Extraits d'un entretien de M. Pascal Canfin, ministre du développement, avec Canal Plus le 4 février 2013, sur l'intervention militaire au Mali.

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Média : Canal Plus

Texte intégral

Q - Sur Twitter samedi, vous avez écrit : «Aujourd'hui à Bamako comme à Tombouctou, j'ai vécu la plus belle émotion de ma vie politique.» Il faut une bonne guerre pour ressentir une vraie émotion en politique aujourd'hui ?
R - Non. Il faut surtout libérer des villes. Ce que j'ai vu à Tombouctou, ce qu'on a vu avec le président de la République, c'est une population qui touchait du doigt la liberté retrouvée. Honnêtement, on ne le voit pas tous les jours. Pendant des mois, ils ne pouvaient plus écouter de musique ; les femmes ne pouvaient plus s'habiller comme elles le souhaitaient ; elles ne pouvaient plus monter sur les mobylettes avec leur mari ou leur compagnon. Là, on a touché quelque chose.
Q - Vous êtes un homme politique depuis longtemps.
R - Pas si longtemps que ça !
Q - Oui, parce qu'il est très jeune Pascal Canfin !
R - Pas si jeune que ça !
Q - Et votre plus grande émotion, vous la ressentez là-bas.
R - Oui, face à la liberté.
Q - Pourtant, ce n'était pas dans votre logiciel de départ le soutien à un chef de guerre. Vous venez quand même de la famille qui est la plus réticente à ces idées-là.
R - Oui, les écologistes sont historiquement pacifistes. Mais je rappelle que nous avons voté lors de notre conseil fédéral - en quelque sorte notre parlement interne au parti Europe Écologie-Les Verts - nous avons voté à 80 % en faveur de l'intervention.
Q - Mais de là à aller jusqu'à «la plus grande émotion de votre vie politique»...
R - Mais parce que nous avons touché du doigt, sincèrement du doigt, la liberté, la libération d'un peuple. C'est quelque chose qui est formidable. D'ailleurs, je ne suis pas le seul. Le président de la République a utilisé la même expression.
Q - Exactement. François Hollande lui-même a dit que c'était un des jours les plus importants de sa vie politique.
R - C'est quelque chose qui nous a submergés à ce moment-là. Maintenant ce qu'il faut, vous le rappeliez, c'est gagner la paix. Je pense que l'intervention militaire est une chose ; maintenant il faut gagner la paix pour assurer la stabilité dans la durée.
(...)
Q - Pascal Canfin, vous étiez avec le président à bord de l'avion. Lorsque vous voliez vers Tombouctou, le sort des otages était-il une préoccupation pour le président de la République ? C'est-à-dire a-t-il été envisagé la possibilité qu'il y ait une vengeance de la part des ravisseurs à votre arrivée au Mali ?
R - La question des otages est une préoccupation constante du président de la République.
Q - Ça, je l'imagine. Mais la question d'une possible vengeance des ravisseurs ?
R - Depuis le premier jour où le président de la République dès janvier a pris la décision d'intervenir, la question d'une possible vengeance des ravisseurs se pose. Il faudrait être naïf pour penser le contraire.
Q - On prend le risque. La question se pose. L'idée, c'était de ne pas se lier les mains.
R - On prend le risque, mais si on avait laissé le Mali envahi par ceux-là mêmes qui détiennent nos otages, est-ce que nous n'aurions pas pris un risque encore plus grand ? Bien sûr que si. Non seulement pour les personnes qui sont déjà otages mais pour d'autres sans doute. Nous devions donc intervenir, nous l'avons fait. Maintenant je peux vous dire, mais je ne vais pas en parler sur ce plateau, que la préoccupation constante...
Q - Si, si !
R - Non. Si vous voulez vraiment un jour revoir les otages, il ne faut pas en parler devant les plateaux-télé. Donc je ne vais pas en parler. Par contre, c'est une préoccupation constante du président de la République et de l'ensemble des autorités.
Q - Juste une autre question très brève. Le président de la République a dit qu'il resterait au Mali le temps qu'il faut. Or Laurent Fabius, lui, avait dit : «On n'a pas vocation à y rester éternellement.»
R - Le président de la République a redit samedi à Bamako, exactement cette phrase : «Nous n'avons pas vocation à rester durablement au Mali», ce qui est la stricte vérité. Simplement, nous sommes en train de faire monter en puissance les troupes africaines, la MISMA, et à terme nous pouvons envisager une force de maintien de la paix des Nations unies. Ce qui fait que progressivement, nous allons pouvoir, nous, nous retirer. Qui peut le dire en termes de jour ? Personne. En termes de semaine ? Personne. Mais c'est le principe qui est acté et il n'y a aucun problème là-dessus.
Q - Cette façon de rester, c'est aussi par le développement. C'est là que vous, vous intervenez. Que va-t-on faire et combien cela va-t-il coûter ?
R - Ce que l'on va faire, déjà nous allons reprendre, à partir d'aujourd'hui même, l'aide publique au Mali. Nous allons reprendre progressivement parce qu'évidemment il y a des conditionnalités politiques. C'est ce qu'on appelle la feuille de route qui va amener à des élections idéalement en juillet.
Maintenant, ce qu'on va faire concrètement, c'est d'ores et déjà travailler sur des choses très fortes. Par exemple à Tombouctou libérée, il n'y a pas d'eau, il n'y a pas d'électricité parce que les réseaux ont été coupés, parce que l'approvisionnement ne se fait pas. Avec l'Union européenne, avec les Nations unies, avec l'ensemble des acteurs sur l'aide publique au développement, nous allons faire en sorte et je vais faire en sorte de rétablir le plus rapidement possible l'eau et l'électricité à Tombouctou notamment.
Nous sommes en train de lister. Aujourd'hui, quand je vais retourner au bureau, j'aurai la liste des dix ou quinze urgences absolues sur lesquelles nous devons travailler en matière de développement.
Maintenant, c'est dans la durée que nous allons pouvoir remettre le Mali sur la route du développement. Juste un chiffre : le revenu national moyen d'un Malien, c'est 1,10 euro par jour. Donc, vous voyez qu'il y a un énorme travail. C'est un des pays les plus pauvres du monde et nous allons donc les accompagner dans leur développement. (...).
source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 12 février 2013