Entretien avec la presse et conférence de presse de M. Pascal Canfin, ministre du développement, sur l'intervention militaire française au Mali, à Bruxelles le 5 février 2013.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Texte intégral

Q - (sur l'objet de la réunion)
R - C'est une réunion politique avec l'ensemble des acteurs de l'Union africaine, de l'Union européenne et au premier rang, le ministre des affaires étrangères du Mali de façon à ce que l'on engage, sur de bonnes voies, le processus politique et le processus en termes de développement. Maintenant, à côté de l'intervention militaire, ce qu'il nous faut, c'est gagner la paix. Cela passe par la mobilisation de l'ensemble de la communauté internationale autour du Mali.
Cette réunion a pour objet d'évoquer, très concrètement l'avenir du dialogue politique et de la mise en place, de la mise en oeuvre de la feuille de route. C'est d'abord la responsabilité des Maliens mais nous pensons que la communauté internationale peut jouer un rôle positif pour accompagner les autorités maliennes dans le processus, encore une fois, pour gagner la paix à côté de l'intervention militaire qui est en cours.
Q - Quels seront les résultats selon vous, ici ?
R - On va voir aujourd'hui sur quoi on peut déboucher. Je ne peux pas préempter les résultats de la discussion. Donc, je vous dirai cela plutôt en fin de journée.
Q - Quelques civils maliens ont été tués soit par erreur, ou bien c'est dans le conflit. Certaines associations parlent de non-respect des droits de l'Homme. Jusqu'à quelle mesure, la France est gênée par cela ?
R - C'est un des sujets que nous allons évoquer aujourd'hui. Quand le président François Hollande est allé à Bamako samedi, nous avons évoqué cette question publiquement avec le président Traore. Nous sommes extrêmement attentifs à ce que les droits humains soient respectés, qu'il n'y ait pas d'exaction, qu'il n'y ait pas de vengeance parce que cela pourrait compromettre la stabilité dans la durée et la mise en oeuvre du processus politique. Nous sommes extrêmement vigilants.
Q - Avez-vous rassuré les pays du voisinage, l'Algérie, la Mauritanie, le Burkina Faso sur ce qui se passe parce qu'il y a un flux de réfugiés qui commence ?
R - L'essentiel des réfugiés viennent d'avant l'intervention du 11 janvier. Aujourd'hui on n'enregistre pas de flux massifs vers les camps autour du Mali. Par contre, nous sommes extrêmement attentifs, avec l'Union européenne, à faire en sorte que la situation humanitaire reste sous contrôle et, aujourd'hui, c'est le cas. Si nous devions mettre davantage de moyen dans le cadre européen, je sais que nous y sommes prêts.
Q - (Sur l'éventuelle transformation de la force de la CEDEAO en force de maintien de paix)
R - Cela fait partie des discussions que l'on peut avoir aujourd'hui.
Q - Pourriez-vous nous dire ce qui a été décidé ? Quels ont été les points discutés ? Comment on avance ?
R - Ce qui a été évoqué, c'est le fait de gagner la paix. L'opération militaire se passe bien et je tiens à dire que l'ensemble des participants ont remercié la France pour son action et tout le monde a convenu que sans la France, le Mali peut-être aujourd'hui serait dans une situation dramatique. Tout le monde a exprimé sa gratitude ; je pense que c'est important pour nous. Maintenant, l'étape suivante, c'est de mettre en place la feuille de route telle qu'elle a été décidée par les autorités maliennes. Nous avons donc discuté des différentes étapes qui vont mener, au 31 juillet, à des élections.
Q - Y a-t-il des dates précises pour cette feuille de route ?
R - Nous sommes en train d'en discuter, notamment sur tout le processus électoral, sur les fichiers mais il n'y a pas de dates rendues publiques à ce stade.
Q - Y a-t-il déjà un accord entre tous les participants pour faire évoluer la mission de la MISMA comme une vraie mission de maintien de la paix ?
R - Il faut d'abord que la MISMA se déploie sur l'ensemble du territoire, conformément à ce qui a été prévu. Lorsque cela sera fait, nous pourrons éventuellement travailler à une opération de maintien de la paix, effectivement, et donc à une transformation de la MISMA, mais il faudra se mettre d'accord sur le mandat de cette opération de maintien de la paix et sur les modalités. En parallèle du déploiement de la MISMA, on peut donc avoir un travail diplomatique à New York mais aussi avec les autorités maliennes pour voir effectivement quelles modalités seraient envisageables. Mais, à court terme, l'enjeu principal, c'est d'abord le déploiement de la MISMA pour qu'ensuite les forces françaises puissent progressivement se retirer car nous n'avons pas vocation à rester durablement au Mali.
Q - Vous avez senti un soutien pour cette idée là ?
R - Il y a un soutien partagé par l'Union africaine, par la France, par les États-Unis, par la CEDEAO, donc l'ensemble des acteurs clés pour, progressivement, aller vers une opération du maintien de la paix sous le contrôle des Nations unies, mais encore une fois, c'est du moyen terme et il ne faut surtout pas perdre de vue les priorités à court terme pour ensuite arriver effectivement à du moyen terme, c'est-à-dire les élections et les opérations de maintien de la paix.
Q - Il y a un combat contre les groupes terroristes islamistes au Mali mais, en même temps, on soutient certains groupes d'Al Qaïda en Syrie ; comment vous ... ?
R - Non, on ne peut pas comparer la Syrie et le Mali. Au Mali, il s'agit d'assurer l'intégrité d'un pays - c'est ce que nous avons fait - et maintenant de gagner la paix pour assurer la démocratie.
Q - Avez-vous aussi un soutien de la part de l'Algérie ?
R - Vous pourrez poser la question directement au représentant algérien, mais effectivement, il y a une très large communauté de vue entre la France et l'Algérie aujourd'hui sur ce qu'il fallait faire et sur ce qu'il faut faire à l'avenir.
Q - Monsieur le Ministre, certains responsables africains regrettent de manière indirecte le départ de Kadhafi qui maintenait d'une certaine façon la stabilité sécuritaire, politique et économique du Sahel.
R - Je ne pense pas que les Libyens le regrettent forcément. La question, c'est d'abord ce que les Libyens ont décidé, donc le changement de régime en Libye, c'est une bonne nouvelle. Simplement, objectivement, la situation ensuite n'a pas été traitée comme il le fallait, ce qui a permis à un certain nombre d'armes de circuler et d'être achetées notamment par les groupes terroristes grâce à l'argent de la drogue, chacun le sait. Nous sommes là aujourd'hui en responsabilité pour agir, faire en sorte que la totalité du territoire du Mali soit reconquis, que l'ensemble des villes soit libéré et ensuite qu'il y ait un processus politique avec deux éléments clés déterminants : le premier, c'est le dialogue politique qui débouchera sur des élections ; le deuxième, c'est la reprise du développement économique du Mali.
Vous savez peut-être que le revenu moyen d'un malien aujourd'hui est de 1 euro 20. Je pense qu'avec 1 euro 20 par jour, nous avons une vraie marge de progression en matière de développement économique et on sait que l'équation est simple : il n'y a pas de développement sans sécurité, le Mali ne pouvait pas se développer tant que sa sécurité et son intégrité n'étaient pas assurées. Il n'y a pas de sécurité durable sans développement, et c'est un des messages importants sur lesquels nous nous sommes mis d'accord aujourd'hui. Nous avons, pour notre part, nous, Français, annoncé la reprise de notre aide il y a deux jours ; l'Union européenne également. Nous nous voyons la semaine prochaine à Dublin entre ministres du développement pour voir comment nous allons mettre en oeuvre la reprise de cette aide publique.
Q - Mais la France, elle est seule sur le terrain...
R - Non, vous ne pouvez pas dire ça...
Q - Comment garantir qu'elle va sortir avec le minimum de dégâts ?
R - La France n'est pas seule sur le terrain. Il y a plusieurs milliers de soldats africains et, à Kidal, la bataille a été menée avec les soldats tchadiens. Maintenant, la quasi-totalité des troupes sont soit quasi arrivées, soit en cours de transfert : les troupes africaines, sans parler bien sûr des troupes maliennes. On ne peut donc pas dire du tout que la France est seule sur le terrain.
Q - Selon certains rapports, avez-vous des doutes que certains pays du Golfe comme le Qatar soutiennent le financement des groupes islamistes radicaux ?
R - On n'a pas d'information mais, bien évidemment, nous sommes attentifs à ce que cela ne soit pas le cas. Aujourd'hui, nous n'avons aucune information qui corroborerait cette thèse.
Q - Est-ce que les besoins de la mission européenne de formation sont désormais tout à fait remplis ou est-ce qu'il y a encore des problèmes ?
R - Les choses avancent, tant sur le plan logistique, pratique que financier. Au niveau de la formation, cela va commencer dans quelques semaines et, parallèlement, encore une fois, l'enjeu, c'est de gagner la paix, c'est le message principal que je suis venu faire passer ici, c'est-à-dire qu'il y avait la nécessité de gagner les opérations militaires et, maintenant, nous entrons dans une nouvelle phase, dans une nouvelle page qui est ouverte et c'est l'objectif de [inaudible].
Q - Cela veut dire que la guerre est terminée ?
R - Non, la guerre n'est pas terminée. Gagner la paix, cela ne veut pas dire que la guerre est terminée, cela veut dire que l'action militaire continue tant que la totalité du territoire malien n'est pas libérée. J'ai vu, avec le président de la République samedi à Bamako, avec Laurent Fabius, avec Jean-Yves Le Drian, on a touché du doigt la liberté, la liberté de gens qui ne pouvaient plus s'habiller comme ils voulaient, faire de la musique dans la rue. On a vu tout cela et il n'y a aucune raison de priver une partie des Maliens de cette liberté. Il faut donc reconquérir l'intégralité du territoire mais, parallèlement, on sait très bien que dans la durée, ce qui assurera la stabilité politique, ce n'est pas l'intervention militaire, c'est le dialogue politique entre les communautés et le développement économique du Mali. Il y a donc ces deux priorités que nous avons évoquées aujourd'hui.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 15 février 2013