Déclaration de M. Michel Sapin, ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, sur les enjeux de l'IRES notamment sur le dialogue social et la politique de l'emploi, Paris le 24 janvier 2013.

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  • Michel Sapin - Ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social

Circonstance : 30ème anniversaire de l'IRES à Paris le 24 janvier 2013

Texte intégral

Pour commencer, je dois vous présenter les excuses du Premier Ministre, qui avait prévu de venir devant vous mais est retenu par d’autres obligations dans cette période fortement marquée, comme vous le savez, par notre actualité internationale. Il m’a chargé de porter son message et, en tant que ministre du travail, mais aussi du dialogue social, je suis heureux de le faire.

1.La recherche et l’action
Nous, responsables politiques – mais c’est aussi le cas des acteurs économiques et sociaux – invoquons sans cesse l’action, la nécessité de mettre en oeuvre, construire, transformer. C’est sur ce terrain que nous sommes attendus.
Mais pour avoir prise sur le réel, pour viser juste –dans tous les sens du terme-cette action doit être pensée. Elle doit s’inscrire dans un périmètre intellectuel. Elle doit être traversée d’histoire et de sociologie, de philosophie et d’esthétique, car on n’intervient par sur une société comme sur un matériau inerte.
Agir, quand on est ministre, dirigeant syndical ou professionnel, c’est mettre en jeu des ruptures et des continuités, des groupes et des conflits, des mémoires et des cultures, une éthique, des consciences, des concepts. L’action, c’est la partie émergée de l’iceberg, le reste, ce sont les sciences de l’homme et de la société.
C’est donc avec plaisir que je viens conclure vos travaux, conscient des liens réciproques entre la science et l’action. Conscient, surtout que dans un monde qui change si vite, il va nous falloir le grand renfort des sciences humaines et sociales pour le rendre intelligible, et d’abord intelligible à nous-mêmes.
L’IRES est depuis l’origine au coeur de ce lien entre recherche et action, se nourrissant l’une l’autre, s’influençant l’une l’autre. Un lien qu’elle a su conserver au fil des années. Sa force est d’être une création des acteurs eux-mêmes, en 1982, tandis que le Président François Mitterrand et le gouvernement de Pierre Mauroy octroyaient les moyens indispensables à ce renforcement de l’action syndicale (locaux, mises à disposition, financement).
Un autre enjeu de l’IRES, c’est d’être capable d’une pluralité de lectures de l’économie et du social. Malgré des traditions et options différentes, les syndicats ont eu la force de fonder une recherche commune. 30 ans, c’est un bel âge, la force de l’âge. Je le disais il y a peu des lois Auroux, autre avancée sociale majeure née de l’alternance de 1981. En 30 ans, l’IRES a su trouver sa voie, consolider sa position, développer sa culture de dialogue.

2.Penser les bouleversements du monde économique et social
Plus que jamais, le moment que nous vivons demande des lieux de recherche et réflexion. Les changements présents de la nature des entreprises, des leur organisation, du statut des travailleurs, de leurs compétences, mais aussi de leurs aspirations doit nous conduire à fonder de nouvelles grilles d’analyse.
Les pactes sociaux des années 50-70 reposaient sur une logique industrielle qui privilégiait le long terme et la croissance interne, ce qui permettait de stabiliser les compromis sociaux fondés sur le modèle du marché interne du travail. Les nouvelles conditions de la production ont remis en cause ces fondements. Dans les grandes entreprises, des unités autonomes de petite taille, orientées et pilotées par le marché ont été créées. Les activités considérées comme non stratégiques ont été externalisées et la sous-traitance s’est développée. Parallèlement, le développement des groupes d’entreprises modifie les conditions d’élaboration de la négociation collective par une double disjonction :

  • D’une part, entre unité de production et employeur – car au sein d’un même collectif cohabitent souvent des salariés appartenant à des entreprises différentes ou à des filiales d’un même groupe qui ne relèvent pas de la même convention collective
  • D’autre part, la distance s’accroit entre l’employeur juridiquement responsable et les centres de décision sur le capital. La pression de la concurrence a aussi mis en valeur la nécessité d’une stratégie et d’une action qui excède la seule entreprise, mais qui rassemble la filière.

Il faudrait ajouter la fragmentation du statut des travailleurs. L’unité qui prévalait jadis a volé en éclat, ne manquant pas d’aiguiser des concurrences, notamment quand l’emploi se fait rare. Dès lors, comment être syndicaliste aujourd’hui ? Voilà une question pertinente, tant du point de vue de l’action, que de la recherche et, bien sûr, de la recherche commune.
Ces mouvements transforment la nature des règles qui gouvernent les négociations et les rapports de force. On peut débattre longuement de ce sujet –et je crois que vous venez de le faire, mais je vous livre une réflexion personnelle issue de l’expérience de 8 mois de ministre du dialogue social, et de nettement plus de 8 mois d’acteur politique impliqué dans ces questions. Le rôle des syndicats se déplace du terrain strictement revendicatif vers celui de co-acteurs du changement. Ce terrain revendicatif est et restera essentiel, mais le syndicaliste doit aussi souvent endosser un costume nouveau, celui de « diplomate » chargé de rapprocher les attentes et les points de vue des multiples acteurs, de la base comme du sommet. Ce « diplomate » syndical, ce négociateur, n’est plus seulement celui qui porte une revendication, qui arrache des avancées, qui représente les attentes de ses seuls mandants, mais celui qui trouve des espaces de médiation entre les différentes logiques qui se confrontent pour imaginer des solutions, pour trouver pas seulement un troc de concessions réciproques, mais un nouvel équilibre de progrès. C’est aussi cela que j’appelle le « dialogue social à la française », et nous en voyons des illustrations concrètes émerger.

3.« Pour un dialogue social renouvelé »
J’en viens justement à cette question du dialogue social. Lors de sa fondation, l’IRES s’est donné une mission, « agir pour un dialogue social renouvelé ». Cette mission n’a pas pris une ride.
Au contraire, dans la mesure où les syndicats ont vocation à être désormais mieux associés

  • à la gestion des compétences et à l’anticipation de l’activité ;
  • à la décision dans l’entreprise en siégeant demain, avec voix délibérative dans les CA des grands groupes ;
  • à négocier les conditions de la sauvegarde de l’emploi, ou la façon dont les restructurations doivent être conduites lorsqu’elles sont inévitables. Le cas échéant, souvent, ils ont et auront besoin pour cela de s’appuyer sur des expertises plus pointues, dans tous les domaines. Bien sûr, ce n’est pas l’IRES qui a vocation à expertiser la situation économique d’une entreprise pour établir si un accord de maintien dans l’emploi est légitime. Ou la qualité d’un PSE. Mais l’Institut est et demeurera un vivier d’idées et de pratiques pour une démocratie sociale qui ne va jamais de soi.

L’ambition du dialogue social est plus que jamais d’actualité en ce mois de janvier 2013, à l’issue d’un accord du 11 janvier sur la sécurisation de l’emploi. Je connais les divergences sur la portée réelle cet accord, qui satisfait les uns mais en inquiète d’autres. Je les respecte. La liberté de chaque acteur doit être respectée, et personne ne sera privé du droit de faire entendre son point de vue et d’échanger dans l’élaboration de la loi de transposition, et peut être –pourquoi pas- d’y trouver des apaisements.
Vous êtes de fins connaisseurs de notre vie sociale, et vous savez donc que cet accord du 11 janvier est le premier accord global, sur autant de sujets du marché du travail, depuis près de 40 ans –je parle des accords réussis.
Nous avons fait, revenus au pouvoir, le choix inverse de celui de nos prédécesseurs ces dernières années : celui du dialogue social, celui de mettre tous les sujets dans les mains des partenaires sociaux, et de leur faire confiance, celui de démontrer que la France peut se réformer par le dialogue, dans la confrontation –et cette grande négociation n’a pas toujours été une affaire de « bisounours », je peux en témoigner – mais pas dans l’affrontement, la défaite des uns –toujours les plus faibles- au profit des autres.
Je fais le pari que dans les années à venir vous saurez poser vos regards de chercheurs, décrypter les pratiques et leurs évolutions, le jeu des acteurs dotés de nouveaux pouvoirs et de nouvelles opportunités dans les entreprises grâce à cet accord : anticipation, négociation, solutions pour l’emploi, capacités d’adaptation. Nous serons nombreux je pense à guetter les analyse que produira l’IRES.

4.Les enjeux de l’IRES
Je veux pour finir dire quelques mots bien sûr de la situation concrète de l’IRES. Le gouvernement sait les inquiétudes qui s’expriment, y compris à la faveur de cette célébration des 30 ans.
Premièrement, c’est vrai, le système actuel de mise à disposition des personnels est une source de fragilité pour l’IRES, particulièrement quand les engagements ministériels ne sont pas tenus, ce qui a souvent été le cas ces dernières années
Deuxièmement, l’IRES tient à son indépendance, et tient à son approche transversale des sujets, au-delà du seul champ du travail et de l’emploi – et c’est le ministre du travail qui le dit.
Comme vous le savez, le gouvernement a lancé une démarche ambitieuse, la (re)construction d’un grand Commissariat Général à la Stratégie et la Prospective, rattaché directement au Premier Ministre. C’était une demande des organisations syndicales lors de la grande conférence sociale de juillet dernier, qui regrettaient qu’avec la liquidation du Commissariat au Plan ait disparu un lieu précieux de dialogue et de réflexion prospective sur les enjeux de la société française et du monde du travail. Dans quelques semaines ce nouveau Commissariat verra le jour.
L’IRES a naturellement sa place dans cette architecture, avec son originalité qu’il faut préserver. Il n’y aura donc pas - je le dis sans aucune amertume car bien que ministre du travail et du dialogue social je partage pleinement cette orientation - de rattachement de l’IRES à mon ministère. L’IRES restera rattaché aux services du Premier Ministre.
C’est dans ce cadre qu’il faudra que nous réfléchissions, ensemble, à son positionnement, sa plus-value et ses moyens humains et budgétaires, dans le contexte de l’émergence à ses côtés du Commissariat Général à la Stratégie et à la Prospective.
Bon anniversaire donc, mais aussi longue vie à l’IRES !

Source http://travail-emploi.gouv.fr, le 29 janvier 2013