belges, tout cela se met en oeuvre et puis il y a une échéance rapide, c'est celle de la réunion de demain des ministres des affaires étrangères européens qui vont, initié par Laurent Fabius à la demande du président de la République et qui va je pense, permettre d'accélérer la mise en place de la mission européenne qui avait été décidée au Conseil européen de décembre...
Q - Des instructeurs qui viendront former l'armée malienne ?
R - Des instructeurs qui viennent former...
Q - Mais pas des combattants, les Français combattront seuls ?
R - Pas de combattants à l'heure actuelle parce que la volonté de la France est de faire en sorte que ce soit les forces africaines, Mali compris, qui permettent au Mali de retrouver sa souveraineté et nous avons cette volonté de soutien et des forces maliennes et des forces africaines pour que ce soit les Africains qui reconquièrent le Mali.
Q - La question est triviale mais elle est inévitable, combien coûte une journée de guerre au Mali ?
R - Je ne peux pas l'évaluer encore.
Q - Vous le ferez ?
R - Bien sûr...
Q - Vous le communiquerez ?
R - Tout ça est public, évidemment.
Q - Huit Français sont encore détenus en otage, avez-vous la certitude ce matin Jean-Yves Le Drian que les huit sont encore en vie ?
R - Il n'y a aucun élément qui nous permette de penser le contraire, heureusement, la réalité c'est que, quand il y a un otage il y a un risque pour sa vie, c'est ça la signification d'otage. Donc il y avait risque hier, il y a risque aujourd'hui, il y a risque demain...
Q - Risque accru sans doute aujourd'hui ?
R - Je ne suis pas sûr, je pense que si nous avions laissé l'opération des groupes terroristes, parce que ce ne sont pas les mêmes qui détiennent les huit otages, se déployer jusqu'à Mopti et Bamako alors, ils avaient tout le pouvoir et donc les otages là-dedans pouvaient disparaitre. La réalité c'est que la France a manifesté son refus de constitution d'un État terroriste au centre Mali et donc du coup son refus de céder à tout chantage et là, je pense qu'il était utile, nécessaire que nous le fassions pour éviter qu'il y ait en plus de nos huit otages, un État otage.
Q - Autour du sort de Denis Allex, le premier otage que vous avez essayé de libérer en Somalie, pas d'incertitude pour vous, il est bien mort ?
R - Tout nous laisse à penser qu'il a été assassiné.
Q - Jean-Yves Le Drian, ministre de la Défense faisait le point ce matin sur l'intervention de l'armée française au Mali, bonne journée.
R - Merci.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 17 janvier 2013