Déclaration de Mme Hélène Conway-Mouret, ministre des Français de l'étranger, sur les relations entre la France et l'Amérique latine, à Paris le 16 janvier 2013.

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Circonstance : Déjeuner des ambassadeurs du Groupe des Etats d’Amérique latine et des Caraïbes, à Paris le 16 janvier 2013

Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,
Mesdames et Messieurs les Chargés d’affaires,
Monsieur le Président de la Maison de l’Amérique latine,
Chers amis,
Je vous remercie, Monsieur le Président, de cette invitation qui me donne l’occasion de faire avec vous le point sur la relation entre la France et l’Amérique latine, moins de deux semaines avant le sommet de Santiago. Mes remerciements s’étendent bien sûr à l’ambassadeur Alain Rouquié, qui nous accueille aujourd’hui à la Maison de l’Amérique latine, ce bel outil diplomatique et culturel dont il assure si brillamment la présidence.
Je crois être le premier membre du présent gouvernement à avoir le privilège et le plaisir de m’adresser à votre assemblée. J’aimerais donc d’abord revenir brièvement sur l’intérêt sincère que le Premier Ministre et la France portent à l’Amérique latine et aux Caraïbes, sur l’intérêt que nous avons pour ce continent pour lequel l’on quitte son pays comme le relevait Flaubert, ce qui ne peut laisser indifférente la Ministre des Français de l’étranger ! Outre la présentation de ce que pourrait être un partenariat fondé sur un dialogue politique solide et confiant, vous me permettrez donc de revenir sur le rôle que nos communautés peuvent jouer dans cette relance de nos relations, et sur l’appui que la France entend leur apporter dans cet effort.
Tout d’abord un constat : le continent sud-américain n’a sans doute pas été au coeur des préoccupations des autorités françaises ces dernières années.
Ce n’est pas que la France elle-même, et encore moins les Français, se désintéressaient, eux, de l’Amérique latine et des Caraïbes :
- entre 2006 et 2011, le nombre de citoyens français qui ont choisi de s’installer dans votre région a progressé de près de 16 % ;
- nos échanges commerciaux ont augmenté dans la même proportion, à l’instar des investissements de nos entreprises. Selon la Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes, la CEPALC, mon pays serait même devenu en 2010 le premier investisseur européen en Amérique latine ;
- et jamais la littérature, la musique et le cinéma latino-américains n’ont été si populaires en France qu’il s’agisse de Mario Vargas Losa influencé par Camus ou de Gabriel Garcia Marquez dont le réalisme magique doit tant à Rabelais. Votre culture est un écho de la nôtre. C’est pour cela qu’elle nous est intimement familière.
Ce paradoxe apparent s’explique pourtant aisément : c’est parce que l’Amérique latine et les Caraïbes sont en paix, parce qu’elles sont presque entièrement acquises à la démocratie, parce qu’elles connaissent une croissance économique assise (notamment) sur des politiques sociales de plus en plus inclusives qu’elles sont attractives pour nos concitoyens et pour nos entreprises.
C’est précisément parce que votre continent en a fini avec les juntes militaires, les turbulences politiques, le terrorisme et les difficultés économiques qu’il a parfois échappé à la vigilance de décideurs sans doute trop accaparés par la gestion des situations d’urgence. Votre continent n’a traversé que bien peu de crises graves ces dernières années.
Quelques mots néanmoins pour ce tragique anniversaire - trois ans presque jour pour jour – de la ruine d’Haïti. à Port-au-Prince. J’assure, avec tout le coeur possible, la chargée d’affaires de la République d’Haïti de la solidarité de la République française, et de notre indéfectible soutien à la reconstruction de l’Etat haïtien. J’y ai d’ailleurs modestement travaillé comme sénatrice en mobilisant la réserve parlementaire. Nous n’oublions pas les centaines de milliers de victimes du tremblement de terre du 12 janvier 2010. Nous n’oublions pas non plus les liens historiques et culturels qui nous unissent au peuple haïtien.
En tant que région émergente, l’Amérique latine a aujourd’hui la responsabilité de participer à la résolution des problématiques globales auxquelles nous sommes tous confrontés. En matière d’opérations de maintien de la paix, elle n’a jamais hésité à prendre sa part du fardeau : 7 % des casques bleus aujourd’hui déployés dans le monde sont originaires de pays situés au Sud du Rio Grande. Elle joue aussi pleinement son rôle au Conseil de Sécurité : je voudrais remercier ici solennellement l’Argentine et au Guatemala, les deux pays qui représentent en ce moment le GRULAC au CSNU, pour le soutien qu’ils nous apportent dans nos efforts à mettre fin à l’agression caractérisée dont le Mali est aujourd’hui la victime. Je n’oublie pas également le rôle essentiel que remplit le Brésil dans le cadre de l’opération des Nations Unies en Haïti depuis plusieurs années.
La France entend aujourd’hui poursuivre avec vous ce dialogue politique sur tous les enjeux globaux, depuis les questions de sécurité internationale jusqu’au changement climatique, en passant par les questions sociétales. J’insiste particulièrement sur ce dernier point, car nous avons là plusieurs sujets d’intérêt commun, qu’il s’agisse par exemple :
- du projet de moratoire mondial sur la peine de mort porté par le ministre français des Affaires étrangères ;
- de la question de genre
- ou encore le mariage pour tous. Je serai intéressée, sur ce point, Monsieur l’ambassadeur Ferrer, que vous m’indiquiez comment cette notion a été introduite dans le droit positif argentin.
Pour créer les conditions de ce dialogue, la France a souhaité intensifier ses relations politiques avec l’Amérique latine et les Caraïbes : il ne vous a sans doute pas échappé que votre région aura reçu en un an presque autant de responsables politiques français qu’au cours des cinq années précédentes.
Le Président de la République s’est ainsi déjà rendu à deux reprises en Amérique latine depuis mai dernier – à Los Cabos d’abord, à Rio de Janeiro ensuite. En ces deux occasions, il a pu rencontrer la plupart de vos chefs d’Etat. François Hollande a également reçu à Paris ses homologues mexicain, péruvien et brésilien avec lesquels des contacts fructueux et porteurs de projets d’avenir ont été noués.
Plusieurs membres du gouvernement et de la majorité ont suivi l’exemple de M. François Hollande : M. Victorin Lurel s’est rendu en République dominicaine pour l’investiture du Président Medina, en août dernier ; M. Jean-Yves Le Drian, Ministre de la Défense, a effectué un déplacement au Brésil, pays avec lequel nous entretenons un partenariat stratégique de premier plan; à l’automne, M. Pascal Canfin, Ministre chargé du développement, a fait le point sur l’aide française à Haïti avec le Président Martelly et le Premier ministre Lamothe – que nous recevrons d’ailleurs à nouveau dans quelques jours à Paris ; M. Hamon, Ministre de l’économie solidaire, a coprésidé à Caracas les secondes consultations franco-vénézuéliennes de haut niveau, dans un climat ouvert et constructif ; Mme Nicole Bricq, Ministre du commerce extérieur, a effectué une tournée en Colombie et en Equateur ; Mme Christiane Taubira, gardes des Sceaux, s’est elle aussi rendue à Quito, afin d’assister à une réunion des ministres de la Justice des pays membres ou observateurs de l’Organisation des Etats Américains ; enfin, c’est une des plus hautes autorités de l’Etat, M. Jean-Pierre Bel, Président du Sénat, qui a représenté la France lors de l’investiture de M. Peña Nieto, à Mexico, le mois dernier.
Cette séquence franco-latino-américaine va se poursuivre dans les prochaines semaines. C’est le Premier Ministre, M. Jean-Marc Ayrault, qui prendra la tête de la délégation française lors du prochain sommet Union Européenne / Amérique latine et Caraïbes, à la fin du mois. Il sera accompagné à Santiago par quatre ministres :
- Mme Touraine pour les Affaires sociales,
- M. Cazeneuve pour les Affaires européennes,
- M. Moscovici pour l’Economie
- et M. Hamon pour l’Economie solidaire.
M. Ayrault saisira cette occasion pour effectuer une visite bilatérale en Argentine ainsi qu’au Chili.
Moins d’un mois plus tard, M. Laurent Fabius effectuera lui-même une tournée qui devrait le conduire en Colombie, au Pérou et au Panama. M. Canfin, Mme Benguigui, M. Hamon et Mme Touraine envisagent également de se rendre à nouveau dans la région à la fin de l’hiver. Quant à moi, l’échange avec nos communautés françaises m’amènera à visiter plusieurs Etats d’Amérique centrale avant l’été. C’est un sujet sur lequel votre avis m’importe à l’occasion de ce déjeuner.
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs,
Ce renforcement des contacts politiques entre la France, l’Amérique latine et les Caraïbes ne tient pas seulement à l’intensification des crises internationales, ou à l’importance que notre ministre des Affaires étrangères porte à la diplomatie économique ; même s’il est évident que nous avons besoin de traiter ensemble des enjeux globaux, et que nous espérons bien intensifier nos relations économiques avec tous vos pays. Cette intensification de notre relation politique tient en effet aussi, et j’insiste sur ce point, à un effet de génération, à l’histoire particulière et personnelle, des femmes et des hommes qui l’animent aujourd’hui – diplomates, politiques, chefs d’entreprise, artistes et universitaires.
Il y a un peu plus de quarante ans, la France a en effet accueilli plusieurs milliers de réfugiés latino-américains qui fuyaient l’oppression des juntes militaires dont certaines ont su trouver en France, sous d’autres majorités des appuis complaisants. Ces journalistes, ces militants politiques, ces défenseurs des droits de l’Homme ont fait de la France leur seconde patrie ; ils s’y sont mariés, ils y ont élevé leurs enfants. Et ces derniers sont aujourd’hui en âge de définir la destinée de la nation d’adoption de leurs parents. C’est le cas d’au moins une de nos ministres et deux de nos députés. Certains sont des double-nationaux. Beaucoup d’autres ont épousé un de vos compatriotes, ou l’enfant d’un de ceux ou de celles qui s’étaient exilés en France dans les années soixante-dix. Les derniers se sont formés politiquement en manifestant contre Pinochet ou pour la paix en Amérique centrale, et bien sûr en lisant les ouvrages de René Dumont et de l’ambassadeur Rouquié ici présent. En France, pour cette génération, pour ma génération, Miguel Angel Asturias, Octavio Paz et le regretté Carlos Fuentes sont donc des classiques, au même titre que Jorge Luis Borges ou Jorge Amado. Pour les plus jeunes générations, ce sont aussi les noms de Rodrigo Rey Rosa, de Fernando Vallejo, de Alvaro Mutis et de bien d’autres qui contribuent aux plaisirs des découvertes réciproques.
Ce n’est d’ailleurs là qu’un juste retour des choses : vos pays ont eux aussi accueilli une communauté française qui a largement contribué à forger votre identité. La France n’est certes pas l’Espagne ou l’Italie, dont les diasporas comptent plusieurs centaines de milliers de membres en Amérique latine. Mais cent mille français sont quand même enregistrés dans nos consulats de la région, et nous estimons qu’un nombre au moins équivalent de nos compatriotes vivent dans vos pays sans s’être signalés à notre dispositif consulaire. Qui plus est, plusieurs millions de latino-américains sont les descendants de ces instituteurs, de ces vignerons, de ces ingénieurs, de ces ouvriers qualifiés français qui avaient été recrutés par les « racoleurs » qui arpentaient au XIXème siècle la Savoie, le Béarn, la Corse, l’Aveyron ou même la région parisienne.
Surtout, la France est elle aussi un Etat américain, à travers ses collectivités d’outre-mer. Depuis la loi d’orientation sur l’outre-mer du 13 décembre 2000, ses anciens « départements français des Amériques » jouissent d’une large autonomie et sont autorisés à négocier des accords internationaux avec les Etats de la région.
- La Martinique et la Guadeloupe viennent ainsi de devenir membres observateurs de la Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes. Ces deux collectivités sont en outre candidates à l’Association des Etats de la Caraïbes et à l’Organisation des Etats de la Caraïbe Orientale
- Avec la Guyane, elles ont enfin demandé leur adhésion à l’Association des Etats de la Caraïbes et au CARICOM.
La France soutient pleinement ces candidatures et souhaite que ces collectivités s’insèrent pleinement dans leur environnement régional.
De cette histoire, de cette géographie commune, il est resté quelques grands personnages et autant de patronymes qui rappellent l’origine française de quelques grands latino-américains : Jules Supervielle, Carlos Gardel ou Alejo Carpentier, par exemple. Il en a aussi découlé une solidarité, qui s’est manifestée dans les moments les plus sombres de notre histoire commune. Notre République n’a pas oublié que les trois quarts des comités de la France libre sont nés en Amérique latine et dans les Caraïbes, sous la direction de Jacques Soustelle. Elle sait ce qu’elle doit aux volontaires argentins, chiliens et vénézuéliens de la Deuxième D.B. du Général Leclerc, ainsi qu’aux Uruguayens et aux Mexicains des Forces Navales Libres. La France n’a pas non plus oublié l’héroïsme de Philippe Kieffer, ce fils d’Haïti, né et élevé à Port-au-Prince, qui commandait la seule unité militaire française constituée lors du débarquement en Normandie. Elle se souvient de l’engagement du corps expéditionnaire brésilien débarqué en Italie aux côtés des Alliés pour libérer l’Europe.
De ce passé commun il reste un formidable réseau culturel et de coopération.
L’Amérique latine et les Caraïbes sont ainsi la terre d’élection des Alliances françaises, avec un réseau de 275 établissements dotés de 407 implantations, qui forme plus de 160 000 étudiants. Elles accueillent aussi 37 « lycées français », homologués par notre ministère de l’Education nationale. Elles sont enfin le terrain d’intenses coopérations inter-universitaires et de recherche, qui se traduisent par des échanges nourris d’idées et d’étudiants : la France est aujourd’hui le quatrième pays d’accueil des étudiants latino-américains en France, et plusieurs milliers de jeunes français passent désormais au moins une année universitaire dans vos établissements d’enseignement supérieur.
Ce dispositif a beaucoup évolué ces dernières années. Laurent Fabius m’a confié une mission de réflexion sur l’adaptation de notre réseau scolaire et d’enseignement aux besoins de nos communautés et de leurs pays d’accueil. J’écouterais avec intérêt vos réflexions et vos analyses sur ces lycées et sur ce réseau de coopération.
Avant que nous entamions la discussion sur ces nombreux sujets d’intérêt commun, il me reste à vous remercier une nouvelle fois pour votre invitation, et à vous souhaiter un bon appétit.
Je vous remercie de votre attention.
Source http://www.helene-conway.com, le 24 janvier 2013