Interview de M. Pierre Moscovici, ministre de l'économie et des finances, à "RTL" le 28 janvier 2013 sur l'arrivée d'Anne Lauvergeon chez EADS, la censure par le Conseil constitutionnel de la taxe à 75 %, les négociations avec les partenaires sociaux.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

OLIVIER EMOND
Anne LAUVERGEON chez EADS, c’est bien parti ?
PIERRE MOSCOVICI
Elle sera chez EADS, déjà, au conseil d’administration - ça c’est une affaire entendu - puisque l’Etat peut nommer deux personnes, il a choisi de nommer à la fois Anne LAUVERGEON et Jean-Claude TRICHET, pour la suite je pense que c’est une femme qui a de grandes qualités qui doivent être pleinement utilisées et, nous, nous sommes favorables à ce qu’elles le soient. Mais en même temps respectons les structures de gouvernance, comme on dit, de l’entreprise, c’est le comité de rémunération qui se prononce, puis le conseil d’administration, puis l’assemblée générale, mais il me semble qu’en effet elle a toutes les qualités pour jouer un rôle majeur (son énergie, ses compétences industrielles) chez EADS.
OLIVIER EMOND
Les partenaires Allemands sont d’accord sur ce nom ?
PIERRE MOSCOVICI
On va en discuter ! Je pense en tout cas qu’il est important que soit respecté cet équilibre qui, depuis le début, existe chez EADS dans la gouvernance entre les Français et les Allemands. C’est d’ailleurs plutôt ce qui a été convenu, je sais que d’autres noms, comme celui de Monsieur CAMUS, sont évoqués, mais je crois que Monsieur CAMUS a beaucoup à faire chez ALCATEL - qui est une entreprise qui n’est pas dans une situation toujours facile et qui représente des intérêts économiques importants – donc voilà ce que je veux dire. Mais en attendant, encore une fois, c’est aux instances régulières de gouvernance de l’entreprise de se prononce. Nous avons, nous, une position et la plus grande confiance dans les capacités de Madame LAUVERGEON.
OLIVIER EMOND
Pierre MOSCOVICI ! Il faut faire la taxe à 75% ?
PIERRE MOSCOVICI
Oui ! Il faut faire la taxe à 75%, c’était une promesse de campagne du candidat François HOLLANDE devenu président de la République. Et l’idée qu’elle était-elle ? Ce n’était pas de faire une taxe qui est un rendement élevé, ce n’était pas de rapporter beaucoup d’argent aux caisses de l’Etat, c’était de manifester que, dans une situation qui est une situation très difficile pour la France, celle du redressement de nos finances publiques qui doit être entrepris, dès lors qu’on demandait des efforts à tous (aux ménages, aux entreprises), 30 milliards d’euros cette année, il fallait que ceux qui gagnent le plus d’argent (1 million d’euros et plus) et les 75% ne s’appliquaient qu’au-delà de 1 million d’euros, ceux-là soient amenés à faire une contribution doublement exceptionnelle, exceptionnelle par son ampleur et son montant , exceptionnelle aussi par sa durée, elle devait être temporaire. Le Conseil Constitutionnel a censuré la mesure, dont acte, c’est lui le juge suprême, le juge constitutionnel, nous respectons ses principes. Et donc nous sommes en train de chercher une mesure, qui à la fois puisse conserver l’esprit, cette mesure exceptionnelle - je le répète – temporaire…
OLIVIER EMOND
… ça veut dire que ça ne sera pas forcément 75% ?
PIERRE MOSCOVICI
Il faut faire en sorte aussi que les principes fixés par le Conseil Constitutionnel soient respectés, moi j’ai envie que cette mesure soit adoptée par le Parlement et puis soit validée par le Conseil Constitutionnel. Donc nous sommes en train de travailler sur tout ça - nous avons des idées assez précises – et, dès dans les quelques semaines qui viennent, le Premier ministre a dit hier dans le mois, nous ferons savoir quel est le schéma retenu pour faire en sorte qu’en effet on demande à ceux qui ont le plus cette contribution exceptionnelle. Encore une fois le pays est dans une situation qui est une situation pas facile, nous avons hérité de cela, 1.700 milliards de dettes publiques, des déficits qui étaient encore supérieurs à 5%, nous visons 3% en 2013, c’est nécessaire pour la crédibilité de la France, eh bien, si nous faisons cela, il est logique que les plus riches contribuent pour un temps, le temps que justement ce redressement soit effectif.
OLIVIER EMOND
Vous parliez à l’instant de la dette publique, l’ancien Premier ministre Michel ROCARD affirmait hier dans une interview au JDD qu’il y avait le feu aux finances publiques, Michel SAPIN expliquait avoir hérité en juin d’un Etat en totale faillite, ça va mieux ?
PIERRE MOSCOVICI
Ecoutez ! Michel SAPIN se référait à une phrase de François FILLON…
OLIVIER EMOND
Celle de François FILLON !
PIERRE MOSCOVICI
Qui était en 2007, qui disait : je suis à la tête d’un Etat en faillite - ce n’était pas à la tête de l’Etat d’ailleurs puisque c’était le président de la République, Nicolas SARKOZY, qui l’était – mais ce qu’il signifiait par là c’est que la situation des finances publiques était préoccupante, et, s’il est préoccupante en 2007 – 2008, elle est plus préoccupante aujourd’hui puisque nous avons accumulé, ils ont accumulé, 600 milliards d’euros de dettes publiques. Mais le terme n’est pas tout à fait approprié, parce que la France est un pays qui n’a pas besoin de fermer les services publics de manière massive, c’est un pays qui a un crédit sur les marchés, nous empruntons aujourd’hui à 2,2%, 60% de points de base, 60 points de base de plus que l’Allemagne, alors qu’il y a un an c’était 140 points de base, et, donc, nous avons considérablement amélioré notre image.
OLIVIER EMOND
Et quand on emploie ce mot de faillite…
PIERRE MOSCOVICI
Et le…
OLIVIER EMOND
C’est pourquoi ? C’est pour faire prendre conscience aux Français…
PIERRE MOSCOVICI
C’est pour…
OLIVIER EMOND
Que la situation est vraiment compliquée ?
PIERRE MOSCOVICI
C’est une image, pour dire : Voilà ! C’est compliqué, c’est dur, le redressement des finances publiques est un impératif et ça n’est pas simple, mais non la France est un pays vraiment solvable, la France est un pays vraiment crédible, la France est un pays qui entame ce redressement. J’étais à Davos vendredi dernier et j’ai pu voir à quel point, dans les milieux économiques et financiers internationaux, on était conscients que nous étions à la tâche et que nous faisions cet effort de réduction des déficits structurels, le déficit structurel - c'est-à-dire hors des impacts de la conjoncture – diminuera de 2% quoi qu’il arrive en 2013, c’est un effort historique. Mais nous le faisons en bon ordre, c'est-à-dire que nous conservons la justice sociale, des politiques pour l’emploi, une priorité à l’éducation – qui est fondamental pour nous – la justice, la sécurité. C’est donc une politique budgétaire oui économe mais intelligente que nous menons pour redresser les finances publiques et, moi, je préfère dire cela : notre tâche c’est le redressement du pays, redressement productif, redressement de nos finances publiques, nous sommes en train de le faire, je sais que c’est difficile. Les Français qui nous écoutent savent en même temps que c’est nécessaire si on veut que la France demeure ce qu’elle est, un grand pays, la 5ème puissance économique du monde.
OLIVIER EMOND
Parlons emploi ! Justement, Pierre MOSCOVICI, à quel moment les mesures prises par le gouvernement depuis le début de l’été auront un effet sur le chômage ?
PIERRE MOSCOVICI
Ecoutez ! Je pense assez rapidement. Pour ceux qui les concernent, la question de savoir est-ce que ça suffira à infléchir la courbe du chômage et quand. Bon, il y a des mesures qui ont été prises, qui sont des mesures très fortes, il y a d’abord ces emplois d’avenir - et ils sont en train de se signer dans toute la France avec des hôpitaux, des collectivités, des associations – pour donner une chance à tous ces jeunes, le taux de chômage des jeunes est de 25% en France, c’est inacceptable, la jeunesse…
OLIVIER EMOND
Combien de contrats signés, vous avez déjà des chiffres ?
PIERRE MOSCOVICI
Je n’ai pas de chiffres moi aujourd’hui ! Mais la jeunesse est la priorité du quinquennat de François HOLLANDE, elle l’est plus que jamais, cette situation est inacceptable ; Il y a les contrats de génération, ils ont été votés par l’Assemblée nationale, ils permettront à la fois de maintenir un senior dans l’entreprise et d’embaucher un jeune, puisque vous savez que nous avons un problème aux 2 bouts de la pyramide des âges (pas assez d’emplois des seniors et trop de jeunes au chômage) et, donc, il y a ces mesures-là. Mais il y a derrière ça tout ce que nous faisons pour doper la compétitivité française, doper au bon sens du terme, ce n’est pas Lance ARMSTRONG, pour la muscler, pour la renforcer ; il y a ce que nous faisons pour l’attractivité de notre territoire ; il y a ce qui se fait aussi en matière de réforme du marché du travail, cet accord historique qui a été signé par les partenaires sociaux et qui sera ensuite soumis au vote du Parlement ; et il y a, enfin, toute la politique pour la croissance que nous menons. Et ma conviction c’est que le pari, ou plutôt la promesse, l’engagement qui a été fait par François HOLLANDE, d’inverser la courbe du chômage d’ici 2013, il est tenable, il est tenable si ces mesures font effet - et je crois qu’elles feront effet, j’en suis même persuadé - par la compétitivité, contrats de génération, emplois d’avenir et elle est tenable aussi si nous parvenons à inverser la courbe de la croissance, à relancer la croissance, une croissance plus riche en emploi – là je réponds aussi à Michel ROCARD – je comprends ses interrogations - mais nous avons besoin de croissance si nous voulons créer de l’emploi dans ce pays, mais une croissance qui soit une croissance qui soit créatrice d’emplois, c’est ce que nous voulons faire. Et je pense en effet, là encore je reviens de Davos et on en a parlé par exemple avec Monsieur DRAGHI, on sait que le dernier trimestre de 2012 est difficile, on sait que premier trimestre de 2013 n’est pas simple, j’espère qu’à partir du deuxième semestre nous aurons une reprise de la croissance - avec ensuite une tendance pour 2014 et 2015 beaucoup plus favorable – et, donc, nous pourrons en effet inverser cette courbe. Nous sommes mobilisés, l’emploi, l’emploi, l’emploi, la croissance, une croissance créatrice d’emplois, une France compétitive, une France redressée, et dans ses finances publiques et dans son industrie, voilà ce qu’est la politique du gouvernement, le coeur de la politique. C’est cela que je suis chargé, moi, de faire.
OLIVIER EMOND
Dans l’industrie automobile, Pierre MOSCOVICI, la direction et les syndicats de RENAULT reprennent demain les négociations sur un possible accord de compétitivité, pour l’instant il y a 7.500 suppressions nettes de postes qui sont prévues d’ici 2016, cet accord c’est un gel des salaires, plus de flexibilité - ce qui est proposé en tout cas puisque ça n’est pas signé pour l’instant – un temps de travail à la hausse. Que dit l’Etat actionnaire, premier actionnaire de RENAULT, il faut signer cet accord ? Vous dites aux syndicats : Allez- ! Vous n’avez pas le choix ?
PIERRE MOSCOVICI
Nous avons adopté depuis que nous sommes aux responsabilités une nouvelle démarche, qui a d’ailleurs porté ses fruits, j’évoquais l’accord sur le marché du travail il y a quelques secondes…
OLIVIER EMOND
Signé au début du mois !
PIERRE MOSCOVICI
Qui est une politique qui fait confiance au dialogue social. Et vous l’avez dit vous-même, les propositions qui sont sur la table ce sont des propositions d’entré de négociation de la part de la direction, l’Etat actionnaire – puisque vous le dites – il a fixé - puisque vous l’évoquez - a fixé 2 lignes rouges : la première, c’est qu’i n’y ait pas de licenciement ; et la deuxième, c’est qu’il n’y ait pas de fermeture d’usine, pour le reste que la discussion se déroule de façon en effet à aboutir à un résultat gagnant – gagnant (et pour l’emploi, et pour les salariés, et pour les rémunérations, et pour la compétitivité), c’est cet équilibre qu’il faut trouver. J’ajoute une chose, c’est que l’Etat actionnaire aussi est attentif à la rémunération du premier dirigeant, Monsieur GHOSN, quand il a été proposé…
OLIVIER EMOND
13 millions d’euros !
PIERRE MOSCOVICI
Une certaine rémunération lors du dernier conseil, c’était en décembre, l’Etat actionnaire a voté contre, moi dans la fonction qui est la mienne j’applique ce que le président de la République a décidé, c'est-à-dire de faire en sorte que dans les entreprises publiques il n’y ait pas d’écarts de salaires de 1… au-delà de 1 à 20, et les rémunérations des dirigeants d’entreprises publiques ont été plafonnées au plus à 450.000 euros - je ne préconise pas ça pour toutes les entreprises privées - mais je dis que, quand une entreprise rencontre de telles difficultés, il faut en effet qu’il y ait cet effort de décence qui soit fait et j’appelle à ce qu’il le soit, et c’est ça que l’Etat actionnaire dit, je rappelle que l’Etat est actionnaire de RENAULT d’une façon minoritaire, à 15%, mais il a quand même sa voix au chapitre et c’est une voix forte.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 28 janvier 2013