Déclaration de M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre, sur le bien-fondé et les objectifs de l'intervention de la France au Mali, à l'Assemblée nationale le 16 janvier 2013.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Débat relatif à l'intervention au Mali, à l'Assemblée nationale le 16 janvier 2013

Texte intégral

Monsieur le Président, mesdames, messieurs les députés
Depuis plusieurs années la montée du terrorisme au Sahel est une source croissante de préoccupation. La dégradation de la situation au Mali en 2012 a hélas confirmé que les pires scénarios étaient possibles. L'assaut des groupes terroristes qui ont conquis une partie du territoire de ce pays a provoqué une profonde déstabilisation de l'Etat malien, une atteinte inacceptable à sa souveraineté et la constitution d'un sanctuaire terroriste à près de 2500 km du territoire national.
C'est donc toute une région déjà vulnérable dont la sécurité et la stabilité sont mises en danger, mais c'est une menace et cette menace pèse sur l'Europe et sur la France. A la tribune des Nations Unies, de l'Assemblée générale des Nations Unies, en septembre dernier, le président de la République avait averti que la situation créée par l'occupation d'un territoire au nord du Mali par des groupes terroristes était insupportable, inadmissible et inacceptable. Non seulement pour le Mali mais également pour tous les pays de la région et au-delà pour tous les Etats qui font preuve de détermination dans leur lutte contre le terrorisme.
La France a donc agi, elle a agi pour mobiliser la communauté internationale. Et nous pouvons l'affirmer, nos initiatives diplomatiques ont porté leurs fruits. Après deux premières résolutions le Conseil de sécurité des Nations Unies a autorisé le 20 décembre dernier le déploiement d'une force africaine de stabilisation, la MISMA.
L'Union européenne, quant à elle, a décidé d'une opération de soutien dans le cadre de la politique de sécurité et de défense commune. C'est probablement pour y faire obstacle que pour la première fois les groupes terroristes présents au nord du Mali, AQMI, le Mujao, et Ansar Eddine ont regroupé leurs forces afin de lancer l'offensive contre les villes commandant l'accès à Mopti à l'est et à Ségou à l'ouest en direction de Bamako. Dès le 9 janvier le président du Mali a lancé à la France une demande d'assistance militaire. La prise de Konna, le 10 janvier a achevé de nous convaincre que nous étions bien devant une agression caractérisée qui mettait en jeu l'existence même de l'Etat malien, et que les forces armées maliennes n'avaient pas les moyens d'y résister seules. Le Conseil de sécurité a confirmé cette menace directe pour la paix et la sécurité internationales dès le 10 janvier.
Le président de la République a donc décidé le vendredi 11 janvier que la France devait intervenir sans attendre, militairement, en appui aux forces armées maliennes.
Monsieur le président de l'Assemblée nationale, mesdames, messieurs les députés, face à des adversaires dangereux, bien équipés et déterminés, la France poursuit des objectifs parfaitement clairs et je souhaite à nouveau les rappeler devant vous. Le premier objectif c'est arrêter l'avancée des groupes terroristes vers Bamako ; le deuxième objectif, préserver l'existence de l'Etat malien et lui permettre de recouvrer son intégrité territorial ; le troisième objectif, favoriser l'application des résolutions internationales à travers le déploiement de la force africaine de stabilisation et l'appui aux forces armées maliennes dans leur reconquête du Nord. Le président de la République l'a affirmé avec détermination, notre intervention durera le temps nécessaire pour atteindre ces trois objectifs. Et les moyens engagés y répondent strictement. Aujourd'hui, 1700 militaires français sont engagés dans l'opération Serval, dont 800 sur le territoire malien. Notre dispositif aérien est composé de 12 avions de chasse et de 5 ravitailleurs. Notre dispositif terrestre comprend actuellement un état-major tactique, deux compagnies de combat, et un escadron blindé. L'ensemble de nos moyens continue à monter en puissance.
Leurs efforts se concentrent d'une part sur l'aide aux forces armées maliennes pour arrêter la progression des groupes terroristes en combinant une action aéroterrestre des forces spéciales, engagées dès les premières heures, des frappes aériennes et un appui par des unités terrestres. Les premiers éléments des compagnies françaises arrivées à Bamako ont commencé leur progression vers la zone de combat. Et les efforts portent d'autre part sur les actions aériennes mobilisant nos avions de chasse basés à Ndjamena ou en Métropole : elles visent dans la profondeur les bases aériennes des groupes terroristes pour leur infliger les pertes les plus importantes possibles et neutraliser leur capacité offensive sur l'ensemble du territoire malien. A cet égard, il ne saurait être question de figer l'actuelle ligne de front, ce qu'on appelle la ligne de front. Cette ligne n'est rien d'autre que le résultat d'une division artificielle du Mali et d'un rapport de force que nous avons précisément la volonté de modifier.
La France agit je le rappelle à la demande des autorités légitimes du Mali qui à deux reprises lui ont lancé un appel à l'aide, elle inscrit cet engagement dans le respect de la charte des Nations Unies et de son article 51, en parfaite cohérence politique avec les résolutions du Conseil de sécurité.
Le secrétaire général des Nations Unies a d'ailleurs salué notre réponse à la demande souveraine du Mali. Au Conseil de sécurité une grande majorité d'Etats membres a rendu hommage à la rapidité de notre intervention. Son opportunité et sa légalité sont incontestées.
Ce qui veut dire que de fait, la France n'est pas seule.
Notre décision bénéficie d'une large approbation internationale. Elle a été accueillie, je dois le rappeler, avec soulagement par les Etats africains, unanimes et qui sont prêts d'ailleurs à se mobiliser. L'Algérie nous a accordé les autorisations de survol nécessaires. Je me suis entretenu il y a quelques instants avec le Premier ministre algérien. Il a confirmé la fermeture de sa frontière avec le Mali pour ne laisser pénétrer aucune des forces terroristes qui seraient amenées à s'échapper à la suite de notre intervention.
Et quant à nos partenaires européens, ils sont eux aussi au rendez-vous, en mettant à notre disposition des moyens logistiques de transport ou de ravitaillement en vol. Le Royaume Uni, l'Allemagne, la Belgique, le Danemark devraient très rapidement être rejoints par d'autres. Et nous pouvons compter aussi sur le soutien des Etats-Unis et du Canada, sans compter les propositions que nous recevons d'autres pays.
Nous sommes intervenus en urgence, pour éviter un effondrement du Mali et qui aurait rendu vaines toute initiative internationale. Nous avions donc le devoir d'agir vite. C'est ce que le président de la République, après le Conseil de défense de vendredi dernier, a décidé. La priorité consiste à accélérer le déploiement de l'opération africaine qui doit aider les autorités maliennes à reprendre le contrôle de leur pays. D'ores et déjà un échelon précurseur de l'état-major de la force africaine est arrivé à Bamako. De nombreux contributeurs de troupes ont exprimé leur volonté de participer à cette opération. Je pense au Nigéria, je pense au Sénégal, en passant par le Bénin, le Burkina Fasso, la Côte d'Ivoire, le Niger, le Tchad, le Togo, et d'autres pays qui vont suivre. En conséquence, les premières troupes africaines devraient être en mesure d'arriver à Bamako d'ici la fin de la semaine.
Une réunion des chefs d'état-major de la CEDEAO se poursuit actuellement dans la capitale malienne et un sommet de l'organisation aura lieu à Abidjan le 19 janvier, où la France sera représentée comme observateur par Monsieur Laurent FABIUS, ministre des Affaires étrangères. Il s'agit d'autant d'occasions de poursuivre la mobilisation africaine et de préparer le déploiement opérationnel de la MISMA.
La France se mobilise également avec ses partenaires pour accélérer la mise en place de l'opération européenne EUTM Mali, qui apportera les indispensables soutiens logistiques et en formation. Catherine ASHTON, dont je salue la contribution, a convoqué demain à Bruxelles une session extraordinaire du conseil des ministres des Affaires étrangères. La France souhaite que cette réunion permette de créer l'EUTM Mali, c'est-à-dire cette organisation de soutien en formation, d'en désigner le commandement et d'envoyer dans les prochains jours une équipe de précurseurs sur le terrain. Cette réunion examinera, également, les réponses à apporter à la situation humanitaire qui se dégrade évidemment sur le terrain et dans les pays voisins du Mali.
Monsieur le Président ! Mesdames, messieurs les députés, j'ai évoqué hier les mesures adoptées par le Gouvernement dans le cadre du plan Vigipirate, elles ont pour but de renforcer la sécurité du territoire national, notamment la sécurité dans les transports, la sécurité des bâtiments publics ainsi que des lieux de culte. La même attention est portée à la situation de nos quelque 6.000 compatriotes qui résident au Mali et que nous avons encouragés - pour ceux dont la présence n'est pas indispensable dans le pays - à quitter ce pays, sans pour autant procéder à leur évacuation. La présence de nos forces offre naturellement une protection à notre communauté principalement installée à Bamako.
Enfin, comme je l'ai fait ces derniers jours, je souhaite évoquer à nouveau la situation de nos otages et l'angoisse de leurs familles. Nous sommes évidemment totalement solidaires de ces familles et de nos otages, mais, une fois encore, n'oublions pas que ce sont ceux-là mêmes qui détiennent nos otages et qui voulaient s'emparer de la totalité du Mali. Ne rien faire n'aurait pas contribué, en aucun cas, à la libération de nos otages et, dans ces circonstances, je sais pouvoir compter sur l'unité de l'ensemble des forces politiques de notre pays pour soutenir l'action qui a été engagée par la France après la décision du président de la République et du Gouvernement.
Cet engagement et ce soutien, nous le devons à nos soldats, qui, au péril de leur vie, sont engagés sur un terrain difficile aux côtés de l'armée malienne. A nouveau, je veux saluer leur courage et leur professionnalisme. Ils forcent l'admiration de nos compatriotes. J'ai présidé hier l'hommage solennel rendu par la nation au chef de bataillon BOITEUX, et je renouvelle ici, comme vous l'avez fait vous-même hier, toute ma solidarité à sa famille et la solidarité de la Nation. Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les Députés, pour toute démocratie, l'engagement de nos forces armées est une décision qui est grave. Mais nous pouvons aujourd'hui le constater, notre intervention a manifestement changé la donne.
Sur le terrain, nous sommes parvenus à arrêter l'offensive des groupes terroristes, dès le premier jour, dès le 11 janvier, à l'est, et depuis mardi, à l'ouest.
A Bamako, les institutions de transition, qu'il s'agisse du président ou du Premier ministre, sont ainsi confortées. C'est un élément, là aussi, essentiel car, nous en avons la conviction et la volonté, une paix durable au Mali passe, bien sûr, par une solution politique, c'est-à-dire l'adoption d'une feuille de route de la transition ouvrant la perspective d'élections démocratiques organisées sur tout le territoire malien. D'après les indications recueillies à Bamako, le Premier ministre CISSOKO souhaite aller vite, il a déjà consulté les partis politiques sur la feuille de route qui sera prochainement présentée au Conseil des ministres, puis, au Parlement malien, une cellule de suivi sera créée pour en assurer la mise en œuvre.
La donne devrait également changer entre le sud et le nord du Mali. Le retour à l'intégrité territoriale devra s'accompagner d'une négociation, destinée à établir les modalités d'une paix durable entre toutes les composantes du Mali et sur tout son territoire à l'exception, bien sûr, des groupes terroristes. Notre ambition est également de donner une nouvelle perspective de développement au Mali, et à toute cette région de l'Afrique. Car il n'y aura pas de stabilisation du Mali sans perspective d'avenir pour sa population. D'ores et déjà, je salue ici l'intention de la Commission européenne de reprendre son aide budgétaire au Mali, qui représente un apport de 92 millions d'euros. La France reprendra, elle aussi, son aide bilatérale, une fois la feuille de route de la transition adoptée. Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs les Députés, en décidant de répondre à l'appel au secours du Mali, la France a montré sa détermination à lutter contre le terrorisme dans ces moments difficiles, et alors que nos troupes sont engagées à l'étranger, l'unité de la nation est un atout irremplaçable. Je salue l'esprit de responsabilité dont toutes les forces politiques ont témoigné depuis le 11 janvier, face à la menace des groupes terroristes, la détermination du gouvernement ne faiblira pas. Je vous remercie.
Source http://www.gouvernement.fr, le 17 janvier 2013