Entretien de M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères, avec France Info le 23 janvier 2013, sur les élections en Israël, l'intervention militaire française au Mali et sur la Grande-Bretagne au sein de l'Union européenne.

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Média : France Info

Texte intégral


Q - Êtes-vous surpris du résultat des élections en Israël ?
R - On prévoyait - c'est ce que disaient des études d'opinion - une poussée importante de la droite et une difficulté de la gauche et du centre. Et ce n'est pas ce qui s'est passé, puisque M. Netanyahu arrive en tête.
Q - Affaibli, conforté mais affaibli.
R - Il a moins de sièges qu'avant, mais on doit bien sûr le féliciter. Et puis, ce qui est remarquable, c'est la poussée du centre et du centre-gauche, avec en particulier votre ancien collègue, puisqu'il était journaliste, Monsieur Lapid. Il y a aussi un bon score du parti travailliste et de Mme Livni. Cela veut dire que pour Shimon Perez, le président, qui va devoir désigner une personne pour composer le gouvernement, il est probable qu'il y aura une volonté d'un gouvernement large.
Q - Une coalition annoncée, finalement, il va falloir composer avec le centre droit, le centre gauche aussi.
R - On verra ce que nos amis israéliens décideront.
Q - Mais cela signifie quoi ? Cela veut dire que les Israéliens, aujourd'hui, veulent une autre politique ?
R - Cela signifie sûrement une volonté de changements de la part d'un certain nombre.
Mais ce qui me frappe aussi, et il faut faire très attention, c'est que, pour nous, l'une des questions majeures, peut-être la question majeure, c'est le conflit israélo-palestinien. Or, dans la campagne, ce thème n'a recueilli qu'un intérêt assez mineur. Or, c'est essentiel. Je souhaite surtout que 2013 ne soit pas une année blanche pour la paix et quelle que soit sa composition, le gouvernement engage très vite, avec les Palestiniens, des négociations qui sont essentielles pour la paix là-bas.
Q - Alors, puisque vous parlez de paix, venons-en à ce qui se passe en ce moment au Mali. L'UMP dénonce ce matin, l'improvisation de l'opération française là-bas, c'est un peu, hein, je cite Pierre Lellouche, ancien secrétaire d'État aux Affaires européennes, «comme si on allait en Afghanistan tout seul».
R - Le gouvernement a décidé, et je me tiendrai à cette règle, de ne pas entrer dans la polémique. Les Français sont rassemblés autour de cette opération nécessaire, le monde entier est rassemblé.
(...)
Q - On vous soutient de loin.
R - Non non...
Q - Il n'y a pas de troupes autres que les Français.
R - Pas de loin.
Q - Pas de troupes européennes, sur place au Mali, à nos côtés.
R - Les Européens, et notamment les Allemands, vont envoyer des formateurs pour l'armée malienne. Il y a des éléments logistiques qui nous sont donnés ainsi que des éléments financiers. J'étais samedi à Abidjan, où il y avait une réunion des chefs d'État et de gouvernement d'Afrique, tous ont dit : «Bravo la France, merci la France».
(...)
Q - Mais pardon d'insister, si on est en guerre contre le terrorisme...
R - Oui.
Q - ... et c'est bien ce que l'on a entendu, pourquoi est-ce que la France serait toute seule sur le terrain, face aux terroristes ?
R - Mais la France n'est pas toute seule. La France est avec les Maliens, les Tchadiens, les Sénégalais, les Togolais, les Nigériens et les Burkinabés. C'est ce que l'on voit sur le terrain.
Ce qui est vrai, en même temps, c'est que la France agit au nom de la communauté internationale, et quand j'entends M. Ban Ki-moon, secrétaire général des Nations unies, dire : «Je félicite la France, bravo la France, nous sommes avec vous», je pense que cela relativise un certain nombre de commentaires internes.
Q - Alors, se pose aussi la question des armes venues de Libye, et du coup celle aussi peut-être du financement. Marine Le Pen, qui était invitée sur France Info vendredi dernier, disait à ce même micro, que Paris, finalement, était un peu responsable de ce qui se passait aujourd'hui au Mali.
R - Non, je ne formulerais pas les choses ainsi. À l'époque, vous vous rappelez, au moment de l'intervention en Libye, c'était M. Sarkozy qui était président de la République. Nous, nous étions dans l'opposition et nous avions approuvé, je le rappelle, l'intervention en Libye.
Simplement, je crois que dans la gestion du conflit, on ne s'est pas beaucoup préoccupé de la suite. Il y a eu des interventions aériennes et après on s'est retiré alors qu'il y avait beaucoup d'armes sur place. Il y avait également de nombreuses factions et une grande partie de ces armes se retrouvent aujourd'hui dans le désert et au Mali. Et c'est peut-être cette suite du conflit qui n'a pas été gérée comme il l'aurait fallu.
Q - La Russie commence à évacuer ses ressortissants de Syrie, avec des avions qui ont été affrétés par Moscou et qui sont à Beyrouth en ce moment, pour commencer le rapatriement. C'est le signe, finalement, pour vous, aujourd'hui, que la Russie change de posture, ou pas, vis-à-vis de Bachar Al-Assad ?
R - Nous en discutions, en arrivant, avec Mme Lemaresquier, moi je n'ai pas encore vérification...
Q - Chef du service diplo de France Info.
R - Oui. Je n'ai pas vérification de ces informations, je vais vérifier, je ne peux pas me prononcer là-dessus, simplement...
Q - Mais si c'était le cas ?
R - Avec des «si», vous savez, on ne fait pas de diplomatie. Mais, en revanche, j'ai eu mon collègue Sergueï Lavrov au téléphone, récemment et je n'ai pas obtenu d'informations sur cette évolution. C'est possible et dans ce cas-là nous réagirons.
Q - Aujourd'hui, la Cour suprême du Mexique doit décider du sort de Florence Cassez. On a dit, évidemment, à maintes reprises, qu'il y avait un espoir pour la France, qui est incarcérée depuis 7 ans. Est-ce que le contexte, aujourd'hui, d'après vous, a vraiment changé, est-ce qu'il est plus favorable qu'hier ?
R - J'attends avec espoir, comme chacun, la décision de la Cour suprême. Lorsque le président mexicain est venu voir François Hollande, il y a de cela quelques semaines, notre accord a été de respecter pleinement la décision de la Cour suprême. Maintenant, il est vrai que le contexte, pour toute une série de raisons, apparaît plus favorable. Je souhaite évidemment très vivement, tout en respectant l'indépendance de la Cour suprême, que la vérité soit reconnue.
Q - Vous avez vu les intentions de David Cameron...
R - Oui.
Q - Oui... Il veut que la population se prononce, par référendum, sur la sortie du Royaume-Uni, de l'Europe.
R - Pas seulement ça...
Q - Il bluffe ?
R - Non, je ne crois pas nécessairement, mais il y a une combinaison dans l'esprit des conservateurs britanniques, si j'ai bien compris. D'un côté, ils disent : «nous allons faire un référendum», et de l'autre ils répètent «oui, mais un référendum sur des demandes, que nous ferions, nous, Britanniques, où toute une série de compétences de l'Europe seraient supprimées» c'est-à-dire une Europe à la carte. Alors, pour nous c'est non. Nous souhaitons bien sûr que les Britanniques puissent apporter une contribution positive à l'Europe.
Q - Mais en étant à l'intérieur.
R - Mais on ne peut pas faire l'Europe à la carte. Si vous voulez, je prendrais une comparaison que nos amis Britanniques vont bien comprendre. Admettons que l'Europe soit un club de football, on adhère à ce club de football, mais une fois que l'on est dedans, on ne peut pas dire «on joue au rugby».
Q - Donc c'est dangereux pour l'Europe.
R - Oui, mais cela risque d'être dangereux pour la Grande-Bretagne elle-même, parce que ce sera difficile pour la Grande-Bretagne d'être hors de l'Europe. L'autre jour, j'étais dans une réunion où il y avait beaucoup de Britanniques, et notamment des hommes d'affaires, et je leur ai dit, avec une certaine astuce : «Si la Grande-Bretagne décide de quitter l'Europe, nous vous déroulerons le tapis rouge».Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 24 janvier 2013