Texte intégral
Candidat à la présidence de la République, le président de l'UDF déplore l'absence de l'Europe dans la crise internationale et ironise sur les chefs d'Etat ou de gouvernement - Jacques Chirac en tête - qui se sont précipités à Washington " pour leur propre compte ". Lui qui a réfléchi dans le Droit au sens (Flammarion) sur le lien entre religion et laïcité invite les pays islamiques à la tolérance pour les autres religions. Il sera lundi soir sur RTL pour débattre avec Jean-Pierre Chevènement.
En quoi les attentats du 11 septembre ont-ils modifié l'équilibre mondial ?
Le 11 septembre 2001, nous avons changé de monde, aussi sûrement que nous l'avions fait dans la nuit du 9 novembre 1989, quand le mur de Berlin est tombé. Avant le 11 septembre, les Etats-Unis étaient regardés comme la seule hyperpuissance de la planète. Ils se sentaient invulnérables, et ils étaient ressentis comme tels. En même temps, ils étaient les maîtres de la technologie militaire et financière, du numérique et des " grandes oreilles ". Ils pouvaient, à leur choix, s'impliquer ou s'isoler. Dans ce massacre épouvantable, provoqué par des kamikazes armés de cutter, cet équilibre du monde reposant sur un seul pilier a disparu.
Deuxième certitude : les Etats solidaires, avec leurs frontières, leur police nationale, leur justice " souveraine ", ne sont pas adaptés à la lutte contre les organisations terroristes internationales. Pour les terroristes, les frontières sont une protection : elles leur assurent le répit nécessaire à leur fuite puisqu'elles arrêtent le policier ou le juge qui les poursuit. Pour nous, le besoin d'Europe, d'une Europe véritable, devient criant.
Troisième certitude : nous avons besoin d'un nouvel ordre du monde, construit de manière différente, capable de poursuivre le crime mais aussi de construire la justice. Nous ne l'avons pas aujourd'hui.
Comment jugez-vous l'attitude de l'Europe dans cette crise mondiale ?
Hélas, l'Europe n'existe pas comme elle le devrait. Au lieu d'une réponse forte, apportée d'une seule voix, comme il deviendrait à des alliés, on a vu les chefs d'Etat et de gouvernement des pays européens se présenter à la Maison Blanche chacun pour son compte, chacun se glorifiant d'être le premier ou de recevoir le qualificatif le plus flatteur. Et dans un tel malheur il manquait la grande voix européenne qui aurait pu parler de châtiment aussi bien que d'avenir.
Et comme toujours, on a multiplié les annonces. Les mots remplacent les réalités. On a pu vérifier une fois de plus que le mandat d'arrêt européen annoncé ne serait pas opérationnel avant longtemps. Les extraditions mettent des années. Et l'Europe militaire se résume pour l'instant à des déclarations. En réalité, nous n'avons pas répondu à la question : quelle Europe voulons-nous ? Malgré l'évidence de la situation, et faute de pensée claire sur ce sujet, on entend davantage aujourd'hui ceux qui veulent une Europe à la baisse que ceux qui voudraient une Europe à la hausse. Il est temps de dire que dans les domaines de souveraineté réelle (la monnaie, la sécurité, la justice, la défense), pour des pays comme les nôtres, la solitude conduit à l'impuissance.
Comment définir le nouvel ordre international dont on parle ?
Il faut définir le nouvel ordre du monde par ses objectifs. L'ordre n'est pas une finalité en soi. Ce qui compte, c'est l'objectif commun que nous voulons poursuivre. A mes yeux, cet objectif, c'est la justice. On ne peut pas laisser l'Afrique mourir du sida. On ne peut pas laisser un milliard d'êtres humains vivre avec moins de 1 dollar par jour. On ne peut pas laisser le fanatisme faire vivre de femmes toute leur vie comme en prison. Pour relever ces défis, il faudra construire les piliers de ce nouveau monde, peut-être une dizaine de grands pôles, des fédérations de nations capables de défendre ensemble les valeurs de civilisation qui les rassemblent. Et l'Europe devrait être, à côté des Etats-Unis, le premier de ces piliers. Car les Etats-Unis le vérifient : on ne peut pas porter seul le monde sur ses épaules. C'est trop lourd et trop risqué.
Comment aborder la question de l'Islam dans cette crise ?
Il faut parler clairement avec les pays musulmans. Et la question principale est toute simple : les nations s'accordent-elles pour considérer que toute religion, et même toute religion d'Etat, doit respecter les autres philosophies et les autres croyances ? Il ne s'agit pas exactement de laïcité, mais du premier pas obligatoire : la tolérance. Il s'agit, autrement dit, de trouver au niveau international cette décision de pacification qu'Henri IV a donnée à la France avec l'Edit de Nantes il y a quatre cent deux ans.
Qu'est-ce que l'Edit de Nantes ? L'affirmation qu'il y a une religion d'Etat mais que l'Etat doit respecter les droits des citoyen d'une autre religion. L'Islam est plus jeune que le christianisme. Il a six siècles de moins. Il lui faut aujourd'hui répondre à la même question : acceptez-vous sur votre sol une autre religion que la vôtre ? Je n'oublie pas, même si personne n'en parle, qu'il y a en ce moment même en Afghanistan huit membres d'une organisation non gouvernementale en prison, menacés de mort peut-être, du simple fait qu'ils portaient une bible sur eux !
Et chez nous ?
Dans notre pays, l'Islam a droit à la protection et au respect. Il faut combattre les non-dits. Oui, les musulmans, dans leur immense majorité, peuvent et veulent partager les valeurs de démocratie qui sont les nôtres. La lutte contre le fanatisme passe aussi par l'école. Comme ministre, j'ai voulu que l'on puisse aborder à l'école les traditions religieuses, en les respectant, en les regardant, si j'ose dire, de l'intérieur. Ce serait cela la véritable laïcité. Et cela permet de combattre les sentiments d'humiliation, d'insularité, de communautarisme. Parler de l'Islam avec respect avec les jeunes musulmans, c'est lutter contre l'intégrisme. Et parler des confessions chrétiennes et du judaïsme aussi. Et aussi de l'athéisme. Mais si l'on fuit ces questions, si l'on n'est pas capable d'engager le dialogue, si l'on refuse de dire clairement ce à quoi nous croyons, si notre société ne s'interroge que sur son niveau de vie et jamais sur ses raisons de vivre, si la République n'aide pas l'Islam en France à se doter d'un encadrement francophone, il ne faudra pas s'étonner des progrès du fondamentalisme.
Après la catastrophe de Toulouse, croyez-vous qu'il faut revoir l'implantation des usines ?
Bien sûr. Il faut revoir, usine par usine, le risque d'accident. Il faut de vraies zones sécurisées, des zones Seveso réellement protégées. Mais il ne faut pas détruire la chimie en France.
Vous critiquez les blocages de la cohabitation. En avez-vous constaté dans la gestion de cette crise ?
Aussitôt après les attentats de New York, j'ai dit qu'il fallait réagir à cette crise dans un climat d'union nationale. Je respecte cette exigence. C'était une question de décence que de savoir mettre entre parenthèses la campagne électorale. Même si j'ai cru observer que certains parmi les principaux protagonistes ne s'imposaient pas vraiment cette règle. Par ailleurs, je déplore que ni le président de la République ni le premier ministre n'aient jugé utile, jusqu'à ce jour, d'organiser une véritable information des autres dirigeants politiques. Pourtant, cela avait été fait lors de la guerre du Golfe ou de l'opération au Kosovo, et cela a été fait cette fois dans tous les autres pays européens. On parle de menaces chimiques ou bactériologiques :cela mérite au moins qu'on nous dise clairement de quoi il est question. Ce serait une démarche naturelle et civique.
La tension internationale ne complique-t-elle pas la campagne présidentielle de ceux qui, comme vous, se posent en " troisième homme " ?
Bien sûr que si. Et alors ? Qu'est-ce que ça change ? Ceux qui croient qu'ils ont enfin trouvé avec cette crise le moyen pour supprimer le premier tour de l'élection présidentielle se font des illusions. Un peu plus tard, les Français voudront un vrai débat présidentiel. Ils l'auront.
Propos recueillis par Sophie Roquelle, Guillaume Tabard et Alexis Brézet.
(source http://www.udf.org, le 02 octobre 2001)
En quoi les attentats du 11 septembre ont-ils modifié l'équilibre mondial ?
Le 11 septembre 2001, nous avons changé de monde, aussi sûrement que nous l'avions fait dans la nuit du 9 novembre 1989, quand le mur de Berlin est tombé. Avant le 11 septembre, les Etats-Unis étaient regardés comme la seule hyperpuissance de la planète. Ils se sentaient invulnérables, et ils étaient ressentis comme tels. En même temps, ils étaient les maîtres de la technologie militaire et financière, du numérique et des " grandes oreilles ". Ils pouvaient, à leur choix, s'impliquer ou s'isoler. Dans ce massacre épouvantable, provoqué par des kamikazes armés de cutter, cet équilibre du monde reposant sur un seul pilier a disparu.
Deuxième certitude : les Etats solidaires, avec leurs frontières, leur police nationale, leur justice " souveraine ", ne sont pas adaptés à la lutte contre les organisations terroristes internationales. Pour les terroristes, les frontières sont une protection : elles leur assurent le répit nécessaire à leur fuite puisqu'elles arrêtent le policier ou le juge qui les poursuit. Pour nous, le besoin d'Europe, d'une Europe véritable, devient criant.
Troisième certitude : nous avons besoin d'un nouvel ordre du monde, construit de manière différente, capable de poursuivre le crime mais aussi de construire la justice. Nous ne l'avons pas aujourd'hui.
Comment jugez-vous l'attitude de l'Europe dans cette crise mondiale ?
Hélas, l'Europe n'existe pas comme elle le devrait. Au lieu d'une réponse forte, apportée d'une seule voix, comme il deviendrait à des alliés, on a vu les chefs d'Etat et de gouvernement des pays européens se présenter à la Maison Blanche chacun pour son compte, chacun se glorifiant d'être le premier ou de recevoir le qualificatif le plus flatteur. Et dans un tel malheur il manquait la grande voix européenne qui aurait pu parler de châtiment aussi bien que d'avenir.
Et comme toujours, on a multiplié les annonces. Les mots remplacent les réalités. On a pu vérifier une fois de plus que le mandat d'arrêt européen annoncé ne serait pas opérationnel avant longtemps. Les extraditions mettent des années. Et l'Europe militaire se résume pour l'instant à des déclarations. En réalité, nous n'avons pas répondu à la question : quelle Europe voulons-nous ? Malgré l'évidence de la situation, et faute de pensée claire sur ce sujet, on entend davantage aujourd'hui ceux qui veulent une Europe à la baisse que ceux qui voudraient une Europe à la hausse. Il est temps de dire que dans les domaines de souveraineté réelle (la monnaie, la sécurité, la justice, la défense), pour des pays comme les nôtres, la solitude conduit à l'impuissance.
Comment définir le nouvel ordre international dont on parle ?
Il faut définir le nouvel ordre du monde par ses objectifs. L'ordre n'est pas une finalité en soi. Ce qui compte, c'est l'objectif commun que nous voulons poursuivre. A mes yeux, cet objectif, c'est la justice. On ne peut pas laisser l'Afrique mourir du sida. On ne peut pas laisser un milliard d'êtres humains vivre avec moins de 1 dollar par jour. On ne peut pas laisser le fanatisme faire vivre de femmes toute leur vie comme en prison. Pour relever ces défis, il faudra construire les piliers de ce nouveau monde, peut-être une dizaine de grands pôles, des fédérations de nations capables de défendre ensemble les valeurs de civilisation qui les rassemblent. Et l'Europe devrait être, à côté des Etats-Unis, le premier de ces piliers. Car les Etats-Unis le vérifient : on ne peut pas porter seul le monde sur ses épaules. C'est trop lourd et trop risqué.
Comment aborder la question de l'Islam dans cette crise ?
Il faut parler clairement avec les pays musulmans. Et la question principale est toute simple : les nations s'accordent-elles pour considérer que toute religion, et même toute religion d'Etat, doit respecter les autres philosophies et les autres croyances ? Il ne s'agit pas exactement de laïcité, mais du premier pas obligatoire : la tolérance. Il s'agit, autrement dit, de trouver au niveau international cette décision de pacification qu'Henri IV a donnée à la France avec l'Edit de Nantes il y a quatre cent deux ans.
Qu'est-ce que l'Edit de Nantes ? L'affirmation qu'il y a une religion d'Etat mais que l'Etat doit respecter les droits des citoyen d'une autre religion. L'Islam est plus jeune que le christianisme. Il a six siècles de moins. Il lui faut aujourd'hui répondre à la même question : acceptez-vous sur votre sol une autre religion que la vôtre ? Je n'oublie pas, même si personne n'en parle, qu'il y a en ce moment même en Afghanistan huit membres d'une organisation non gouvernementale en prison, menacés de mort peut-être, du simple fait qu'ils portaient une bible sur eux !
Et chez nous ?
Dans notre pays, l'Islam a droit à la protection et au respect. Il faut combattre les non-dits. Oui, les musulmans, dans leur immense majorité, peuvent et veulent partager les valeurs de démocratie qui sont les nôtres. La lutte contre le fanatisme passe aussi par l'école. Comme ministre, j'ai voulu que l'on puisse aborder à l'école les traditions religieuses, en les respectant, en les regardant, si j'ose dire, de l'intérieur. Ce serait cela la véritable laïcité. Et cela permet de combattre les sentiments d'humiliation, d'insularité, de communautarisme. Parler de l'Islam avec respect avec les jeunes musulmans, c'est lutter contre l'intégrisme. Et parler des confessions chrétiennes et du judaïsme aussi. Et aussi de l'athéisme. Mais si l'on fuit ces questions, si l'on n'est pas capable d'engager le dialogue, si l'on refuse de dire clairement ce à quoi nous croyons, si notre société ne s'interroge que sur son niveau de vie et jamais sur ses raisons de vivre, si la République n'aide pas l'Islam en France à se doter d'un encadrement francophone, il ne faudra pas s'étonner des progrès du fondamentalisme.
Après la catastrophe de Toulouse, croyez-vous qu'il faut revoir l'implantation des usines ?
Bien sûr. Il faut revoir, usine par usine, le risque d'accident. Il faut de vraies zones sécurisées, des zones Seveso réellement protégées. Mais il ne faut pas détruire la chimie en France.
Vous critiquez les blocages de la cohabitation. En avez-vous constaté dans la gestion de cette crise ?
Aussitôt après les attentats de New York, j'ai dit qu'il fallait réagir à cette crise dans un climat d'union nationale. Je respecte cette exigence. C'était une question de décence que de savoir mettre entre parenthèses la campagne électorale. Même si j'ai cru observer que certains parmi les principaux protagonistes ne s'imposaient pas vraiment cette règle. Par ailleurs, je déplore que ni le président de la République ni le premier ministre n'aient jugé utile, jusqu'à ce jour, d'organiser une véritable information des autres dirigeants politiques. Pourtant, cela avait été fait lors de la guerre du Golfe ou de l'opération au Kosovo, et cela a été fait cette fois dans tous les autres pays européens. On parle de menaces chimiques ou bactériologiques :cela mérite au moins qu'on nous dise clairement de quoi il est question. Ce serait une démarche naturelle et civique.
La tension internationale ne complique-t-elle pas la campagne présidentielle de ceux qui, comme vous, se posent en " troisième homme " ?
Bien sûr que si. Et alors ? Qu'est-ce que ça change ? Ceux qui croient qu'ils ont enfin trouvé avec cette crise le moyen pour supprimer le premier tour de l'élection présidentielle se font des illusions. Un peu plus tard, les Français voudront un vrai débat présidentiel. Ils l'auront.
Propos recueillis par Sophie Roquelle, Guillaume Tabard et Alexis Brézet.
(source http://www.udf.org, le 02 octobre 2001)