Texte intégral
Je souhaite tout dabord remercier les participants à la table ronde de ce matin, les acteurs qui ont témoigné au sujet dinitiatives conduites sur le terrain, dans un CFA ou dans une entreprise, enfin lAgence nationale de lutte contre lillettrisme qui a organisé lensemble de cet évènement. Lorsque jai été nommé ministre délégué à la formation professionnelle et à lapprentissage je me suis investi dans cette mission afin dabord de faire progresser des situations concrètes, daméliorer la vie des gens. Avec la lutte contre lillettrisme nous sommes au coeur de ces combats concrets ; ne pas pouvoir aider ses enfants à faire leurs devoirs, ne pas savoir lire une consigne de travail, être incapable de compter la monnaie, ne pas pouvoir déchiffrer la prescription dun médicament : voilà les difficultés à la fois très quotidiennes et très fondamentales auxquelles on se heurte lorsquon ne maîtrise pas la lecture, lécriture ou dautres savoirs de base tels que le calcul. On le voit lillettrisme percute de nombreuses facettes de la vie ; cest un problème éducatif, de santé publique, professionnel, culturel Il entrave à la fois linsertion sociale des personnes et la compétitivité de léconomie. Cest pourquoi en 1998 le Gouvernement alors dirigé par Lionel Jospin avait défini dans la loi dorientation relative à la lutte contre les exclusions le combat contre lillettrisme comme une priorité nationale. Il avait fait de cette cause une compétence partagée, la loi soulignant quelle devait être « prise en compte par le service public de léducation ainsi que les personnes publiques et privées qui assurent une mission de formation ou daction sociale ».
Je souhaite aujourdhui avec vous confirmer le caractère prioritaire de ce combat et vivifier lesprit partenarial qui lanime.
* Au début de cette matinée lINSEE et lANLCI ont exposé de manière très intéressante lactualisation en 2012 des chiffres de lillettrisme en France, les données précédentes datant de 2004. Daprès cette enquête environ 2 500 000 personnes âgées de 18 à 65 ans et scolarisées en France sont aujourdhui en situation dillettrisme et ne maîtrisent pas la lecture, lécriture ou dautres savoirs de base tels que le calcul.
51 % de ces personnes sont en emploi ce qui démontre que lillettrisme ne saurait se confondre avec lexclusion mais quil est présent dans notre environnement professionnel. Lenquête souligne aussi que la proportion des personnes en situation dillettrisme est plus forte pour les groupes dâge plus élevés.
Ces nouveaux chiffres démontrent un progrès puisquen 2004 cétait 9 % de la population et 3 100 000 personnes qui étaient en situation dillettrisme. Ce progrès résulte dun effet de génération avec larrivée à maturité de jeunes mieux éduqués : il faut sen réjouir.
Mais il résulte aussi manifestement de la forte mobilisation des acteurs depuis dix ans. Alors quen 2004 13 % des 46-55 ans étaient touchés par lillettrisme, ils sont aujourdhui 8 %. Leffet génération ne fait donc pas tout et je veux ici saluer laction conjuguée de lEtat, des Régions des partenaires sociaux et des acteurs de la société civile qui commence à porter ses fruits. Je tiens également à distinguer le rôle moteur de lAgence nationale de lutte contre lillettrisme, un temps malmenée par nos prédécesseurs et qui, conformément à sa mission a su repérer ce phénomène, le rendre visible mais aussi, en mettant de lhuile dans les rouages de cette compétence partagée, coordonner les acteurs et les outiller au mieux dans leur initiatives. La manifestation daujourdhui en est une nouvelle preuve.
Pourtant il convient de ne pas baisser la garde et la situation demeure préoccupante. Le phénomène de lillettrisme reste très important. La tendance globale, à la baisse, masque de fortes disparités qui sont autant dinégalités à réduire :
- Inégalités sociales avec les allocataires du RSA (20 %) ou ces personnes qui, à lâge de 5 ans, utilisaient à la maison une autre langue que le français et qui sont particulièrement touchés par le phénomène.
- Inégalités territoriales également, avec des régions plus touchées que dautres, ou aux dépens des résidents des zones urbaines sensibles. Enfin lillettrisme est encore plus pénalisant dans le contexte socio-économique actuel quil y a dix ans ; la lecture, le traitement de linformation, lappel à lautonomie sont désormais incontournables dans le monde du travail, quels que soient le métier ou la fonction exercés. Avec la crise, le marché du travail est plus sélectif encore et la maîtrise des savoirs de base est indispensable. Il convient donc, tous autant que nous sommes, de poursuivre et amplifier la mobilisation entreprise.
Pour ce qui me concerne, la lutte contre lillettrisme sera au coeur des deux grandes priorités de mon ministère.
Tout dabord offrir à chaque jeune laccès à un premier niveau de qualification. Beaucoup des plans régionaux de prévention et de lutte contre lillettrisme, animés par les correspondants régionaux de lANLCI, ont érigé en priorité lamélioration du niveau en compétences de base à lissue de la formation initiale. Limplication du ministère de lEducation Nationale et du ministère délégué à la réussite éducative en la matière est fondamentale. Pour ma part je suivrai très attentivement les actions innovantes menées avec lappui de lAgence au sein des CFA au profit des apprentis préparant un diplôme de niveau V et dont la diffusion permettra de diminuer le risque de rupture de contrats.
Lenquête 2012 a révélé que les premières années après la sortie de lécole étaient une période durant laquelle les jeunes, déjà fragilisés face à lécrit, pouvaient perdre leurs bases par manque de pratique et de sollicitation. Je souhaite donc que la lutte contre lillettrisme soit placée au coeur de laction des plates-formes de lutte contre le décrochage et que lEtat, la Région et les partenaires sociaux se mobilisent en ce sens dans le cadre des « Pactes régionaux pour la réussite éducative et professionnelle des jeunes » que je leur ai demandé délaborer sur les territoires suite à la Grande Conférence Sociale.
Ma deuxième priorité consiste à donner un caractère concret au droit à la formation tout au long de la vie. Là encore la lutte contre lillettrisme a un rôle éminent. Pour les demandeurs demploi tout dabord qui connaissent un taux dillettrisme de 10 %, bien au dessus de la moyenne : labsence de maîtrise des savoirs de base peut entraver leur projet dinsertion professionnelle et ce nest pas acceptable. Il faut que cet enjeu soit toujours mieux pris en compte par les prescripteurs.
Pour lensemble des actifs ensuite, je souhaite quen cette année 2013 puisse se concrétiser la belle idée du compte individuel de formation dont les partenaires sociaux viennent de jeter les bases dans leur accord relatif à la sécurisation de lemploi.
La mise en oeuvre du compte nécessitera un accord ambitieux de mise en oeuvre entre lEtat, les Régions et les partenaires sociaux. Je compte bien faire en sorte que dans une logique de formation initiale différée, la maîtrise des savoirs de base soit pleinement prise en compte dans les discussions. Pour pouvoir se former tout au long de la vie, il faut parfois en effet dabord « réapprendre », acquérir à nouveau les fondamentaux qui permettent daccéder à tout le reste.
* Laccès à la qualification pour tous les jeunes, le droit concret à la formation tout au long de la vie, voilà de belles ambitions dont la lutte contre lillettrisme est partie prenante.
Dans les prochaines semaines, vous allez prendre, nous allons prendre collectivement des initiatives concrètes au service de ces objectifs. Jen citerais quatre : Je veux dabord saluer lengagement des partenaires sociaux en lien avec la nouvelle convention cadre Etat-FPSPP 2013-2015. Ils vont consacrer en 2013 plus de 54 Meuros à un appel à projets dédié à lillettrisme et à lacquisition de socles de compétences. Cet engagement, à lappui des OPCA, dune ampleur inégalée et qui sinscrira dans la durée, bénéficiera en priorité aux salariés fragilisés.
Il sagit à la fois de sécuriser leur parcours et den faire plus encore les acteurs de la compétitivité de leur entreprise.
- Deuxième initiative, le nouvel acte de décentralisation qui va confier une compétence pleine et entière aux Régions dans la mise en oeuvre des actions de lutte contre lillettrisme en faveur des demandeurs demploi. Cette nouvelle donne va renforcer lefficacité de lintervention publique et favoriser le continuum des solutions proposées, de la maîtrise de lire, écrire, compter au développement dautres compétences clefs telles que louverture culturelle ou lapprofondissement de la citoyenneté.
Entre 2004 et 2011 les bénéficiaires salariés comme demandeurs demploi, de ce type dactions de formation sont passées de 60 000 à plus de 100 000. Gageons que lamplification de leffort des partenaires sociaux et la responsabilisation des Régions permettront daller plus loin encore quantitativement mais aussi qualitativement.
- Troisième initiative, le renouvellement du partenariat stratégique entre lEtat et lAgence nationale de lutte contre lillettrisme. Dans un contexte marqué à la fois par le volontarisme des acteurs et lévolution des compétences, la mission de coordination, dingénierie et de mutualisation des outils exercée par lAgence prend plus dimportance encore. Les corps dinspection ont récemment salué le travail déjà accompli. Nous devons capitaliser sur les acquis tout en définissant une nouvelle feuille de route pour les années qui viennent, qui prenne en compte, tant dans la gouvernance au niveau national que dans les modalités daction sur le terrain, la nouvelle donne que constituent la décentralisation et la montée en puissance des partenaires sociaux. La richesse de linter ministérialité (pas moins de onze ministères sont aujourdhui au conseil dadministration de lAgence) doit aussi être pleinement exploitée.
Enfin dernière initiative concrète qui pourrait bien nous occuper les mois à venir, cest le dépôt dune candidature par lANLCI au nom dun collectif de 61 structures, représentant aussi bien les salariés, léducation populaire, les parents délèves, les organismes de formation ou les responsables de ressources humaines au sein des entreprises, afin que la lutte contre lillettrisme soit reconnue grande cause nationale en 2013.
Même si des progrès, là encore, ont été faits le principal obstacle à la lutte contre lillettrisme reste le déni, linvisibilité, voire la honte ressentie par les personnes concernées. Et ce, alors que beaucoup de parcours et de témoignages individuels, souvent émouvants, démontrent aujourdhui quà chaque âge de la vie, il est possible de réapprendre.
Pouvoirs publics, employeurs, représentants des salariés, OPCA : nous devons poursuivre ce travail de dévoilement dun phénomène qui sil nest pas connu, sil nest pas admis, ne peut être combattu. Cest la raison pour laquelle avec Michel Sapin nous soutenons fermement cette candidature. En cas de succès en février, je mimpliquerai personnellement dans les temps forts de cette grande cause nationale.
Pour conclure je souhaite vous remercier pour votre mobilisation. Vous le savez, votre action contribue à changer positivement la vie des gens du point de vue personnel et professionnel. Comme la sécurité routière, ou la prévention du cancer, la lutte contre lillettrisme est une priorité nationale qui porte ses fruits sur le long terme, grâce au professionnalisme et à lengagement des acteurs. Nous avons aujourdhui des opportunités pour aller plus loin. Continuons à nous retrousser les manches !
Source http://travail-emploi.gouv.fr, le 21 janvier 2013