Déclaration de M. Michel Sapin, ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, sur la politique de l'emploi pour 2013, le dialogue social et notamment l'accord interprofessionnel sur l'emploi, Paris le 28 janvier 2013.

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Circonstance : Voeux aux partenaires sociaux à Paris le 28 janvier 2013

Texte intégral


Mesdames et messieurs les acteurs de l’emploi et de l’entreprise, partenaires sociaux, vous que l’on nomme parfois les « forces vives ».
Thierry Repentin et moi-même sommes heureux de vous souhaiter la bienvenue dans ce ministère du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et - tout particulièrement ce soir - du dialogue social.
Nous sommes le 28 janvier. A cette date, je sais que vous avez reçu déjà beaucoup de voeux, ce sont peut-être d’ailleurs les derniers et sans doute êtes vous proches de la saturation. Je vais donc essayer de varier un peu, de ne pas vous parler longuement de 2012 derrière nous et de 2013 devant nous, mais de vous parler de plus loin, de beaucoup plus loin. Inspiré par la multiplication des anniversaires de 30 ans -30 ans des lois Auroux, 30 ans de l’IRES- je vous propose de nous projeter dans …30 ans !
Voici donc des voeux pour 2013…et des voeux pour 2043 ! C’est loin - sans doute les forces vives de certains d’entre nous ici le seront alors un peu moins
mais c’est aussi pour cet horizon que nous travaillons les uns et les autres, celui de nos enfants, le temps long des choses humaines au-delà des urgences de l’heure.
Je vous dirai un mot quand même - et Thierry Repentin également - de ce qui nous attend en 2013, rassurez vous !
Technologies, démographie, statuts, protections : que sera le travail en 2043 ? Que seront la compétitivité de notre économie –et quel sera le périmètre de notre économie au sein de l’Europe ? Que seront les compétences, les qualifications, l’employabilité et la santé au travail ? Où seront placées les frontières entre vie privée et travail ? Que seront les organisations productives ?
Je n’ai pas de boule de cristal, je suis seulement – comme vous tous ici – un acteur engagé pour faire bouger la société qui se demande « où allons-nous ? », ou plutôt « où voulons nous aller ? »
La première grande direction qui m’apparait, c’est la sécurisation des parcours de l’individu dans une mobilité professionnelle plus grande.
Pour cela, nous serons tous dotés en 2043 d’un compte personnel, pour équiper chacun de droits portables – quels que soient leurs trajectoires et statuts – et faciliter ainsi la mobilité et les transitions.
Sur internet –version 4.0 ou 5.0 - nous pourrons nous connecter à notre compte et piloter nos droits formation (démultipliés et dans une pédagogie du stage renouvelée), notre revenu garanti dans les périodes de transition qui ne seront plus forcément appelées chômage, voire le temps autonome d’étude ou de création qui viendra nourrir notre travail en lui-même. Alors, plus que de couverture sociale, on parlera « d’enveloppe » dans laquelle nous pourrons nous mouvoir sans perdre la chaleur de la couverture.
Impossible ? Non, cette construction de la sécurisation a déjà commencé.
Nous posons les premières fondations de la sécurisation de l’emploi - et demain, progressivement des trajectoires.
Ici, je m’arrête pour revenir en 2012 et 2013, et vous parler bien sûr de l’accord du 11 janvier, qui a conclu quatre mois de négociation dont l’idée a germé lors de la grande conférence sociale de juillet dernier.
Je connais les divergences sur la portée réelle de cet accord, qui satisfait les uns mais en inquiète d’autres. La liberté de chaque acteur doit être respectée, et personne ne sera privé du droit de faire entendre son point de vue et d’échanger dans l’élaboration de la loi de transposition, et peut être - pourquoi pas- d’y trouver des apaisements. Nous allons avoir l’occasion de débattre encore, de se convaincre j’espère.
Pour ma part, j’estime que les partenaires sociaux ont montré, le 11 janvier, que notre pays pouvait se reformer en profondeur, refonder les compromis qui sous-tendent notre modèle social. Le sens de cet accord, ce n’est pas un échange entre la flexibilité pour les entreprises et la sécurité pour les salariés, ou l’inverse d’ailleurs. Ce serait une vision bien trop réductrice, celle qui voudrait que ce qui est gagné par les uns soit forcement perdu par les autres, comme si la « création de valeur » sociale n’existait pas ! Cet accord – sa transposition législative puis sa mise en œuvre devront en apporter la démonstration – « crée de la valeur » pour tous, pour les salariés, pour les entreprises, et pour la collectivité toute entière qui gagne chaque fois que l’emploi est préservé.
J’en évoque une dimension, qui a été moins commentée que d’autres mais qui est à mes yeux essentielle : l’anticipation et la capacité d’intervention des représentants des salariés. Faute d’anticipation des évolutions de l’activité et des compétences, faute de partage des enjeux avec les salariés et leurs représentants, faute aussi de négociations saines et sereines, nos entreprises n’anticipent pas assez les crises, parfois gardent secrète la réalité de leur situation jusqu’à ce qu’il soit trop tard. Alors, au pied du mur, une seule solution est souvent avancée : licencier. On commence par les intérimaires et les CDD (dans ce cas, on dit pudiquement « non-renouvellement »), puis on s’attaque au « noyau dur ».
L’emploi devient la variable d’ajustement.
Les entreprises donnent alors l’image de la brutalité, et face à elles les salariés subissent (typiquement le lot des précaires) ou se défendent, résistent, mais souvent ne parviennent qu’à retarder un scénario écrit d’avance.
Il faut changer cette donne qui ne sert personne, ni les entreprises, ni les travailleurs, ni les territoires concernés. L’accord du 11 janvier invente de nouveaux instruments, de nouveaux droits collectifs pour les salariés et de nouvelles procédures pour changer cette donne.
Tous y gagneront si tous – signataires et non signataires côté syndical, chefs d’entreprise – jouent le jeu et se saisissent de ces nouvelles armes et de ce nouveau dialogue.
L’Etat, pour sa part – et tout particulièrement les services de mon ministère qui vont retrouver dans la gestion des PSE en particulier un rôle perdu depuis 25 ans – jouera son rôle dans cette nouvelle donne pour l’emploi.
Tout n’est pas fait avec cet accord, mais un pas immense est accompli dans cette direction de l’anticipation et de l’emploi davantage préservé, comme dans celui de la sécurisation des parcours professionnels.
En 2043 - je repars dans 30 ans - on s’amusera du contrat de génération, devenu une forme d’évidence comme la sécurité sociale ou la retraite.
Je ne le dis pas seulement parce que c’est notre politique – même si j’y crois bien sûr – mais parce que les entreprises qui savent marier les générations et transmettre les compétences ont l’avenir pour elles !
En 2012 nous avons semé ensemble. Vous, avec l’accord interprofessionnel unanime du 19 octobre, nous, avec le projet de loi en cours d’examen au parlement. En 2013 nous aurons à faire vivre le Contrat de Génération dans les grandes entreprises, comme dans les petites et même les très petites, y compris dans le cas des transmissions d’entreprises. La jeunesse attend, espère sa place dans nos entreprises, sans prendre celle des plus anciens. Là encore, chacun aura à prendre sa part. J’attends dans le pays un vaste mouvement de négociation collective pour les contrats de génération.
En 2043, en aurons nous fini avec le chômage ? Comment cherchera- t-on et trouvera-t-on du travail, quels outils inconnus aujourd’hui auront remplacé Facebook, twitter ou google dans la panoplie des recruteurs ? A quoi ressemblera Pôle emploi et son « offre de service Pôle emploi 2043 ? Aurons- nous – enfin – trouvé pour nos jeunes un système d’éducation qui assure à tous une qualification pour partir dans la vie ?
Là il devient hasardeux de se lancer.
Par contre en 2013, la cible est connue : inverser avant la fin de l’année la courbe du chômage, qui croit depuis 2008 et sans discontinuer depuis 20 mois.
Nombreux sont ceux qui doutent que ce soit possible, mais beaucoup plus nombreux que ceux qui doutent, il y a ceux qui espèrent, et même ceux qui attendent - avec angoisse pour eux-mêmes et pour leurs enfants - ce retournement.
C’est pour ceux-là que nous travaillons !
Vous le savez, nous avons décrété la mobilisation, et commencé avec les Emplois d’Avenir par la face la plus difficile : les 500 000 jeunes sortis sans qualification du système de formation et qui sont sans emploi. Nous en avons créé pour l’heure 4000. 2013 sera l’année de la montée en puissance.
Nouvelle offre de service de Pôle emploi 2015, outil AFPA sauvegardé – je pense que Thierry Repentin reviendra sur le sujet, contrats aidés améliorés dans leur durée, alternance, nouveaux dispositifs comme les emplois d’avenir ou le contrat de génération, CICE et mesures de compétitivité au rang desquels je range l’accord du 11 janvier : nous avons forgé des outils pour la bataille contre le chômage, et nous allons les mobiliser encore, tout au long de l’année 2013.
Mais, je ne suis pas que le ministre de la lutte contre le chômage, je suis aussi le ministre du travail, c’est-à-dire des 25 millions de salariés qui ont un emploi, ceux qui sont bien dans leur travail et ceux qui veulent y être mieux : mieux rémunérés, mieux protégés, mieux associés.
La sécurisation de l’emploi – puisque c’est le maître-mot - c’est aussi la sécurisation du travail : la qualité de vie au travail, la santé ou la sécurité.
Là aussi les nouveaux défis sont nombreux en 2013. La feuille de route issue de la grande conférence sociale en a fixé quelques-uns : égalité professionnelle, épargne salariale, négociation sur la qualité de vie au travail, dont je souhaite qu’elle aboutisse et constitue elle aussi un progrès. L’enjeu de la santé au travail, c’est l’enjeu du travail en lui-même, de ses transformations, des nouveaux risques qui apparaissent (quand d’anciens disparaissent).
Nous en parlerons le moment venu, mais cette question de la santé pourrait avoir une place particulière dans la deuxième grande conférence sociale qui sera organisée en juillet 2013, un an après la première qui inaugura une nouvelle démarche de démocratie économique et sociale restaurée, une nouvelle méthode de dialogue social renouvelé– et une nouvelle ambition.
En 2043, une nouvelle génération de syndicalistes et de responsables d’organisations professionnelles fera vivre un dialogue social qui, j’en ai la conviction profonde, est l’avenir de notre démocratie dans les entreprises et le monde du travail. Des conventions collectives européennes, des accords mondiaux dans les grands groupes, des instances de dialogue adaptées aux TPE, des capacités d’intervention des travailleurs étendues, des salariés prêts à s’engager sans crainte, des responsables d’entreprise qui s’impliquent dans des mandats d’intérêt général, des organisations à la représentativité incontestée : cette démocratie sera vivante !
2013 sera une étape importante, avec deux changements qui marqueront à la fois un aboutissement et un nouveau départ :
- l’achèvement de la réforme de la représentativité syndicale engagée à partir de la position commune de 2008 et le lancement de la réforme de la représentativité patronale. Nous attendons d’ailleurs, d’ici à l’été, les propositions du patronat sur ce dernier processus, l’inscription
- Gouvernement, Parlement et partenaires sociaux en amont de l’élaboration des lois, tant pour les projets de loi - c’est déjà largement le cas avec L1- que pour les propositions de loi d’origine parlementaire.
Ce n’est pas qu’un symbole, c’est la solidification d’une nouvelle culture sociale dans notre pays.
J’en profite pour dire un mot des élections dans les TPE qui font partie de cette réforme de la représentativité. Elles furent conduites dans la difficulté d’un scrutin nouveau et complexe, sur une base définie avant mon arrivée, mais c’est un premier pas important et dont je remercie ici les acteurs.
Nous reviendrons ensemble sur tous ces sujets dans la grande conférence sociale numéro 2, en juillet prochain autour du chef de l’Etat et du Premier Ministre.
Je veux pour finir saluer l’engagement de chacun d’entre vous, et vous en remercier. Saluer votre compétence, votre sens des responsabilités, votre dévouement à la défense des salariés comme à la promotion de vos entreprises.
Je veux dire un salut particulier aux hommes - j’en resterais prudemment aux hommes - qui ont œuvré et beaucoup donné d’eux-mêmes au sein de leurs organisations et qui ont passé ou vont passer la main en 2013. C’est le mouvement normal de la démocratie - c’est un habitué de l’alternance qui vous le dit.
Aux nouveaux et futurs je dis bienvenue et bon courage, à ceux qui changent ou vont changer je dis merci et aussi bon courage ! Mais je suis sûr que la collectivité - qu’il s’agisse de l’Etat ou d’autres acteurs - saura reconnaitre votre valeur, votre expérience, et profiter de vos grandes compétences.
Mesdames messieurs, bonne année 2013… et encore meilleure année 2043 !
source http://travail-emploi.gouv.fr, le 29 janvier 2013