Texte intégral
Je vais vous lire le message de M. le Premier ministre. Depuis plusieurs années, la montée du terrorisme au Sahel est une préoccupation. La dégradation de la situation au Mali, en 2012, a confirmé que les pires scénarios étaient possibles. Les groupes terroristes, qui ont conquis une partie du territoire de ce pays et porté un coup inacceptable à sa souveraineté, ont constitué un sanctuaire terroriste à 2 500 kilomètres de nos frontières. La sécurité de toute cette région est en danger et la menace pèse sur l'Europe et la France.
À la tribune de l'Assemblée générale des Nations unies, le président de la République avait dit cet automne que l'occupation du nord du Mali par ces groupes terroristes était inacceptable. La France a mobilisé la communauté internationale. Après deux résolutions, le Conseil de sécurité des Nations unies a voté, le 20 décembre, la création de la Mission internationale de soutien au Mali (Misma). L'Union européenne a décidé une opération de soutien. C'est sans doute pour y faire obstacle que des groupes terroristes au nord du Mali ont regroupé leurs forces pour attaquer simultanément des villes à l'est et à l'ouest, en direction de Bamako.
Le 9 janvier, le président du Mali a demandé notre assistance militaire. La prise de Konna, le 10 janvier, a achevé de nous convaincre que nous étions bien devant une agression caractérisée. Le président de la République a décidé, le 11 janvier, que la France devait intervenir militairement. Face à des adversaires dangereux, la France poursuit des objectifs clairs : arrêter l'avancée terroriste ; préserver l'État malien et l'aider à recouvrer son intégrité territoriale ; favoriser l'application des résolutions internationales avec le déploiement de la force africaine et appui aux forces maliennes dans la reconquête du nord du Mali.
Aujourd'hui, 1.700 militaires français sont regroupés dans l'opération Serval, dont 800 sur le territoire malien. Sont mobilisés douze avions de chasse et cinq ravitailleurs, un état-major tactique, deux compagnies de combat, un escadron blindé. Leurs actions sont concentrées vers une aide aux forces armées maliennes pour arrêter la pression des groupes terroristes, en combinant une action aéroterrestre des forces spéciales, engagées dès les premières heures, des frappes aériennes et un appui par des unités terrestres. Les premiers éléments des compagnies françaises arrivées à Bamako ont commencé leur progression vers la zone des combats. Nous visons les bases arrière des terroristes pour neutraliser leurs capacités offensives.
Il ne saurait être question de figer l'actuelle ligne de front, qui n'est rien d'autre que le résultat d'une division artificielle du Mali et d'un rapport de forces que nous avons précisément la volonté de modifier.
La France agit à la demande des autorités du Mali qui ont lancé un appel à l'aide ; elle s'inscrit dans le cadre de l'article 51 de la charte des Nations unies. Le Secrétaire général des Nations unies a d'ailleurs salué notre réponse à la demande souveraine du Mali. Au Conseil de sécurité, une grande majorité des États membres ont rendu hommage à la rapidité de notre réaction. Son opportunité et sa légalité sont incontestées.
De fait, la France n'est pas seule. Le soulagement des États africains est unanime. L'Algérie nous a accordé l'autorisation de survoler son territoire et elle a fermé sa frontière avec le Mali. Nos partenaires européens sont eux aussi au rendez-vous, en mettant à notre disposition des moyens logistiques de transport ou de ravitaillement en vol. Royaume-Uni, Allemagne, Belgique et Danemark devraient très rapidement être rejoints par d'autres. Nous pouvons aussi compter sur le soutien des États-Unis, du Canada, d'autres encore, dont nous avons reçu des propositions.
Notre intervention vise à éviter l'effondrement du Mali ; nous n'avons pas vocation à rester en première ligne. Il s'agit d'accélérer le déploiement de la force africaine. Un premier détachement de la Misma est arrivé à Bamako. Les premières troupes africaines devraient rejoindre la capitale d'ici la fin de la semaine. Une réunion de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'ouest (CEDEAO) a commencé hier et un sommet se tiendra le 19 janvier à Abidjan ; j'y serai. Il s'agit de proposer le déploiement opérationnel de la Misma.
Mme Ashton a convoqué une réunion extraordinaire des ministres des affaires étrangères de l'Union européenne afin d'examiner le dossier et d'y apporter des réponses adéquates.
Ont été évoquées hier les mesures prises par le gouvernement dans le cadre du plan Vigipirate pour protéger nos concitoyens. La même attention est portée à la situation de nos 6.000 compatriotes au Mali. Ceux dont la présence n'y est pas indispensable ont été invités à quitter provisoirement le pays, sans pour autant que nous ayons procédé à leur évacuation.
Enfin, je souhaite évoquer la situation de nos otages et l'angoisse de leurs familles, dont nous sommes tous pleinement solidaires. Mais ce sont ceux-là mêmes qui détiennent nos otages qui voulaient s'emparer de la totalité du Mali. Ne rien faire n'aurait pas contribué à leur libération.
Le gouvernement sait qu'il peut compter sur toutes les forces politiques. Je veux saluer le courage et la détermination de nos soldats engagés sur le terrain. Hier, le Premier ministre a présidé l'hommage au chef de bataillon Boiteux, tombé au combat.
Pour toute démocratie, l'engagement des forces armées est une décision grave. Mais nous pouvons déjà constater sur le terrain que notre intervention a déjà changé la donne. Nous sommes parvenus à arrêter l'offensive des terroristes. À Bamako, les institutions de transition sont confortées. Une paix durable passera par une solution politique et des élections démocratiques sur l'ensemble du territoire. Le Premier ministre du Mali souhaite aller vite. La donne devra changer entre le nord et le sud du Mali : une négociation devrait avoir lieu dès le retour à la normale. Nous voulons aussi donner une nouvelle dimension économique au Mali. Nous saluons la décision de la Commission européenne de débloquer 100 millions pour le Mali, tandis que la France reprendra son aide bilatérale dès que la feuille de route aura été adoptée. En décidant de répondre à l'appel du Mali, le gouvernement a voulu montrer sa détermination à lutter contre le terrorisme. Cette détermination est totale.
À cette déclaration du Premier ministre, je veux ajouter trois messages courts.
Une telle action n'est pas sans risque mais le plus grand risque aurait été de ne pas agir car il n'y aurait plus de Mali, sinon un État terroriste.
Je me réjouis de la satisfaction, de l'émotion même, des Maliens, ceux du Mali comme ceux d'ici, de la communauté africaine devant l'intervention française. Partout, le rôle de la France.
Enfin, je salue la réaction de toutes les forces politiques françaises, qui se sont montrées à la hauteur des grandes décisions. C'est une contribution de première grandeur.
(Interventions des parlementaires)
M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères -
Merci pour vos interventions mesurées, qui font honneur à la politique et à cette assemblée.
Je remercie le président Carrère pour la force de son intervention. Il a souligné avec raison l'urgence du débat, la disponibilité du gouvernement. La France a longtemps été à l'initiative au Mali. Le président Carrère a rendu hommage à nos soldats, comme tous l'ont fait. Quand la maison brûle, il faut éteindre l'incendie, a-t-il dit. Rien n'est plus vrai. Il a aussi tiré des leçons plus larges de cette intervention, en soulignant qu'on ne peut saluer la rapidité de l'intervention sans en tirer des conséquences pour le budget de la défense...
Je remercie M. Cambon pour l'élévation de sa pensée. Il a souligné le risque que constituait le terrorisme pour le Mali mais aussi pour l'Afrique, l'Europe et le monde, et apporté à l'engagement de la France un soutien sans ambiguïté. Il m'a interrogé sur le drame en Somalie. Je veux mettre en garde contre une épouvantable instrumentalisation d'une des victimes françaises, qu'heureusement la presse n'a pas relayée. Il se dit qu'une autre, peut-être plus horrible encore, se prépare ; j'espère que la presse aura la même attitude.
Beaucoup ont évoqué les risques d'isolement ou d'enlisement et la question du développement. La France agit pour le moment seule avec les Maliens - l'armée malienne est faible. Allons-nous continuer ainsi ? Non. Après l'urgence, nous espérons être rejoints rapidement par d'autres, dont la Misma. Puis d'autres forces viendront pour former les troupes maliennes. Il est vrai que nous sommes aujourd'hui au premier rang, mais une deuxième phase viendra vite.
Sur le plan diplomatique nous ne sommes pas isolés, loin de là : le soutien est unanime.
L'enlisement ? C'est une menace. Nous allons tout faire pour l'éviter, c'est pourquoi les buts de l'opération ont été précisés. Définir un but, comme l'intégrité du Mali, ne signifie pas que les troupes françaises vont rester jusqu'à la fin du processus.
Vous êtes nombreux à avoir parlé de développement. Le sous-développement est une catastrophe absolue, contre laquelle lutte le gouvernement. Oui, développement et sécurité sont liés ; oui, nous devons accroître notre effort, car le sous-développement explique certains comportements - les explique mais ne les justifie pas parce rien ne les justifie.
Mme Demessine a approuvé l'intervention de la France. Il ne fallait pas en effet laisser les groupes terroristes conquérir Bamako. Nos services se renseignent de longtemps sur le financement des groupes armés. Certaines accusations sont portées dont nous n'avons aucune confirmation. Au-delà des soupçons qui peuvent peser sur tel ou tel État, nous savons que les trafics de drogue, d'armes et d'otages génèrent des dizaines de millions d'euros. Les limites entre banditisme, terrorisme et affirmation religieuse sont floues. Il faudra que la communauté internationale soit beaucoup plus active sur toutes ces questions. Le développement du trafic de drogue a pris une telle ampleur qu'il est indispensable d'y mettre un coup d'arrêt si on ne veut pas que s'installent ici ou là des narco-États. Une grande partie du trafic vient d'Amérique du sud et transite par la Guinée-Bissao, puis va vers l'est de l'Afrique, remonte vers l'Europe pour arriver parfois jusqu'aux États-Unis. La lutte contre ces trafics doit être un de nos objectifs majeurs. Quant à la réalité de la Misma, nous y travaillons activement.
M. Zocchetto a rendu hommage à nos soldats, salué l'intervention du président de la République, mais aussi souligné le risque d'enlisement, et critiqué l'absence de concertation. Mais nous avons saisi le Conseil de sécurité dès l'automne et il y a eu concertation avec nos alliés ; et pour l'intervention militaire, seule la France a été sollicitée.
M. Chevènement connaît bien cette région ; il a bien voulu apporter le soutien de son groupe à l'intervention de nos forces. Oui, un coup d'arrêt était nécessaire, il ne s'agit pas d'ingérence mais d'assistance. Il s'est interrogé avec esprit sur l'intervention de l'Europe et rappelé que nous devons être conscients des diversités ethniques de ce pays. Enfin, je soutiens ses réflexions pertinentes sur l'Algérie, elle-même attaquée à cette heure par des groupes terroristes.
De l'intervention de M. Labbé, je retiens son soutien, et l'accent mis sur l'action des collectivités locales, dont beaucoup ont des liens avec leurs homologues maliennes.
Mme Aïchi a eu des interrogations un peu surprenantes. Personne ici ne recommande un choc des civilisations, cette doctrine n'a pas de sens. Il faut éviter tout amalgame et nous l'évitons : il faut combattre les terroristes dans la sous-région, mais sans assimiler les populations du nord-Mali à ces groupes. L'intervention de la France est tout à fait légale, Madame la Sénatrice. Elle s'inscrit dans le cadre de la résolution 2085 et de l'article 51 de la Charte. Le Secrétaire général des Nations unies a félicité la France pour la gestion de cette crise et a donné son «feu vert» -l'expression est sans ambiguïté.
M. Husson a apporté son entier soutien et a souhaité que l'Europe nous aide davantage -nous nous rejoignons sur ce point.
M. Rebsamen a rendu hommage à nos soldats, particulièrement à ceux qui ont perdu la vie au Mali et en Somalie. Il a posé la question avec beaucoup de force : que se serait-il passé sans intervention de la France ? Nous avons choisi d'intervenir, parce que l'absence d'intervention aurait entraîné des risques beaucoup plus grands pour le Mali, pour nos otages, pour le France et l'Europe. Nous n'avons pas d'intérêt au sens étroit du terme à intervenir au Mali. Il n'est pas question d'uranium, mais d'aider un pays ami, de combattre le terrorisme, de venir en aide à une population qui risquait de se retrouver prise en otage.
Le président Larcher a dit avec force sa confiance dans nos soldats et son soutien à l'action du gouvernement, je l'en remercie. Moins de cinq heures après la décision du président de la République nos soldats étaient à l'oeuvre. Le terrorisme est un fléau. Sait-on que Boko Haram, le nom du groupe qui opère au Nigeria, veut dire «non à l'éducation» ? M. Larcher s'est interrogé sur les propos de Mme Ashton et nous a trouvés très aimables avec elle. Cette amabilité peut se doubler d'exigence, monsieur le président ! Bien sûr nous avons des contacts politiques avec le gouvernement malien ; mais chaque chose en son temps...
La situation de nos otages... Nous savons ce qu'est la situation au Sahel, beaucoup de nos compatriotes sont exposés. Au-delà de la solidarité que nous devons aux otages et à leurs familles, il faut bien comprendre qu'il n'est pas possible de céder, car toute faiblesse entraînerait d'autres prises d'otages. C'est vrai au Mali comme ailleurs. Ce n'est pas en cédant au chantage que nous protégerons les otages.
Pour conclure, je remercie le Sénat de son soutien sur le fond mais aussi de la tonalité de ce débat. Le qualificatif de Haute assemblée est bien mérité.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 18 janvier 2013