Déclaration de Mme Aurélie Filippetti, ministre de la culture et de la communication, surla diversité culturelle dans le domaine du cinéma et les systèmes d'aides de l'Etat, Paris le 23 janvier 2013.

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Circonstance : Assises pour la diversité du cinéma à Paris le 23 janvier 2013

Texte intégral


Tout d’abord permettez-moi de vous transmettre ma satisfaction de voir combien vous avez répondu nombreux à ces « Assises pour la diversité du cinéma ».
Ce nombre et la qualité des échanges de points de vue que vous venez d’avoir tous ensemble et dont j’ai déjà eu l’écho, témoignent de l’intérêt que vous portez vivement au cinéma français, à cet art et à cette industrie dont la France est si fière !
Ces Assises, je les ai appelées de mes voeux, en plein accord avec le Premier Ministre et le Président de la République, tout d’abord dans cette optique de créer un espace de discussions qui puisse nous rassembler !
Ces huit derniers mois, nous avons en effet tous lu ou même participé à des discussions passionnantes mais très éclatées sur le cinéma, dans des lieux multiples et des tribunes diverses …
Le premier objectif était donc, en organisant ces rencontres, que nous puissions échanger dans un moment où des questions se posent et où notre devoir – devoir collectif – est d’apporter les bonnes réponses. Il était donc important et utile que je puisse vous dire dans quel calendrier et dans quelles perspectives je me situe.
Pour cela, il faut d’abord rapprocher les principes qui guident cette action. Il est temps en effet, de nous rassembler autour de principes que nous partageons profondément les uns et les autres : le cinéma français rayonne jusque hors de nos frontières et plaît à de nombreux spectateurs sur nos territoires, parce qu’il repose sur la conjugaison d’une énergie d’entreprise et d’une volonté politique :
- une énergie privée : celle des créateurs individuels, des professionnels que vous êtes, mais aussi des entreprises et aventures collectives que vous représentez !
- et une action publique - État, parlementaires, autorité de régulation, et collectivités - à travers l’élaboration d’une politique sophistiquée, une politique d’incitation, en vue de favoriser la création et la diffusion d’oeuvres cinématographiques diverses, exigeantes, populaires, parfois les deux rassemblées, grâce à l’émergence de talents, la professionnalisation de ses acteurs, mais aussi l’industrialisation de nos filières.
Fort de ce partenariat public-privé, ce système de soutien créé en 1946 a pu être complété au fil des ans, d’autres volontés politiques : ont ainsi été mis en place l’IFCIC en 1983 dont nous célèbrerons les trente ans cette année, les Sofica en 1985, les obligations des chaînes de télévision qui sont regardées avec envie par d'autres pays européens, de même que les crédits d’impôts que le Gouvernement et le Parlement ont décidé de réformer en décembre dernier pour renforcer la compétitivité et partant soutenir l’emploi et favoriser la relocalisation des tournages en France, dans le contexte très difficile que nous connaissons économiquement.
Depuis l’avènement des télévisions privées, avec l’émergence d’internet, ce système de régulation que je considère vertueux, a toujours été fort par le passé, de sa capacité d’adaptation aux évolutions esthétiques et technologiques du 7ème art, mais aussi aux mutations économiques et commerciales des professionnels qui font et diffusent le cinéma.
Cette capacité d’adaptation est essentielle.
Dans cette même logique, vous avez convenu aujourd’hui que ce système nécessite quelques « réglages et améliorations ».
Les thèmes choisis, reprenant les échanges que nous avons eus depuis les quelques mois passés, y invitaient bien sûr !
Vous vous êtes ainsi interrogés sur la rentabilité des oeuvres sur toute la durée de leur exploitation commerciale, sur ces oeuvres qui par nature sont « uniques » et dont le succès n’est jamais acquis.
Des échos que j’ai eus de ces propos, de ce que j’ai entendu aussi, permettez-moi de retenir quelques termes :
- lucidité quant aux mutations technologiques et aux enjeux mondiaux,
- nécessité de transparence quant aux relations entre les acteurs du système, pour renforcer les liens de confiance nécessaires à l'écosystème
- responsabilité des différents protagonistes quant à leur rôle respectif.
Vous évoquez avec lucidité, la révolution numérique qui a déjà sonné, de même que vous vous questionnez sur la contribution de ces acteurs internationaux qui s’annoncent pour diffuser par de nouvelles voies, du cinéma dans notre espace européen mais aussi hexagonal. Vous le savez, c’est avec la conscience aiguë de ces enjeux que j’ai engagé le travail du ministère : il le fallait. C'est dans cet esprit que la mission confiée à Pierre Lescure travaille.
En outre, vous exprimez des inquiétudes sur les fondamentaux des systèmes d’aides au secteur cinématographique, dans un espace de régulation devenu européen : comment déboucheront les discussions avec la Commission européenne, s’agissant de la Communication Cinéma, mais aussi de la réforme de la taxe sur les services de télévision – distributeurs (TST-D) ?
A ce titre, je me permets de préciser que conformément à l’engagement du Président de la République, qu'il avait pris devant un certain nombre d'entre vous – et les positions se rapprochent avec les cabinets de José Manuel Barroso et Neelie Kroes -, le Gouvernement français vise à obtenir une TST-D assise sur une « assiette moderne » pour inscrire ensuite cette réforme, dans le premier véhicule législatif disponible (LFR ou loi audiovisuelle).
Par ailleurs, certains d’entre vous appellent de leurs voeux à davantage de transparence en matière de remontées de recettes, de même que d’autres – parfois les mêmes ! – souhaitent qu’on revoie les équilibres entre certains postes d’un même devis.
Enfin, vous avez à de nombreuses reprises rappelé la responsabilité de chacun et le fait qu’un cinéma accompagné par les mécanismes publics n’était pas un cinéma administré.
Vos remarques et interrogations sont pertinentes et légitimes. Elles appellent des initiatives concrètes des acteurs privés mais aussi des pouvoirs publics.
C’est la raison pour laquelle en vue de préserver les fondamentaux de l’exception culturelle et partant, préserver la diversité de notre création cinématographique, nous devons nous engager à la fois sur la voie de la pédagogie et de la clarification, mais aussi sur la voie de la modernisation de nos dispositifs.
Pédagogie d'abord parce que les débats de ces dernières semaines et derniers mois ont montré la nécessité de mieux expliquer nos mécanismes. N’a-t-on pas entendu des confusions - volontaires ou non - entre les différentes modalités de soutien et de régulation ?
Engageons, pourquoi pas, la commande d’un document de communication visant à présenter de façon pédagogique ce système de soutien au cinéma français et européen tissé et régulièrement affiné depuis 1946 ! C'est la première proposition que je peux vous faire.
Ensuite, il y a des actions de modernisation qui n’ont pas attendu les dernières polémiques pour être lancées. En premier lieu, examinons les propositions d’une réforme de la fiscalité numérique suite au rapport commandé par le Gouvernement à Messieurs Colin et Collin.
Ensuite, travaillons à partir des réflexions de Pierre Lescure qui me seront remises en mars prochain, visant à préparer l’acte II de l’exception culturelle. Le moment, je l’ai dit, sera essentiel.
Tirons les fruits également de l’étude que je viens de demander au CNC sur la rentabilité des oeuvres que je souhaite voir élaborée sur la base d’une méthodologie si possible concertée.
Je vous invite également à voir dans quelle mesure certains sujets pourraient relever de l’auto-régulation professionnelle car vous êtes sans doute les mieux positionnés, vous qui êtes au coeur de la fabrication des oeuvres, pour apprécier comment adapter l’économie du film à son potentiel commercial, comment répartir les coûts de production au mieux des nécessités des films, comment calibrer les salaires des acteurs et autres contributeurs. Chacun a conscience des efforts à effectuer.
C’est ainsi que je salue la volonté affirmée des partenaires sociaux d’aboutir à une convention collective de la production cinématographique dont le secteur a besoin ; même si j’ai conscience aussi de l’écart qui demeure entre les démarches engagées.
L’Etat et le CNC sauront vous accompagner demain encore pour héberger des concertations destinées à élaborer des chartes de bonne conduite, des devis type, et tout ce qui peut vous sembler nécessaire.
Je demande donc au CNC, à l’issue de ces assises, qu’il organise de la manière la plus pertinente, efficace, un groupe de suivi qui permettra, dans la concertation, de poursuivre ces réflexions en vue d’élaborer les ajustements nécessaires.
Ce groupe pourra ainsi travailler dès à présent sur les axes que je viens de rappeler et tout particulièrement l’étude économique et le rapport Lescure, quand il sera terminé.
Pour que nous nous fixions le même cap, je vous invite ensuite à ce que nous nous retrouvions dans la même formation, en juin prochain, pour cette fois regarder et examiner les réponses que nous aurons apportées aux questions aujourd’hui posées.
Nous avons commencé ces Assises sur une image d’Astérix, du village en pleine zizanie… Permettez moi de réutiliser cette métaphore qui nous parle tant pour formuler autrement nos conclusions :
- le village ne doit ni museler le barde, ni craindre les romains et pirates,
- le village est fort de la combinaison de tous ses corps de métiers, de même qu’il est fort de la palabre et du concile entre tous ses membres, dès lors qu’ils débouchent sur l’offensive et l’action,
- enfin, le village se renforcera encore davantage, sans potion magique, si ses palissades n’excluent jamais l’ouverture sur le grand large et, n’ayons pas peur de le dire, la conquête du grand large.
Je vous remercie.
Source http://www.culturecommunication.gouv.fr, le 25 janvier 2013