Texte intégral
Jai passé deux jours à Tripoli puis je suis venue passer deux jours à Tunis. Nous avons une petite communauté française en Libye et une communauté beaucoup plus importante en Tunisie.
Je suis venue à Tunis lundi pour assister aux commémorations de la Révolution. Cétait pour moi important, en tant que membre de lexécutif français dêtre présente. Jétais dailleurs la seule ministre occidentale. Le monde arabe était largement représenté, lEurope un peu moins mais je pense quil était important pour la France dêtre là. Et puis, en tant que citoyenne du monde, cétait un moment important à vivre, que dêtre ici, pour fêter le deuxième anniversaire de cette révolution qui a changé la face de la Tunisie.
Hier, jai rencontré les représentants de la communauté française et aujourdhui jai eu cinq entretiens politiques, suivis de deux événements importants : linauguration dun bâtiment scientifique au lycée français Pierre-Mendès-France et linauguration de la Maison des associations qui rassemble un certain nombre dassociations françaises et tunisiennes afin de leur permettre duvrer ensemble au sein de la société civile. Cest symbolique et important parce que cela montre lengagement et la présence de la France à tous les niveaux ; au niveau ministériel, puisque je suis là et puis au niveau de la société, avec des gens qui soccupent de personnes handicapées, denfants dans les quartiers, de formation .
Pour les entretiens politiques, jai rencontré ce matin le président Marzouki. Nous avons parlé de ce qui intéresse nos deux pays, dans un esprit douverture qui permet de se dire les choses comme des amis de longue date peuvent échanger ensemble.
Nous avons parlé des échanges, bien sûr, entre la Tunisie et la France mais également de lintervention de la France au Mali. Ce que jai retenu de lensemble de mes interlocuteurs, cest que tous comprennent lurgence de lintervention de la France. Le scénario qui fait que, sans cette intervention, le terrorisme serait peut-être allé jusquà Bamako est un scénario impensable pour nous mais également pour la Tunisie.
Ensuite, jai rencontré M. Houcine Jaziri, secrétaire dÉtat auprès du ministre des Affaires sociales chargé de lImmigration et nous avons parlé dun sujet qui nous intéresse tous les deux puisque je moccupe des Français de létranger et lui soccupe des Tunisiens en France. Nous avons beaucoup parlé de cette communauté tunisienne installée en France qui est très importante, avec des projets déchanges, de partenariats, peut-être de création dun centre culturel tunisien à Paris ( ). Ce serait une fenêtre ouverte sur la Tunisie à la fois pour les Tunisiens qui se retrouvent à Paris et pour les Français.
Ensuite, jai rencontré M. Touhami Abdouli, secrétaire dÉtat chargé des Affaires européennes. Nous avons parlé de lintérêt des échanges au niveau européen et de nos relations bilatérales de manière générale.
Avec M. Ben Jaafar, le président de lAssemblée nationale constituante, nous avons parlé de calendrier et de ce temps politique qui est un peu plus long que le temps économique ou le temps social. Dans le temps politique, il doit y avoir des discussions, la recherche dun équilibre entre les différentes forces. Ceci demande forcément du temps, pour lécriture de la constitution, ce texte qui doit être ensuite analysé et repris article par article et pour lobtention dun consensus sur des élections qui vont avoir lieu une fois que la Constitution sera adoptée.
Bien sûr, il y a cette impatience que jai rencontrée hier au sein de la communauté française et dans le monde économique ( ). Deux ans, cest déjà trop long pour certains qui expriment une vive impatience et souhaitent des décisions politiques pour pouvoir avancer, pour pouvoir simpliquer davantage et que les échanges économique progressent parce que les choses navancent pas autant que nous le souhaiterions.
Et puis, il y a le temps social et cette impatience de la part des jeunes en particulier qui voudraient que la Révolution leur apporte finalement ce quils attendaient. Bien sûr, la liberté dexpression est là et il y a certaines avancées mais les jeunes veulent du travail et cest lié, naturellement, à léconomie.
Avec le Premier ministre, M. Jebali, nous avons évoqué la relation bilatérale, la nécessité dune intensification des échanges, et bien sûr la visite du président de la République puisque ce matin, jétais porteuse dun message sur la venue de François Hollande qui est prévue et qui sera décidée avec le président Marzouki quand le moment sera opportun pour les deux présidents. Le président Hollande viendra en Tunisie comme il lavait déclaré en décembre dernier.
Nous avons parlé de cette nécessité déchanger, au niveau de lÉtat et au niveau ministériel. Et puis, la Tunisie est en attente de laide française et du soutien de la France. Je crois que le terme "soutien" est beaucoup plus important.
Question : Vous parliez du Mali. Ce matin, le ministre des Affaires étrangères Rafik Abdessalem, en marge dune rencontre avec les Européens a dit en substance que la Tunisie était opposée à une intervention militaire française parce quil juge que les affaires africaines doivent être réglées par les Africains. Cela tranche un peu avec ce que vous venez de dire. Il y a deux sons de cloche dans lexécutif tunisien ?
Réponse : Moi je vous donne le son de cloche que jai entendu chez lensemble de mes interlocuteurs, à savoir une compréhension de lintervention de la France. Après, ce qua dit le ministre des Affaires étrangères va dans le sens de ce que disent les Français aussi. Cest à dire que lintervention de la France a été précipitée par lavancée des terroristes vers Bamako.
La France, depuis des mois, a dit quelle soutiendrait la préparation des troupes maliennes. Les Européens étaient aussi engagés dans ce processus de formation pour sécuriser le sud. Malheureusement, les terroristes ont pris de court lensemble des acteurs et la France est intervenue pour les stopper parce quil était impensable que lÉtat malien succombe aux terroristes et devienne de fait un État terroriste qui représenterait une menace beaucoup plus forte pour lensemble de la région et pour le monde, en Afrique du Nord mais également en Europe.
La France est inscrite dans cette démarche là, pour les stopper, et le président Hollande a précisé que la France poursuivra ce quelle a toujours dit quelle ferait, à savoir la formation des troupes africaines pour que ce soient les Africains qui soient présents et règlent ce problème interne.
Il nest pas question que la France reste au Mali. Cela na jamais été envisagé et ce scénario-là ne peut pas être. Dailleurs, aujourdhui, des troupes du Burkina Faso, du Nigéria et du Tchad sont annoncées au Mali. Ce sont les troupes qui vont soutenir larmée malienne.
La France soutiendra aussi lorganisation délections pour que lÉtat malien se reconstitue.
Question : Les intérêts français sont clairement menacés. Est-ce que vous craignez des attaques en Tunisie ?
Réponse : Il faut rester vigilants partout. Vous savez, nous avons aussi en France Vigipirate qui est aujourdhui rouge renforcé. Les salafistes sont présents en Tunisie comme ils sont présents en France. On le sait. Il faut donc être vigilants partout. Cest une menace réelle, quil ne faut pas minimiser mais il ne faut pas tomber non plus dans une sorte de psychose collective. Il faut rester vigilant. ( )
Question : Avez-vous rencontré des investisseurs et des entrepreneurs français ici ? Sont-ils inquiets ?
Réponse : Oui, toute la journée dhier, jai rencontré les associations, les élus, les entrepreneurs. Vous savez, les Français ici sont intégrés. Ce sont des gens qui ont vécu la révolution, qui ne sont pas partis et qui continuent à croire en ce pays. Jai noté une forme de passion, même, pour certains et une volonté dêtre présents pour participer à la construction de la Tunisie de demain.
Bien sûr, certains ont évoqué cette inquiétude, qui est légitime. Il faut la regarder en face mais il ne faut pas succomber à la panique parce que ce serait donner trop dimportance aux terroristes.
Question : Vous parliez tout à lheure de soutien pour la Tunisie. Comment ce soutien se traduira-t-il sur le terrain ?
Par ailleurs, du temps de Ben Ali, il y avait beaucoup de critiques par rapport aux droits de lhomme en Tunisie. Maintenant, on nen voit plus. La position de la France nest pas très chaleureuse vis-à-vis de la Tunisie en ce moment mais on nentend pas de critiques par rapport aux droits de lhomme. Quest-ce qui a changé ?
Réponse : On peut parler de sentiments ou dimpressions et puis après il y a la réalité des chiffres et de lengagement de la France. Ces engagements se situent à tous les niveaux, quils soient financiers, quils soient dans les échanges. En Tunisie, il y a 1300 entreprises françaises qui emploient 120.000 personnes. Le budget du service de coopération de lambassade de France en Tunisie est environ de 6.000.000 deuros.
M. François Gouyette : Cest le premier au monde par habitant et le troisième au monde en volume.
Mme Conway-Mouret : la Tunisie continue à être lun des principaux bénéficiaires des financements de lAgence française de développement (AFD) qui fait un effort considérable dans le cadre du partenariat de Deauville, que vous connaissez. On peut aussi mentionner 7.500 élèves tunisiens scolarisés dans le réseau scolaire français, et 1000 bourses détudes, de longue et de courte durée, accordées aux étudiants tunisiens.
Cest vrai que lon peut toujours faire mieux mais il y a des chiffres qui montrent que lengagement de la France est réel, il est total, il est exceptionnel par la dotation que reçoit lambassade. Après, il y a peut-être des sentiments ou des rumeurs que lon peut faire circuler mais il y a la réalité de cet engagement.
Je suis venue pour être présente. Je lai dit tout à lheure, jétais la seule ministre occidentale présente hier, au déjeuner organisé par le président Marzouki. Ce nest pas anodin et je lai fait parce quil fallait montrer que la France était présente et quelle était toujours là. Cest peut-être symbolique, me direz-vous, mais les symboles comptent aussi. Le président Hollande viendra. Il la dit au mois de décembre.
Aujourdhui, jai inauguré cette maison des associations, avec des associations françaises qui travaillent main dans la main avec des associations tunisiennes. Ce sont des petites choses mais qui se passent à tous les niveaux. Je suis persuadée, et mes interlocuteurs aussi, que le travail de la société civile permet de progresser.
Aujourdhui, il faut conserver les acquis que vous avez obtenus. Vous parliez de liberté dexpression, par exemple, cest quelque chose dimportant quil faut conserver. Vous en bénéficiez et vous faites un merveilleux métier ; il est important que vous puissiez le faire correctement. Le soutien de la France est là parce que la France continue dêtre vigilante pour tout ce qui relève des droits de lhomme et sexprime à chaque fois, je crois sans complaisance. Peut-être quil est plus facile de le faire auprès de ses amis.
La société tunisienne est en pleine transition aujourdhui. Il se passe beaucoup de choses et il faut attendre que les Tunisiens prennent leur avenir en main. Ensuite, quand tout sera en place, sil y a en effet des égarements, la France les dénoncera comme elle la toujours fait.
Question : Est-ce que les entrepreneurs français ont fait état de difficultés ou de réticences pour mener à bien leurs investissements ou leurs activités ?
Réponse : De réticences, non, mais dattentes. Certains mont dit avoir des stratégies très déterminées et très précises. Ils pensent que le développement de la Tunisie nattend quune résolution politique, avec la mise en place de la Constitution, dun gouvernement et quensuite tout en découlera. Ils sont confiants quant à lavenir de la Tunisie parce quils pensent quelle possède tous les atouts. Là, ils sont en attente et cest vrai quils sont impatients. Ils aimeraient que cela aille un petit peu plus vite mais ils sont prêts. Ils sont sur les starting-blocks et ils attendent le coup denvoi pour se lancer.
Question : Ils attendent des perspectives politiques plus claires ou des garanties économiques ?
Réponse : Oui, des perspectives plus claires. Ils attendent aussi davoir des interlocuteurs plus définitifs et surtout des décisions politiques qui leur permettent davoir la confiance dont on a besoin en affaires pour pouvoir se lancer. Mais ils sont là et ils nont pas lintention de partir.
Le représentant du groupe Accor, par exemple, voit la Tunisie en pointe dici les dix prochaines années dans le domaine du tourisme en Afrique du Nord. Il nous a présenté le plan dinvestissements quAccor va réaliser en Tunisie dans les années qui viennent parce quelle sera incontournable.
Question : Pourrait-on avoir des précisions sur la date de la visite de M. François Hollande ? Le mois de mars avait été évoqué.
Réponse : Ce qui était écrit dans la lettre était très clair. Le président Hollande confirmait sa venue en Tunisie en disant : nous discuterons ensemble du moment le plus opportun. Peut-être que ce sera en effet en mars mais je ne peux pas vous dire. De toutes les façons, les autorités sont déjà en contact avec lambassadeur à Paris.
M. François Gouyette : Le président a dit quil viendrait dans les meilleurs délais. Les meilleurs délais, ce nest pas en 2014.
Question : Cela veut dire avant les élections ?
M. François Gouyette : Mais cela na rien à voir avec les élections.
Question : Non, mais suivant la date, les interlocuteurs ne seront pas les mêmes.
Réponse : Cest pour cela quil a parlé dopportunité. Je crois que cest au président Marzouki, aussi, de décider quand le moment est opportun. Le président Hollande na pas un agenda de déplacements calé sur lévolution politique des pays. Lagenda dun président est assez bousculé mais il viendra quand les deux présidents en décideront.
Question : Jai une dernière question sur le Mali. Vos interlocuteurs vous ont dit comprendre lintervention française. Est-ce quils ont parlé dune possible coopération à un quelconque niveau et est-ce que vous avez évoqué la situation sécuritaire ici, en Tunisie, notamment les combats près de Kasserine ?
Réponse : Non, ce dont nous avons parlé, avec plusieurs dentre eux, cest de laccord sur la sécurisation des frontières qui a été signé entre la Libye, la Tunisie et lAlgérie à Ghadamès, il y a trois jours. Cétait très important pour les Libyens et cest très important aussi pour les Tunisiens car cela montre quau niveau régional, il peut y avoir une coopération sur la sécurisation des frontières. Nous navons pas parlé de sécurité intérieure mais plutôt de ces trafics qui, malheureusement, passent par le Sahara, qui remontent de lAfrique et qui, souvent, aboutissent en Libye. Cest une forte préoccupation des Libyens de pouvoir sécuriser, ce qui nest malheureusement pas le cas aujourdhui, des frontières immenses face aux trafics darmes ou de drogue. Je crois que cest une grande avancée pour la région davoir cette coopération entre ces trois pays.
Question : Est-ce que du coup, vous allez coopérer avec eux ?
Réponse : Ce que jai dit aux Libyens en particulier mais que jai dit aussi à nos amis tunisiens, cest que les Européens et la France possèdent une certaine expertise en la matière. Dès lors que cet accord de travail au niveau régional de la part de ces trois pays va mettre en place une certaine stratégie, les Européens et la France peuvent être à leurs côtés pour leur offrir lexpertise. Les Libyens ont déjà commencé un processus de formation assez intense, pour la sécurité intérieure mais également pour les frontières. Si les Tunisiens suivent le même modèle, la France sera présente, puisque nous parlions de soutien tout à lheure, de façon très concrète, avec des formateurs et des personnels qui ont une expertise dans ce domaine.
Question : Lintervention française au Mali suscite un certain nombre de réactions de la part de groupes qui sont décidés à envoyer des djihadistes au Mali. Cest-à-dire que ce qui se passe au Mali a des incidences directes sur la sécurité intérieure tunisienne. Est-ce que les Tunisiens vous ont fait part de leur préoccupation et de leur volonté aussi, peut-être, de contribuer à sécuriser la situation au Mali ?
Réponse : La sécurité au Mali, non. Mais on sait aujourdhui quun certain nombre de Tunisiens combattent en Syrie. Dautres sont partis au Mali. Ces gens là, forcément, présentent une menace mais pas simplement pour la Tunisie parce que le Tunisien qui sest battu en Syrie ira peut-être un jour en France, ou en Europe. On parle de terroristes et le terme nest pas anodin. On ne parle pas de rebelles. Ces personnes là sont des terroristes.
Question : Mais est-ce que les Tunisiens vous ont fait part de leur volonté de contribuer éventuellement à endiguer ce phénomène sur leur territoire ?
Réponse : Bien sûr, cest pour cela quils nous parlent de coopération régionale pour la sécurisation des frontières mais ils ont aussi léquivalent de notre plan Vigipirate.
Question : Est-ce que vous avez des assurances de la part du gouvernement tunisien pour être beaucoup plus vigilant par rapport à ces terroristes Lexistence de camps dentraînement a t elle été évoquée au cours de vos entretiens ?
Réponse : Nous navons pas parlé de camps dentraînement, pas du tout. Cela ne veut pas dire quils nexistent pas mais on ne men a pas parlé. Je vous rends compte honnêtement de la substance des échanges que nous avons eus, qui étaient très francs, mais ce sujet-là na pas été abordé.
Source http://www.ambassadefrance-tn.org, le 18 janvier 2013
Je suis venue à Tunis lundi pour assister aux commémorations de la Révolution. Cétait pour moi important, en tant que membre de lexécutif français dêtre présente. Jétais dailleurs la seule ministre occidentale. Le monde arabe était largement représenté, lEurope un peu moins mais je pense quil était important pour la France dêtre là. Et puis, en tant que citoyenne du monde, cétait un moment important à vivre, que dêtre ici, pour fêter le deuxième anniversaire de cette révolution qui a changé la face de la Tunisie.
Hier, jai rencontré les représentants de la communauté française et aujourdhui jai eu cinq entretiens politiques, suivis de deux événements importants : linauguration dun bâtiment scientifique au lycée français Pierre-Mendès-France et linauguration de la Maison des associations qui rassemble un certain nombre dassociations françaises et tunisiennes afin de leur permettre duvrer ensemble au sein de la société civile. Cest symbolique et important parce que cela montre lengagement et la présence de la France à tous les niveaux ; au niveau ministériel, puisque je suis là et puis au niveau de la société, avec des gens qui soccupent de personnes handicapées, denfants dans les quartiers, de formation .
Pour les entretiens politiques, jai rencontré ce matin le président Marzouki. Nous avons parlé de ce qui intéresse nos deux pays, dans un esprit douverture qui permet de se dire les choses comme des amis de longue date peuvent échanger ensemble.
Nous avons parlé des échanges, bien sûr, entre la Tunisie et la France mais également de lintervention de la France au Mali. Ce que jai retenu de lensemble de mes interlocuteurs, cest que tous comprennent lurgence de lintervention de la France. Le scénario qui fait que, sans cette intervention, le terrorisme serait peut-être allé jusquà Bamako est un scénario impensable pour nous mais également pour la Tunisie.
Ensuite, jai rencontré M. Houcine Jaziri, secrétaire dÉtat auprès du ministre des Affaires sociales chargé de lImmigration et nous avons parlé dun sujet qui nous intéresse tous les deux puisque je moccupe des Français de létranger et lui soccupe des Tunisiens en France. Nous avons beaucoup parlé de cette communauté tunisienne installée en France qui est très importante, avec des projets déchanges, de partenariats, peut-être de création dun centre culturel tunisien à Paris ( ). Ce serait une fenêtre ouverte sur la Tunisie à la fois pour les Tunisiens qui se retrouvent à Paris et pour les Français.
Ensuite, jai rencontré M. Touhami Abdouli, secrétaire dÉtat chargé des Affaires européennes. Nous avons parlé de lintérêt des échanges au niveau européen et de nos relations bilatérales de manière générale.
Avec M. Ben Jaafar, le président de lAssemblée nationale constituante, nous avons parlé de calendrier et de ce temps politique qui est un peu plus long que le temps économique ou le temps social. Dans le temps politique, il doit y avoir des discussions, la recherche dun équilibre entre les différentes forces. Ceci demande forcément du temps, pour lécriture de la constitution, ce texte qui doit être ensuite analysé et repris article par article et pour lobtention dun consensus sur des élections qui vont avoir lieu une fois que la Constitution sera adoptée.
Bien sûr, il y a cette impatience que jai rencontrée hier au sein de la communauté française et dans le monde économique ( ). Deux ans, cest déjà trop long pour certains qui expriment une vive impatience et souhaitent des décisions politiques pour pouvoir avancer, pour pouvoir simpliquer davantage et que les échanges économique progressent parce que les choses navancent pas autant que nous le souhaiterions.
Et puis, il y a le temps social et cette impatience de la part des jeunes en particulier qui voudraient que la Révolution leur apporte finalement ce quils attendaient. Bien sûr, la liberté dexpression est là et il y a certaines avancées mais les jeunes veulent du travail et cest lié, naturellement, à léconomie.
Avec le Premier ministre, M. Jebali, nous avons évoqué la relation bilatérale, la nécessité dune intensification des échanges, et bien sûr la visite du président de la République puisque ce matin, jétais porteuse dun message sur la venue de François Hollande qui est prévue et qui sera décidée avec le président Marzouki quand le moment sera opportun pour les deux présidents. Le président Hollande viendra en Tunisie comme il lavait déclaré en décembre dernier.
Nous avons parlé de cette nécessité déchanger, au niveau de lÉtat et au niveau ministériel. Et puis, la Tunisie est en attente de laide française et du soutien de la France. Je crois que le terme "soutien" est beaucoup plus important.
Question : Vous parliez du Mali. Ce matin, le ministre des Affaires étrangères Rafik Abdessalem, en marge dune rencontre avec les Européens a dit en substance que la Tunisie était opposée à une intervention militaire française parce quil juge que les affaires africaines doivent être réglées par les Africains. Cela tranche un peu avec ce que vous venez de dire. Il y a deux sons de cloche dans lexécutif tunisien ?
Réponse : Moi je vous donne le son de cloche que jai entendu chez lensemble de mes interlocuteurs, à savoir une compréhension de lintervention de la France. Après, ce qua dit le ministre des Affaires étrangères va dans le sens de ce que disent les Français aussi. Cest à dire que lintervention de la France a été précipitée par lavancée des terroristes vers Bamako.
La France, depuis des mois, a dit quelle soutiendrait la préparation des troupes maliennes. Les Européens étaient aussi engagés dans ce processus de formation pour sécuriser le sud. Malheureusement, les terroristes ont pris de court lensemble des acteurs et la France est intervenue pour les stopper parce quil était impensable que lÉtat malien succombe aux terroristes et devienne de fait un État terroriste qui représenterait une menace beaucoup plus forte pour lensemble de la région et pour le monde, en Afrique du Nord mais également en Europe.
La France est inscrite dans cette démarche là, pour les stopper, et le président Hollande a précisé que la France poursuivra ce quelle a toujours dit quelle ferait, à savoir la formation des troupes africaines pour que ce soient les Africains qui soient présents et règlent ce problème interne.
Il nest pas question que la France reste au Mali. Cela na jamais été envisagé et ce scénario-là ne peut pas être. Dailleurs, aujourdhui, des troupes du Burkina Faso, du Nigéria et du Tchad sont annoncées au Mali. Ce sont les troupes qui vont soutenir larmée malienne.
La France soutiendra aussi lorganisation délections pour que lÉtat malien se reconstitue.
Question : Les intérêts français sont clairement menacés. Est-ce que vous craignez des attaques en Tunisie ?
Réponse : Il faut rester vigilants partout. Vous savez, nous avons aussi en France Vigipirate qui est aujourdhui rouge renforcé. Les salafistes sont présents en Tunisie comme ils sont présents en France. On le sait. Il faut donc être vigilants partout. Cest une menace réelle, quil ne faut pas minimiser mais il ne faut pas tomber non plus dans une sorte de psychose collective. Il faut rester vigilant. ( )
Question : Avez-vous rencontré des investisseurs et des entrepreneurs français ici ? Sont-ils inquiets ?
Réponse : Oui, toute la journée dhier, jai rencontré les associations, les élus, les entrepreneurs. Vous savez, les Français ici sont intégrés. Ce sont des gens qui ont vécu la révolution, qui ne sont pas partis et qui continuent à croire en ce pays. Jai noté une forme de passion, même, pour certains et une volonté dêtre présents pour participer à la construction de la Tunisie de demain.
Bien sûr, certains ont évoqué cette inquiétude, qui est légitime. Il faut la regarder en face mais il ne faut pas succomber à la panique parce que ce serait donner trop dimportance aux terroristes.
Question : Vous parliez tout à lheure de soutien pour la Tunisie. Comment ce soutien se traduira-t-il sur le terrain ?
Par ailleurs, du temps de Ben Ali, il y avait beaucoup de critiques par rapport aux droits de lhomme en Tunisie. Maintenant, on nen voit plus. La position de la France nest pas très chaleureuse vis-à-vis de la Tunisie en ce moment mais on nentend pas de critiques par rapport aux droits de lhomme. Quest-ce qui a changé ?
Réponse : On peut parler de sentiments ou dimpressions et puis après il y a la réalité des chiffres et de lengagement de la France. Ces engagements se situent à tous les niveaux, quils soient financiers, quils soient dans les échanges. En Tunisie, il y a 1300 entreprises françaises qui emploient 120.000 personnes. Le budget du service de coopération de lambassade de France en Tunisie est environ de 6.000.000 deuros.
M. François Gouyette : Cest le premier au monde par habitant et le troisième au monde en volume.
Mme Conway-Mouret : la Tunisie continue à être lun des principaux bénéficiaires des financements de lAgence française de développement (AFD) qui fait un effort considérable dans le cadre du partenariat de Deauville, que vous connaissez. On peut aussi mentionner 7.500 élèves tunisiens scolarisés dans le réseau scolaire français, et 1000 bourses détudes, de longue et de courte durée, accordées aux étudiants tunisiens.
Cest vrai que lon peut toujours faire mieux mais il y a des chiffres qui montrent que lengagement de la France est réel, il est total, il est exceptionnel par la dotation que reçoit lambassade. Après, il y a peut-être des sentiments ou des rumeurs que lon peut faire circuler mais il y a la réalité de cet engagement.
Je suis venue pour être présente. Je lai dit tout à lheure, jétais la seule ministre occidentale présente hier, au déjeuner organisé par le président Marzouki. Ce nest pas anodin et je lai fait parce quil fallait montrer que la France était présente et quelle était toujours là. Cest peut-être symbolique, me direz-vous, mais les symboles comptent aussi. Le président Hollande viendra. Il la dit au mois de décembre.
Aujourdhui, jai inauguré cette maison des associations, avec des associations françaises qui travaillent main dans la main avec des associations tunisiennes. Ce sont des petites choses mais qui se passent à tous les niveaux. Je suis persuadée, et mes interlocuteurs aussi, que le travail de la société civile permet de progresser.
Aujourdhui, il faut conserver les acquis que vous avez obtenus. Vous parliez de liberté dexpression, par exemple, cest quelque chose dimportant quil faut conserver. Vous en bénéficiez et vous faites un merveilleux métier ; il est important que vous puissiez le faire correctement. Le soutien de la France est là parce que la France continue dêtre vigilante pour tout ce qui relève des droits de lhomme et sexprime à chaque fois, je crois sans complaisance. Peut-être quil est plus facile de le faire auprès de ses amis.
La société tunisienne est en pleine transition aujourdhui. Il se passe beaucoup de choses et il faut attendre que les Tunisiens prennent leur avenir en main. Ensuite, quand tout sera en place, sil y a en effet des égarements, la France les dénoncera comme elle la toujours fait.
Question : Est-ce que les entrepreneurs français ont fait état de difficultés ou de réticences pour mener à bien leurs investissements ou leurs activités ?
Réponse : De réticences, non, mais dattentes. Certains mont dit avoir des stratégies très déterminées et très précises. Ils pensent que le développement de la Tunisie nattend quune résolution politique, avec la mise en place de la Constitution, dun gouvernement et quensuite tout en découlera. Ils sont confiants quant à lavenir de la Tunisie parce quils pensent quelle possède tous les atouts. Là, ils sont en attente et cest vrai quils sont impatients. Ils aimeraient que cela aille un petit peu plus vite mais ils sont prêts. Ils sont sur les starting-blocks et ils attendent le coup denvoi pour se lancer.
Question : Ils attendent des perspectives politiques plus claires ou des garanties économiques ?
Réponse : Oui, des perspectives plus claires. Ils attendent aussi davoir des interlocuteurs plus définitifs et surtout des décisions politiques qui leur permettent davoir la confiance dont on a besoin en affaires pour pouvoir se lancer. Mais ils sont là et ils nont pas lintention de partir.
Le représentant du groupe Accor, par exemple, voit la Tunisie en pointe dici les dix prochaines années dans le domaine du tourisme en Afrique du Nord. Il nous a présenté le plan dinvestissements quAccor va réaliser en Tunisie dans les années qui viennent parce quelle sera incontournable.
Question : Pourrait-on avoir des précisions sur la date de la visite de M. François Hollande ? Le mois de mars avait été évoqué.
Réponse : Ce qui était écrit dans la lettre était très clair. Le président Hollande confirmait sa venue en Tunisie en disant : nous discuterons ensemble du moment le plus opportun. Peut-être que ce sera en effet en mars mais je ne peux pas vous dire. De toutes les façons, les autorités sont déjà en contact avec lambassadeur à Paris.
M. François Gouyette : Le président a dit quil viendrait dans les meilleurs délais. Les meilleurs délais, ce nest pas en 2014.
Question : Cela veut dire avant les élections ?
M. François Gouyette : Mais cela na rien à voir avec les élections.
Question : Non, mais suivant la date, les interlocuteurs ne seront pas les mêmes.
Réponse : Cest pour cela quil a parlé dopportunité. Je crois que cest au président Marzouki, aussi, de décider quand le moment est opportun. Le président Hollande na pas un agenda de déplacements calé sur lévolution politique des pays. Lagenda dun président est assez bousculé mais il viendra quand les deux présidents en décideront.
Question : Jai une dernière question sur le Mali. Vos interlocuteurs vous ont dit comprendre lintervention française. Est-ce quils ont parlé dune possible coopération à un quelconque niveau et est-ce que vous avez évoqué la situation sécuritaire ici, en Tunisie, notamment les combats près de Kasserine ?
Réponse : Non, ce dont nous avons parlé, avec plusieurs dentre eux, cest de laccord sur la sécurisation des frontières qui a été signé entre la Libye, la Tunisie et lAlgérie à Ghadamès, il y a trois jours. Cétait très important pour les Libyens et cest très important aussi pour les Tunisiens car cela montre quau niveau régional, il peut y avoir une coopération sur la sécurisation des frontières. Nous navons pas parlé de sécurité intérieure mais plutôt de ces trafics qui, malheureusement, passent par le Sahara, qui remontent de lAfrique et qui, souvent, aboutissent en Libye. Cest une forte préoccupation des Libyens de pouvoir sécuriser, ce qui nest malheureusement pas le cas aujourdhui, des frontières immenses face aux trafics darmes ou de drogue. Je crois que cest une grande avancée pour la région davoir cette coopération entre ces trois pays.
Question : Est-ce que du coup, vous allez coopérer avec eux ?
Réponse : Ce que jai dit aux Libyens en particulier mais que jai dit aussi à nos amis tunisiens, cest que les Européens et la France possèdent une certaine expertise en la matière. Dès lors que cet accord de travail au niveau régional de la part de ces trois pays va mettre en place une certaine stratégie, les Européens et la France peuvent être à leurs côtés pour leur offrir lexpertise. Les Libyens ont déjà commencé un processus de formation assez intense, pour la sécurité intérieure mais également pour les frontières. Si les Tunisiens suivent le même modèle, la France sera présente, puisque nous parlions de soutien tout à lheure, de façon très concrète, avec des formateurs et des personnels qui ont une expertise dans ce domaine.
Question : Lintervention française au Mali suscite un certain nombre de réactions de la part de groupes qui sont décidés à envoyer des djihadistes au Mali. Cest-à-dire que ce qui se passe au Mali a des incidences directes sur la sécurité intérieure tunisienne. Est-ce que les Tunisiens vous ont fait part de leur préoccupation et de leur volonté aussi, peut-être, de contribuer à sécuriser la situation au Mali ?
Réponse : La sécurité au Mali, non. Mais on sait aujourdhui quun certain nombre de Tunisiens combattent en Syrie. Dautres sont partis au Mali. Ces gens là, forcément, présentent une menace mais pas simplement pour la Tunisie parce que le Tunisien qui sest battu en Syrie ira peut-être un jour en France, ou en Europe. On parle de terroristes et le terme nest pas anodin. On ne parle pas de rebelles. Ces personnes là sont des terroristes.
Question : Mais est-ce que les Tunisiens vous ont fait part de leur volonté de contribuer éventuellement à endiguer ce phénomène sur leur territoire ?
Réponse : Bien sûr, cest pour cela quils nous parlent de coopération régionale pour la sécurisation des frontières mais ils ont aussi léquivalent de notre plan Vigipirate.
Question : Est-ce que vous avez des assurances de la part du gouvernement tunisien pour être beaucoup plus vigilant par rapport à ces terroristes Lexistence de camps dentraînement a t elle été évoquée au cours de vos entretiens ?
Réponse : Nous navons pas parlé de camps dentraînement, pas du tout. Cela ne veut pas dire quils nexistent pas mais on ne men a pas parlé. Je vous rends compte honnêtement de la substance des échanges que nous avons eus, qui étaient très francs, mais ce sujet-là na pas été abordé.
Source http://www.ambassadefrance-tn.org, le 18 janvier 2013