Entretien de M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères, avec "Le Grand Rendez-vous iTélé-Europe 1-Le Parisien-Aujourd'hui en France" le 20 janvier 2013, notamment sur la prise d'otage en Algérie et sur l'intervention militaire française au Mali.

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Média : Europe 1 - Itélé - Le Parisien

Texte intégral

Q - Bonjour. François Hollande, hier, a dit : Les Algériens ont eu la méthode adaptée, la bonne réaction, vis-à-vis donc des terroristes en Algérie. Est-ce que vous partagez cette analyse ? Est-ce qu'ils ont eu raison d'intervenir comme ils l'ont fait ?
R - D'abord, dans le drame qui s'est passé à In Amenas, cette grande installation gazière en Algérie, il y a parmi les otages beaucoup de morts. Je voudrais, au nom de la France, présenter mes condoléances à tous les proches de ceux qui sont tombés, et d'abord à la famille de M. Desjeux, qui était un homme extrêmement bien, et qui a été tué.
Q - La réponse était-elle adaptée ?
R - Je partage tout à fait l'analyse de François Hollande. Il faut bien avoir à l'esprit que les terroristes, très nombreux, qui ont attaqué ce dépôt gazier, sont des tueurs. Ils pillent, ils violent, ils saccagent, ils tuent. La situation était donc épouvantable. Et je crois qu'il est très facile de dire : il aurait fallu faire ceci ou cela. Les décisions ont été prises par les autorités algériennes. Le bilan est très lourd. Mais je suis un peu heurté lorsqu'on a le sentiment que ce sont les Algériens qui sont mis en cause, alors qu'ils ont dû répliquer. Ce sont bien les terroristes dont il faut parler.
Q - Mais est-ce que vous dites, vous aussi : il n'y a ni négociation, ni chantage, ni répit face aux terroristes ?
R - Je dis qu'il n'y a aucune impunité pour les terroristes. Et il n'y en aura pas.
Q - Donc si le cas de figure se présentait, la France aurait la même attitude ? C'est-à-dire, face à des terroristes, pas de négociation ?
R - On ne peut pas imaginer telle ou telle situation. Mais on comprend bien que le terrorisme ne vise pas seulement un État ou une circonstance particulière. Il s'agit vraiment d'un mal absolu. M. Elkabbach rappelait que l'année dernière, j'avais évoqué déjà mes grandes craintes concernant le Sahel. Il faut une fermeté absolue. Les méthodes peuvent différer, selon les moments, les circonstances, mais cette nécessite demeure. Il ne peut pas y avoir d'impunité.
Q - Est-ce que cela veut dire qu'il y a une montée inexorable d'un fanatisme islamique intégral et radical, et que c'est la principale menace, et c'est désormais l'ennemi ?
R - Non, il n'y a rien d'inexorable, mais c'est à l'ensemble de nos sociétés démocratiques qu'il appartient de se défendre. La France fait ce qu'elle doit faire. Cela est vrai de l'Europe et du monde entier.
Q - Les détruire, comme a dit donc François Hollande aussi aux Émirats, en parlant des terroristes, c'est la nouvelle politique française ? Il faut aller jusqu'au bout à chaque fois ?
R - Face au terrorisme, il faut être implacable.
Q - C'est-à-dire, utiliser tous les arguments, et d'abord militaires, de la force ?
R - Cela dépend des circonstances. Mais que veulent ces gens-là ?...
Q - Le pouvoir...
R - ...pas seulement : ils veulent tuer. Il y a un mouvement terroriste au Nord du Nigeria, très grand État d'Afrique, qui s'appelle Boko Haram. Il entretient des liens avec les mouvements terroristes du Mali. Savez-vous ce que signifie «Boko Haram» ? Cela signifie «Non à l'éducation». Voilà le mot d'ordre. Et ceux qui ont mené l'attaque en Algérie se nomment «ceux qui signent par le sang».
Q - Pour l'Algérie, le président de la République a eu souvent au téléphone le président Bouteflika ; Jean-Marc Ayrault, son homologue ; vous-même, à plusieurs reprises, Mourad Medelci, qui est le ministre des Affaires étrangères. Est-ce qu'ils vous ont informés de leur assaut ? Est-ce qu'ils vous ont donné de vraies informations ?
R - Nous avons eu effectivement des contacts avec nos homologues, et ils ont fait état de la situation. Mais ils n'avaient pas à nous dire : «Voilà ce qui va être fait...»
Q - Mais la France ne leur a jamais dit : Peut-être, essayez de discuter..., ou : On vous comprend, on vous comprend ? C'est-à-dire que vous êtes souverains chez vous...
R - Nous connaissons la gravité et la difficulté de la situation.
Q - Et quand vous voyez que les États-Unis, la Grande-Bretagne, et la plupart des pays concernés par la prise d'otages, ont protesté - peut-être d'abord pour leur opinion publique, certains sont en période électorale - contre la brutalité de l'armée algérienne ? La France ne dit rien ; est-ce que cela veut dire «qui ne dit mot consent ?»
R - ...Non, nous avons aussi nos homologues. J'ai eu mon homologue japonais, j'ai eu mon homologue britannique, nous avons des contacts avec les Américains. Nous sommes amis, alliés.
Q - Mais avec la France...
Vous comprenez leurs réactions ?
R - ...Bien sûr. Bien sûr, tout à fait.
Q - Mais avec la France et l'Algérie, il y a bien entendu des relations différentes, et des enjeux différents. C'est la raison pour laquelle aussi on a le sentiment que c'est plus... plus indulgent ?
R - Nous avons des relations proches, bien sûr, avec les Algériens, qui, ne l'oublions jamais, ont été très durement touchés par le terrorisme, pendant des années. Entre 150.000 et 200.000 personnes ont perdu la vie à cause du terrorisme. Les Algériens mesurent donc bien à quel point il s'agit d'un mal absolu. Cela est vrai dans toute une série d'enjeux, ou de conflit. Le fait que l'Algérie s'engage, en toute souveraineté, constitue quelque chose de très important.
Q - Mais vous ne condamnez pas, comme on entend, la brutalité, l'agressivité de l'armée algérienne, qui n'a pas mis de gants, qui tire...
R - Monsieur Elkabbach, bien évidemment, tout le monde souhaite, aurait souhaité que l'ensemble des terroristes puisse être mis hors d'état de nuire, et que tous les otages soient sauvés. Chacun de nous conserve cela à l'esprit. Mais en même temps, quand on connaît les difficultés, avec des dizaines de terroristes lourdement armés, qui n'ont qu'une idée, c'est de faire sauter tout cela, on mesure bien la difficulté.
Q - Est-ce qu'il n'y a pas, notamment parmi les autres pays concernés, mais aussi dans l'opinion française, l'idée que la France laisserait l'Algérie faire les choses, parce qu'elle nous a autorisés à survoler son territoire...
R - Non...
Q - ...dans notre intervention au Mali, et que de fait, on a une certaine mansuétude vis-à-vis de ce qui se passe ?
R - ...Non, je ne pense pas qu'on puisse du tout examiner les choses en ces termes. Vous faites allusion au Mali. La France y est intervenue en bénéficiant d'un soutien international. Il était donc tout à fait normal que l'on puisse survoler un certain nombre de territoires. Cela ne concerne d'ailleurs pas simplement l'Algérie, mais aussi le Maroc, la Libye...
Q - Mais était-ce normal de le dire ? Parce que c'est assez étonnant, au fond, de vous avoir entendu annoncer, révéler qu'il y a un survol autorisé ?
R - Il n'y a pas de secret. Vous savez, quand un grand nombre d'avions survolent, ce n'est pas un secret.
Q - Vous savez qu'il y a un reproche : la France ménage les dirigeants algériens. Elle a fait preuve de complaisance.
R - On invente que l'Algérie ce serait notre ennemi ? L'Algérie est un grand pays, un pays souverain avec lequel nous avons d'excellentes relations. L'Algérie est engagée dans la lutte contre le terrorisme.
Q - Donc aujourd'hui, les Rafale, les Mirage 2000 peuvent continuer à survoler le territoire algérien ?
R - L'Algérie prend ses décisions en toute souveraineté. Voilà tout.
Q - Et la France a besoin de l'Algérie pour le Mali ?
R - Mais pas spécifiquement la France : la lutte contre le terrorisme a besoin de tout le monde.
Q - Et quelle est la conséquence de l'attaque de cette usine gazière dont on a parlé tout à l'heure, d'Algérie, sur l'engagement concret d'autres pays, africains et européens, dans la guerre du Mali ? Et nous y arrivons.
R - Non, ce sont deux sujets différents.
Q - ...Est-ce qu'il y a un lien établi entre l'intervention de la France au Mali et cette prise d'otages en Algérie ?
R - On n'en sait rien, parce que ce qui apparaît - mais je dis cela avec beaucoup de précautions -, c'est qu'une opération comme celle-là n'a pu être montée que de nombreuses semaines à l'avance.
Q - Mais elle se déclenche quelques jours après l'arrivée des soldats français au Mali.
R - ...À un moment où il n'y avait pas eu d'intervention. Donc je crois qu'il s'agit d'un phénomène beaucoup plus large.
Q - Alors justement, avant d'ailleurs peut-être, ou avec le Mali, on voit qu'aujourd'hui, on sait qu'aujourd'hui François Hollande reçoit les familles donc des otages français donc à l'Élysée. Qu'est-ce qu'on peut leur dire, et au fond, est-ce qu'il y a une intervention possible, comme cela a été fait par ailleurs ?
R - François Hollande va recevoir les familles des otages, il s'y était engagé. Je les ai moi-même reçues il y a quelques jours.
Q - Mais comment on peut les rassurer, dans ce climat ?
R - ...On va leur dire tout simplement la vérité...
Q - C'est-à-dire ?
R - Comme les familles le savent, la situation est extrêmement tendue. Dans le même temps, nous faisons et nous ferons le maximum pour qu'ils puissent être libérés.
Q - Vous avez des nouvelles ?
R - ...Toutes récentes, non. Nous avons des contacts avec ces familles. Le Centre de crise du Quai d'Orsay est en permanence en contact avec elles. Elles sont tout à fait conscientes de la situation, très inquiètes, et en même temps très responsables. Je veux saluer cet esprit de responsabilité.
Q - Est-ce que le Quai d'Orsay a pu rassurer certaines de ces familles, qui ont déploré justement le manque d'informations, qui ont été même jusqu'à faire leurs propres messages...
R - Oui, certaines, d'autres non. Mais nous sommes en contact permanent avec elles.
Q - Mais comment vous pouvez les rassurer, Monsieur Fabius ? Quand la France trouve que l'Algérie a eu les réponses adaptées, que la France ne négocie pas, qu'elle détruit les agresseurs, quel est le message qu'on peut leur dire pour les rassurer ?
R - Le président de la République s'exprimera à leur endroit cet après-midi, il aura les mots qu'il doit avoir. Mais les familles sont légitimement inquiètes, compte tenu de la situation, mais en même temps il faut bien voir que les agresseurs, les preneurs d'otages, savent qu'ils risquent très gros.
Q - C'est-à-dire ?
R - Je suis explicite!
Q - C'est-à-dire qu'il faut les détruire ?
R - Je me suis exprimé.
Q - Mais donc, les familles peuvent aussi penser que ces otages sont sacrifiés, au nom de la nouvelle attitude vis-à-vis des terroristes ?
R - Je vous le répète : nous faisons le maximum pour libérer les otages. Mais disons la réalité des choses. Les preneurs d'otages doivent savoir que s'ils mettaient leurs menaces à exécution, ils risqueraient gros.
Q - Vous étiez hier à Abidjan ; à quand les premières armées africaines sur le front ?
R - Un certain nombre de soldats, notamment du Nigeria, du Togo ou du Tchad, sont arrivés. L'ensemble des chefs d'État et de gouvernement qui étaient là hier ont assuré, et nous le vérifions, que les choses sont en place.
Q - Au total, il faudrait qu'il y en ait combien ?
R - L'objectif, quand on additionne toutes les forces, peut être de 5.500 hommes.
Q - C'est-à-dire, plus que ce qu'on avait dit avant, qui était 3.300 ?
R - Oui. Parce que les Tchadiens se sont engagés...
Q - Dans quel calendrier ?
R - Le plus vite possible. Il y a déjà des troupes qui sont arrivées. D'autres vont venir dans les prochaines semaines. Je reviens un instant sur cette réunion. La CEDEAO, regroupant les pays d'Afrique de l'Ouest, se réunissait hier au niveau des chefs d'État et de gouvernement. François Hollande m'avait demandé de le représenter. Des décisions ont été prises. Tout d'abord, la mise en place de contingents militaires, ce qui est essentiel. Un chef d'état-major, de nationalité nigériane, a été nommé. Il est déjà arrivé à Bamako. Toute une série de transports d'unités militaires ont lieu. Les choses se mettent en place, et assez rapidement.
Q - Qui va être transporté ?
R - C'est assez divers. Certains transports se font par les Africains eux-mêmes, d'autres par les Européens, par les Canadiens. Les Russes ont proposé d'apporter des moyens de transport pour les Français.
Q - À quel moment les forces de la MISMA seront prêtes opérationnellement ?
R - Les forces des pays africains sont déjà formées. Certaines d'entre elles sont arrivées. D'autres seront à pied d'oeuvre dans les prochaines semaines. S'agissant de l'armée malienne, une partie des troupes est déjà engagée. Mais en même temps il faut améliorer son équipement, sa formation. C'est là qu'intervient l'Europe. La semaine dernière, il a été décidé d'assurer cette formation, en envoyant notamment 250 formateurs.
Q - Mais tout cela va se faire plus vite que prévu ?
R - Bien sûr.
Q - Est-ce qu'il y aura une coordination entre les états-majors ?
R - Bien sûr.
Q - Comment cela va fonctionner ?
R - Une coordination est assurée entre le chef d'état-major de la MISMA et celui de l'opération française. Mais je souhaite revenir sur le sommet d'Abidjan. Première décision : les Africains vont se déployer sur le terrain. La deuxième décision, très importante, concerne le financement. Une réunion se tiendra le 29 janvier à Addis-Abeba. L'ensemble des pays du monde sera invité à participer au financement. Troisième décision : le président du Mali, Dioncounda Traore, a rappelé la nécessité d'engager un processus de transition et de négociation politique. En effet, heureusement, au Nord du Mali, il n'y a pas que des terroristes. Il faut donc discuter avec ces personnes-là et adopter une feuille de route de la transition politique. Deuxièmement, le président a mis l'accent, et je veux relayer son appel, sur le fait qu'il ne devait pas y avoir d'exactions de la part des troupes.
Q - De la part de ses troupes ?
R - De l'ensemble des troupes, mais son appel ne concernait pas les troupes françaises. Comme un certain nombre d'exactions a été commis dans l'autre sens, il est essentiel d'éviter que des actes de vengeance. Lors du sommet d'Abidjan, j'ai trouvé le climat non seulement exceptionnel, mais aussi extrêmement émouvant. On a entendu le président de la Côte d'Ivoire, Alassane Ouattara et le président du Sénégal, Macky Sall, remercier la France, le peuple français, ainsi que François Hollande. Le président du Mali a rappelé que «si la décision d'intervenir n'avait pas été prise, il n'y aurait plus de Mali» ; le président du Niger, M. Issoufou a également témoigné sa reconnaissance au peuple français.
Q - ...Et vous rentrez en France, et vous entendez parfois dire : la France n'a rien à faire en Afrique, elle ne doit plus être le gendarme de l'impérialisme de la Françafrique.
R - Je refuse absolument, sur ce sujet comme sur les autres, la polémique. Ce n'est pas à la hauteur des problèmes qui sont posés.
Q - Parce que vous êtes embarrassé ?
R - Non, pas du tout. Ce n'est pas à la hauteur des problèmes qui sont posés. Est-ce qu'il aurait fallu, avant même l'intervention, qui s'est décidée en cinq heures - convoquer le Parlement, pour expliquer à nos adversaires terroristes ce que nous allions faire ? Non. En revanche, ce qui a été fait, c'est de se mettre immédiatement à la disposition du Parlement, comme nous l'avons fait, Jean-Marc Ayrault, Jean-Yves Le Drian et moi-même.
Q - ...On sait que les militaires, quand ils engagent une action, ne préparent pas une sortie de crise politique ou diplomatique. Quelle est la sortie de crise politique et diplomatique que la France prépare dans cette crise ? Si elle la prépare.
R - Oui. L'initiative, d'abord, doit être prise par le Mali. Une négociation politique doit être mise sur pied. Il va y avoir des élections au Mali, c'est tout à fait normal. Tous les pays du Conseil de sécurité des Nations unies se sont mis d'accord sur le fait que trois dimensions devaient être traités de manière complémentaire dans la crise malienne. Il y a tout d'abord un volet sécuritaire, qui est évident et qui reste nécessaire. Des actions doivent également être menées sur les volets politique et de développement. Le Sahel reste une zone très pauvre.
Q - Les militaires disent que la France sera en première ligne jusqu'au mois de mars, avril...
R - ...Non, jusqu'à l'intervention de la MISMA, c'est-à-dire des troupes africaines...
Q - Ce sera quand ?
R - Cela va prendre quelques semaines. Comme le président de la République, Jean-Marc Ayrault, Jean-Yves Le Drian et moi-même l'avons dit, nous n'avons pas vocation à rester éternellement au Mali.
Q - ...Le problème, c'est de savoir, pour vous, combien de mois ou de semaines ou d'années, l'éternité ?
R - Nous sommes en première ligne, avec les Maliens, jusqu'au moment où la MISMA prendra le relais. C'est l'affaire de quelques semaines. Ensuite, nous pouvons être là en appoint. Mais c'est aux troupes africaines, et à la MISMA plus généralement, d'être là durablement. Et après, on peut espérer que la sécurité sera rétablie.
Q - Cela va durer. Les soldats africains, vous l'avez dit tout à l'heure, vont être coordonnés. Ils proviennent de pays différents...
R - Oui.
Q - ...d'ethnies différentes...
R - Oui.
Q - ...Dans quelle langue ils vont se parler ?
R - Le chef d'état-major nigérian est à la fois anglophone et francophone...
Q - ...Comment faire pour que le travail de l'armée française ne se transforme pas en travail de police, pour aller déloger les djihadistes, qui seront maintenant incrustés dans la population, et au fond, ressembler à ce que les Américains ont dû faire en Afghanistan ?
R - La comparaison avec l'Afghanistan n'est pas très opératoire. Il y a en effet deux différences essentielles. La première, c'est que les terroristes d'Afghanistan étaient afghans. Au Mali, les terroristes ne sont pas des Maliens. La deuxième, c'est qu'en Afghanistan il n'y avait pas de régime démocratique établi. Au Mali, vous avez un régime démocratique, même s'il doit être perfectionné. Or les terroristes veulent renverser ce régime.
Les situations sont donc différentes. Mais là où il y a quand même une analogie, et où vous avez raison, c'est que dans tous ces cas, il s'agit d'une lutte contre le terrorisme.
Q - Vous étiez à Bruxelles jeudi, Laurent Fabius, pour convaincre les Européens de passer du soutien oral à la participation militaire. Lors du débat au Parlement de Strasbourg, étaient absents MM. Barroso, Van Rompuy. Aujourd'hui, pour les citoyens, l'Europe est nulle, ce que l'on voit est pathétique. Il n'y a pas d'Europe.
R - Ce n'est pas tout à fait exact. Ce que nous avons décidé, sur la proposition de Mme Ashton - et la France, bien sûr, l'a appuyée -, c'est de former en urgence l'armée malienne, aux frais de l'Union européenne.
Q - Mais les militaires disent : l'armée malienne n'est pas prête.
R - C'est pour cela qu'on la forme. En même temps elle se bat déjà. La décision de former l'armée malienne avait été prise auparavant par l'Union européenne. La mission de formation va être accélérée, compte tenu de la situation. En plus, l'Europe va apporter des soutiens, sur le plan du développement notamment. De même, un certain nombre de pays ont proposé spontanément d'apporter d'autres formes de soutien.
Q - Dans des bureaux ?
R - On pourrait souhaiter aller plus loin, mais il n'y a pas actuellement, vous le savez, et c'est une proposition de la France depuis très longtemps, une politique de défense.
Q - Mais on le voit aujourd'hui que ce serait nécessaire.
R - Bien sûr, ce serait nécessaire. Le Parlement européen m'a demandé de venir devant la commission compétente pour parler de tout cela.
Q - Ni politique de défense, ni politique diplomatique. On n'entend pas l'Europe. À part la réunion avec vos homologues, il n'y a rien !
R - Mme Ashton fait le maximum. On pourrait cependant souhaiter que beaucoup d'autres fassent davantage. Mais ce que je retiens, c'est que la France elle n'est pas seule, puisqu'elle a derrière elle le soutien de la communauté internationale. M. Ban Ki-moon, le secrétaire général des Nations unies, m'a appelé pour féliciter la France pour la gestion de ce conflit.
Q - Absolument. Et y aura-t-il un groupe de contact, y aura-t-il un sommet européen ? Quelle articulation... ?
R- Une réunion entre la chancelière Mme Angela Merkel et François Hollande se tiendra très prochainement. Ces questions seront certainement abordées.
Q - Est-ce qu'il est vrai que l'armée de Bachar Al-Assad a utilisé le 23 décembre dernier à Homs des armes chimiques ?
R - Cela avait été affirmé. Comme d'autres pays, nous avons demandé une vérification par les services. On nous a dit «non».
Q - Il n'y a pas eu des armes utilisées ?
R - Non. Quand la vérification a été demandée, elle était négative.
Q - Cela fait longtemps que vous demandez, que vous souhaitez en tout cas le départ de Bachar Al-Assad, on a l'impression qu'aujourd'hui, il serait un peu plus soutenu par sa population ?
R - Non, nous n'avons pas du tout eu cet écho là. Je crois que malheureusement, il y a chaque des centaines de nouveaux morts. Il s'agit d'un drame abominable même si on en parle moins ces jours-ci. Mais il ne regagne pas du tout de terrain. Il y aura à Paris d'ici quelques jours, le 28, une réunion autour de la coalition.
Q - C'est un regroupement hétéroclite de fantoches qui n'ont pas de légitimité !
R - Vous avez tort. C'est une coalition qui a été reconnue, Cher Monsieur Elkabbach, par plus de cent pays !
Q - Après la France, c'est vrai.
R - Cette coalition est dirigée par des gens extrêmement bien qui veulent tout simplement établir la démocratie en Syrie. Une réunion de tous les principaux soutiens de cette coalition va donc se tenir lundi prochain, en présence des dirigeants de la coalition, pour voir comment nous pourrons aller plus loin.
Q - Mais c'est vrai que dans le même temps, on vous entend un peu moins dire «Bachar Al-Assad va partir, il doit partir», est-ce que cela veut dire qu'il se renforce en fait ?
R - Non, non, ce n'est pas du tout les échos que l'on a. Ce qui est vrai, c'est que les conséquences sont épouvantables non seulement en Syrie mais dans les pays voisins. L'autre jour, nous faisions le point sur ce qui se passait en Jordanie, au Liban. Vous imaginez par le temps actuel des camps dans lesquels il y a 100 000 réfugiés. C'est un drame épouvantable. Donc il faut que Bachar tombe le plus vite possible.
Q - Monsieur le Ministre, est-ce que ce n'est pas impossible que l'on découvre que parmi ceux qui combattent Assad sur le terrain, il y ait aussi des fous de Dieu, des djihadistes que par ailleurs on combat ?
R - Il y a un groupe qui s'appelle Al Nostra qui est un groupe venu d'Irak mais qui est un groupe ultra minoritaire.
Q - Monsieur le Ministre, on s'aperçoit notamment au Mali aussi que beaucoup d'armes et de terroristes viennent de la Libye. Est-ce que l'on a finalement terminé ce qui devait être fait en Libye ou est-ce que l'on a laissé la porte ouverte à la circulation d'armes, à la circulation d'hommes ?
R - C'est un vrai sujet. Je pense que l'intervention en Libye était justifiée. À l'époque, nous étions dans l'opposition, c'était M. Sarkozy qui était président de la République. Nous avions soutenu cette intervention. Je pense qu'elle était justifiée parce que Kadhafi était un dictateur et qu'il fallait appuyer le soulèvement du peuple. En revanche, je crois qu'il aurait fallu se préoccuper effectivement des armes et du reste. Cela n'a pas été fait et beaucoup d'armes se sont retrouvées ailleurs, notamment au Mali. Cela a été une erreur grave. Il faut en tirer les leçons pour les autres éventuels conflits.
Q - Quand vous entendez dire par certains Français qu'il y a eu, dans l'opposition, qu'il y a eu improvisation, impréparation de la part de la France, fébrilité, impatience, impulsivité, isolement ?
R - Non, je ne pense pas que ce soit pertinent. Par exemple pour l'improvisation, il faut rappeler que le conseil de sécurité a adopté à l'unanimité la résolution 2085 au mois de décembre dernier, sur la base d'un travail de la France.
Q - Donc vous rejetez ces critiques ? Vous dites «elles sont dénaturées, elles sont injustes, elles sont excessives ou elles ont du vrai» ?
R - Il y a eu une détermination, il y a une préparation. Cette critique est donc infondée. Ce qui est vrai, en revanche, c'est que personne n'avait prévu que le groupe Ansar Dine qui devait normalement être associé à des négociations politiques, se retournerait et s'associerait aux groupes terroristes Mujao et AQMI pour foncer sur Bamako. À ce moment-là, seule la France était en situation d'intervenir. Nous sommes intervenus, ce qui sauvé non seulement le Mali mais probablement aussi plusieurs des pays voisins.
Q - Laurent Fabius, y aura-t-il un impact sur le budget de l'armée de cette opération ? Le Livre blanc va-t-il être revu ?
R- Ce sont deux questions différentes. Sur le plan budgétaire, ces opérations auront certainement un coût. Elles sont intégrées dans ce que l'on appelle les OPEX, c'est-à-dire les opérations extérieures, mais elles ont un coût.
Q - On va les diminuer ...
R - Oui. Sur ce qui concerne le Livre blanc, ces opérations ont un certain nombre de conséquences mais qui ont été prévues. D'une part, il faut que nous continuions à avoir des troupes pré-positionnées parce que si nous avons pu intervenir rapidement ...
Q - C'est-à-dire sur des bases en Afrique ?
R - Oui parce que nous avons des troupes à l'extérieur, pas seulement en Afrique. Il faut d'autre part que nous soyons meilleurs que nous ne l'avons été dans le passé en ce qui concerne les drones, les ravitailleurs et les transporteurs. Ce sont des décisions qui ont déjà été prises sous l'instruction du président de la République par Jean-Yves Le Drian.
Q - Il va falloir rééquilibrer au profit de l'armée de terre du matériel ?
R - Il faut que nos armées soient dotées d'une façon suffisante. Je veux saisir cette occasion pour rendre hommage non seulement aux chefs de nos armées, aux grands responsables avec qui nous travaillons mais aussi aux hommes qui font un travail magnifique et qui sont à la fois compétents et courageux.
Q - Barack Obama va être investi demain pour son deuxième mandat. Qu'attendez-vous attendez de ce deuxième mandat et notamment son regard sur l'Europe ? Souhaiteriez-vous qu'il s'intéresse davantage à l'Europe ?
R - Bien sûr. Il va avoir des préoccupations économiques. Il est indispensable que les États-Unis redressent leur économie. C'est positif pour tout le monde. Dans le domaine qui me concerne plus particulièrement, nous évoquerons de nombreux sujets : le processus de paix au Proche-Orient, la question climatique, la Syrie la question du terrorisme... Et puisque vous posez la question de l'Europe, il est vrai qu'il y a une tendance des États-Unis à s'intéresser davantage à l'Asie mais l'Europe reste importante. Il faut que les Européens comprennent que nous avons besoin d'une défense européenne. Il est nécessaire que nous puissions assurer notre défense et nous projeter. C'est d'ailleurs l'une des propositions que nous ferons à l'occasion du cinquantenaire de l'anniversaire du Traité de l'Élysée, sur l'amitié franco-allemande.
Q - Que va-t-il sortir, en dehors du spectaculaire, des 50 ans du traité conclu par Adenauer et de Gaulle ?
R - C'est un sommet que François Hollande et Mme Merkel, Angela Merkel voudraient tourner vers l'avenir. Donc il va y avoir toute une série de propositions sur la jeunesse, sur l'énergie, sur la défense et sur d'autres sujets. On a fait énormément de choses ensemble. Maintenant, il faut préparer l'avenir ensemble.
Q - C'est-à-dire c'est un couple ami ?
R - Oui, un partenaire.
Q - Qui restera un couple ami ...
R - Bien sûr !
Q - ...même si les deux protagonistes sont un peu moins amis ?
R - Non, ils sont amis mais en même temps, chacun défend les intérêts de son pays. Mais ce qui compte, c'est que ces amis, avec d'autres, bâtissent une Europe, peut-être différente, mais forte.
Q - Dans quelques jours, les élections israéliennes. Si Netanyahu est capable de reformer une coalition, est-ce qu'il est un interlocuteur pour la paix ?
R - Un interlocuteur évidemment. Je ne connais pas plus que vous les résultats des élections mais nous travaillerons avec le prochain gouvernement quel qu'il soit. La première mission sera d'aller vers des négociations sans préalable entre les Israéliens et les Palestiniens. La France, avec d'autres, accompagnera et soutiendra ce mouvement.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 22 janvier 2013