Déclaration de M. Thierry Repentin, ministre de la formation professionnelle et de l'apprentissage, sur l'illettrisme et la sécurisation des parcours professionnels, Paris le 17 janvier 2013.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Table ronde sur l'illétrisme à Paris le 17 janvier 2013

Texte intégral


Je souhaite tout d’abord remercier les participants à la table ronde de ce matin, les acteurs qui ont témoigné au sujet d’initiatives conduites sur le terrain, dans un CFA ou dans une entreprise, enfin l’Agence nationale de lutte contre l’illettrisme qui a organisé l’ensemble de cet évènement. Lorsque j’ai été nommé ministre délégué à la formation professionnelle et à l’apprentissage je me suis investi dans cette mission afin d’abord de faire progresser des situations concrètes, d’améliorer la vie des gens. Avec la lutte contre l’illettrisme nous sommes au coeur de ces combats concrets ; ne pas pouvoir aider ses enfants à faire leurs devoirs, ne pas savoir lire une consigne de travail, être incapable de compter la monnaie, ne pas pouvoir déchiffrer la prescription d’un médicament : voilà les difficultés à la fois très quotidiennes et très fondamentales auxquelles on se heurte lorsqu’on ne maîtrise pas la lecture, l’écriture ou d’autres savoirs de base tels que le calcul. On le voit l’illettrisme percute de nombreuses facettes de la vie ; c’est un problème éducatif, de santé publique, professionnel, culturel… Il entrave à la fois l’insertion sociale des personnes et la compétitivité de l’économie. C’est pourquoi en 1998 le Gouvernement alors dirigé par Lionel Jospin avait défini dans la loi d’orientation relative à la lutte contre les exclusions le combat contre l’illettrisme comme une priorité nationale. Il avait fait de cette cause une compétence partagée, la loi soulignant qu’elle devait être « prise en compte par le service public de l’éducation ainsi que les personnes publiques et privées qui assurent une mission de formation ou d’action sociale ».
Je souhaite aujourd’hui avec vous confirmer le caractère prioritaire de ce combat et vivifier l’esprit partenarial qui l’anime.
* Au début de cette matinée l’INSEE et l’ANLCI ont exposé de manière très intéressante l’actualisation en 2012 des chiffres de l’illettrisme en France, les données précédentes datant de 2004. D’après cette enquête environ 2 500 000 personnes âgées de 18 à 65 ans et scolarisées en France sont aujourd’hui en situation d’illettrisme et ne maîtrisent pas la lecture, l‘écriture ou d’autres savoirs de base tels que le calcul.
51 % de ces personnes sont en emploi ce qui démontre que l’illettrisme ne saurait se confondre avec l’exclusion mais qu’il est présent dans notre environnement professionnel. L’enquête souligne aussi que la proportion des personnes en situation d’illettrisme est plus forte pour les groupes d’âge plus élevés.
Ces nouveaux chiffres démontrent un progrès puisqu’en 2004 c’était 9 % de la population et 3 100 000 personnes qui étaient en situation d’illettrisme. Ce progrès résulte d’un effet de génération avec l’arrivée à maturité de jeunes mieux éduqués : il faut s’en réjouir.
Mais il résulte aussi manifestement de la forte mobilisation des acteurs depuis dix ans. Alors qu’en 2004 13 % des 46-55 ans étaient touchés par l’illettrisme, ils sont aujourd’hui 8 %. L’effet génération ne fait donc pas tout et je veux ici saluer l’action conjuguée de l’Etat, des Régions des partenaires sociaux et des acteurs de la société civile qui commence à porter ses fruits. Je tiens également à distinguer le rôle moteur de l’Agence nationale de lutte contre l’illettrisme, un temps malmenée par nos prédécesseurs et qui, conformément à sa mission a su repérer ce phénomène, le rendre visible mais aussi, en mettant de l’huile dans les rouages de cette compétence partagée, coordonner les acteurs et les outiller au mieux dans leur initiatives. La manifestation d’aujourd’hui en est une nouvelle preuve.
Pourtant il convient de ne pas baisser la garde et la situation demeure préoccupante. Le phénomène de l’illettrisme reste très important. La tendance globale, à la baisse, masque de fortes disparités qui sont autant d’inégalités à réduire :
- Inégalités sociales avec les allocataires du RSA (20 %) ou ces personnes qui, à l’âge de 5 ans, utilisaient à la maison une autre langue que le français et qui sont particulièrement touchés par le phénomène.
- Inégalités territoriales également, avec des régions plus touchées que d’autres, ou aux dépens des résidents des zones urbaines sensibles. Enfin l’illettrisme est encore plus pénalisant dans le contexte socio-économique actuel qu’il y a dix ans ; la lecture, le traitement de l’information, l’appel à l’autonomie sont désormais incontournables dans le monde du travail, quels que soient le métier ou la fonction exercés. Avec la crise, le marché du travail est plus sélectif encore et la maîtrise des savoirs de base est indispensable. Il convient donc, tous autant que nous sommes, de poursuivre et amplifier la mobilisation entreprise.
Pour ce qui me concerne, la lutte contre l’illettrisme sera au coeur des deux grandes priorités de mon ministère.
Tout d’abord offrir à chaque jeune l’accès à un premier niveau de qualification. Beaucoup des plans régionaux de prévention et de lutte contre l’illettrisme, animés par les correspondants régionaux de l’ANLCI, ont érigé en priorité l’amélioration du niveau en compétences de base à l’issue de la formation initiale. L’implication du ministère de l’Education Nationale et du ministère délégué à la réussite éducative en la matière est fondamentale. Pour ma part je suivrai très attentivement les actions innovantes menées avec l’appui de l’Agence au sein des CFA au profit des apprentis préparant un diplôme de niveau V et dont la diffusion permettra de diminuer le risque de rupture de contrats.
L’enquête 2012 a révélé que les premières années après la sortie de l’école étaient une période durant laquelle les jeunes, déjà fragilisés face à l’écrit, pouvaient perdre leurs bases par manque de pratique et de sollicitation. Je souhaite donc que la lutte contre l’illettrisme soit placée au coeur de l’action des plates-formes de lutte contre le décrochage et que l’Etat, la Région et les partenaires sociaux se mobilisent en ce sens dans le cadre des « Pactes régionaux pour la réussite éducative et professionnelle des jeunes » que je leur ai demandé d’élaborer sur les territoires suite à la Grande Conférence Sociale.
Ma deuxième priorité consiste à donner un caractère concret au droit à la formation tout au long de la vie. Là encore la lutte contre l’illettrisme a un rôle éminent. Pour les demandeurs d’emploi tout d’abord qui connaissent un taux d’illettrisme de 10 %, bien au dessus de la moyenne : l’absence de maîtrise des savoirs de base peut entraver leur projet d’insertion professionnelle et ce n’est pas acceptable. Il faut que cet enjeu soit toujours mieux pris en compte par les prescripteurs.
Pour l’ensemble des actifs ensuite, je souhaite qu’en cette année 2013 puisse se concrétiser la belle idée du compte individuel de formation dont les partenaires sociaux viennent de jeter les bases dans leur accord relatif à la sécurisation de l’emploi.
La mise en oeuvre du compte nécessitera un accord ambitieux de mise en oeuvre entre l’Etat, les Régions et les partenaires sociaux. Je compte bien faire en sorte que dans une logique de formation initiale différée, la maîtrise des savoirs de base soit pleinement prise en compte dans les discussions. Pour pouvoir se former tout au long de la vie, il faut parfois en effet d’abord « réapprendre », acquérir à nouveau les fondamentaux qui permettent d’accéder à tout le reste.
* L’accès à la qualification pour tous les jeunes, le droit concret à la formation tout au long de la vie, voilà de belles ambitions dont la lutte contre l’illettrisme est partie prenante.
Dans les prochaines semaines, vous allez prendre, nous allons prendre collectivement des initiatives concrètes au service de ces objectifs. J’en citerais quatre : Je veux d’abord saluer l’engagement des partenaires sociaux en lien avec la nouvelle convention cadre Etat-FPSPP 2013-2015. Ils vont consacrer en 2013 plus de 54 Meuros à un appel à projets dédié à l’illettrisme et à l’acquisition de socles de compétences. Cet engagement, à l’appui des OPCA, d’une ampleur inégalée et qui s’inscrira dans la durée, bénéficiera en priorité aux salariés fragilisés.
Il s’agit à la fois de sécuriser leur parcours et d’en faire plus encore les acteurs de la compétitivité de leur entreprise.
- Deuxième initiative, le nouvel acte de décentralisation qui va confier une compétence pleine et entière aux Régions dans la mise en oeuvre des actions de lutte contre l’illettrisme en faveur des demandeurs d’emploi. Cette nouvelle donne va renforcer l’efficacité de l’intervention publique et favoriser le continuum des solutions proposées, de la maîtrise de lire, écrire, compter au développement d’autres compétences clefs telles que l’ouverture culturelle ou l’approfondissement de la citoyenneté.
Entre 2004 et 2011 les bénéficiaires salariés comme demandeurs d’emploi, de ce type d’actions de formation sont passées de 60 000 à plus de 100 000. Gageons que l’amplification de l’effort des partenaires sociaux et la responsabilisation des Régions permettront d’aller plus loin encore quantitativement mais aussi qualitativement.
- Troisième initiative, le renouvellement du partenariat stratégique entre l’Etat et l’Agence nationale de lutte contre l’illettrisme. Dans un contexte marqué à la fois par le volontarisme des acteurs et l’évolution des compétences, la mission de coordination, d’ingénierie et de mutualisation des outils exercée par l’Agence prend plus d’importance encore. Les corps d’inspection ont récemment salué le travail déjà accompli. Nous devons capitaliser sur les acquis tout en définissant une nouvelle feuille de route pour les années qui viennent, qui prenne en compte, tant dans la gouvernance au niveau national que dans les modalités d’action sur le terrain, la nouvelle donne que constituent la décentralisation et la montée en puissance des partenaires sociaux. La richesse de l’inter ministérialité (pas moins de onze ministères sont aujourd’hui au conseil d’administration de l’Agence) doit aussi être pleinement exploitée.
Enfin dernière initiative concrète qui pourrait bien nous occuper les mois à venir, c’est le dépôt d’une candidature par l’ANLCI au nom d’un collectif de 61 structures, représentant aussi bien les salariés, l’éducation populaire, les parents d’élèves, les organismes de formation ou les responsables de ressources humaines au sein des entreprises, afin que la lutte contre l’illettrisme soit reconnue grande cause nationale en 2013.
Même si des progrès, là encore, ont été faits le principal obstacle à la lutte contre l’illettrisme reste le déni, l’invisibilité, voire la honte ressentie par les personnes concernées. Et ce, alors que beaucoup de parcours et de témoignages individuels, souvent émouvants, démontrent aujourd’hui qu’à chaque âge de la vie, il est possible de réapprendre.
Pouvoirs publics, employeurs, représentants des salariés, OPCA : nous devons poursuivre ce travail de dévoilement d’un phénomène qui s’il n’est pas connu, s’il n’est pas admis, ne peut être combattu. C’est la raison pour laquelle avec Michel Sapin nous soutenons fermement cette candidature. En cas de succès en février, je m’impliquerai personnellement dans les temps forts de cette grande cause nationale.
Pour conclure je souhaite vous remercier pour votre mobilisation. Vous le savez, votre action contribue à changer positivement la vie des gens du point de vue personnel et professionnel. Comme la sécurité routière, ou la prévention du cancer, la lutte contre l’illettrisme est une priorité nationale qui porte ses fruits sur le long terme, grâce au professionnalisme et à l’engagement des acteurs. Nous avons aujourd’hui des opportunités pour aller plus loin. Continuons à nous retrousser les manches !
Source http://travail-emploi.gouv.fr, le 21 janvier 2013