Déclaration de M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre, sur la nécessité d’une collectivité métropolitaine à Marseille, l'exception culturelle française et le financement de la culture, à Marseille le 12 janvier 2013.

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Circonstance : Lancement de Marseille-Provence 2013, capitale européenne de la culture, au nouveau musée des civilisations de l’Europe (Mucem), à Marseille le 12 janvier 2013

Texte intégral

Monsieur le Président de la Commission Européenne, cher José Manuel Barroso,
Mesdames les Ministres,
Monsieur le Sénateur Maire de Marseille,
Monsieur le Président du Conseil Régional,
Mesdames et Messieurs les élus,
Monsieur le Préfet,
Mesdames et Messieurs les Présidents, responsables d’associations,
Mesdames et Messieurs,
Le Président de la République devait être présent ici aujourd’hui pour présenter ses vœux au monde de la culture, à l’occasion de l’ouverture de Marseille-Provence 2013, capitale européenne de la culture.
Vous comprenez les raisons pour lesquelles il m’a demandé de le représenter.
Ce moment de vœux est bien évidemment teinté d’une façon particulière, car nous avons tous à l’esprit que nos soldats sont engagés dans l’action de soutien au Mali décidée par le Président de la République. Et nous avons une pensée particulière pour le lieutenant Damien Boiteux, et pour sa famille.
Nous voici donc aujourd’hui rassemblés au Mucem, musée des civilisations d’Europe et de la Méditerranée, magnifiquement réalisé par Rudy Riciotti associé à Roland Carla, qui rassemble dans un geste architectural commun, l’historique fort Saint Jean et ce « bâtiment d’eau, de pierre et de vent » où nous sommes aujourd’hui. Ce Musée, qui regroupera les collections des arts et traditions populaires, longtemps connues des parisiens, et des collections du Musée de l’Homme ambitionne d’être notre grand musée national sur la Méditerranée. Il ouvrira ses portes au printemps prochain.
Quelle autre ville que Marseille, Monsieur le Sénateur Maire, pouvait accueillir ce Musée de civilisation de référence, qui rendra compte de la diversité, du pluralisme et de la richesse des sociétés méditerranéennes ?
Marseille, ville à l’histoire exceptionnelle. Marseille, ville la plus ancienne de France ! Marseille, ville si intimement liée à l’histoire de la France ! Marseille, façonnée par des apports successifs de populations qui ont construit sa personnalité et son identité. Marseille, grande métropole française, européenne et méditerranéenne.
Marseille connaît le poids des inégalités, subit trop de violences et souffre de cette image injuste, mais aujourd’hui c’est Marseille qui lutte, qui change et qui gagne !
Marseille et son agglomération possèdent un formidable potentiel de développement dans tous les domaines. Ce potentiel ne peut s’exprimer pleinement que si les initiatives sont coordonnées, si les ressources sont rassemblées, si les acteurs sont réunis autour de projets qui fédèrent toutes les énergies. C’est pourquoi le gouvernement porte une grande ambition pour la métropole marseillaise, une ambition qui transcende les appréhensions et qui surmonte les clivages – il y en a, et c’est normal. Qui peut croire qu’ici, comme ailleurs, on peut s’offrir le luxe de la division, alors qu’un projet métropolitain respectueux de la spécificité et de la parole de chacun est à portée de main, pour donner au grand Marseille tout son rayonnement et lui permettre de donner vie aux projets dont il regorge ?
Vous vous efforcez, Monsieur le Sénateur-Maire, et avant vous d’autres s’y sont également essayés - je pense bien entendu ici à Gaston Defferre - de donner à Marseille cette unité qui naît de sa diversité. Je n’oublie pas que notre hymne national, symbole de notre patrie, est La Marseillaise : ce n’est pas un hasard ; rassembler les Français au-delà de ce qui semble les diviser, votre ville en est à la fois l’illustration et le défi.
Pour réussir ce pari, vous avez choisi, soutenu et accompagné en cela par de nombreuses autres communes, par le département, par la Région de proposer Marseille comme capitale culturelle européenne 2013 et vous avez gagné. Merci, Monsieur le Président de la Commission européenne d’être là aujourd‘hui. Capitale européenne de la culture, cette idée, vous vous en souvenez, nous la devons à cette immense figure qu’était Melina Mercouri et à Jack, qui réussirent à la faire adopter en 1985 par le conseil des ministres de l’Union européenne. Bien naturellement ce fut alors Athènes qui fut la première capitale.
Lorsqu’il est réussi, ce pari, qui exige la mobilisation de tous, peut être décisif pour une ville : près de nous, je pense à Lille bien sûr, que son statut de capitale européenne de la culture a profondément transformé depuis 2004 en contribuant à en faire une métropole tournée vers l’avenir et qui poursuit depuis lors un projet de manifestations culturelles ambitieuses. J’y vois un symbole : celui de la capacité de notre continent à faire de la culture un élément déterminant de son identité. Celui aussi de notre capacité à parier sur l’intelligence collective, la force du rassemblement pour donner à l’Europe le souffle dont elle a besoin.
L’importance de la culture en Europe : je sais, Monsieur le Président Barroso, que vous y êtes attaché comme moi. Les acteurs du monde culturel qui sont là aujourd’hui sont parfois inquiets lorsqu’ils ont affaire à des interlocuteurs qui leur parlent concurrence, libre marché, aides d’Etat. Loin de moi l’idée de freiner le développement d’une Europe sans frontières, tout au contraire. Mais vous comme moi savons depuis les combats du GATT que la culture n’est pas une marchandise comme une autre, que la concurrence notamment avec nos amis d’outre Atlantique ne se fait pas à armes égales et que l’Europe doit d’abord protéger ses cultures nationales dans leur diversité, leur richesse, leur inventivité. Si nous nous battons, ce n’est pas pour le plaisir de bâtir des frontières imaginaires ou illusoires. Le programme de Marseille 2013 en atteste par son ouverture sur les cultures du monde entier. Nous savons ce qui nous a permis de conserver notre cinéma. C’est pour le gouvernement un sujet essentiel, et je sais avoir en vous, Monsieur le Président, un interlocuteur attentif.
Avec tous ceux qui sont là aujourd’hui, nous ne relâcherons pas l’effort pour convaincre nos amis européens de la justesse de nos thèses.
Les questions sont nombreuses : aides au cinéma, TVA des biens culturels, – je pense notamment au livre numérique -, participation des acteurs qui profitent des contenus à la chaîne de valeur. Je souhaite que nous parvenions sur toutes ces questions à des solutions innovantes et équilibrées.
C’est bien entendu le sens de la mission de médiation confiée à Marc Schwartz s’agissant de la presse et des moteurs de recherche.
C’est aussi au cœur de la mission confiée à Pierre Lescure qui vise à protéger les droits des créateurs en les adaptant à l’ère numérique.
Ainsi, Monsieur le Maire, Mesdames et Messieurs les élus, vous avez fait ce pari : en proposant Marseille comme capitale européenne de la culture, et en bâtissant depuis un ambitieux programme pour l’année à venir – et je veux ici rendre notamment hommage à Bernard Latarjet et Jean François Chougnet qui se sont succédés pour le concevoir avec vous et le mettre en œuvre - vous avez fait ce pari de donner à votre ville un nouveau dynamisme économique, de fédérer les énergies, de lui donner une unité, non pas malgré, mais grâce à ses différences, avec la culture. Le thème de l’échange est au cœur de ces manifestations. Chacun peut en mesurer la pertinence. Je tenais aujourd’hui en étant parmi vous à cette ouverture à vous en remercier et à vous féliciter.
Puisque sont présents ici de nombreux acteurs du monde culturel, c’est à eux aussi que je voudrais m’adresser : car ce pari que vous avez fait, j’ai la conviction que nous pouvons le faire à l’échelle de la nation toute entière. Permettez-moi maintenant d’en dire quelques mots.
Le gouvernement comprend, comme il entend, les inquiétudes qui peuvent naître ici ou là, sur le financement de la culture.
Chacun sait que notre pays doit retrouver l’équilibre doit retrouver l’équilibre de nos comptes publics, car rien ne serait plus dévastateur que de laisser dériver l’endettement. Dès lors, nous n’avons pas d’autre choix que de faire des économies.
Mais je tiens à confirmer l’engagement du Président, de préserver en 2013 la création et le spectacle vivant.
Mesdames et Messieurs, il me paraît fondamental de dire ici l’importance que revêtent à mes yeux les activités que vous représentez et que le ministère de la culture et de la communication suit avec une attention jamais démentie.
Pendant longtemps, il pouvait être mal vu de rappeler que la culture était aussi un élément de croissance économique. La création ne devait pas s’embarrasser de ces considérations. Fort heureusement, je crois que ces temps sont révolus : aux yeux du monde entier, notre système français de soutien au cinéma qui permet de produire plus de 200 films par an est un modèle : à la clé figurent aussi des dizaines de milliers d’emplois, tout un milieu qui vit des tournages et de leurs préparations. Notre industrie du livre, malgré ses difficultés, reste exemplaire par la diversité de sa production et ses développements internationaux. La musique après avoir connu des années d’une extrême difficulté, commence à voir émerger de nouveaux modèles économiques. Le Président de la République a inauguré récemment le Louvre Lens : quel plus bel exemple de pari que de faire revivre une zone dévastée par les révolutions industrielles en installant l’art au cœur des fosses minières ? Chaque Festival – et vous savez que notre pays est celui qui en compte le plus – est l’occasion d’une multiplication impressionnante de populations, de stimulation du tourisme et du commerce. Nos musées, nos monuments attirent des visiteurs du monde entier. Et l’annonce du départ d’Henri Loyrette, auquel je veux rendre hommage aujourd’hui pour l’œuvre exceptionnelle qui a été la sienne, est pour moi l’occasion de saluer le plus grand musée du monde, conçu par François Mitterrand et Jack Lang, pour accueillir 5 millions de visiteurs et en accueillant aujourd’hui 10.
C’est pourquoi investir dans la culture, ce n’est pas simplement dépenser, c’est au sens propre du terme investir, c’est à dire préparer l’avenir. Nous veillerons donc, dans le cadre des exigences budgétaires encore plus rigoureuses qui seront les nôtres dans les années qui viennent, à garder en tête cette dimension économique qui est au cœur de l’activité culturelle en général et des industries culturelles en particulier.
Mesdames et Messieurs, la culture est certes un secteur avec ses emplois qu’il nous faut préserver, son attractivité économique qu’il nous faut renforcer, son dynamisme qui rend vivant un pays comme le nôtre. Elle n’est pas que cela. Et je suis sûr, Monsieur le Maire, qu’en souhaitant que Marseille soit la capitale européenne de la culture vous avez aussi songé que ce choix de l’Europe, qui vous honore et vous oblige, était une occasion unique de fédérer les énergies autour d’un sens : dans une société en crise, c’est bien sûr la vie des idées, la science, la recherche mais c’est aussi la capacité d’interrogation du présent par les créateurs qui sont un moyen d’être en quête – et parfois – de retrouver du sens. De ce point de vue, il nous faut convaincre ensemble, vous tous acteurs réunis aujourd’hui que la culture n’est pas un luxe mais un terreau permettant la constitution d’une communauté nationale. C’est particulièrement vrai en France pour des raisons historiques, notre pays ayant toujours accordé une place particulière à la culture et fait de l’État le garant et l’acteur principal du développement culturel. Mais je souhaite vous le dire aujourd’hui : compte tenu des difficultés de chacun, ne tenez pas cela pour acquis ; prenons-le collectivement pour une exigence qui nous appelle sans cesse à le dire et à le montrer. C’est pourquoi dans chaque établissement culturel, dans chaque monument, dans chaque lieu de culture, la politique des publics doit être mise au cœur de l’action : certes, le public doit être conquis pour découvrir la création. Mais la création ne lui est pas toujours spontanément accessible. Elle suppose médiation, effort d’explication. A chacun d’entre nous, il revient de dire à celui qui pense que les œuvres ne le concernent pas «c’est aussi pour vous ». C’est ici qu’interviennent à mes yeux la télévision et la radio publiques. Aux dirigeants bien évidemment de définir les programmes. Mais à la France, dont les résidents font l’effort régulier de payer une redevance, d’exiger en retour que la création soit au service du plus grand nombre. Je suis profondément convaincu que cette conquête du sens est un instrument essentiel de fabrication du lien social.
C’est pourquoi, Mesdames et Messieurs, je terminerai mon propos en vous parlant d’un projet essentiel pour le gouvernement : c’est celui de l’éducation artistique et culturelle. Je sais que bien des ministres, et au-delà certains de mes prédécesseurs s’y sont attelés. François Mitterrand en avait fait – déjà – une de ses priorités. Les initiatives existent : elles sont nombreuses et bien des enseignants dans leur classe familiarisent les élèves à l’écriture, au théâtre, à l’art, au cinéma. De nombreux artistes interviennent dans les classes et permettent à nos élèves de côtoyer la création.
Mais, Mesdames les ministres, nous le savons, il manque une politique globale, une action collective qui permette – cela doit être notre objectif essentiel – à chaque écolier, chaque collégien, chaque lycéen de rencontrer dans son parcours scolaire deux à trois fois dans sa scolarité de façon systématique, l’art en train de se faire. Il faut une grande ambition. Rien ne se fera sans que soient bousculées certaines habitudes et vaincus certains préjugés. Il faut valoriser les exemples : symboliquement, pour mieux distinguer les initiatives individuelles, le Président de la République remettra personnellement chaque année un prix de l’audace créative à des élèves et à des enseignants qui se seront singularisés en ce domaine. Il nous faut donner à ce travail un caractère exemplaire, choisir dans chaque discipline des ambassadeurs chargés de proposer des bonnes pratiques, désigner des artistes référents pour l’action culturelle en milieu scolaire mais au-delà il faut mettre en œuvre des politiques systématiques. Les formes bien sûr peuvent être variées et rien ne serait plus absurde qu’un modèle unique : sortie des élèves vers la salle de cinéma, la salle de spectacle ; artistes en résidence ; rôle des enseignants en matière artistique. Tout cela doit y contribuer.
Mais je compte sur la ministre de la culture et le ministre de l’éducation pour permettre à chaque enfant dans son parcours scolaire de rencontrer dans sa scolarité l’activité artistique : c’est la démocratisation culturelle. La question de la culture comme moyen d’émancipation vis-à-vis des quartiers, celle de l’accessibilité des lieux culturels à ceux qui pensent qu’ils n’y ont pas droit est un immense projet. Nous savons que cela passe par l’école, par la rencontre du monde des enseignants et celui des artistes. Cela doit figurer au cœur du nouveau modèle français que nous sommes en train de construire.
Mesdames et Messieurs,
L’événement qui nous réunit ici symbolise à lui seul les principes que j’ai tentés d’énoncer.
Un pays qui fait de la culture une valeur comme, Monsieur le Président, un continent qui porte haut son patrimoine, doit croire en sa capacité à mobiliser autour d’un projet culturel les énergies les plus diverses, à dynamiser de façon exceptionnelle une ville, et au-delà une Région mais surtout à fédérer, à unifier en donnant du sens. Dans cette période si difficile pour l’Europe, si dure pour nos concitoyens, la culture n’est pas un luxe, elle est un sens, un vecteur d’unité et de réconciliation. Dans cette ville chargée d’histoire, dans cette Région si riche de son patrimoine, de ses paysages et de son ouverture sur le monde, vous avez fait le pari de l’avenir. Soyez en félicités.
Mesdames et Messieurs, par votre intermédiaire, j’adresse à tous les acteurs du monde culturel, au nom du Président de la République, pour l’année à venir, de sincères vœux de bonheur personnel bien sûr mais au-delà des vœux de succès. Puissions-nous ensemble fédérer nos énergies pour faire de l’année 2013, qui sera difficile, une année où nous trouverons un sens à notre action. J’en forme le vœu ardent.
Très bonne année.
Source http://www.gouvernement.fr, le 14 janvier 2013