Déclaration de M. Alain Richard, ministre de la défense, sur la politique de défense et de sécurité commune européenne et sur la coopération européenne en matière d'armement, Londres le 17 mai 2001.

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Circonstance : Dîner annuel de la défense de la chambre de commerce et de l'industrie de Londres, le 17 mai 2001

Texte intégral

Mesdames, Messieurs,
Permettez-moi de vous dire combien je suis ravi et reconnaissant de participer ici à Londres à ce Dîner Annuel de la Défense, organisé par la Chambre de Commerce et de l'Industrie. Votre invitation est pour moi un exemple même des liens sans cesse plus étroits et de l'intérêt croissant à débattre ensemble avec des partenaires, impliqués dans l'avenir de la Défense de nos pays.
Assister à ce dîner et m'adresser à votre chambre était donc une opportunité fructueuse. La seule réserve que j'aurais pu avoir tenait au fait que passer cette soirée en Savoie, dans un environnement point trop austère à mon goût, retiendrait mon ami Geoff Hoon loin de ses électeurs, trois semaines avant une élection générale ; mais j'ai vérifié qu'il devait y assister quoi qu'il en soit. Ainsi donc, lui apporterai-je mon soutien d'une autre façon, en raccourcissant son discours, ce qu'il appréciera, tout comme vous peut-être.
Ces dernières années, le débat européen en matière de Défense a évolué, de nouvelles questions sont apparues ces dernières années, qui doivent être discutées. Je souhaiterais partager quelques idées avec vous sur ce qui est réellement en train de se développer devant nos yeux et quels avantages nous pouvons espérer tirer de ces changements.
Vous vous souvenez que plusieurs fois au cours des cinquante dernières années, les gouvernements européens ont essayé de parvenir à des dispositions communes de Défense pour améliorer leur contribution à la paix et à la stabilité, et que les obstacles et les désaccords ont stoppé ces tentatives jusqu'à ces dernières années.
Mais depuis 1998, une nouvelle idée a été proposée aux Européens, pour les doter des capacités militaires appropriées afin de défendre leurs valeurs et leurs intérêts communs lors de crises régionales. Cette initiative fut partagée par la Grande-Bretagne et la France et a mis en avant quatre points importants : tous les pays de l'Union ont été invités à participer, aucune perte de souveraineté n'a été envisagée, de nouvelles capacités réelles ont dû être fondées, la politique européenne de sécurité et de défense était en accord avec le rôle et les responsabilités de l'OTAN. Sur cet ensemble de principes, les chefs d'état et de gouvernement de l'Union européenne se sont mis d'accord, en juin puis en décembre 1999, pour construire en trois ans une force de réaction rapide de la taille d'un corps d'armée, c'est-à-dire de 50 à 60000 hommes. Ces troupes doivent être militairement autonomes, et pour réussir leurs missions potentielles de façon crédible, elles doivent être dotées des capacités pour le commandement, le contrôle, les renseignements et la logistique.
Ce choix de créer de nouvelles capacités, de le faire de façon consensuelle et d'harmoniser les rôles de l'Union européenne et de l'OTAN peut être commenté de multiples façons. Cela est à la fois légitime pour des démocraties et compréhensible dans un groupe de pays qui ont chacun leur tradition militaire et leur conception de la défense. Pour ma part, je pense que deux facteurs historiques ont eu une influence non négligeable sur cette évolution. Le premier, récent, a marqué les esprits. Il s'agit de la déception ressentie par de nombreux citoyens européens et par la plupart des responsables politiques, quant à la façon dont l'Europe a géré la crise des Balkans de ces dernières décennies. Nos valeurs et nos espoirs ont été mis à rude épreuve. La volonté de mieux faire dans l'hypothèse de nouveaux troubles explique sans aucun doute la détermination d'une bonne partie d'entre nous. Le second élément qui a permis une évolution a été plus discret et n'a pris de l'importance que très progressivement : le rôle et l'influence que l'Europe a acquis au niveau mondial nous permet d'avoir plus de prise sur l'évolution internationale, plutôt ensemble que chacun de notre côté. Cette capacité grandissante de l'Union à réagir nous laisse penser que nous devrions être capables de prendre des mesures dans le cadre de crises régionales qui nous concernent tous. Je voudrais aussi souligner que cette évolution de l'action politique de l'Europe dans le monde a été bien accueillie par une large part de ses partenaires internationaux. Les Etats-Unis ont été favorables à la construction européenne depuis le début. Ils ont toujours étendu le domaine de la coopération et partagé de plus en plus de responsabilités avec L'Union. D'autres groupes de pays, comme par exemple l'ASEAN, ont cherché à établir des liens plus étroits avec l'Union et à obtenir davantage de concertation. La Russie et le Japon se disent très intéressés par un dialogue politique le plus ouvert possible avec l'Union. N'oublions pas non plus la longue liste de pays d'Europe Centrale et Orientale qui souhaitent devenir membres de notre cercle le plus tôt possible. Voilà qui prouve encore qu'une Union Européenne forte et déterminée est une chance pour le développement de notre région du monde.
Les Européens se sont félicités d'avoir fait un pas de plus ensemble dans le domaine de la défense. D'une seule voix, ils se sont engagés à prendre des décisions concrètes qui respectent l'objectif principal qu'ils s'étaient donné au plus haut niveau. Ainsi la mise en uvre technique des principes adoptés dans le domaine militaire en 1999 a-t-elle bien avancé. On l'a vu le 20 novembre dernier à Bruxelles, lors de la conférence sur l'engagement des capacités : tous les membres du Conseil ont accepté de participer à l'effort commun. Les Etats membres se sont, en particulier, tous engagés à apporter leur contribution à la force de réaction rapide nécessaire pour l'exécution des missions. D'autres Etats européens à qui nous avions proposé de participer, nos alliés et les candidats à l'entrée dans l'Union, ont également offert leur contribution.
Cette année, nous parviendrons à développer la capacité opérationnelle des organismes de gestion de crise de l'Union européenne. Ceux-ci seront professionnels, prendront des décisions et seront en adéquation avec la préservation de la souveraineté des gouvernements. Nous franchirons ainsi une nouvelle étape dans l'accroissement et l'amélioration des capacités collectives réelles que nous avons décidé de développer.
Je me dois d'insister sur la coopération extensive qui à été établie entre l'Union européenne et l'OTAN dès le début. Le sommet de l'OTAN à Washington, au mois d'avril 1999, a apporté une soutien explicite aux projets européens consistant à mettre sur pied de nouvelles capacités, et depuis, un travail commun concret a été mené dans la cohérence et la transparence. Tous les partenaires, et bien entendu les onze pays, qui, comme le nôtre, sont membres des deux organisations, sont convaincus que la politique de défense et de sécurité commune européenne conduit à un rééquilibrage et à un renforcement de la relation euro-atlantique, et permet une meilleure répartition des tâches, ce que nos alliés Américains réclament depuis longtemps.
Dans ce nouveau contexte, tous les alliés et partenaires auront un choix plus vaste d'actions possibles pour affronter une situation de crise, et l'OTAN restera l'élément clef de la sécurité en Europe.
Cependant, la politique de défense et de sécurité commune européenne n'est pas qu'un projet politique, c'est aussi un défi industriel. En vérité, nous sommes tous d'accord sur le fait que l'Europe a besoin d'organiser ses bases industrielles et technologiques afin de fournir à nos forces, à long terme, les équipements de haut niveau nécessaires.
C'est à cela que les états européens les plus directement intéressés dans l'industrie de défense ont travaillé, depuis trois ans maintenant. Au mois de décembre 1997, le Royaume-Uni, la France et l'Allemagne, dans une déclaration commune, ont demandé un renforcement de l'industrie aérospatiale de défense et en Europe. Depuis, cette industrie a connu de grandes mutations et le résultat en termes de compétitivité industrielle et de capacités technologiques est vraiment impressionnant.
L'industrie de défense et aérospatiale européenne est aujourd'hui une réalité. Elle est organisée autour de trois principaux groupes (BAe Systems, EADS et Thalès) qui tissent des relations étroites entre eux mais aussi avec les industriels des autres pays européens. Ces groupes sont maintenant suffisamment grands pour offrir des services et des produits à l'échelon mondial et de remporter des parts dans un marché hautement compétitif.
Un semblable processus de renforcement est actuellement en cours dans les industries de construction navale et des systèmes terrestres.
Parallèlement, les six nations, où les activités liées à l'industrie de défense sont les plus fortes, ont signé un accord visant à harmoniser la régulation de leur industrie sur leur territoire. A ce sujet, de nombreuses mesures ont déjà été prises dans le domaine de la sécurité d'approvisionnement, des procédures d'exportations et la sécurité dans les échanges d'informations.
Les entreprises européennes sont suffisamment performantes pour mettre en place des partenariats transatlantiques équilibrés. Grâce à ce type de coopération, les Européens doivent tenter de partager les coûts de Recherche et de Développement (R D) avec nos alliés américains et d'accéder à leur marché de Défense.
Nos gouvernements doivent coordonner leurs politiques d'acquisition autant que possible afin d'augmenter leur production et d'optimiser leurs ressources. En 1996, la France, l'Allemagne, la Grande-Bretagne et l'Italie ont entamé, ensemble, une restructuration globale de leur programmes d'acquisition d'armement. L'OCCAR, Organisme Conjoint de Coopération en matière d'ARmement, véritable agence européenne pour l'armement, gagne de plus en plus d'influence. Il a déjà intégré ses premiers programmes et a obtenu un statut légal en janvier dernier. C'est un outil de valeur pour le développement d'une politique d'armement cohérente au niveau européen. Nous sommes tous très heureux de voir l'intérêt croissant que portent nos nouveaux partenaires européens - en premier lieu les Pays-Bas, l'Espagne, la Suède, la Belgique - à cette innovante structure d'acquisition.
L'OCCAR doit contribuer au développement de notre coopération dans le domaine de la Recherche et du Développement. [] L'importance des coûts fixes est un élément qui doit nous inciter à joindre nos forces et à nous répartir la charge de travail. La seule façon pour que nos entreprises et nos agences de recherches atteignent le plus haut niveau d'exigence souhaitable et que nous combinions nos moyens et capacités. Ceci est particulièrement vrai pour la France et la Grande-Bretagne qui concentrent, à elles deux, plus des deux-tiers de la R D, en matière de Défense en Europe.
A part ce rôle, les gouvernements européens pourraient aussi envoyer un signal fort pour montrer leur engagement à faire de la coopération européenne une réalité, en élargissant le panel de leurs fournisseurs au niveau européen. Au sein d'un marché dans lequel les acteurs industriels ont gagné en puissance, par le biais d'alliances et grâce à la croissance externe, il est plus que jamais pertinent que les gouvernements fassent de plus importantes offres afin d'obtenir de meilleurs prix. En outre, choisir un partenaire européen plutôt qu'un fournisseur moins compétitif de son propre pays montrerait que l'Europe est bel et bien le lieu idéal pour la prise de décision, en matière d'industrie et de politique.
(source http://www.defense.gouv.fr, le 2 juillet 2001)